Vu la procédure suivante :
Par une requête, enregistrée le 22 juillet 2024, les communes de Moulins-sur-Orne et de Mont-sur-Orne, représentées par Me Ingelaere et Me Blanco, demandent à la cour :
1°) d'annuler l'arrêté du 10 avril 2024 par lequel le préfet de l'Orne a autorisé la société Enertrag Normandie I SAS à installer et exploiter un parc éolien composé de trois éoliennes et d'un poste de livraison sur le territoire de la commune d'Occagnes ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat et de la société Enertrag Normandie I SAS le versement à chacune des communes requérantes de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elles soutiennent que :
- chacune d'elle justifie d'un intérêt lui donnant qualité à agir contre l'arrêté attaqué ;
- le signataire de la décision attaquée n'est pas compétent ;
- la décision attaquée a été prise à l'issue d'une procédure d'enquête publique irrégulière ; l'avis d'enquête publique ne respecte pas les dispositions de l'article L. 123-10 du code de l'environnement ; le commissaire enquêteur n'a pas examiné l'ensembles des observations recueillies et son avis et n'est pas suffisamment motivé
- au regard des risques d'atteintes entraînant la destruction d'espèces d'avifaune, notamment l'Aigle royal, le Milan Noir et le Grand-Duc d'Europe, et de chiroptères identifiés dans l'aire d'étude du projet, une dérogation espèces protégées devait être sollicitée par le pétitionnaire en application des dispositions des articles L. 411-1 et L. 411-2 du code de l'environnement.
- l'étude d'impact est lacunaire s'agissant de l'analyse paysagère ;
- le dossier de demande d'autorisation environnementale est lacunaire sur la constitution de garanties financières liées au démantèlement du parc éolien ;
- cette autorisation méconnaît les articles L. 181-3 et L. 511-1 du code de l'environnement et R. 111-27 du code de l'urbanisme en raison de l'atteinte à l'Outarde canepetière et aux chiroptères
- l'arrêté méconnaît l'article R. 111-27 du code de l'urbanisme, en ce que le projet litigieux, compte tenu de sa nature et de ses effets, porte manifestement atteinte à la qualité du site, soit l'entité paysagère du Mézenc, et notamment par pollution lumineuse, au site exceptionnel de l'observatoire Hubert Reeves.
Par un mémoire en défense, enregistré le 22 novembre 2024, le préfet de l'Orne conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- les communes requérantes ne justifient pas de leur intérêt à agir contre l'autorisation environnementale ;
- aucun des moyens invoqués par les communes requérantes n'est fondé.
Par un mémoire en défense, enregistré le 20 décembre 2024, la société Enertrag Normandie I SAS, représentée par Me Gelas, conclut au rejet de la requête ou, à titre subsidiaire, à ce qu'il soit sursis à statuer en application de l'article L. 181-18 du code de l'environnement et à la mise à la charge des communes requérantes le versement d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les communes requérantes ne justifient pas de leur intérêt à agir contre l'autorisation environnementale ;
- aucun des moyens invoqués par les communes requérantes n'est fondé.
Par un mémoire, enregistré le 11 janvier 2025, la commune de Monts-sur-Orne déclare se désister purement et simplement de sa requête.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'environnement ;
- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Penhoat,
- les conclusions de M. Brasnu, rapporteur public.
- les observations de Me Bardoul, substituant Me Ingelaere, représentant les communes de Moulins-sur-Orne et de Mont-sur-Orne,
- et les observations de Me Boudrot, substituant Me Gelas, représentant la société Enertrag Normandie I SAS.
Considérant ce qui suit :
1. Par une demande du 7 décembre 2021, la société Enertrag Normandie I SAS a sollicité la délivrance d'une autorisation d'exploiter trois éoliennes et un poste de livraison sur le territoire de la commune d'Occagnes. Par un arrêté du 10 avril 2024, le préfet de l'Orne a accordé cette autorisation. Les communes de Moulins-sur-Orne et de Monts-sur-Orne demandent l'annulation de cet arrêté.
Sur le désistement partiel :
2. Par un mémoire du 11 janvier 2025, la commune de Monts-sur-Orne a déclaré se désister de son recours. Ce désistement est pur et simple. Rien ne s'oppose à ce qu'il en soit donné acte.
