Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 18 janvier et 21 octobre 2024, la SAS Réginéenne de Distribution (Soredis), représentée par Me Cazin, demande à la cour :
1°) d'annuler l'arrêté du 23 août 2023 par lequel le maire de la commune d'Erquy (Côtes d'Armor) a délivré à la société Lidl un permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale pour la démolition et la reconstruction d'un supermarché situé sur le territoire de cette commune ;
2°) de mettre à la charge de la société Lidl et de la commune d'Erquy la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'arrêté litigieux méconnaît le V de l'article L.752-6 du code de commerce, dès lors qu'il engendre une artificialisation des sols ; la compensation par renaturation sur une surface d'environ 700 m² est insuffisante et ne répond pas aux conditions posées par le 3° du V de l'article L.752-6 du code de commerce ;
- l'arrêté litigieux est entaché d'erreur d'appréciation au regard du I de l'article L.752-6 du code de commerce ; le projet n'est pas économe d'espace et n'est pas suffisamment compact ; il porte atteinte à l'environnement et à l'animation de la vie locale ; l'étude des flux de transport n'est pas fiable ; l'accès au projet est dangereux et accentue les flux de voiture ;
- les modalités d'accès au futur supermarché sont incompatibles avec les dispositions du plan local d'urbanisme ;
- il méconnaît les objectifs fixés à l'article L.111-19 du code de l'urbanisme ;
- le dossier de demande est incomplet dès lors qu'il aurait dû comporter une étude d'impact ou une décision de dispense d'évaluation environnementale ;
- il incombe à la société Lidl, afin de démontrer que son projet ne méconnaît pas le critère de qualité environnementale fixé par l'article L. 752-6 du code de commerce, de verser aux débats le dossier de demande " Loi sur l'eau " ;
- le projet litigieux porte atteinte à des espèces protégées et n'a pas donné lieu à la délivrance d'une dérogation de la part de l'administration.
Par des mémoires, enregistrés les 27 mars et 6 décembre 2024, la société Lidl, représentée par Me Bozzi, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 500 euros soit mise à la charge de la société Soredis en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens invoqués sont infondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 24 décembre 2024, la commune d'Erquy, représentée par Me Metais-Mouries, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la Soredis en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens invoqués sont infondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de commerce ;
- le code de l'urbanisme ;
- le décret n° 2022-1312 du 13 octobre 2022 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Chabernaud,
- les conclusions de Mme Rosemberg, rapporteure publique,
- et les observations de Me Cazin, représentant la société Soredis, de Me Metais, pour la commune d'Erquy, et de Me Bozzi pour la société Lidl.
Considérant ce qui suit :
1. La société Lidl a déposé, le 28 septembre 2022, une demande de permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale pour la démolition et la reconstruction d'un supermarché situé sur le territoire de la commune d'Erquy (Côte d'Armor). A la suite du recours de la SAS Réginéenne de Distribution (Soredis) contre l'avis favorable rendu le 9 février 2023 par la commission départementale d'aménagement commercial des Côtes d'Armor (CDAC), la Commission nationale d'aménagement commercial (CNAC) a rendu un avis favorable au projet le 17 mai 2023. Le maire de la commune d'Erquy a en conséquence délivré, par un arrêté du 23 août 2023, un permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale de ce projet. La Soredis demande à la cour d'annuler cet arrêté.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
En ce qui concerne les moyens relatifs à la régularité du permis de construire litigieux en tant qu'il vaut autorisation de construire :
2. Aux termes de l'article L. 600-1-4 du code de l'urbanisme : " Lorsqu'il est saisi par une personne mentionnée à l'article L. 752-17 du code de commerce d'un recours pour excès de pouvoir dirigé contre le permis de construire mentionné à l'article L. 425-4 du présent code, le juge administratif ne peut être saisi de conclusions tendant à l'annulation de ce permis qu'en tant qu'il tient lieu d'autorisation d'exploitation commerciale. Les moyens relatifs à la régularité de ce permis en tant qu'il vaut autorisation de construire sont irrecevables à l'appui de telles conclusions. ". Figurent notamment au nombre des personnes mentionnées à l'article L. 752-17 du code de commerce les professionnels dont l'activité, exercée dans les limites de la zone de chalandise définie pour le projet, est susceptible d'être affectée par celui-ci. Seuls sont recevables à l'appui du recours formé par ces personnes les moyens relatifs à la légalité du permis en tant qu'il tient lieu d'autorisation d'exploitation commerciale.
