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21/03/2025 | FRANCE | N°25NT00064

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 3ème chambre, 21 mars 2025, 25NT00064


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du 4 septembre 2024 par lequel le préfet des Côtes-d'Armor lui a refusé le renouvellement de son titre de séjour et l'a obligé à quitter le territoire français dans le délai de trente jours.



Par un jugement n° 2406000 du 24 décembre 2024, le tribunal administratif de Rennes a annulé cet arrêté du 4 septembre 2024 et a enjoint au préfet des Côtes-d'Armor de réexaminer l

a demande de M. A... dans un délai de trois mois et de lui délivrer, dans cette attente, une autorisation...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du 4 septembre 2024 par lequel le préfet des Côtes-d'Armor lui a refusé le renouvellement de son titre de séjour et l'a obligé à quitter le territoire français dans le délai de trente jours.

Par un jugement n° 2406000 du 24 décembre 2024, le tribunal administratif de Rennes a annulé cet arrêté du 4 septembre 2024 et a enjoint au préfet des Côtes-d'Armor de réexaminer la demande de M. A... dans un délai de trois mois et de lui délivrer, dans cette attente, une autorisation provisoire de séjour.

Procédure devant la cour :

I. Par une requête, enregistrée le 8 janvier 2025 sous le n° 25NT00064, le préfet des Côtes-d'Armor demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 24 décembre 2024 du tribunal administratif de Rennes ;

2°) de rejeter la demande d'annulation de l'arrêté du 4 septembre 2024 présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Rennes.

Il soutient que c'est à tort que le tribunal administratif a retenu le moyen tiré de ce que M. A... n'avait pas été convoqué dans le délai légal requis devant la commission départementale du titre de séjour comme prévu par l'article L. 312-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur.

La requête a été communiquée à M. A..., qui n'a pas produit de mémoire en défense.

II - Par une requête, enregistrée le 8 janvier 2025 sous le n° 25NT00065, le préfet des Côtes-d'Armor demande à la cour, en application des dispositions de l'article R. 811-15 du code de justice administrative, de prononcer le sursis à exécution du jugement n° 2406000 du 24 décembre 2024 par lequel le tribunal administratif de Rennes a annulé son arrêté du

4 septembre 2024 refusant à M. A... le renouvellement de son titre de séjour et l'obligeant à quitter le territoire dans un délai de trente jours et lui a enjoint de réexaminer la demande de l'intéressé.

Il soutient que :

- son moyen d'appel est sérieux et de nature à entraîner l'annulation du jugement attaqué :

- M. A... a bien été convoqué devant la commission du titre de séjour du 21 mai 2024 conformément aux dispositions en vigueur, et a pu faire valoir ses observations.

La requête a été communiquée à M. A..., qui n'a pas produit de mémoire en défense.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Les rapports de M. Vergne ont été entendus au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B... A..., ressortissant de nationalité turque, né en 1968, est entré en France le 15 novembre 2001. Sa demande d'asile a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) le 20 mai 2003, puis par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) le 20 octobre 2023. Il a fait l'objet le 12 mars 2004, le 19 novembre 2008 et le 9 juin 2009, de mesures d'éloignement auxquelles il ne s'est pas conformé malgré le rejet par le tribunal administratif de Rennes des recours qu'il avait formés à l'encontre des deux dernières de ces décisions. Il s'est toutefois vu délivrer, par la suite, un titre de séjour temporaire d'un an en qualité de " salarié " le 18 octobre 2010, régulièrement renouvelé jusqu'au 8 janvier 2020, puis une carte pluriannuelle de quatre ans sur le même fondement, valable du 9 janvier 2020 au 8 janvier 2024. Par un arrêté du 4 septembre 2024, le préfet des Côtes-d'Armor a toutefois refusé de renouveler ce titre de séjour et a obligé M. A... à quitter le territoire français dans le délai de trente jours. Par une première requête, enregistrée le 8 janvier 2025 sous le

n° 25NT00064, le préfet des Côtes-d'Armor conteste le jugement du 24 décembre 2024 par lequel le tribunal administratif de Rennes a annulé pour vice de procédure cette décision du

4 septembre 2024 et lui a enjoint de réexaminer la demande de M. A... dans un délai de trois mois et de lui délivrer, dans l'attente de ce réexamen, une autorisation provisoire de séjour. Par une seconde requête, enregistrée le même jour sous le n° 25NT00065, ce préfet demande à la cour de prononcer le sursis à exécution de ce jugement en application des dispositions de l'article R. 811-15 du code de justice administrative.