Sur la légalité de l'arrêté du préfet de l'Orne du 10 avril 2024 :
En ce qui concerne la compétence du signataire de l'arrêté contesté :
3. L'arrêté préfectoral du 10 avril 2024 contesté a été signé par M. Blondel, secrétaire général de la préfecture de l'Orne, pour le préfet et par délégation. Par un arrêté préfectoral du 27 novembre 2023, régulièrement publié le même jour au recueil des actes administratifs spécial sous le numéro 1121-2023-10032, M. Blondel a reçu du préfet de l'Orne délégation de signature permanente en toutes matières, à l'exception des réquisitions de la force armée, des déclinatoires de compétence et arrêtés de conflits. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté contesté manque en fait et, doit être écarté.
En ce qui concerne la régularité de la procédure d'enquête publique :
4. En premier lieu, aux termes du I de l'article L. 123-10 du code de l'environnement : " Quinze jours au moins avant l'ouverture de l'enquête et durant celle-ci, l'autorité compétente pour ouvrir et organiser l'enquête informe le public. L'information du public est assurée par voie dématérialisée et par voie d'affichage sur le ou les lieux concernés par l'enquête, ainsi que, selon l'importance et la nature du projet, plan ou programme, par voie de publication locale. / Cet avis précise : / -l'objet de l'enquête ; / -la ou les décisions pouvant être adoptées au terme de l'enquête et des autorités compétentes pour statuer ; / -le nom et les qualités du commissaire enquêteur ou des membres de la commission d'enquête ; / -la date d'ouverture de l'enquête, sa durée et ses modalités ; / -l'adresse du ou des sites internet sur lequel le dossier d'enquête peut être consulté ; / -le (ou les) lieu (x) ainsi que les horaires où le dossier de l'enquête peut être consulté sur support papier et le registre d'enquête accessible au public ; / -le ou les points et les horaires d'accès où le dossier de l'enquête publique peut être consulté sur un poste informatique ; / -la ou les adresses auxquelles le public peut transmettre ses observations et propositions pendant le délai de l'enquête. S'il existe un registre dématérialisé, cet avis précise l'adresse du site internet à laquelle il est accessible. / L'avis indique en outre l'existence d'un rapport sur les incidences environnementales, d'une étude d'impact ou, à défaut, d'un dossier comprenant les informations environnementales se rapportant à l'objet de l'enquête, et l'adresse du site internet ainsi que du ou des lieux où ces documents peuvent être consultés s'ils diffèrent de l'adresse et des lieux où le dossier peut être consulté. Il fait état, lorsqu'ils ont été émis, de l'existence de l'avis de l'autorité environnementale mentionné au V de l'article L. 122-1 et à l'article L. 122-7 du présent code ou à l'article L. 104-6 du code de l'urbanisme, et des avis des collectivités territoriales et de leurs groupements mentionnés au V de l'article L. 122-1 du présent code, ainsi que du lieu ou des lieux où ils peuvent être consultés et de l'adresse des sites internet où ils peuvent être consultés si elle diffère de celle mentionnée ci-dessus. ".
5. S'il appartient à l'autorité administrative de procéder à l'ouverture de l'enquête publique et à la publicité de celle-ci dans les conditions fixées par les dispositions du code de l'environnement, la méconnaissance de ces dispositions n'est toutefois de nature à vicier la procédure et donc à entraîner l'illégalité de la décision prise à l'issue de l'enquête publique que si elle n'a pas permis une bonne information de l'ensemble des personnes intéressées par l'opération ou si elle a été de nature à exercer une influence sur les résultats de l'enquête et, par suite, sur la décision de l'autorité administrative.
6. D'une part, il résulte de l'instruction que l'avis d'enquête publique mentionne l'adresse du site internet où le dossier et les différentes informations relatives à l'enquête publique étaient consultables.
