Vu la procédure suivante :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 28 février, 26 novembre et 20 décembre 2024, la société à responsabilité limitée (SARL) Grand Ecran V, représentée par Me Bouyssou, demande à la cour :
1°) d'annuler la décision du 4 décembre 2023 par laquelle la Commission nationale d'aménagement cinématographique a rejeté le recours qu'elle a formé contre la décision de la commission départementale d'aménagement cinématographique de la Loire-Atlantique du 11 juillet 2023 autorisant la société Cinéma Confluences Carquefou à créer un établissement de spectacles cinématographiques de quatre salles et 459 places à Carquefou ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- il n'est pas établi que la Commission nationale d'aménagement cinématographique (CNACi) aurait été composée régulièrement ni que l'ensemble des pièces utiles visées à l'article R. 212-7-26 du code du cinéma et de l'image animée aurait été adressé aux membres de la Commission ;
- il ne ressort pas des pièces du dossier que l'avis du ministre de la culture aurait été signé par une autorité disposant de la compétence pour ce faire ; le signataire était le président du Centre national du cinéma et de l'image animée et son avis est de nature à avoir une incidence sur la décision prise ;
- la CNACi aurait dû refuser le projet compte tenu des manquements graves dans la délimitation de la zone d'influence cinématographique, et en ne le faisant pas elle a porté atteinte au droit effectif au recours des concurrents ;
- le projet litigieux n'aura aucun apport sur la diversité de l'offre de films dans la zone d'influence cinématographique ; en raison de la chronologie et de la proximité géographique des deux projets, le projet litigieux est de nature à présenter un risque pour la pérennité du cinéma Grand Ecran ;
- le projet litigieux n'aura aucun apport en termes d'aménagement culturel du territoire ; le projet induit une faible population à proximité et un usage très majoritaire de l'automobile ; le projet litigieux n'est pas compatible avec le SCOT ; le projet va générer des flux de véhicules importants et des besoins de stationnement, alors qu'il ne prévoit aucune place de parking ; la qualité architecturale du projet en litige est insuffisante.
Par un mémoire en défense, enregistré le 17 juillet 2024, la société par actions simplifiée (SAS) Cinéma Confluences Carquefou, représentée par Me Jauffret, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de la société requérante d'une somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les moyens tirés de ce qu'il n'est établi ni que la Commission nationale d'aménagement cinématographique (CNACi) aurait été composée régulièrement ni que l'ensemble des pièces utiles visées à l'article R. 212-7-26 du code du cinéma et de l'image animée aurait été adressé aux membres de la Commission sont dépourvus des précisions nécessaires permettant d'en apprécier leur bien-fondé ;
- l'éventuelle incompétence du signataire de l'avis du ministre de la culture est sans influence sur la légalité de la décision et n'a pas privé les intéressés d'une garantie ; il n'est pas démontré que la qualité de président du Centre national du cinéma et de l'image animée de M. B... ait eu une incidence sur le sens de la décision prise ;
- les autres moyens soulevés ne sont pas fondés.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 26 septembre et 10 décembre 2024, la Commission nationale d'aménagement cinématographique conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que les moyens soulevés par la SARL Grand Ecran V ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du cinéma et de l'image animée ;
- le décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Picquet,
- les conclusions de Mme Rosemberg, rapporteure publique,
- et les observations de Me Izembard, substituant Me Bouyssou, pour la société Grand Ecran V.
Considérant ce qui suit :
1. Le 11 juillet 2023, la commission départementale d'aménagement cinématographique de la Loire-Atlantique a délivré à la société Cinéma Confluences Carquefou l'autorisation de créer un établissement de spectacles cinématographiques à l'enseigne " Cinéma Confluences " situé à Carquefou et offrant quatre salles et 459 places. La société Grand Ecran V, qui va exploiter un cinéma de six salles et 992 places à l'enseigne " Grand Ecran " dans la commune voisine de La Chapelle-sur-Erdre, a formé un recours préalable obligatoire devant la Commission nationale d'aménagement cinématographique. Par une décision du 4 décembre 2023, cette dernière a rejeté ce recours et autorisé le projet porté par la société Cinéma Confluences Carquefou. La société Grand Ecran V demande à la cour d'annuler la décision de la commission nationale du 4 décembre 2023.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
En ce qui concerne la régularité de la procédure suivie devant la Commission nationale d'aménagement cinématographique :
2. D'une part, aux termes de l'article R. 212-7-26 du code du cinéma et de l'image animée : " La Commission nationale d'aménagement cinématographique se réunit sur convocation de son président. / Les membres de la commission reçoivent l'ordre du jour, accompagné des procès-verbaux des réunions des commissions départementales d'aménagement cinématographique, des décisions de ces commissions, des recours et des rapports des services instructeurs. / La commission ne peut valablement délibérer qu'en présence de cinq membres au moins. ".
