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06/05/2025 | FRANCE | N°24NT01460

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 6ème chambre, 06 mai 2025, 24NT01460


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. C... D... et Mme B... A... épouse D... ont demandé au tribunal administratif de Nantes, tout d'abord, d'annuler la décision implicite née le 5 février 2023 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours contre la décision du 31 octobre 2022 de l'autorité consulaire française à Téhéran (République islamique d'Iran) refusant de délivrer à Mme D... un visa de lon

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... D... et Mme B... A... épouse D... ont demandé au tribunal administratif de Nantes, tout d'abord, d'annuler la décision implicite née le 5 février 2023 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours contre la décision du 31 octobre 2022 de l'autorité consulaire française à Téhéran (République islamique d'Iran) refusant de délivrer à Mme D... un visa de long séjour en qualité de membre de la famille d'un réfugié, ensuite d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer ce visa dans le délai de quinze jours à compter de la notification du jugement à intervenir et, à titre subsidiaire, d'accorder le visa à Mme D... en qualité de groupe social persécuté du fait de son genre, enfin, de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 200 euros à verser à leur conseil en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Par un jugement n° 2311279 du 18 mars 2024, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France née le 5 février 2023 et enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de faire délivrer à Mme A... épouse D... le visa de long séjour sollicité dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement, enfin, a mis à la charge de l'Etat versement à Me Summerfield de la somme de 1 200 euros au titre des frais d'instance.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 17 mai 2024, le ministre de l'intérieur demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 18 mars 2024 du tribunal administratif de Nantes ;

2°) de rejeter la demande présentée devant le tribunal administratif.

Il soutient que :

- le jugement attaqué, qui est entaché d'erreur de fait et d'appréciation, est mal fondé ; Mme A... épouse D... n'est pas éligible à la procédure de réunification familiale et la décision contestée ne méconnaît pas l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales contrairement à que qu'ont estimé les premiers juges ; son mariage a, en effet, été enregistré le 27 juillet 2022 soit après l'enregistrement de la demande d'asile par le réunifiant ; Mme A... ne peut non plus être regardée comme la concubine de M. D... ; ce dernier a quitté l'Afghanistan en 2013, Mme A... étant alors âgée au plus de 4 ans ; le réunifiant indiquant que lui et Mme A... avaient été promis l'un à l'autre par leurs familles alors qu'ils n'étaient qu'enfants, la qualité du consentement de Mme A... est dès lors sérieusement contestable ; il n'était pas en conséquence possible de retenir comme établie une situation de concubinage entre eux ; par ailleurs, on ne saurait déduire de la production de deux photos où Mme A... apparaît les cheveux non couverts la preuve de leur intimité où l'existence d'un indice s'agissant d'une relation de concubinage ; la preuve la plus ancienne de liens entre Mme A... et le réunifiant est un mandat d'argent du 1er septembre 2020 ; aucune preuve n'est rapportée de ce que Mme A... connaissait le réunifiant avant son départ d'Afghanistan ; les villes dans lesquelles ils sont respectivement nés et où ils ont vécu sont distantes de plus de 204 kms soit 5 heures environ ;

Par un mémoire en défense, enregistré le 9 juillet 2024, M. D... et Mme A... épouse D..., représentés par Me Sommerfield concluent au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 1 200 euros soit mise à la charge de l'Etat à verser à leur conseil en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Ils font valoir qu'aucun des moyens soulevés par le ministre de l'intérieur n'est fondé.

M. D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 12 septembre 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Coiffet a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. D..., ressortissant afghan, né le 28 novembre 1995 à Parwan (Afghanistan) s'est vu reconnaître la qualité de réfugié par une décision du directeur général de l'Office de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) du 21 avril 2020. Mme B... A... épouse D..., née le 1er décembre 1999 à Parwan, a déposé une demande de visa de long séjour, auprès de l'autorité consulaire française à Téhéran (Iran) au titre de la réunification familiale en indiquant que M. D... était son concubin. Par une décision du 31 octobre 2022, cette autorité a refusé de délivrer le visa sollicité. Par une décision implicite née le 5 février 2023, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée (CRRV) en France a rejeté le recours formé contre cette décision consulaire.