7. D'autre part, le dossier soumis à enquête publique comprenait, comme l'atteste le rapport du commissaire enquêteur, une étude d'impact. Des observations du public ont d'ailleurs porté sur l'impact des éoliennes en matière notamment de nuisances sonores et lumineuses et de détérioration du paysage. Si l'avis d'enquête ne mentionnait pas explicitement l'étude d'impact, il résulte de ce qui précède que ces circonstances n'ont pas nui à l'information complète du public qui a pu faire valoir ses observations. De même, la circonstance que l'avis d'enquête qui précisait le nom du commissaire enquêteur et celui du commissaire enquêteur suppléant ne mentionnait pas leur qualité ne peut être regardée comme ayant été de nature à avoir privé le public d'une information sans laquelle il n'aurait pu participer effectivement à l'enquête ou avoir exercé une influence sur ses résultats. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées des articles L. 123-10 du code de l'environnement doivent être écartés.
8. En second lieu, aux termes de l'article R. 123-19 du code de l'environnement : " Le commissaire enquêteur ou la commission d'enquête établit un rapport qui relate le déroulement de l'enquête et examine les observations recueillies./ Le rapport comporte le rappel de l'objet du projet, plan ou programme, la liste de l'ensemble des pièces figurant dans le dossier d'enquête, une synthèse des observations du public, une analyse des propositions produites durant l'enquête et, le cas échéant, les observations du responsable du projet, plan ou programme en réponse aux observations du public./ Le commissaire enquêteur ou la commission d'enquête consigne, dans une présentation séparée, ses conclusions motivées, en précisant si elles sont favorables, favorables sous réserves ou défavorables au projet. (...) ". Si le commissaire enquêteur n'est pas tenu de répondre à chacune des observations formulées durant l'enquête publique, ces dispositions lui imposent d'indiquer, au moins sommairement, en tenant compte des principales observations et en donnant son avis personnel, les raisons qui déterminent le sens de ses conclusions.
9. Il ressort des énonciations de son rapport que le commissaire-enquêteur a examiné les observations du public et a procédé à leur analyse en regroupant les expressions d'opposition au projet en six thèmes suivis des réponses apportées par la société pétitionnaire. De plus, dans ses conclusions, le commissaire enquêteur a énoncé sa propre appréciation sur le projet. Par suite le moyen tiré de ce que le commissaire enquêteur n'aurait pas analysé les observations du public et n'aurait pas suffisamment motivé son avis doit être écarté.
En ce qui concerne l'absence de dérogation " espèces protégées " :
10. Aux termes de l'article L. 411-1 du code de l'environnement : " I. - Lorsqu'un intérêt scientifique particulier, le rôle essentiel dans l'écosystème ou les nécessités de la préservation du patrimoine naturel justifient la conservation de sites d'intérêt géologique, d'habitats naturels, d'espèces animales non domestiques ou végétales non cultivées et de leurs habitats, sont interdits : 1° La destruction ou l'enlèvement des œufs ou des nids, la mutilation, la destruction, la capture ou l'enlèvement, la perturbation intentionnelle, la naturalisation d'animaux de ces espèces ou, qu'ils soient vivants ou morts, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur détention, leur mise en vente, leur vente ou leur achat;(...) 3° La destruction, l'altération ou la dégradation de ces habitats naturels ou de ces habitats d'espèces ; (...) ". Le I de l'article L. 411-2 du même code renvoie à un décret en Conseil d'État la détermination des conditions dans lesquelles sont fixées, notamment, la " délivrance de dérogations aux interdictions mentionnées aux 1°, 2° et 3° de l'article L. 411-1, à condition qu'il n'existe pas d'autre solution satisfaisante, pouvant être évaluée par une tierce expertise menée, à la demande de l'autorité compétente, par un organisme extérieur choisi en accord avec elle, aux frais du pétitionnaire, et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle : a) Dans l'intérêt de la protection de la faune et de la flore sauvages et de la conservation des habitats naturels ; b) Pour prévenir des dommages importants notamment aux cultures, à l'élevage, aux forêts, aux pêcheries, aux eaux et à d'autres formes de propriété ; c) Dans l'intérêt de la santé et de la sécurité publiques ou pour d'autres raisons impératives d'intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, et pour des motifs qui comporteraient des conséquences bénéfiques primordiales pour l'environnement ".