Sur la requête n° 25NT00064 :

Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal administratif :

2. Aux termes de l'article L. 432-13 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Dans chaque département, est instituée une commission du titre de séjour qui est saisie pour avis par l'autorité administrative : 1° Lorsqu'elle envisage de refuser de délivrer ou de renouveler la carte de séjour temporaire prévue aux articles (...) L. 423-23, (...) à un étranger qui en remplit effectivement les conditions de délivrance ; (...) 4° Dans le cas prévu à l'article L. 435-1 ; 5° Lorsqu'elle envisage de refuser le renouvellement ou de retirer une carte de séjour pluriannuelle ou une carte de résident dans le cas prévu à l'article

L. 412-10. ". Aux termes de l'article L. 432-15 du même code : " L'étranger est convoqué par écrit au moins quinze jours avant la date de la réunion de la commission qui doit avoir lieu dans les trois mois qui suivent sa saisine ; il peut être assisté d'un conseil ou de toute personne de son choix et être entendu avec l'assistance d'un interprète. (...) ".

3. Il ressort des pièces du dossier de première instance, reproduites par l'appelant dans l'instance d'appel, que M. A... a bien été convoqué, par un courrier recommandé postal du 26 avril 2024 dont il a accusé réception le 7 mai 2024, devant la commission du titre de séjour devant se tenir le 21 mai suivant et qu'il a pu y être entendu, ainsi qu'il ressort du procès-verbal de cette commission. Ainsi, c'est à tort que le tribunal administratif de Rennes, pour annuler la décision du préfet des Côtes-d'Armor en date du 4 septembre 2024, a retenu le moyen tiré de ce que cette décision, prise en méconnaissance des dispositions citées au point 2, serait entachée d'un vice de procédure ayant privé l'intéressé d'une garantie.

4. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A....

Sur les autres moyens invoqués par M. A... :

En ce qui concerne la décision portant refus de titre de séjour :

5. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". L'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose que " L'étranger qui n'entre pas dans les catégories prévues aux articles L. 423-1, L. 423-7, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21 et L. 423-22 ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, et qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / Les liens mentionnés au premier alinéa sont appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'étranger, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine. / L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République. ". Enfin, aux termes de l'article L. 435-1 de ce code : " L'étranger dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir peut se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié ", " travailleur temporaire " ou " vie privée et familiale ", sans que soit opposable la condition prévue à l'article

L. 412-1 ".

6. D'une part, si M. A... soutient résider en France depuis 2001, il est constant que son épouse et son fils vivent en Turquie et que lui-même n'a pas déféré à trois mesures d'éloignement prises à son encontre en 2004, 2008 et 2009, se maintenant irrégulièrement sur le territoire. Ainsi qu'il a été dit ci-dessus, il s'est néanmoins vu délivrer par la suite, à partir d'octobre 2010, un titre de séjour temporaire d'un an en qualité de " salarié " le 18 octobre 2010, régulièrement renouvelé jusqu'au 8 janvier 2020, puis une carte pluriannuelle de quatre ans sur le même fondement, valable du 9 janvier 2020 au 8 janvier 2024. Toutefois, bien qu'employé comme maçon pendant cinq ans en contrat à durée indéterminée entre 2014 et 2019, date à laquelle il a négocié une rupture conventionnelle de son contrat de travail, puis pendant 8 mois en contrat à durée déterminée jusqu'au 31 juillet 2020, toujours dans la maçonnerie, il n'a plus retravaillé après cette date et été indemnisé au titre du chômage entre septembre 2020 et décembre 2022 et pris en charge par Pôle Emploi comme demandeur d'emploi jusqu'à sa désinscription de ce service en septembre 2023. M. A... fait valoir qu'il a entendu en 2020 lancer sa propre entreprise de maçonnerie, constituant un métier en tension, mais il ne démontre pas la réalité et le sérieux des diligences qu'il a accomplies à cette fin, malgré la production de justificatifs d'inscription dans un dispositif d'aide à la création d'entreprise de 3 mois, d'avril à juin 2022 puis, à deux reprises, dans un programme de formation de développement des compétences clés pour l'insertion socioprofessionnelle poursuivant les objectifs " communiquer en français " " utiliser les techniques usuelles de l'information et de la communication numérique " et " travailler dans le cadre de règles définies d'un travail en équipe ", programmes pour lesquels il ne fournit pas d'attestations permettant d'établir qu'il a participé à l'ensemble des journées de formation et qu'il a validé des acquis. Le projet de création d'entreprise envisagé en 2020 n'a donc pas vu le jour, de sorte que l'intéressé, qui avait été admis au séjour en France pour y travailler, se trouvait sans emploi depuis plusieurs années à la date à laquelle il a demandé, le 20 février 2024, le renouvellement de sa carte de séjour.

