Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 23 septembre 2020 par laquelle le ministre de l'intérieur a ajourné à deux ans sa demande d'acquisition de la nationalité française.
Par un jugement n° 2010588 du 7 février 2024, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 5 avril 2024, M. B... C..., représenté par Me Levy, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 7 février 2024 du tribunal administratif de Nantes ;
2°) d'annuler la décision du ministre de l'intérieur ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la décision est entachée d'incompétence de son auteur ;
- elle est insuffisamment motivée ;
- la décision repose sur des faits matériellement inexacts au regard des dispositions de l'article 48 du 30 décembre 1993.
Par un mémoire en défense, enregistré le 23 avril 2024, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- les moyens de légalité externe sont irrecevables, faute de moyens relevant de cette cause juridique soulevés en première instance ;
- les autres moyens soulevés ne sont pas fondés ; en tout état de cause il est établi que l'intéressé a eu une dette à l'égard de la caisse d'allocations familiales en raison d'un trop versé de revenu de solidarité active perçu en 2019.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993 ;
- le décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de M. Rivas a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B... C..., ressortissant algérien né le 28 mars 1985, a sollicité l'acquisition de la nationalité française par naturalisation. Sa demande a été ajournée à deux ans le 18 février 2020 par le préfet de l'Essonne. Le recours administratif préalable obligatoire formé par M. C... contre cette décision a été rejeté par une décision du 23 septembre 2020 du ministre de l'intérieur ajournant à deux ans sa demande à compter du 18 février 2020. Par un jugement du 7 février 2024, dont M. C... relève appel, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande d'annulation de cette décision ministérielle.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. En premier lieu, si M. C... invoque l'insuffisance de motivation de la décision contestée, ce moyen se rattache à une cause juridique nouvelle par rapport à l'argumentation qu'il a développée en première instance, laquelle se limitait à la critique de la légalité interne de ce refus. Par suite, ainsi que le soutient le ministre de l'intérieur, ce moyen est irrecevable et ne peut qu'être écarté.
3. En deuxième lieu, par une décision du 30 août 2018 publiée au Journal officiel de la République française le 2 septembre 2018, la directrice de l'accueil, de l'accompagnement des étrangers et de la nationalité, compétente à cet effet en vertu de l'article 3 du décret du 27 juillet 2005 relatif aux délégations de signature des membres du gouvernement, a donné délégation de signer tous actes, arrêtés et décisions, à l'exclusion des décrets, à Mme A..., attachée d'administration de l'Etat en charge du traitement des recours administratifs préalables obligatoires au bureau des affaires juridiques, du précontentieux et du contentieux à la sous-direction de l'accès à la nationalité française, et signataire de la décision contestée. Dès lors, le moyen tiré de l'incompétence de la signataire de cette décision ne peut qu'être écarté.
4. En troisième lieu, aux termes de l'article 21-15 du code civil : " (...) l'acquisition de la nationalité française par décision de l'autorité publique résulte d'une naturalisation accordée par décret à la demande de l'étranger. ". Aux termes de l'article 48 du décret du 30 décembre 1993 relatif aux déclarations de nationalité, aux décisions de naturalisation, de réintégration, de perte, de déchéance et de retrait de la nationalité française : " Si le ministre chargé des naturalisations estime qu'il n'y a pas lieu d'accorder la naturalisation ou la réintégration sollicitée, il prononce le rejet de la demande. Il peut également en prononcer l'ajournement en imposant un délai ou des conditions (...). ".
5. Il appartient au ministre en charge des naturalisations, eu égard aux dispositions précitées des articles 21-15 du code civil et 48 du décret du 30 décembre 1993, de porter une appréciation sur l'intérêt d'accorder la naturalisation à l'étranger qui la demande. Dans le cadre de cet examen d'opportunité, il peut légalement prendre en compte les éléments défavorables le concernant.
6. En l'espèce, pour ajourner à deux ans la demande de naturalisation de M. C... à compter du 18 février 2020, le ministre de l'intérieur s'est fondé sur le fait que celui-ci était redevable, le 21 janvier 2020, d'une somme de 855,40 euros auprès de la caisse d'allocations familiales de l'Essonne ainsi qu'il ressort d'un courriel adressé par cette caisse à ses services le 21 janvier 2020. Il ressort toutefois d'un courrier de la même caisse du 13 juillet 2021 que l'information donnée au ministre sur l'existence de cette dette, à cette date, était erronée dès lors que l'intéressé avait soldé sa dette à son encontre en décembre 2019. Par suite, M. C... est fondé à soutenir que la décision contestée est entachée d'une erreur de fait en ce qu'elle lui oppose l'existence d'une telle dette le 21 janvier 2020.
7. Toutefois, le ministre de l'intérieur doit être regardé comme demandant à ce qu'il soit substitué à ce motif celui tiré du fait qu'à la date de sa décision M. C... avait eu un comportement défavorable au motif qu'il avait été redevable en 2019 d'une dette à l'égard de la caisse d'allocations familiales de l'Essonne en conséquence de la régularisation de ses droits ouverts au titre du revenu de solidarité active du fait la prise en compte de salaires perçus de mars à mai 2019.
8. L'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.
9. Il ressort des pièces du dossier que, bénéficiaire en 2019 du revenu de solidarité active, M. C... a perçu à tort une part au moins de ce revenu en avril et mai 2019 et, qu'en conséquence, il a dû rembourser une somme totale de 1 670,40 euros à la caisse d'allocations familiales de l'Essonne. Il a soldé cette dette par un ultime versement effectué le 26 décembre 2019. La matérialité de ces faits est établie par les pièces au dossier. En conséquence, à la date de la décision contestée du 23 septembre 2020, le ministre de l'intérieur pouvait prendre en compte ces éléments défavorables récents et, eu égard à son large pouvoir d'appréciation, c'est sans erreur manifeste d'appréciation qu'il a pu ajourner à deux ans la demande de naturalisation de M. C... à compter du 18 février 2020. Il résulte par ailleurs de l'instruction que le ministre aurait pris la même décision en se fondant sur ce seul motif. Par suite, il y a lieu de procéder à la substitution de motif demandée par le ministre de l'intérieur, qui ne prive M. C... d'aucune garantie.
10. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à se plaindre que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Sur les frais d'instance :
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à l'octroi d'une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens à la partie perdante. Il y a lieu, dès lors, de rejeter les conclusions présentées à ce titre par M. C....
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 10 avril 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Degommier, président de chambre,
- M. Rivas, président assesseur,
- Mme Ody, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 mai 2025.
Le rapporteur,
C. RIVAS
Le président,
S. DEGOMMIER
Le greffier,
C. GOY
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
N° 24NT01022