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23/05/2025 | FRANCE | N°23NT03746

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 2ème chambre, 23 mai 2025, 23NT03746


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. C... D... et Mme E... B..., agissant en leurs noms et en qualité de représentants légaux de l'enfant F... A... D..., ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite née le 20 juillet 2022 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre les décisions implicites du 31 mai 2021 des autorités consulaires françaises à Conakry (Guinée) refusant de délivrer à Mme

B... et au jeune F... A... D... des visas d'entrée et de long séjour au titre de la réunif...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... D... et Mme E... B..., agissant en leurs noms et en qualité de représentants légaux de l'enfant F... A... D..., ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite née le 20 juillet 2022 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre les décisions implicites du 31 mai 2021 des autorités consulaires françaises à Conakry (Guinée) refusant de délivrer à Mme B... et au jeune F... A... D... des visas d'entrée et de long séjour au titre de la réunification familiale.

Par un jugement n° 2212040 du 7 novembre 2023, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 15 décembre 2023 et 28 octobre 2024, M. D..., agissant en son nom et en qualité de représentant de l'enfant F... A... D..., et Mme E... B..., représentés par Me Roulleau, demandent à la cour :

1°) avant dire droit, d'ordonner une expertise biologique aux fins de déterminer l'existence du lien de filiation unissant M. D... et le jeune F... A... D... ;

2°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes ;

3°) d'annuler la décision implicite du 20 juillet 2022 de la commission de recours ;

4°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer à Mme B... et au jeune F... A... D... les visas sollicités dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

5°) de mettre à la charge de l'État le versement à leur conseil de la somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Ils soutiennent que :

- la décision contestée est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation quant à la réalité de la relation de concubinage avec Mme B... et au lien de filiation l'unissant avec le jeune F... A... D... ;

- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle méconnaît l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

Par un mémoire en défense, enregistrés le 29 juillet 2024, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête.

Il se réfère à son mémoire en défense produit en première instance et soutient, en outre, que :

- l'identité des demandeurs de visa n'est pas établie ; les jugements supplétifs d'actes de naissance produits sont frauduleux ;

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Dias,

- et les observations de Me Belin, substituant Me Roulleau, représentant M. D... et Mme B....

Considérant ce qui suit :

1. Par un jugement du 7 novembre 2023, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande de M. D... et de Mme B... tendant à l'annulation de la décision implicite née le 20 juillet 2022 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre les décisions implicites du 31 mai 2021 des autorités consulaires françaises à Conakry (Guinée) refusant de délivrer à Mme B... et au jeune F... A... D... des visas d'entrée et de long séjour au titre de la réunification familiale. M. D... et Mme B... relèvent appel de ce jugement.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne la fin de non-recevoir opposée à la demande de première instance :

2. Aux termes de l'article R. 421-2 du code de justice administrative : " Sauf disposition législative ou réglementaire contraire, dans les cas où le silence gardé par l'autorité administrative sur une demande vaut décision de rejet, l'intéressé dispose, pour former un recours, d'un délai de deux mois à compter de la date à laquelle est née une décision implicite de rejet. (...) ". Aux termes de l'article R. 421-5 du même code : " Les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision. ". Aux termes de l'article L. 112-3 du code des relations entre le public et l'administration : " Toute demande adressée à l'administration fait l'objet d'un accusé de réception. (...) ". Aux termes de l'article L. 112-6 du même code : " Les délais de recours ne sont pas opposables à l'auteur d'une demande lorsque l'accusé de réception ne lui a pas été transmis ou ne comporte pas les indications exigées par la réglementation. ". Aux termes de l'article R. 112-5 de ce code : " L'accusé de réception prévu par l'article L. 112-3 comporte les mentions suivantes : 1° La date de réception de la demande et la date à laquelle, à défaut d'une décision expresse, celle-ci sera réputée acceptée ou rejetée ; 2° La désignation, l'adresse postale et, le cas échéant, électronique, ainsi que le numéro de téléphone du service chargé du dossier ; 3° Le cas échéant, les informations mentionnées à l'article L. 114-5, dans les conditions prévues par cet article. Il indique si la demande est susceptible de donner lieu à une décision implicite de rejet ou à une décision implicite d'acceptation. Dans le premier cas, l'accusé de réception mentionne les délais et les voies de recours à l'encontre de la décision. (...)".