11. Il résulte de ces dispositions que la destruction ou la perturbation d'animaux appartenant à des espèces protégées, ainsi que la destruction ou la dégradation de leurs habitats, sont interdites. Le système de protection des espèces faisant l'objet d'une protection impose d'examiner si l'obtention d'une dérogation est nécessaire dès lors que des spécimens de l'espèce concernée sont présents dans la zone du projet, sans que l'applicabilité du régime de protection dépende, à ce stade, ni du nombre de ces spécimens, ni de l'état de conservation des espèces protégées présentes. Le pétitionnaire doit obtenir une dérogation " espèces protégées " si le risque que le projet comporte pour les espèces protégées est suffisamment caractérisé. A ce titre, les mesures d'évitement et de réduction des atteintes portées à ces espèces, proposées par le pétitionnaire, doivent être prises en compte. Dans l'hypothèse où les mesures d'évitement et de réduction proposées présentent, sous le contrôle de l'administration, des garanties d'effectivité telles qu'elles permettent de diminuer le risque pour les espèces au point qu'il apparaisse comme n'étant pas suffisamment caractérisé, il n'est pas nécessaire de solliciter une dérogation " espèces protégées ".
12. La commune de Moulins-sur-Orne soutient que le projet de parc éolien aura des effets sur l'avifaune au travers d'un effet d'obstacle aux déplacements pour la faune volante.
13. Toutefois, s'agissant des chiroptères, la commune requérante ne produit aucun élément précis et circonstancié sur l'existence d'un risque suffisamment caractérisé d'atteinte alors qu'il résulte de l'étude d'impact que le projet, dont les parcelles d'implantation sont essentiellement composées de grandes cultures entrecoupées par des chemins agricoles et quelques haies, ne situe pas dans des axes privilégiés de déplacement de chiroptères et que le porteur du projet s'est engagé à mettre en place un plan de bridage adapté aux caractéristiques locales d'activités chireptologiques et aux conditions météorologiques locales, a procéder à la plantation de 1 620 mètres de haies ainsi qu'à la restauration d'un lavoir situé sur la rive gauche de l'Houay.
14. S'agissant de l'avifaune, la commune requérante ne produit pas davantage d'éléments précis et d'éléments circonstanciés sur l'existence d'un risque suffisamment caractérisé sur les espèces d'oiseaux nicheurs, migrateurs et hivernants alors qu'il résulte de l'étude d'impact que le projet ne se situe pas dans un couloir majeur de migration d'oiseaux ni dans des axes privilégiés de déplacements locaux d'oiseaux et évite les sites de stationnement importants pour les oiseaux ou migrateurs sensibles, les sites de stationnement importants pour les oiseaux hivernants ou migrateurs sensibles ainsi que les sites de nidifications pérenne pour des oiseaux rares ou menacés. Par ailleurs, le choix s'est porté sur un modèle d'aérogénérateur dont les caractéristiques techniques sont destinées à éviter les impacts sur la faune vertébrée volante en retenant une garde au sol de 47, 5 mètres et le porteur du projet s'est engagé en phase chantier à adapter le planning des travaux aux périodes sensibles sur le plan écologique. Enfin, il n'est pas contesté que la zone d'implantation du projet ne semble pas attirer particulièrement Les Laridés et le Vanneau Hupé. De même, concernant le Goeland brun, la société Enertrag Normandie I SAS fait valoir sans être contestée qu'elle a fait le choix d'éviter les secteurs préférentiels de stationnement de cette espèce au sein de l'aire d'étude immédiate. Enfin, il résulte de l'étude d'impact que l'habitat préférentiel pour le stationnement et le dortoir postnuptial de l'Hirondelle rustique et du Bruant proyer a été évité.
15. Il s'ensuit qu'en l'absence de risque suffisamment caractérisé d'atteinte à l'avifaune protégée, le moyen tiré de la méconnaissance des articles L. 411-1 et L. 411-2 du code de l'environnement doit être écarté.