3. Alors que la Commission nationale d'aménagement cinématographique a versé aux débats les lettres de convocation adressées aux membres ayant siégé, auprès de son président, lors de la réunion du 4 décembre 2023 et sur lesquelles il est fait référence à l'ordre du jour et à la liste des pièces communiquées, la SARL Grand Ecran V n'apporte pas, en soutenant qu' " il n'est pas établi que la Commission nationale d'aménagement cinématographique (CNACi) aurait été composée régulièrement ni que l'ensemble des pièces utiles visées à l'article R. 212-7-26 du code du cinéma et de l'image animée aurait été adressé aux membres de la Commission ", les précisions suffisantes de nature à permettre à la cour d'apprécier la teneur de ces moyens. Au demeurant, il ressort du procès-verbal de la réunion qui s'est tenue le 4 décembre 2023 que la commission était composée de cinq membres et qu'elle a ainsi siégé conformément à la règle de quorum prévue par le dernier alinéa de l'article R. 212-7-26 du code du cinéma et de l'image animée.
4. D'autre part, aux termes de l'article R. 212-7-29 du code du cinéma et de l'image animée : " Le commissaire du Gouvernement recueille l'avis du ministre chargé de la culture, qu'il présente à la Commission nationale d'aménagement cinématographique. Il donne son avis sur les demandes examinées par la commission au regard des auditions effectuées. ". Aux termes de l'article R. 112-25 du même code : " Le président du Centre national du cinéma et de l'image animée dispose, pour la mise en œuvre de la politique de l'Etat dans le domaine du cinéma et des autres arts et industries de l'image animée, de la délégation de signature prévue par le décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 relatif aux délégations de signature des membres du Gouvernement, dans les conditions et limites fixées par les articles 1er, 3 et 4 du même décret. ". Conformément à l'article 1er du décret du 27 juillet 2005 relatif aux délégations de signature des membres du Gouvernement, cette qualité l'habilitait à signer, au nom du ministre de la culture, " l'ensemble des actes, à l'exception des décrets, relatifs aux affaires des services placés sous leur autorité. ". Il résulte de ces dispositions que le moyen tiré de ce que le président du Centre national du cinéma et de l'image animée n'était pas compétent pour signer, par délégation, l'avis du ministre de la culture doit être écarté.
En ce qui concerne la composition du dossier de la demande :
5. Aux termes de l'article A. 212-7-3-1 du code du cinéma et de l'image animée : " La demande portant sur les projets d'aménagement cinématographique est accompagnée des renseignements et documents suivants : / (...) / 6° La délimitation de la zone d'influence cinématographique de l'établissement de spectacles cinématographiques ; / 7° L'indication de la population totale présente dans la zone d'influence cinématographique et de la population de chaque commune comprise dans cette zone ainsi que de son évolution entre les deux derniers recensements authentifiés par décret ; (...) / 10° Une liste des établissements de spectacles cinématographiques implantés dans la zone d'influence cinématographique précisant, pour chacun, le nombre de salles et de places de spectateurs ainsi que leur éventuelle appartenance à une entente ou à un groupement de programmation ; / 11° Une carte géographique faisant apparaître les établissements de spectacles cinématographiques implantés dans la zone d'influence cinématographique ; / 12° Une étude destinée à permettre d'apprécier les effets prévisibles du projet au regard des critères prévus par l'article L. 212-9 et justifiant du respect des principes posés par l'article L. 212-6. Cette étude comporte : / (...) / b) Les éléments permettant d'apprécier l'effet potentiel du projet sur l'aménagement culturel du territoire, la protection de l'environnement et la qualité de l'urbanisme (...) ".
6. Si le dossier de demande d'autorisation doit comporter des éléments suffisants pour permettre aux commissions d'aménagement cinématographique d'apprécier la conformité du projet aux objectifs fixés par le législateur et, le cas échéant, sa compatibilité avec le document d'orientation et d'objectifs du schéma de cohérence territoriale, la circonstance que le dossier de demande d'autorisation ne comporterait pas l'ensemble des éléments exigés par les dispositions de l'article A. 212-7-3 du code du cinéma et de l'image animée, ou que les documents produits seraient insuffisants, imprécis ou comporteraient des inexactitudes, n'est susceptible d'entacher d'illégalité l'autorisation qui a été accordée que dans le cas où les omissions, inexactitudes ou insuffisances entachant le dossier ont été de nature à fausser l'appréciation portée par l'autorité administrative sur la conformité du projet à la réglementation applicable.