3. Il résulte de ces dispositions qu'en l'absence d'un accusé de réception comportant les mentions prévues par ces dernières dispositions, les délais de recours contentieux contre une décision implicite de rejet ne sont pas opposables à son destinataire.

4. Si le ministre de l'intérieur et des outre-mer soutient que M. D... a saisi la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France des refus de visas opposés à Mme B... et à l'enfant F... A... D..., par un recours enregistré le 17 septembre 2021, l'accusé de réception produit par le ministre se rapporte au recours formé par un tiers qui conteste d'autres décisions devant la commission. Il ressort, en revanche, de l'accusé de réception postal versé au dossier par M. D... que le recours qu'il a formé contre les refus de visas opposés à Mme B... et à l'enfant F... A... D... a été enregistré le 20 mai 2022 par la commission. Le ministre de l'intérieur et des outre-mer n'établit pas ni même n'allègue qu'un accusé de réception comportant les mentions prévues à l'article R. 112-5 du code des relations entre le public et l'administration aurait été notifié à M. D.... Par suite, les délais de recours contentieux contre la décision implicite née, le 20 juillet 2022, du silence gardé par la commission sur le recours de M. D... n'ont pu commencer à courir. La fin de non-recevoir tirée de ce que la demande de première instance de M. D... serait tardive doit, par suite, être écartée.

En ce qui concerne la légalité de la décision de la commission de recours :

5. D'une part, aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : (...) 2° Par son concubin, âgé d'au moins dix-huit ans, avec lequel il avait, avant la date d'introduction de sa demande d'asile, une vie commune suffisamment stable et continue ; 3° Par les enfants non mariés du couple(...). D'autre part, aux termes de l'article L. 561-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Les articles (...) L. 434-3 à L. 434-5 (..) sont applicables. / La réunification familiale n'est pas soumise à des conditions de durée préalable de séjour régulier, de ressources ou de logement ". Aux termes de l'article L. 434-3 du même code : " Le regroupement familial peut également être demandé pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et pour ceux de son conjoint si, au jour de la demande : / 1° La filiation n'est établie qu'à l'égard du demandeur ou de son conjoint ; / 2° Ou lorsque l'autre parent est décédé ou déchu de ses droits parentaux ".

6. Aux termes de l'article L. 811-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil ". Aux termes de l'article 47 du code civil, dans sa rédaction applicable au litige : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.

7. Enfin, il n'appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère, hormis le cas où le jugement produit aurait un caractère frauduleux.

8. Il ressort du mémoire en défense produit en appel par le ministre de l'intérieur et des outre-mer que la commission de recours a implicitement rejeté le recours de M. D... contre les refus de visas opposés à Mme B... et au jeune F... A... D... au motif que les actes d'état civil produits sont frauduleux et qu'ils ne permettent pas d'établir l'identité des demandeurs et les liens familiaux allégués.