En ce qui concerne l'étude d'impact :
16. Aux termes du III de l'article L. 122-1 du même code, dans sa version alors en vigueur : " L'évaluation environnementale est un processus constitué de l'élaboration, par le maître d'ouvrage, d'un rapport d'évaluation des incidences sur l'environnement, dénommé ci-après " étude d'impact " (...) / L'évaluation environnementale permet de décrire et d'apprécier de manière appropriée (...) , les incidences notables directes et indirectes d'un projet sur les facteurs suivants : 1° La population et la santé humaine ; 2° La biodiversité, en accordant une attention particulière aux espèces et aux habitats protégés (...) ". Aux termes de l'article L. 122-1-1 du même code : " (...) III. Les incidences sur l'environnement d'un projet dont la réalisation est subordonnée à la délivrance de plusieurs autorisations sont appréciées lors de la délivrance de la première autorisation./ Lorsque les incidences du projet sur l'environnement n'ont pu être complètement identifiées ni appréciées avant l'octroi de cette autorisation, le maître d'ouvrage actualise l'étude d'impact en procédant à une évaluation de ces incidences, dans le périmètre de l'opération pour laquelle l'autorisation a été sollicitée et en appréciant leurs conséquences à l'échelle globale du projet. En cas de doute quant à l'appréciation du caractère notable de celles-ci et à la nécessité d'actualiser l'étude d'impact, il peut consulter pour avis l'autorité environnementale. Sans préjudice des autres procédures applicables, les autorités mentionnées au V de l'article L. 122-1 donnent un nouvel avis sur l'étude d'impact ainsi actualisée, dans le cadre de l'autorisation sollicitée. / (...) ". Aux termes de l'article R. 122-5 de ce code : " I - Le contenu de l'étude d'impact est proportionné à la sensibilité environnementale de la zone susceptible d'être affectée par le projet, à l'importance et la nature des travaux, ouvrages et aménagements projetés et à leurs incidences prévisibles sur l'environnement ou la santé humaine. II.- L'étude d'impact présente : (...) Une analyse de l'état initial de la zone et des milieux susceptibles d'être affectés par le projet, portant notamment sur (...) les sites et paysages (...) le patrimoine culturel et archéologique (...), le bruit (...) ; 3° Une analyse des effets négatifs et positifs, directs et indirects, temporaires (y compris pendant la phase des travaux) et permanents, à court, moyen et long terme, du projet sur l'environnement, en particulier sur les éléments énumérés au 2° et sur la consommation énergétique, la commodité du voisinage (bruits, vibrations, odeurs, émissions lumineuses), l'hygiène, la santé, la sécurité, la salubrité publique, ainsi que l'addition et l'interaction de ces effets entre eux (...) ".
17. Les inexactitudes, omissions ou insuffisances d'une étude d'impact ne sont susceptibles de vicier la procédure et donc d'entraîner l'illégalité de la décision prise au vu de cette étude que si elles ont pu avoir pour effet de nuire à l'information complète de la population ou si elles ont été de nature à exercer une influence sur la décision de l'autorité administrative.
18. L'étude d'impact comprend une analyse de l'état initial du paysage et des effets du projet sur ce dernier au travers de 48 photomontages dont il ne résulte pas de l'instruction qu'ils auraient empêché d'apprécier fidèlement l'impact des éoliennes sur le paysage. Contrairement à ce que soutient la commune requérante, les photomontages n° 45 et 32 ont été réalisés respectivement depuis le lieu-dit " Marigny " et à proximité du lieu-dit " Les jardins ". Il n'apparaît pas que des prises de vue depuis le manoir de Commeaux, compte tenu de l'ensemble des autres photomontages, aurait nécessairement conduit à retenir que le projet portait atteinte au paysage alors que l'étude précise que, compte tenu de l'importante végétation dans laquelle l'édifice s'insère et de sa localisation au centre du village, le projet n'entretient pas de covisibilité. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de l'étude d'impact doit être écarté.