7. D'autre part, aucune insertion remarquable ni même significative de M. A... en France n'est démontrée malgré l'ancienneté de sa présence et des périodes de travail importantes. M. A... a vécu jusqu'à l'âge de 33 ans en Turquie où il conserve des liens puisque son fils et son épouse, dont il n'est pas séparé, y résident. La commission du titre de séjour, qui a émis un avis défavorable le 31 mai 2024, a été sensible, d'une part, à l'insuffisante maîtrise de la langue française dont l'intéressé faisait preuve devant elle malgré la durée de son séjour et, d'autre part, à l'absence de démonstration de perspectives d'intégration. Le

procès-verbal de la commission enregistre aussi que l'intéressé a reconnu ne pas " connaître beaucoup de personnes " en France et qu'il recevait, pour vivre en France où il est locataire de son logement, de l'argent de sa famille C..., où il a vendu une maison, ou des sommes empruntées.

8. Eu égard à l'ensemble de ces éléments, il ne peut être considéré qu'en refusant à

M. A... la délivrance d'un titre de séjour, le préfet des Côtes-d'Armor aurait porté au droit de l'intéressé au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée, contraire aux stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Pour les mêmes motifs, en l'absence de liens personnels ou familiaux anciens, intenses et sables noués en France, le moyen tiré d'une méconnaissance de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne peut qu'être écarté. Il en est de même, en l'absence d'activité professionnelle de

M. A... depuis plusieurs années à la date de la décision litigieuse, du moyen tiré de ce que, en refusant de lui accorder un titre de séjour portant la mention " salarié " ou " vie privée et familiale ", l'autorité administrative aurait commis une erreur manifeste d'appréciation dans l'application des dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :

9. En premier lieu, la décision portant refus de titre de séjour n'étant pas annulée, le moyen tiré de ce que la décision portant obligation de quitter le territoire français devrait l'être par voie de conséquence ne peut qu'être écarté.

10. En second lieu, le moyen tiré de ce que la décision obligeant M. A... à quitter le territoire porterait au droit de celui-ci au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée et aurait donc été prise en violation des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté pour les motifs exposés ci-dessus aux points 6 à 8.

11. Il résulte de ce qui précède que le préfet des Côtes-d'Armor est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a annulé sa décision du 4 septembre 2024 refusant à M. A... le renouvellement de son titre de séjour et l'obligeant à quitter le territoire français dans le délai de trente jours.

Sur la requête n° 25NT000065 :

12. Le présent arrêt statue sur les conclusions tendant à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Rennes du 24 décembre 2024. Par suite, les conclusions de la requête du préfet des Côtes-d'Armor enregistrée sous le n° 25NT000065 tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement sont devenus sans objet. Il n'y a plus lieu d'y statuer.

DECIDE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête n° 25NT000065 du préfet des

Côtes-d'Armor tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution du jugement du 24 décembre 2024 du tribunal administratif de Rennes.

Article 2 : Le jugement du 24 décembre 2024 du tribunal administratif de Rennes est annulé.

Article 3 : La demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Rennes est rejetée.

Article 4 : Le présent jugement sera notifié à M. B... A... et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée, pour information, au préfet des Côtes-d'Armor

Délibéré après l'audience du 6 mars 2025, à laquelle siégeaient :

- Mme Brisson, présidente de chambre,

- M. Vergne, président-assesseur,

- Mme Marion, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 mars 2025.

Le rapporteur,

G.-V. VERGNE

La présidente,

C. BRISSON

Le greffier,

R. MAGEAU

La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Nos 25NT00064, 25NT0000652


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 25NT00064
Date de la décision : 21/03/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme la Pdte. BRISSON
Rapporteur ?: M. Georges-Vincent VERGNE
Rapporteur public ?: M. CATROUX

Origine de la décision
Date de l'import : 30/03/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-03-21;25nt00064 ?
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