3. La société requérante, qui fait exclusivement état de sa qualité de professionnel dont l'activité commerciale est susceptible d'être affectée par le projet litigieux, soutient que le dossier de demande du permis de construire est incomplet, dès lors qu'il aurait dû comporter une étude d'impact ou une décision de dispense d'évaluation environnementale comme le prévoit l'article R. 431-16 du code de l'urbanisme, que le projet porte atteinte à des espèces protégées et n'a pas donné lieu à la délivrance d'une dérogation de la part de l'administration, en méconnaissance des dispositions de l'article L. 411-2 du code de l'environnement, que les modalités d'accès au futur supermarché sont incompatibles avec les dispositions du plan local d'urbanisme de la commune d'Erquy et, enfin, que le projet méconnaît les objectifs fixés à l'article L.111-19 du code de l'urbanisme. Ces moyens sont toutefois relatifs à la régularité du permis de construire en tant qu'il vaut autorisation de construire. Ils sont, par suite, irrecevables et doivent être écartés pour ce motif.
En ce qui concerne les moyens relatifs à la méconnaissance du V de l'article L.752-6 du code de commerce :
4. La Soredis ne peut utilement se prévaloir, s'agissant d'un permis de construire délivré au vu d'un dossier de demande déposé le 28 septembre 2022, des dispositions du V de l'article L. 752-6 du code de commerce issues de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dès lors qu'en vertu de l'article 9 du décret n° 2022-1312 du 13 octobre 2022 relatif aux modalités d'octroi de l'autorisation d'exploitation commerciale pour les projets qui engendrent une artificialisation des sols, ces dispositions ne sont opposables qu'aux demandes déposées à compter du 15 octobre 2022.
En ce qui concerne le respect par le projet des critères fixés par l'article L. 752-6 du code de commerce :
5. Aux termes de l'article L. 752-6 du code de commerce, dans sa rédaction applicable au projet litigieux : " I.- (...) / La commission départementale d'aménagement commercial prend en considération : 1° En matière d'aménagement du territoire : a) La localisation du projet et son intégration urbaine ; b) La consommation économe de l'espace, notamment en termes de stationnement ; c) L'effet sur l'animation de la vie urbaine, rurale et dans les zones de montagne et du littoral ; d) L'effet du projet sur les flux de transports et son accessibilité par les transports collectifs et les modes de déplacement les plus économes en émission de dioxyde de carbone ; e) La contribution du projet à la préservation ou à la revitalisation du tissu commercial du centre-ville de la commune d'implantation, des communes limitrophes et de l'établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre dont la commune d'implantation est membre ; f) Les coûts indirects supportés par la collectivité en matière notamment d'infrastructures et de transports ; 2° En matière de développement durable : a) La qualité environnementale du projet, notamment du point de vue de la performance énergétique et des émissions de gaz à effet de serre par anticipation du bilan prévu aux 1° et 2° du I de l'article L. 229-25 du code de l'environnement, du recours le plus large qui soit aux énergies renouvelables et à l'emploi de matériaux ou procédés éco-responsables, de la gestion des eaux pluviales, de l'imperméabilisation des sols et de la préservation de l'environnement ; b) L'insertion paysagère et architecturale du projet, notamment par l'utilisation de matériaux caractéristiques des filières de production locales ; c) Les nuisances de toute nature que le projet est susceptible de générer au détriment de son environnement proche. Les a et b du présent 2° s'appliquent également aux bâtiments existants s'agissant des projets mentionnés au 2° de l'article L. 752-1 ; 3° En matière de protection des consommateurs : a) L'accessibilité, en termes, notamment, de proximité de l'offre par rapport aux lieux de vie ; b) La contribution du projet à la revitalisation du tissu commercial, notamment par la modernisation des équipements commerciaux existants et la préservation des centres urbains ; c) La variété de l'offre proposée par le projet, notamment par le développement de concepts novateurs et la valorisation de filières de production locales ; d) Les risques naturels, miniers et autres auxquels peut être exposé le site d'implantation du projet, ainsi que les mesures propres à assurer la sécurité des consommateurs. II.-A titre accessoire, la commission peut prendre en considération la contribution du projet en matière sociale. ".
6. Il résulte de ces dispositions que l'autorisation d'exploitation commerciale ne peut être refusée que si, eu égard à ses effets, le projet contesté compromet la réalisation des objectifs énoncés par la loi. Il appartient aux commissions départementale et nationale d'aménagement commercial, lorsqu'elles statuent sur un dossier de demande d'autorisation, d'apprécier la compatibilité du projet à ces objectifs au vu des critères d'évaluation mentionnés à l'article L. 752-6 du code de commerce.
S'agissant de l'objectif relatif à l'aménagement du territoire :
7. Le projet litigieux vise à procéder à l'extension, sur la commune d'Erquy, d'un supermarché sous l'enseigne " Lidl ", par démolition et reconstruction du bâtiment sur le site d'origine. Au total, il est prévu de porter la surface de vente à 1 481,60 m², soit une augmentation de celle-ci de 641,60 m², dont 590,23 m² du fait de l'extension et 51,37 m² par intégration de l'espace initialement omis dans la surface de vente situé entre les portes d'entrée et la ligne de caisse.
