Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... D..., agissant en son nom propre et pour le compte des enfants mineurs E... C... et B... C..., a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler, d'une part, les décisions implicites ainsi que les décisions expresses du 17 février 2023 par lesquelles l'autorité consulaire française en poste à Conakry (Guinée) a opposé un refus aux demandes de visa de long séjour présentées pour les jeunes E... C... et B... C... au titre de la réunification familiale et, d'autre part, la décision implicite et la décision expresse du 23 août 2023 qui lui a succédé par lesquelles la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre les refus consulaires implicites et la décision implicite de la commission rejetant le recours formé contre les refus consulaires exprès du 17 février 2023.
Par un jugement n° 2315974 du 25 juin 2024, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 26 août 2024, Mme D..., représentée par Me Malabre, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 25 juin 2024 ;
2°) d'annuler les décisions contestées ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer les visas de long séjour sollicités dans un délai de huit jours à compter de la notification de la décision à intervenir, sous astreinte de 200 euros par jour de retard ;
4°) subsidiairement, d'ordonner avant-dire droit une expertise à fin d'examen comparatif des empreintes génétiques de Mme D... et des demandeurs ;
5°) de mettre à la charge de l'État, en cas d'admission à l'aide juridictionnelle, le versement à son conseil de deux sommes de 2 400 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ou en l'absence d'aide juridictionnelle, le versement à son profit de sommes du même montant sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le tribunal n'a pas motivé son jugement en tant qu'il rejette les conclusions tendant à ce qu'une expertise soit ordonnée ;
- ce jugement est également insuffisamment motivé en tant qu'il statue sur les conclusions dirigées contre les refus de visa opposés au jeune B... C... ;
- les décisions du 17 février 2023 de l'autorité consulaire ainsi que la décision par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a implicitement rejeté le recours formé contre ces décisions du 17 février 2023 sont entachées de défaut de motivation ;
- la commission ne pouvait légalement se fonder sur l'absence d'éléments qu'elle ne démontre pas avoir expressément réclamés ;
- tous les éléments utiles et probants ont été produits pour établir l'état civil des demandeurs et leur lien de filiation avec la réunifiante ;
- la filiation est également établie par possession d'état ;
- les décisions contestées méconnaissent le droit au rapprochement familial tel que protégé par les dispositions des articles L. 424-3 et L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- ces décisions ont été prises en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elles ont été prises en méconnaissance des stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le refus d'ordonner une expertise génétique place les requérants dans une situation de déni de justice et traduit une violation des articles 6-1, 8 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- aucune critique n'est articulée en ce qui concerne l'état civil du jeune B... C... ;
- il existe suffisamment d'indices concordants justifiant qu'en cas de doute persistant, la cour ordonne une expertise à fin d'examen comparatif de ses empreintes génétiques avec celles des demandeurs de visa.
La requête a été communiquée le 29 août 2024 au ministre de l'intérieur qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Mme D... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 27 août 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Bougrine,
- et les observations de Me Le Floch, substituant Me Malabre et représentant Mme D....
Considérant ce qui suit :
1. Mme D..., ressortissante guinéenne, s'est vu accorder le bénéfice de la protection subsidiaire par une décision de la Cour nationale du droit d'asile du 17 juin 2019. Des demandes de visas de long séjour présentées au titre de la réunification familiale pour les jeunes E... C... et B... C..., ressortissants guinéens nés respectivement le 26 mars 2014 et le 21 janvier 2016, ont été enregistrés auprès de l'autorité consulaire française à Conakry le 26 octobre 2021. Le 23 décembre 2022, Mme D... a saisi la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France d'un recours contre les refus implicites opposés à ces demandes. Après avoir implicitement rejeté ce recours, la commission a, par une décision du 23 août 2023, maintenu les refus de visa. Le 17 février 2023, l'autorité consulaire a expressément rejeté les demandes de visa enregistrées le 26 octobre 2021. Le recours administratif préalable formé par Mme D... contre ces décisions expresses a été implicitement rejeté. Mme D... relève appel du jugement du 25 juin 2024 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'ensemble de ces décisions.
Sur l'étendue du litige :
2. D'une part, aux termes de l'article D. 312-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Une commission placée auprès du ministre des affaires étrangères et du ministre de l'intérieur est chargée d'examiner les recours administratifs contre les décisions de refus de visa de long séjour prises par les autorités diplomatiques ou consulaires. / (...) / La saisine de l'une ou l'autre de ces autorités, selon la nature du visa sollicité, est un préalable obligatoire à l'exercice d'un recours contentieux, à peine d'irrecevabilité de ce dernier. ". Il résulte de ces dispositions qui instituent un recours administratif préalable obligatoire que la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France se substitue à celle qui a été prise par les autorités diplomatiques ou consulaires.
3. D'autre part, lorsque le silence gardé par l'administration sur une demande dont elle a été saisie a fait naître une décision implicite de rejet, une décision explicite de rejet intervenue postérieurement se substitue à la première décision. Dans ce cas, des conclusions à fin d'annulation de cette première décision doivent être regardées comme dirigées contre la seconde.