9. Il ressort des pièces du dossier que, pour établir son identité, Mme B... a produit, à l'appui de sa demande de visa, un jugement supplétif d'acte de naissance n°1574 rendu, le 9 avril 2020, par le tribunal de première instance de Boké ainsi qu'un extrait du registre de l'état civil attestant de sa transcription dans les registres de l'état civil de cette commune, le 5 mai 2020. Pour établir l'identité du jeune F... A... D... et le lien de filiation l'unissant à M. D... a été produit, à l'appui de sa demande de visa, un jugement supplétif d'acte de naissance n°1599 rendu, le 20 avril 2020, par la même juridiction. Il ressort des pièces du dossier que les jugements supplétifs ainsi produits ne comportent que les prénoms des pères des enfants et pas leurs patronymes. Si, en appel, M. D... a produit des jugements, dont il soutient qu'il s'agit de " copies légalisées " de ces mêmes jugements, qui comportent les patronymes manquants, il ressort des documents produits que le nom du magistrat ayant présidé l'audience n'est pas le même, sur la copie légalisée du jugement relatif à Mme B... que celui figurant sur la copie initialement produite. Par ailleurs, la " copie légalisée " du jugement supplétif d'acte de naissance de l'enfant F... A... D... ordonne sa transcription dans les registres de l'état civil de Boké, alors que la copie initialement produite, mentionnait qu'il serait transcrit dans les registres de la commune de Sangaredi. Alors que le ministre de l'intérieur et des outre-mer a relevé ces incohérences tant en première instance qu'en appel, les requérants n'apportent aucun élément propre à les expliquer. Dans ces circonstances, les jugements supplétifs litigieux doivent être regardés comme frauduleux.

10. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que, dès le dépôt de sa demande d'asile, M. D... a fait état de sa relation amoureuse avec Mme B... et a déclaré être le père de l'enfant F... A... D..., né d'une autre mère, le 23 avril 2017. Les requérants produisent le certificat de décès de la mère de l'enfant, survenu le 22 février 2020, des justificatifs de scolarité du jeune F... A..., établis en 2019, 2020 et 2021, qui indiquent que Mme B... est la tutrice de l'enfant. Sont aussi produits des justificatifs d'envois réguliers, depuis le mois de février 2020, de sommes d'argent significatives à Mme B..., de nombreuses photographies ainsi que des captures d'écran de conversations via une application de messagerie instantanée dont il ressort que l'enfant F... A... D... vit au domicile de Mme B.... Ces différents éléments sont de nature à établir, par la possession d'état, l'identité des demandeurs de visa ainsi que les liens familiaux qui les unissent à M. D.... Dès lors, en refusant de délivrer les visas sollicités pour les motifs énonces au point 8, la commission de recours a méconnu les dispositions précitées.

11. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête ni d'ordonner avant dire droit une expertise biologique, que M. D... et Mme B... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

12. L'exécution du présent arrêt implique nécessairement que des visas de long séjour soient délivrés à Mme B... et à l'enfant F... A... D.... Il y a lieu d'enjoindre au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, de délivrer ces visas dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir.

Sur les frais liés au litige :

13. M. D... n'a pas sollicité le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat ne peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il n'y a pas lieu, dès lors, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme demandée par Me Roulleau au titre des frais liés au litige.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du 7 novembre 2023 du tribunal administratif de Nantes est annulé.

Article 2 : La décision implicite née le 20 juillet 2022 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre les décisions implicites du 31 mai 2021 des autorités consulaires françaises à Conakry refusant de délivrer à Mme B... et au jeune F... A... D... des visas d'entrée et de long séjour au titre de la réunification familiale est annulée.

Article 3 : Il est enjoint au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, de délivrer à Mme B... et au jeune F... A... D... des visas d'entrée et de long séjour dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... D..., à Mme E... B... et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 6 mai 2025, à laquelle siégeaient :

- Mme Buffet, présidente de chambre,

- Mme Montes-Derouet, présidente-assesseure,

- M. Dias, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 mai 2025.

Le rapporteur,

R. DIAS

La présidente,

C. BUFFETLa greffière,

A. MARCHAND

La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23NT03746


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NT03746
Date de la décision : 23/05/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BUFFET
Rapporteur ?: M. Romain DIAS
Rapporteur public ?: M. LE BRUN
Avocat(s) : ROULLEAU

Origine de la décision
Date de l'import : 25/05/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-05-23;23nt03746 ?
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