8. Il ressort des pièces du dossier que le projet se situe au sein de la zone d'aménagement commercial (ZACOM) " Les Jeannettes " située à deux kilomètres du centre-ville d'Erquy. Compte tenu du fait qu'il consiste en l'extension mesurée d'un supermarché existant, il n'aura pas d'impact significatif sur les commerces du centre-ville ou sur l'animation de la vie urbaine et engendrera une artificialisation nette qui sera limitée à environ 700 m² selon l'avis du ministre de la transition écologique du 16 mai 2023, et ce malgré la création de places de stationnement. En outre, s'il n'est pas desservi par des pistes cyclables et apparaît mal desservi par les transports collectifs, le flux de véhicules journaliers qu'il va générer est toutefois de seulement 130 véhicules supplémentaires selon l'étude de trafic, dont l'absence de fiabilité n'est pas démontrée par la société requérante, les comptages ayant eu lieu en dehors des périodes de confinement liées à la crise sanitaire et ne pouvant ainsi être regardés comme ayant sous-estimé le trafic. Ainsi, les caractéristiques du projet ne sont pas de nature à entraîner une dégradation des conditions de circulation. Enfin, il n'est pas établi que l'accès au site serait dangereux, alors notamment que, contrairement aux allégations de la requérante, il ressort du plan de masse qu'existe un cheminement piétons distinct de la voie d'accès des véhicules. Par conséquent, au regard de l'ensemble de ces éléments, le projet litigieux n'est pas de nature à compromettre la réalisation des objectifs énoncés par la loi en matière d'aménagement du territoire.
S'agissant de l'objectif relatif au développement durable :
9. Il ressort des pièces du dossier, en particulier de l'avis du ministre de la transition écologique du 16 mai 2023, que les bâtiments projetés comporteront environ 1 600 m² de surface de panneaux photovoltaïques et que les places de stationnement seront toutes réalisées avec un revêtement perméable, ce qui permettra d'augmenter le total des surfaces perméables du site d'environ 1 144 m². Par ailleurs, le projet s'intègre facilement dans son environnement proche, lequel est constitué par une zone commerciale en partie bâtie. En outre, il n'est pas établi que le projet, qui se limite au demeurant à une extension, porterait atteinte à une espèce d'oiseau protégée, la nidification de cette dernière ayant lieu en dehors du site d'implantation du supermarché. Enfin, le préfet des Côtes d'Armor, aux termes d'un arrêté du 23 mai 2024, au demeurant postérieur à l'arrêté attaqué, a fait opposition à la déclaration de la société Lidl au titre de l'article L. 214-3 du code de l'environnement en raison de la présence d'une zone humide sur le terrain d'assiette du projet identifiée au regard d'un diagnostic complémentaire effectué le 9 octobre 2023 par les services de la DDTM. Toutefois, la société requérante n'indique pas de façon précise dans quelle mesure cette zone serait impactée par le projet, alors qu'il ressort du dossier de demande de permis de construire que la zone humide initialement identifiée était conservée. Dans ces conditions, et sans qu'il soit besoin d'ordonner à la société Lidl de produire le dossier qu'elle a déposé au titre de sa déclaration " Loi sur l'eau ", il n'est pas établi que le projet serait de nature à compromettre la réalisation des objectifs énoncés par la loi en matière de développement durable et en particulier en ce qui concerne sa qualité environnementale.
S'agissant de l'objectif relatif à la protection des consommateurs :
10. La société requérante se borne à soutenir que le projet litigieux, en particulier ses accès, ne serait pas conforme à la sécurité des consommateurs. Toutefois, il résulte de ce qui a été dit au point 8 ci-dessus que le moyen doit être écarté.
11. Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de ce que l'avis de la Commission nationale d'aménagement commercial serait entaché d'une inexacte application des dispositions de l'article L. 752-6 du code de commerce doit être écarté.
12. Il résulte de tout ce qui précède que la société Réginéenne de Distribution n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêté du 23 août 2023 par lequel le maire de la commune d'Erquy a délivré à la société Lidl un permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale.
Sur les frais liés au litige :
13. D'une part, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de de la société Lidl et de la commune d'Erquy, qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes, la somme demandée par la société Réginéenne de Distribution au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
14. D'autre part, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de la société Réginéenne de Distribution une somme de 1 500 euros chacune à verser à la commune d'Erquy et à la société Lidl au titre des frais liés au litige.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société Réginéenne de Distribution est rejetée.
Article 2 : La société Réginéenne de Distribution versera à la société Lidl et à la commune d'Erquy la somme de 1 500 euros chacune au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS Réginéenne de Distribution, à la commune d'Erquy, à la SNC Lidl et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera adressée, pour information, à la Commission nationale d'aménagement commercial.
Délibéré après l'audience du 29 avril 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président de chambre,
- M. Derlange, président-assesseur,
- M. Chabernaud, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 mai 2025.
Le rapporteur,
B. CHABERNAUDLe président,
L. LAINÉ
Le greffier,
C. WOLF
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 24NT00151