7. Il est constant que la zone d'influence cinématographique (ZIC) définie par la société pétitionnaire dans le dossier produit au soutien de sa demande ne comprenait pas notamment la commune de La Chapelle-sur-Erdre où sera implanté un cinéma exploité par la SARL Grand Ecran V. Cette zone a néanmoins, au cours de l'instruction devant la commission nationale, pour tenir compte de l'offre concurrentielle, été élargie aux communes de La Chapelle-sur-Erdre, Saint-Sébastien-sur-Loire, Basse-Goulaine, Divatte-sur-Loire, Le Loroux-Bottereau, Vertou ainsi que leurs communes limitrophes, portant ainsi à vingt-deux le nombre de communes incluses dans la ZIC. A la demande de la commission, la société pétitionnaire a produit un complément d'analyse. La ZIC retenue pour l'examen du projet a été divisée en trois sous-zones selon le temps de trajet en voiture pour se rendre au projet : une sous-zone primaire au sein de laquelle la population est susceptible de se rendre au cinéma en dix minutes maximum, une sous-zone secondaire pour un temps de trajet compris entre onze et quinze minutes et une sous-zone tertiaire pour un temps de trajet compris entre seize et vingt minutes. La seule circonstance que la SARL Grand Ecran V avait inclus, dans sa demande d'autorisation d'un établissement de spectacles cinématographiques de six salles à La Chapelle-sur-Erdre, 67 % de la commune de Carquefou dans la sous-zone primaire ne suffit pas à établir que, pour le projet litigieux situé à Carquefou, la commune de la Chapelle-sur-Erdre devait être incluse non pas dans la sous-zone secondaire mais dans la sous-zone primaire, alors qu'il a été tenu compte du pouvoir d'attraction de l'établissement qu'exploitera la SARL Grand Ecran V et que ces deux communes sont séparées par l'Erdre sans qu'aucun pont ne les relie directement et en l'absence de liaisons directes par les transports en commun. Les éléments produits par la société requérante ne suffisent pas à établir que la commission aurait été induite en erreur sur l'inclusion de la partie sud de la commune de La Chapelle-sur-Erdre dans la sous-zone secondaire, avec un temps de trajet en voiture entre onze et quinze minutes. La société requérante n'établit pas que le cinéma Paradiso à Nort-sur-Erdre, et les complexes de trois salles à Ancenis Saint-Géréon et Héric seraient situés à vingt minutes maximum en voiture du projet en litige et auraient dû être inclus dans la ZIC. En revanche, contrairement à ce qu'elle allègue, les cinémas de Divatte-sur-Loire et du Loroux-Bottereau ont été inclus dans cette zone. L'exclusion des cinq établissements de Nantes et des deux multiplexes UGC et Pathé de Saint-Herblain a été justifiée par le pétitionnaire, les habitants de Nantes et de Saint-Herblain n'ayant aucun avantage à fréquenter le cinéma en litige, de quatre écrans seulement et plus éloigné. La circonstance que la commission départementale d'aménagement cinématographique de la Loire-Atlantique se serait prononcée en considération d'une zone d'influence erronée, avant la demande de rectification par la commission nationale, est sans influence sur la légalité de la décision attaquée qui s'est substituée à la décision de la commission départementale d'aménagement cinématographique de la Loire-Atlantique. De même, la circonstance que la direction régionale des affaires culturelles ne s'est prononcée qu'au vu de la zone d'influence définie initialement par le pétitionnaire ne suffit pas à établir que l'appréciation portée par la CNACi sur la conformité du projet à la réglementation applicable aurait été faussée. Enfin, la redéfinition du périmètre de la ZIC demandée par la CNACi n'entraîne pas de modification substantielle du projet et n'est pas de nature à porter atteinte au droit à un recours effectif de concurrents dont l'établissement n'était pas inclus dans la ZIC initiale, dès lors qu'en application des dispositions de l'article L. 212-10-3 du code du cinéma et de l'image animée le recours contre les décisions de la commission départementale d'aménagement cinématographique n'est pas limité aux établissements situés dans la ZIC initiale et est ouvert à toute personne ayant intérêt à agir, comme a pu d'ailleurs le faire la société requérante.