2. M. D... et Mme A... ont, le 1er août 2023, saisi le tribunal administratif de Nantes d'une demande tendant à l'annulation de la décision implicite née le 5 février 2023 et à ce qu'il soit enjoint au ministre de l'intérieur de faire délivrer le visa sollicité dans un délai de quinze jours. Par un jugement du 18 mars 2024, le tribunal administratif de Nantes a fait droit à la demande et annulé la décision de la CRRV du 5 février 2023. Le ministre de l'intérieur relève appel de ce jugement.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

3. Il ressort des pièces versées au dossier que la décision litigieuse de la CRRV du 5 février 2023, qui se substitue à la décision consulaire du 31 octobre 2022 refusant à Mme A... le visa sollicité, fondée sur le motif que " son mariage ou son union a été célébré postérieurement à la date d'introduction de la demande d'asile par son conjoint ", a été annulée par le tribunal pour avoir porté, dans les circonstances particulières de l'espèce, une atteinte disproportionnée au droit des demandeurs au respect de leur vie privée et familiale au sens de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

4. Aux termes, d'une part, de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : 1° Par son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage ou l'union civile est antérieur à la date d'introduction de la demande d'asile. ". L'article L. 561-5 du même code prévoit que : " Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. Ils produisent pour cela les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. / En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 121-9 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux. ".

5. Aux termes, d'autre part, de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".

6. Il ressort des pièces du dossier, d'une part, que Mme A... n'est pas éligible à la procédure de réunification familiale, son mariage coutumier, célébré à distance avec M. D... le 12 juin 2022, ayant été enregistré le 27 juillet 2022 soit postérieurement à l'enregistrement de la demande d'asile présentée devant l'OFPRA par le réunifiant. D'autre part, il ressort des pièces du dossier que M. D..., alors âgé de 8 ans, - Mme A... était quant à elle alors âgée au plus de 4 ans - a dû fuir une première fois l'Afghanistan en 2003 pour l'Iran, où il a résidé jusqu'en 2013, soit pendant dix années, avant de revenir dans son pays pour une courte période et d'être contraint de le quitter de nouveau pour l'Europe, arrivant en Suède en 2014 puis en France en 2017. M. D..., qui a certes déclaré de manière constante que Mme A... et lui avaient été promis l'un à l'autre par leurs familles alors qu'ils n'étaient qu'enfants, ne verse aux débats que deux photos où Mme A... apparaît les cheveux non couverts et ne justifie que d'un seul versement d'argent à cette dernière par mandat du 1er septembre 2020. Ces seuls éléments, au regard du parcours décrit ci-dessus et même si M. D... a déclaré devant l'OFPRA que Mme A... était sa fiancée, ne permettent pas d'établir une vie commune suffisamment stable et continue avant le départ définitif d'Afghanistan du réunifiant en 2014 voire même avant la date d'introduction de sa demande d'asile en France, et donc l'existence d'une situation de concubinage. Dans ces conditions, le ministre de l'intérieur est fondé à soutenir que c'est à tort qu'en se fondant sur le motif tiré de la méconnaissance du droit des demandeurs au respect de leur vie privée et familiale, le tribunal a annulé la décision née le 5 février 2023 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée.

7. Il y a lieu, toutefois, pour la cour par l'effet dévolutif de l'appel de se prononcer sur les autres moyens présentés par M. D... et Mme B... A... épouse D... devant le tribunal.

8. Il résulte de ce qui a été dit au point 6 que les moyens tirés de ce que la décision contestée de la CRRV serait entachée d'une erreur de droit et d'une erreur manifeste d'appréciation dès lors qu'un lien de concubinage antérieur au dépôt de la demande d'asile est établi, ne peuvent qu'être écartés.

9. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'intérieur est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, qui doit être annulé, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision née le 5 février 2023 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée.

Sur les frais liés au litige :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat, qui n'a pas la qualité de partie perdante, verse à M. D... et Mme A... la somme qu'ils demandent au titre de ces dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2311279 du 18 mars 2024 du tribunal administratif de Nantes est annulé.

Article 2 : La demande et les conclusions d'appel de M. D... et de Mme A... sont rejetées.

Article 3 : Le présent jugement sera notifié à M. C... D..., à Mme B... A... et au ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 11 avril 2025, à laquelle siégeaient :

- M. Gaspon, président de chambre,

- M. Coiffet, président-assesseur,

- Mme Bougrine, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 mai 2025.

Le rapporteur,

O. COIFFETLe président,

O. GASPON

La greffière,

I. PETTON

La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N°24NT01460 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 24NT01460
Date de la décision : 06/05/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. GASPON
Rapporteur ?: M. Olivier COIFFET
Rapporteur public ?: Mme BAILLEUL
Avocat(s) : SUMMERFIELD

Origine de la décision
Date de l'import : 11/05/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-05-06;24nt01460 ?
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