Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. K... N... A... et Mme C... P... E..., agissant en leurs noms et au nom des enfants mineurs B... F... N... A..., H... D... N... A..., I... N... A... et J... N... A..., ont demandé au tribunal administratif de Nantes, tout d'abord, d'annuler la décision du 5 avril 2023 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre les cinq décisions de l'autorité diplomatique française en République démocratique du Congo refusant de délivrer à Mme P... E... et aux enfants B... F..., H... D..., I... et J... N... A... des visas de long séjour au titre de la procédure de réunification familiale, ensuite, d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer les visas sollicités dans un délai d'un mois sous astreinte de 100 euros par jour de retard, ou à défaut de réexaminer les demandes de visas dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte, enfin, de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1500 euros à verser à leur conseil en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Par un jugement n° 2305051 du 15 mars 2024, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 15 mai 2024, M. K... N... A... et Mme C... P... E..., agissant en leurs noms et au nom des enfants mineurs B... F... N... A..., H... D... N... A..., I... N... A... et J... N... A..., représentés par Me Le Floch, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 15 mars 2024 du tribunal administratif de Nantes ;
2°) d'annuler la décision du 5 avril 2023 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France.
Ils soutiennent que :
- le jugement attaqué est entaché d'irrégularité ; d'une part, il n'est pas établi que la minute du jugement attaqué comportait les signatures prescrites par l'article R. 741-7 du code de justice administrative ; d'autre part, le jugement attaqué est insuffisamment motivé ; en effet, le jugement répond de manière stéréotypée au moyen tiré de la méconnaissance de l'article D. 312-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; s'il ressort effectivement du procès-verbal de la séance de la CRRV du 5 avril 2023 que les membres y siégeant avaient effectivement la qualité requise par l'article D. 312-5 du CESEDA, le jugement querellé ne mentionne pas les membres et la qualité de ces derniers ; cette motivation n'indique en rien si, conformément aux dispositions de l'article D. 312-5 du code précité, le président de la formation avait effectivement exercé des fonctions de chef diplomatique ou consulaire ; de la même manière, cette motivation n'indique pas si les membres de la commission ont effectivement été nommés par décret du Premier Ministre - que le procès-verbal, au demeurant, ne vise pas - et qu'ils l'ont été pour une durée de trois ans ;
- le jugement est mal fondé ; la décision de la CRRV est entachée d'un vice de procédure du fait de la composition irrégulière de la commission ; le seul procès-verbal de la séance du 5 avril 2023 au cours de laquelle la commission de recours contre les refus de visas a rejeté leur recours ne permet pas de s'assurer que la commission était régulièrement composée ;
- la décision contestée de la CRRV méconnait les dispositions de l'article L. 561-2 du CESEDA et est entachée d'une erreur d'appréciation ; si M. N... A... est effectivement le père d'une enfant née en France, Mme L..., née le 24 janvier 2017 à Beauvais, il n'entretient aucune vie commune avec la mère de cette dernière, Mme G... M... ; il démontre qu'il entretenait une relation de concubinage stable et continue avec Mme P... E... avant son entrée en France le 10 novembre 2015 et le dépôt de sa demande d'asile présenté le 14 janvier 2016 ;
- la décision méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision méconnaît l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
La requête a été communiquée le 30 mai 2024 au ministre de l'intérieur, qui n'a pas produit d'observations.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Coiffet,
-et les observations de Me Le Floch, pour M. N... A... et Mme P... E....
Considérant ce qui suit :
1. M. N... A..., né en 1989, ressortissant O... démocratique du Congo, s'est vu reconnaitre la qualité de réfugié par la Cour nationale du droit d'asile le 25 septembre 2019. Il a déposé auprès de l'autorité diplomatique française en République démocratique du Congo des demandes de visas de long séjour pour Mme P... E..., présentée comme sa compagne, et pour les quatre enfants allégués du couple, B... F..., H... D..., I... et J... N... A... au titre de la réunification familiale. Par plusieurs décisions du 24 novembre 2022, cette autorité a refusé de délivrer les visas sollicités. Par une décision du 5 avril 2023, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée (CRRV) en France a rejeté le recours formé contre cette décision diplomatique.
2. M. N... A... et Mme E... ont, le 6 avril 2023, saisi le tribunal administratif de Nantes d'une demande tendant à l'annulation de la décision du 5 février 2023 et à ce qu'il soit enjoint au ministre de l'intérieur de faire délivrer les visas sollicités dans un délai d'un mois, sous astreinte. Par un jugement du 15 mars 2024, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande. Ils relèvent appel de ce jugement.