En ce qui concerne la conformité du projet aux objectifs et principes énoncés par le législateur :
8. Aux termes de l'article L. 212-6 du code du cinéma et de l'image animée : " Les créations, extensions et réouvertures au public d'établissements de spectacles cinématographiques doivent répondre aux exigences de diversité de l'offre cinématographique, d'aménagement culturel du territoire, de protection de l'environnement et de qualité de l'urbanisme, en tenant compte de la nature spécifique des œuvres cinématographiques. Elles doivent contribuer à la modernisation des établissements de spectacles cinématographiques et à la satisfaction des intérêts du spectateur tant en ce qui concerne la programmation d'une offre diversifiée, le maintien et la protection du pluralisme dans le secteur de l'exploitation cinématographique que la qualité des services offerts. ". Aux termes de l'article L. 212-9 du même code : " Dans le cadre des principes définis à l'article L. 212-6, la commission départementale d'aménagement cinématographique se prononce sur les deux critères suivants : / 1° L'effet potentiel sur la diversité cinématographique offerte aux spectateurs dans la zone d'influence cinématographique concernée, évalué au moyen des indicateurs suivants : / a) Le projet de programmation envisagé pour l'établissement de spectacles cinématographiques objet de la demande d'autorisation et, le cas échéant, le respect des engagements de programmation éventuellement souscrits en application des articles L. 212-19 et L. 212-20 ; / b) La nature et la diversité culturelle de l'offre cinématographique proposée dans la zone concernée, compte tenu de la fréquentation cinématographique ; / c) La situation de l'accès des œuvres cinématographiques aux salles et des salles aux œuvres cinématographiques pour les établissements de spectacles cinématographiques existants ; / 2° L'effet du projet sur l'aménagement culturel du territoire, la protection de l'environnement et la qualité de l'urbanisme, évalué au moyen des indicateurs suivants : / a) L'implantation géographique des établissements de spectacles cinématographiques dans la zone d'influence cinématographique et la qualité de leurs équipements ; / b) La préservation d'une animation culturelle et le respect de l'équilibre des agglomérations ; / c) La qualité environnementale appréciée en tenant compte des différents modes de transports publics, de la qualité de la desserte routière, des parcs de stationnement ; / d) L'insertion du projet dans son environnement ; / e) La localisation du projet, notamment au regard des schémas de cohérence territoriale et des plans locaux d'urbanisme. / (...). ".
9. Il résulte de ces dispositions que l'autorisation d'aménagement cinématographique ne peut être refusée que si, eu égard à ses effets, le projet d'équipement cinématographique contesté compromet la réalisation des objectifs et principes énoncés par la loi. A ce titre, il appartient à la Commission nationale d'aménagement cinématographique, lorsqu'elle se prononce sur les dossiers de demande d'autorisation, d'apprécier la conformité du projet à ces objectifs et principes, au vu des critères d'évaluation et indicateurs mentionnés à l'article L. 212-9 du code du cinéma et de l'image animée.
S'agissant des effets du projet sur la diversité cinématographique offerte aux spectateurs dans la zone d'influence cinématographique :
10. En premier lieu, la société requérante soutient que la réalisation du projet litigieux aura pour effet de réduire de 30 000 à 50 000 le nombre d'entrées dans son cinéma, soit entre 15 et 25 % du nombre d'entrées. Toutefois, comme l'indique d'ailleurs la CNACi dans la décision attaquée, la seule circonstance que le projet soit de nature à exercer une concurrence sur d'autres établissements de spectacles cinématographiques est sans influence sur la légalité de l'autorisation et les éléments produits par la société requérante ne suffisent pas à établir que le projet en cause mettrait en péril l'existence de ce cinéma, à la programmation plus généraliste et au nombre d'écrans supérieur, et, par suite, l'existence de ce type d'exploitation dans la zone d'influence cinématographique.