En ce qui concerne le montant des garanties de démantèlement et de remise en état du site :
19. Aux termes de l'article R. 515-101 du code de l'environnement : " I. - La mise en service d'une installation de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent soumise à autorisation au titre du 2° de l'article L. 181-1 est subordonnée à la constitution de garanties financières visant à couvrir, en cas de défaillance de l'exploitant lors de la remise en état du site, les opérations prévues à l'article R. 515-106. Le montant des garanties financières exigées ainsi que les modalités d'actualisation de ce montant sont fixés par l'arrêté d'autorisation de l'installation. / II. - Un arrêté du ministre chargé de l'environnement fixe, en fonction de l'importance des installations, les modalités de détermination et de réactualisation du montant des garanties financières qui tiennent notamment compte du coût des travaux de démantèlement. (...). ". Les articles 30 à 32 (section 8 Garanties financières), de l'arrêté du 26 août 2011 relatif aux installations de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent au sein d'une installation soumise à autorisation au titre de la rubrique 2980 de la législation des installations classées pour la protection de l'environnement, dans leur rédaction issue de la modification faite par un arrêté du 10 décembre 2021, entré en vigueur le 1er janvier 2022, précisent ces dispositions. L'annexe I à cet arrêté, auquel renvoie l'article 30, dont la rédaction est quant à elle issue d'un arrêté du 11 juillet 2023, entré en vigueur le 20 suivant, prévoit en ses I et II que le montant initial de la garantie financière d'une installation (M) est égal au nombre d'éoliennes multiplié par le coût unitaire forfaitaire d'un aérogénérateur (Cu) qui varie selon la puissance de l'éolienne. Celui-ci s'établit à 75 000 euros lorsque la puissance unitaire installée de l'aérogénérateur est inférieure ou égale à 2 MW (a du II). Lorsque la puissance unitaire de l'aérogénérateur est supérieure à 2 MW, ce coût unitaire est calculé selon la formule suivante (b du II) : " Cu = 75 000 + 25 000 * (P-2) / où : / - Cu est le montant initial de la garantie financière d'un aérogénérateur ; / - P est la puissance unitaire installée de l'aérogénérateur, en mégawatt (MW). ".
20. Eu égard à l'objet et à l'étendue de l'obligation prescrite par l'article R. 515-101 du code de l'environnement, compte tenu du stade de la procédure auquel elle s'applique, et alors que la mise en service du parc éolien ne peut intervenir avant la constitution des garanties financières, la demande d'autorisation présentée par la société exploitante comportait des éléments précis sur le plan de financement ainsi que l'engagement de se conformer aux dispositions de l'arrêté du 26 août 2011 relatif à la remise en état et à la constitution des garanties financières pour les installations de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent et la mention à titre indicatif à la date du 7 décembre 2021 d'un montant de 270 000 euros. Par ailleurs, le calcul du montant initial de la garantie financière a été mis à jour à la somme de 345 000 dans l'arrêté d'autorisation contesté en application arrêté du 10 décembre 2021 précité. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisante précision des garanties financières dans le dossier de demande d'autorisation doit être écarté.
En ce qui concerne l'atteinte aux intérêts protégés par l'article L. 511-1 du code de l'environnement :
21. Aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'environnement : " Sont soumis aux dispositions du présent titre (...) d'une manière générale, les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour (...) la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, soit pour l'utilisation rationnelle de l'énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique. ". L'article L. 512-1 du code de l'environnement dispose : " Sont soumises à autorisation les installations qui présentent de graves dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés à l'article L. 511-1. / L'autorisation, dénommée autorisation environnementale, est délivrée dans les conditions prévues au chapitre unique du titre VIII du livre Ier. " Aux termes de l'article L. 181-3 du même code : " I. - L'autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu'elle comporte assurent la prévention des dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et L 511-1, selon les cas ".
S'agissant de l'atteinte alléguée à la protection de la nature :
22. Si la commune de Moulins-sur-Orne fait valoir que le terrain d'assiette du projet se trouve à proximité de nombreuses zones d'inventaires ou de protection, elle n'assortit pas son moyen des précisions nécessaires permettant d'en apprécier le bien-fondé. En tout état de cause, il résulte de l'instruction que la zone d'implantation ne se superpose à aucune entité de reconnaissance écologique du territoire et est située en retrait des grands sites écologiques. Par ailleurs, compte tenu de ce qui a été indiqué aux points 12 à 17 sur l'absence de risque suffisamment caractérisé d'atteinte aux chiroptères et l'avifaune protégée, il n'apparaît pas que les prescriptions figurant à cet égard dans l'arrêté litigieux, notamment les mesures de bridage, seraient, en l'état, insuffisantes pour assurer la protection de ces espèces.
S'agissant de l'atteinte alléguée à la commodité du voisinage :
23. La seule circonstance que les éoliennes soient situées à moins de 1 000 mètres de certaines habitations et notamment des hameaux de " Marigny " et " des jardins " n'est pas de nature à caractériser, à elle seule, une atteinte à la commodité du voisinage alors qu'il n'est pas allégué au demeurant que la distance minimale de 500 mètres prévue par les dispositions de l'article L. 515-45 du code de l'environnement devant séparer les aérogénérateurs des habitations ne serait pas, en l'espèce respectée. Par ailleurs, contrairement à ce que soutient la commune de Moulins-sur-Orne, il résulte de l'instruction qu'un mode de fonctionnement adapté des aérogénérateurs a été retenu pour assurer le respect des seuils en période nocturne et l'article 8 de l'autorisation impose à l'exploitant de réaliser des mesures acoustiques pour s'assurer de la conformité de l'exploitation à la règlementation en vigueur. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que le projet porterait atteinte à la commodité du paysage et la santé publique doit être écarté.