4. Il résulte de ce qui précède que les conclusions de Mme D... dirigées contre les décisions de l'autorité consulaire française en poste à Conakry doivent être regardées comme dirigées contre les décisions de la commission statuant sur les recours formés contre ces décisions consulaires. Par ailleurs, la décision expresse de la commission intervenue le 23 août 2023 s'est substituée à la décision par laquelle elle a implicitement rejeté le recours préalable formé le 10 mars 2023 et qui concernait également les demandes de visa enregistrées le 26 octobre 2021. Dans ces conditions, la demande de Mme D... doit être regardée comme exclusivement dirigée contre la décision expresse de la commission du 23 août 2023.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
5. Aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : (...) / 3° Par les enfants non mariés du couple, n'ayant pas dépassé leur dix-neuvième anniversaire (...) ". Aux termes du premier alinéa de l'article L. 561-4 du même code : " Les articles L. 434-1, L. 434-3 à L. 434-5 et le premier alinéa de l'article L. 434-9 sont applicables ". L'article L. 561-5 de ce code dispose : " Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. Ils produisent pour cela les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. / En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 121-9 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux ".
6. Pour rejeter le recours formé par Mme D..., le 23 décembre 2022, contre les refus de visa opposés aux jeunes E... C... et B... C..., qu'elle présente comme ses enfants, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée sur le motif tiré de ce que Mme D... n'avait pas " mis l'administration en situation d'examiner sa demande de réunification familiale en dépit des relances " qui lui avaient été adressées. Dans ses écritures de première instance, le ministre de l'intérieur a précisé que l'intéressée n'avait pas donné suite à un courrier du bureau des familles des réfugiés l'invitant à lui retourner, dûment complété, le formulaire joint à ce courrier et destiné à vérifier la recevabilité de la demande de réunification familiale et la composition de sa famille. Toutefois, alors, au demeurant, qu'il ne résulte d'aucune disposition législative ou règlementaire que l'examen par les autorités consulaires des demandes de visas présentées au titre de la réunification familiale serait conditionné à la production d'un tel formulaire destiné au bureau des familles des réfugiés, il n'est pas établi que Mme D... aurait reçu la demande de renseignements en question. En outre, il ressort des pièces du dossier qu'ont notamment été produits à l'appui des demandes de visas, des jugements supplétifs tenant lieu d'actes de naissance concernant les jeunes E... C... et B... C... et mentionnant leur lien de filiation avec Mme D..., les justificatifs de transcription de ces jugements sur les registres d'état civil, la copie des passeports des intéressés ainsi que les documents d'état civil concernant la réunifiante établis par le directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides. Dans ces conditions, en se fondant sur le motif mentionné ci-dessus, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a entaché sa décision d'illégalité.
7. Néanmoins, l'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.
8. Le tribunal administratif de Nantes a, à la demande du ministre de l'intérieur, substitué au motif erroné mentionné dans la décision contestée, le motif tiré de ce que l'identité des demandeurs de visas et leur lien de filiation avec la réunifiante n'étaient pas établis.
9. L'article L. 811-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit que la vérification des actes d'état civil étrangers doit être effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil, aux termes duquel : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. Celle-ci est appréciée au regard de la loi française. " Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Par ailleurs, il n'appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère, hormis le cas où le jugement produit aurait un caractère frauduleux.
10. Pour justifier de l'identité des demandeurs de visas et de leur lien de filiation avec Mme D... ont été produits, en ce qui concerne la jeune E... C... d'une part, un jugement supplétif tenant lieu d'acte de naissance rendu le 8 décembre 2020 par le tribunal de première instance de Coyah, qui fait état d'une naissance le 26 mars 2014 et de sa filiation avec Mme A... D... et M. F... C... ainsi qu'un acte de naissance dressé le 12 décembre 2020 en transcription de ce jugement supplétif et, en ce qui concerne le jeune B... C... d'autre part, un jugement supplétif tenant lieu d'acte de naissance rendu le 15 octobre 2020 par le juge de paix de Gaoual, qui fait état d'une naissance le 2 janvier 2016 et d'une même filiation tant paternelle que maternelle ainsi qu'un extrait du registre de l'état civil de la commune urbaine de Gaoual portant transcription, le 26 octobre 2020, de ce jugement supplétif. Les intéressés ont également produit une copie des passeports qui leur ont été délivrés le 14 avril 2021 et qui indiquent les dates et lieux de leur naissance. S'il est constant que le jugement supplétif concernant la jeune E... C... mentionne qu'il est rendu sur requête de son père, M. F... C..., alors que ce dernier est décédé le 1er février 2019, la requérante produit toutefois en appel un jugement rendu le 28 juin 2024 par le tribunal de première instance de Coyah procédant à la rectification de l'erreur matérielle entachant le jugement du 8 décembre 2020 et relative à l'identité du requérant. L'identité des jeunes E... C... et B... C... ainsi que leur lien de filiation avec Mme D... sont ainsi établis par les jugements mentionnés ci-dessus, qui corroborent d'ailleurs les déclarations de cette dernière auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides relativement à la composition de sa famille. Par suite, c'est à tort que le tribunal a fait droit à la demande de substitution de motifs présentée par le ministre.
11. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la régularité du jugement attaqué ni les autres moyens de la requête, que Mme D... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :
12. Eu égard au motif d'annulation sur lequel il est fondé, l'exécution du présent arrêt implique nécessairement la délivrance aux jeunes E... C... et B... C... de visas de long séjour au titre de la réunification familiale. Il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur d'y procéder dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
13. Mme D... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Son avocat peut, par suite, se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, le versement à Me Malabre de la somme de 1 500 euros.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 25 juin 2024 et la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 23 août 2023 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur de délivrer des visas de long séjour aux jeunes E... C... et B... C..., dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Me Malabre la somme de 1 500 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... D... et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 11 avril 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Gaspon, président de chambre,
- M. Coiffet, président-assesseur,
- Mme Bougrine, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 mai 2025.
La rapporteure,
K. Bougrine Le président,
O. Gaspon
La greffière
I. Petton
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 24NT026452