11. En deuxième lieu, entre 2010 et 2020 la commune d'implantation du projet et sa ZIC ont observé une expansion démographique significative, respectivement de + 15 % et + 18 %, nettement supérieure à la moyenne nationale de +4%. Entre 2010 et 2019, la ZIC a enregistré une progression significative de sa fréquentation, supérieure à la tendance nationale. En effet, alors qu'en France la fréquentation cinématographique a progressé de +3 % entre 2010 et 2019, celle de la ZIC a progressé de +32 %, soit + 306 000 entrées environ. En outre, entre 2020 et 2022 à la suite de la réouverture des salles le 19 mai 2021, la ZIC a enregistré une progression significative de sa fréquentation de +127 % par rapport à 2020, conforme à la moyenne nationale (+ 133 % par rapport à 2020) et qui témoigne d'une bonne reprise de l'activité. Le projet, en ayant pour objectif une fréquentation annuelle comprise entre 105 000 et 134 000 entrées et en dotant la ZIC de son deuxième complexe de ce type, renforcera la diversité des établissements cinématographiques de la zone et constituera, aux côtés du complexe généraliste " Grand Ecran " de La Chapelle-sur-Erdre, une offre alternative aux multiplexes et aux cinémas de type mono-écran de la ZIC. La circonstance que le cinéma " Grand Ecran " aurait pu augmenter son offre de films " art et essai " est inopérante.
12. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que le cinéma en litige aura une programmation dite " mixte ", composée à la fois de films généralistes et de films recommandés art et essai. Avec pour objectif d'obtenir le classement art et essai, assorti du label " Jeune A... ", le pétitionnaire prévoit de programmer entre 25 % et 30 % de séances art et essai (contre 10 % à 15 % pour le " Grand Ecran "), dont entre 67 % et 80 % seront consacrées aux films les plus porteurs, sortis dans plus de 150 établissements, 8 % seront labélisées " Jeune A... " et entre 0 % et 1 % seront consacrées aux films art et essai dits de patrimoine. La société SAS Cinéma Confluence Carquefou prévoit de diffuser 230 films par an, dont 100 films recommandés art et essai, soit environ 2 films nouveaux art et essai par semaine, et 130 films généralistes essentiellement proposés en sortie nationale. Par conséquent, le projet, en prévoyant de diffuser 43 % de films art et essai et de consacrer 25 % à 30 % de ses séances à des œuvres art et essai, permettra d'améliorer la diffusion de l'offre art et essai sur la ZIC.
13. En quatrième et dernier lieu, après l'ouverture du complexe " Grand Ecran " à La Chapelle-sur-Erdre, les films art et essai ne représenteront plus, compte tenu du projet de programmation plus généraliste envisagé par la SARL Grand Ecran V, que 41 % des films programmés sur la ZIC. En revanche, 11 % des séances proposées dans la ZIC seront consacrées à des œuvres art et essai, ce qui constituera une augmentation de 1 % par rapport à 2022. Avec une volonté de consacrer entre 67 % et 80 % de ses séances art et essai aux films les plus porteurs, le projet offrira, certes, une forte visibilité aux films art et essai porteurs, qui sont déjà proposés par les autres établissements de la ZIC, mais laissera également une place plus ou moins importante (entre 33 % et 20 %) par rapport aux pratiques actuelles des cinémas de la zone (entre 0 % et 40 %) à l'exposition des films les moins porteurs, correspondant à moins de 150 copies au niveau national. Le projet permettra donc d'améliorer la diffusion des films les moins porteurs et par conséquent, plus globalement, la diversité de l'offre cinématographique. En outre, en prévoyant de diffuser environ 230 films par an au travers de 5 500 séances, soit 104 séances hebdomadaires et 24 séances par film environ, dont 25 % à 30 % des séances consacrées aux films art et essai, soit entre 1 375 et 1 650 séances, le futur cinéma contribuera à renforcer l'exposition de l'offre cinématographique dans la ZIC, tant celle des films généralistes que celles des films art et essai. En effet, ces derniers devraient bénéficier d'une moyenne de 16 séances par film, au lieu d'en moyenne 9,5 séances par film art et essai inédit dans la ZIC en 2022, et environ 31 séances hebdomadaires, contre en moyenne 10 séances hebdomadaires par film art et essai inédit dans la ZIC en 2022. Enfin, en prévoyant de diffuser exclusivement des nouveautés (soit 230 films, contre 170 pour le cinéma " Grand Ecran "), le projet permettra d'augmenter la diffusion dans la ZIC des films inédits, qu'ils soient porteurs ou non. La société requérante n'établit pas que ce chiffre de 230 films par an serait irréalisable pour un cinéma comportant quatre salles, alors que la CNACi indique, en produisant une étude statistique, que les cinémas de cette taille, bien que leurs caractéristiques ne soient pas toujours similaires à celles du projet en cause, ont proposé, en 2023, 283 films par an en moyenne.