S'agissant de l'atteinte alléguée au patrimoine :
24. L'étude d'impact recense 134 monuments historiques dans son périmètre dont 22 qui présentent des visibilités ou de co-visibilités.
25. La commune de Moulins-sur-Orne soutient que le projet litigieux porte atteinte aux sites et monuments présents à proximité, notamment le château et l'église de Cuy, et l'église de saint-Martin située à Argentan. Toutefois, d'une part, il résulte de l'instruction que le site d'implantation du projet se trouve à distance des sites patrimoniaux et touristiques les plus importants et s'inscrit dans une zone identifiée dans le schéma régional éolien comme étant favorable au développement du grand éolien alors que des impacts uniquement qualifiés de très faibles à faibles ont été relevés sur le patrimoine protégé y compris dans l'aire immédiate du projet. D'autre part, depuis le château et l'église de Cuy, le projet est peu visible en raison de la végétation. Enfin, il résulte de l'instruction que depuis l'église Saint-Martin les éoliennes sont masquées par la trame bâtie. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que le projet porterait atteinte aux sites et au patrimoine doit être écarté.
En ce qui concerne la méconnaissance de l'article R. 111-27 du code de
l'urbanisme :
26. Aux termes de l'article R. 111-27 du code de l'urbanisme : " Le projet peut être refusé ou n'être accepté que sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales si les constructions, par leur situation, leur architecture, leurs dimensions ou l'aspect extérieur des bâtiments ou ouvrages à édifier ou à modifier, sont de nature à porter atteinte au caractère ou à l'intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains (...). "
27. La commune requérante ne démontre pas par des pièces versées au dossier l'atteinte alléguée aux paysages ni un effet de saturation visuelle alors qu'il résulte de l'instruction et notamment de l'étude d'impact que le projet s'implante dans un paysage de vastes plaines cultivées fractionnées par des bois et forêts qui limitent la profondeur des vues. Par ailleurs, ainsi qu'il a été dit au points 25, le projet de parc éolien ne présente pas d'inconvénients excessifs pour la protection du patrimoine. La circonstance que l'architecte ait relevé dans son avis du 22 mars 2018 la proximité immédiate du projet à différents sites patrimoniaux ne permet de caractériser davantage une atteinte à ces derniers. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article R. 111-27 du code de l'urbanisme doit être écarté.
28. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les fins de non-recevoir opposées en défense, que la requête de la commune de Moulins-sur-Orne tendant à l'annulation de l'arrêté du 10 avril 2024 par lequel le préfet de l'Orne a autorisé la société Enertrag Normandie I SAS à installer et exploiter un parc éolien composé de trois éoliennes et d'un poste de livraison sur le territoire de la commune d'Occagnes doit être rejetée.
Sur les frais liés au litige :
29. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat et de la société, qui ne sont pas les parties perdantes dans la présente instance, la somme que la commune de Moulins-sur-Orne demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Moulins-sur-Orne la somme que demande la société Enertrag Normandie I SAS au titre des frais exposés à ce titre.
DECIDE :
Article 1er : Il est donné acte du désistement de la commune de Monts-sur-Orne.
Article 2 : La requête de la commune de Moulins-sur-Orne est rejetée.
Article 3 : Les conclusions présentées par la société Enertrag Normandie I SAS sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié aux communes de Moulins-sur-Orne et Monts-sur-Orne, à la société Enertrag Normandie I SAS et au ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche.
Une copie en sera adressée, pour information, au préfet de l'Orne.
Délibéré après l'audience du 21 mars 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Quillévéré, président,
- M. Penhoat, premier conseiller,
- M. Viéville, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 8 avril 2025.
Le rapporteur
A. PENHOATLe président
G. QUILLÉVÉRÉ
La greffière
H. DAOUD
La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
No 24NT023172