Sur la régularité du jugement attaqué :
3. En premier lieu, aux termes de l'article R. 741-7 du code de justice administrative : " Dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience. " Il ressort des pièces du dossier que la minute du jugement attaqué comporte l'ensemble des signatures requises par les dispositions précitées. Par suite, le moyen tiré de ce que ce jugement serait entaché d'une irrégularité, à défaut d'être revêtu des signatures des magistrats constituant la formation de jugement, manque en fait et ne peut qu'être écarté.
4. En second lieu, aux termes de l'article D. 211-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le président de la commission est choisi parmi les personnes ayant exercé des fonctions de chef de poste diplomatique ou consulaire. / La commission comprend, en outre : / 1° Un membre, en activité ou honoraire, de la juridiction administrative ; / 2° Un représentant du ministre des affaires étrangères ; / 3° Un représentant du ministre chargé de l'immigration ; / 4° Un représentant du ministre de l'intérieur. / Le président et les membres de la commission sont nommés par décret du Premier ministre pour une durée de trois ans. Pour chacun d'eux, un premier et un second suppléant sont nommés dans les mêmes conditions. ". L'article 1er de l'arrêté du 4 décembre 2009 relatif aux modalités de fonctionnement de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France prévoit que cette commission " délibère valablement lorsque le président ou son suppléant et deux de ses membres au moins, ou leurs suppléants respectifs sont réunis. ". Aux termes de l'article D. 312-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le président de la commission mentionnée à l'article D. 312-3 est choisi parmi les personnes ayant exercé des fonctions de chef de poste diplomatique ou consulaire. / La commission comprend, en outre : / 1° Un membre, en activité ou honoraire, de la juridiction administrative ; / 2° Un représentant du ministre des affaires étrangères ; / 3° Un représentant du ministre chargé de l'immigration ; / 4° Un représentant du ministre de l'intérieur. (...) ".
5. M. N... A... et Mme E... ont soutenu en première instance " qu'il n'était pas établi que la commission s'est réunie dans une composition régulière pour statuer sur le recours formé devant elle ". Pour écarter ce moyen, les premiers juges ont indiqué " qu'il ressortait du procès-verbal de la séance de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 5 avril 2023, produit par le ministre en défense, qu'ont siégé à cette séance le président de la commission, et quatre autres de ses membres représentant les autorités désignées à l'article D. 312-5 précité du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile " et qu'ainsi, " les règles de composition de la commission ayant été respectées, le moyen tiré de leur méconnaissance ne pouvait qu'être écarté ". Le tribunal a, ce faisant, suffisamment motivé sa décision sur ce point. Par suite, le moyen tiré de ce que ce jugement serait entaché d'une irrégularité faute d'avoir indiqué que le président de la formation avait effectivement exercé des fonctions de chef de poste diplomatique ou consulaire et que les membres de la commission ont effectivement été nommés par décret du Premier Ministre et pour une durée de trois ans doit être écarté.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne la légalité externe de la décision du 5 avril 2023 :
6. En premier lieu, il ressort des pièces produites par le ministre de l'intérieur en première instance, en particulier du procès-verbal, qui est suffisamment précis quant aux indications qu'il comporte, de la séance de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée qui s'est tenue le 5 avril 2023 au cours de laquelle a été délibérée la décision en litige, que la commission en cause était composée de son président et de quatre membres, désignés nommément, représentant respectivement le ministre chargé de l'immigration, le ministre des affaires étrangères, le ministre de l'intérieur et la juridiction administrative. Le moyen tiré de l'irrégulière composition de la CRRV doit, par suite, être écarté.
7. Il ressort des pièces versées au dossier que la décision litigieuse de la CRRV du 5 avril 2023, qui se substitue aux décisions consulaires du 24 novembre 2022 refusant à M. N... A... les visas sollicités, a rejeté le recours formé devant elle au motif que le lien familial des demandeurs avec M. K... N... A... " qui a rompu la communauté de vie en fondant une nouvelle famille en France, ne correspond pas à l'un des cas leur permettant d'obtenir un visa dans le cadre de la procédure de réunification familiale en qualité de membres de famille de réfugié " et eu égard à l'absence de " communauté de vie suffisamment stable et effective avec Mme C... P... E... et les enfants alors que les intéressés ont toujours vécu en République démocratique du Congo ". Le moyen tiré de l'insuffisante motivation de la décision en cause doit ainsi être écarté.