S'agissant de l'impact du projet sur l'aménagement culturel du territoire, la protection de l'environnement et la qualité de l'urbanisme :
14. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que le projet litigieux, qui remplace l'offre cinématographique limitée qui était proposée par le théâtre de la Fleuriaye en centre-ville de Carquefou, permettra de rééquilibrer l'implantation des équipements cinématographiques entre le nord de Nantes d'un côté et l'est, l'ouest et le centre de Nantes de l'autre, avec des équipements multiplexes à la programmation généraliste et des équipements classés art et essai. Il dotera la commune de Carquefou d'un équipement cinématographique moderne de proximité, à l'activité continue. Il s'implante dans la partie sud de la zone d'aménagement concerté (ZAC) du Moulin Boisseau qui remplace une ancienne friche de logistique. Le programme de cette ZAC comporte notamment la création de 750 logements, dont 148 déjà livrés, et de locaux tertiaires et de services. Deux quartiers résidentiels sont situés à l'ouest et au sud du projet. La desserte par les transports en commun et les vélos est possible, même si, comme l'indique la société SARL Grand Ecran V, cela constituera un mode d'accès très minoritaire.
15. En deuxième lieu, si la société requérante soutient que le projet est contraire à l'orientation du SCOT selon laquelle les centralités doivent être privilégiées pour l'accueil des commerces ou, à défaut, des zones dédiées (les ZACom), le projet participe à l'objectif de contenir au maximum l'urbanisation dans l'enveloppe urbaine, avec notamment la réhabilitation des friches. La direction départementale des territoires et de la mer (DDTM) de la Loire-Atlantique a d'ailleurs indiqué dans son avis que le projet, " participant à un programme à l'échelle de la ZAC visant à reconquérir l'espace laissé vacant par le départ de la plateforme logistique de Système U ", est compatible avec les orientations du SCOT Nantes Saint-Nazaire approuvé le 19 décembre 2016. Ainsi, le projet est compatible avec les orientations générales du schéma de cohérence territoriale prises dans leur ensemble.
16. En troisième lieu, en matière de stationnement, le futur complexe ne disposera pas de parking privé, excepté deux places. Toutefois, la clientèle véhiculée du cinéma aura 225 places de stationnement à sa disposition à l'échelle du quartier et 50 places à proximité directe du cinéma. Ces places seront pour la plupart non occupées pendant la fermeture des commerces, ce qui correspond aux périodes de forte fréquentation du cinéma, en particulier les vendredi soir, samedi soir et dimanche après-midi. Elle bénéficiera également de 300 places de stationnement réparties en partage d'usage avec le complexe sportif, attenant à la ZAC. Le pétitionnaire a précisé qu'en cas d'évènement sportif, " les 225 places de stationnement disponibles à l'échelle du quartier suffiront à répondre aux besoins de la clientèle véhiculée du cinéma " et la société requérante n'apporte aucun élément contraire.
17. En quatrième et dernier lieu, il est constant que le projet ne consomme pas d'espace puisqu'il requalifie une friche existante. En raison de la configuration de la parcelle, un volume haut a été créé pour réaliser quatre salles. L'insertion du projet dans son environnement est suffisante au regard des caractéristiques de la zone, laquelle comprend des immeubles d'habitation et est dépourvue de caractère particulier, alors même que l'esthétique de l'architecture fait l'objet de quelques critiques dans l'avis, par ailleurs favorable, de la DDTM.
18. Il suit de là que le projet litigieux ne méconnaît pas les objectifs fixés par le législateur et que les moyens tirés de la méconnaissance des articles L. 212-6 et L. 212-9 du code du cinéma et de l'image animée doivent être écartés.
Sur les frais liés au litige :
19. L'Etat n'étant pas la partie perdante dans la présente instance, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle ce que soit mise à sa charge la somme que demande la société requérante au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. En revanche, il y a lieu, sur le fondement de ces mêmes dispositions, de mettre à la charge de la SARL Grand Ecran V la somme de 1 500 euros à verser à la SAS Cinéma Confluences Carquefou.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la SARL Grand Ecran V est rejetée.
Article 2 : La SARL Grand Ecran V versera à la SAS Cinéma Confluences Carquefou la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société à responsabilité limitée Grand Ecran V, à la Commission nationale d'aménagement cinématographique et à la société par actions simplifiée Cinéma Confluences Carquefou.
Copie en sera adressée, pour information, à la ministre de la culture.
Délibéré après l'audience du 11 mars 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président de chambre,
- M. Derlange, président assesseur,
- Mme Picquet, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 mars 2025.
La rapporteure,
P. PICQUET
Le président,
L. LAINÉ
Le greffier,
C. WOLF
La République mande et ordonne à la ministre de la culture en ce qui la concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 24NT00615