8. Il résulte de ce qui précède que la décision litigieuse de la CRRV du 5 avril 2023, qui refuse à M. N... A... les visas sollicités pour Mme C... P... E..., présentée comme sa compagne, et pour les quatre enfants allégués du couple n'est entaché d'aucune illégalité externe.
Sur la légalité interne de la décision du 5 avril 2023 :
9. Aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / 1° Par son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage ou l'union civile est antérieur à la date d'introduction de sa demande d'asile ; / 2° Par son concubin, âgé d'au moins dix-huit ans, avec lequel il avait, avant la date d'introduction de sa demande d'asile, une vie commune suffisamment stable et continue ; / 3° Par les enfants non mariés du couple, n'ayant pas dépassé leur dix-neuvième anniversaire. (...) ". L'article L. 561-5 du même code prévoit que : " Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. Ils produisent pour cela les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. / En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 121-9 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux. ".
10. Les requérants soutiennent être concubins et parents des enfants B... F..., H... D..., I... et J..., portant tous les quatre le nom N... A... et nés respectivement le 10 octobre 2007 pour les deux aînés, le 24 octobre 2010 et le 30 octobre 2012 pour les cadets.
11. D'une part, s'agissant de Mme C... P... E..., s'il est exact que M. N... A... est le père d'une enfant née le 24 janvier 2017 en France, issue d'une autre union avec une réfugiée congolaise, il ne ressort pas cependant des pièces du dossier que ce dernier, aurait vécu et vivrait avec la mère de l'enfant, pris en charge par l'aide sociale à l'enfance, avec laquelle la relation demeure conflictuelle ainsi qu'il est attesté. Toutefois, il ne ressort pas davantage en appel qu'en première instance des pièces du dossier que M. N... A..., qui ne verse d'ailleurs aux débats que deux justificatifs de versements d'argent par mandat intervenus en février et septembre 2021, et Mme P... E... auraient maintenu une relation stable et continue depuis le départ de M. N... A... O... démocratique du Congo en 2015 et avant la date d'introduction de sa demande d'asile. Par suite, c'est sans commettre d'erreur d'appréciation que la commission a refusé pour ce motif la délivrance du visa sollicité pour Mme P... E....
12. D'autre part, toutefois, et s'agissant des quatre enfants, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée (CRRV) en France ne pouvait retenir, pour refuser la délivrance des visas sollicités, le motif tiré de l'absence de preuve d'une relation de concubinage entre M. N... A... et Mme C... P... E.... La CRRV a ainsi, par la décision contestée du 5 avril 2023, fait une inexacte application des dispositions de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
13. Il résulte de ce qui précède que les requérants sont seulement fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande dirigée contre la décision du 5 avril 2023 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en tant qu'elle concerne les enfants B... F... N... A..., H... D... N... A..., I... N... A... et J... N... A....
Sur les conclusions d'injonction :
14. Il résulte de ce qui précède, d'une part, que les conclusions à fin d'injonction sous astreinte présentées par les requérants en tant qu'elle concerne Mme P... E... ne peuvent qu'être rejetées. D'autre part, il y a lieu, compte tenu de ce qui a été dit au point 12, d'enjoindre au ministre de l'intérieur de réexaminer la situation des enfants allégués de M. N... A... dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction de l'astreinte sollicitée.
Sur les frais liés au litige :
15. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à M N... A... et de Mme P... E..., de la somme de 1 500 euros.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2305051 du 15 mars 2024 du tribunal administratif de Nantes est annulé en tant qu'il rejette la demande des requérants dirigée contre la décision portant refus de délivrance de visas opposée le 5 avril 2023 par la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France aux enfants B... F... N... A..., H... D... N... A..., I... N... A... et J... N... A....
Article 2 : La décision portant refus de délivrance de visas opposée le 5 avril 2023 par la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France est annulée dans la mesure de ce qui a été dit à l'article 1er.
Article 3 : Le surplus de la requête de M N... A... et de Mme P... E... est rejeté.
Article 4 : Il est enjoint au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur de réexaminer la situation de B... F... N... A..., H... D... N... A..., I... N... A... et J... N... A... dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 5 : L'Etat versera à M. K... N... A... et à Mme C... P... E... une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : Le présent jugement sera notifié à sera notifié à M. K... N... A..., à Mme C... P... E... et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 11 avril 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Gaspon, président de chambre,
- M. Coiffet, président-assesseur,
- Mme Bougrine, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 mai 2025.
Le rapporteur,
O. COIFFETLe président,
O. GASPON
La greffière,
I. PETTON
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N°24NT01430 2