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21/03/2025 | FRANCE | N°23NT03887

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 3ème chambre, 21 mars 2025, 23NT03887


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Le syndicat CGT de l'Hôpital de Lisieux et le syndicat départemental SUD Santé Sociaux du Calvados ont demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler l'arrêté n° 2021-31 du 24 décembre 2021 et la note de service du même jour par lesquels le directeur du centre hospitalier universitaire de Lisieux a maintenu l'organisation dérogatoire du travail à une amplitude journalière de douze heures pour le personnel infirmier de cinq (urgences, cardiologie, neurologie, gastro-ent

érologie, gynécologie-obstétrique) des dix-sept services médicaux de l'hôpital ainsi q...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le syndicat CGT de l'Hôpital de Lisieux et le syndicat départemental SUD Santé Sociaux du Calvados ont demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler l'arrêté n° 2021-31 du 24 décembre 2021 et la note de service du même jour par lesquels le directeur du centre hospitalier universitaire de Lisieux a maintenu l'organisation dérogatoire du travail à une amplitude journalière de douze heures pour le personnel infirmier de cinq (urgences, cardiologie, neurologie, gastro-entérologie, gynécologie-obstétrique) des dix-sept services médicaux de l'hôpital ainsi que pour les infirmiers, auxiliaires de puériculture et

aides-soignants du service de pédiatrie.

Par un jugement n°2200457 du 27 octobre 2023, le tribunal administratif de Caen a rejeté la demande d'annulation de l'arrêté et de la note de service du directeur du centre hospitalier du 24 décembre 2021.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 29 décembre 2023, le 19 avril 2024 et le 7 mai 2024, le syndicat CGT de l'Hôpital de Lisieux et le syndicat départemental SUD Santé Sociaux du Calvados, représentés par Me Brun, demandent :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Caen du 27 octobre 2023 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 24 décembre 2021 et la note de service du même jour du directeur du centre hospitalier de Lisieux ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Lisieux la somme de 3 000 euros à chacune des requérants ;

4°) d'ordonner au centre hospitalier de Lisieux de produire le procès-verbal de la réunion F3SCT du 11 janvier 2024 ;

Ils soutiennent que :

- le comité technique d'établissement et le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail n'ont pas été régulièrement consultés sur le maintien de l'organisation du temps de travail selon une amplitude de 12 heures, faute pour les membres de ces deux comités de disposer des informations nécessaires pour émettre un avis éclairé, d'avoir reçu les procès-verbaux de la séance du comité technique d'établissement et de la réunion du CHSCT et en raison de l'absence de participation du médecin du travail à ces deux instances ;

- l'amplitude dérogatoire de travail de 12 heures dans les services des urgences, neurologie, cardiologie, gastro-entérologie, gynécologie-obstétrique et pédiatrie a été décidée en méconnaissance de l'article 7 du décret n° 2002-9 du 4 janvier 2002 alors que le centre hospitalier de Lisieux n'apporte aucune justification quant à l'existence de contraintes de continuité du service public ;

- les temps de d'habillage et de déshabillage n'ont pas été compris dans le décompte du temps de travail effectif en méconnaissance de l'article 5 du décret du 4 janvier 2002 ;

- l'effectivité du repos quotidien de 12 heures minimum consécutifs et du repos hebdomadaires de 36 heures consécutives n'est pas assuré en méconnaissance de l'article 6 du dércret du 4 janvier 2002 car les infirmières sont amenées à faire des heures supplémentaires et à dépasser l'amplitude maximum de 12 heures ;

- l'organisation du travail mise en place n'est pas accompagnée de mesures pour préserver la santé et la sécurité des soignants ;

- la décision en litige est entachée de détournement de pouvoir en ce qu'elle ne répond qu'à des considérations budgétaires.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 3 avril 2024 et le 10 juin 2024, le centre hospitalier de Lisieux, représenté par Me Magnaval, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge des syndicats requérants sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

A titre principal :

- la requête est irrecevable faute de comprendre des moyens ;

- les conclusions dirigées contre la note de service du 24 décembre 2021 du directeur du centre hospitalier de Lisieux dès lors que cette note qui se borne à informer les agents du maintien de l'organisation de travail sur une amplitude de 12 heures est purement informative ;

- à titre subsidiaire, les moyens invoqués par le syndicat requérant ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code du travail ;

- la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 .

- le décret n° 2002-9 du 4 janvier 2002 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Marion,

- les conclusions de M. Catroux, rapporteur public,

- et les observations de Me Magnaval, représentant le centre hospitalier de Lisieux.

Considérant ce qui suit :

1. Le directeur du centre hospitalier de Lisieux a décidé par un arrêté du 24 décembre 2021 de maintenir l'organisation du travail selon une amplitude de douze heures telle qu'elle avait été précédemment fixée par une note de service du 2 avril 2015 pour le personnel infirmier des services des urgences, de cardiologie, de neurologie, de

gynécologie-obstétrique et de gastro-entérologie et pour le personnel infirmier, auxiliaires de puériculture et aides-soignants du service de pédiatrie. Le syndicat CGT de l'hôpital de Lisieux et le syndicat départemental SUD-Santé-Sociaux du Calvados ont demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler l'arrêté du 24 décembre 2021 ainsi que la note de service du même jour informant le personnel de l'hôpital de cette décision. Par un jugement du 27 octobre 2023, dont les deux organisations syndicales requérantes relèvent appel, le tribunal administratif de Caen a rejeté leur demande d'annulation de l'arrêté et de la note de service du 24 décembre 2021.

Sur la recevabilité de la requête :

2. Aux termes de l'article R. 411-1 du code de justice administrative : " (...) La requête (...) contient l'exposé des faits et moyens, ainsi que l'énoncé des conclusions soumises au juge(...) " et de l'article R. 811-13 du même code : " Sauf dispositions contraires prévues par le présent livre, l'introduction de l'instance devant le juge d'appel suit les règles relatives à l'introduction de l'instance de premier ressort définies au livre IV ( ...) ".

3. La requête d'appel présentée par les syndicats requérants n'est pas la seule reproduction littérale de leur demande formulée devant les juges de première instance mais énonce de nouveau, de manière partiellement différente, les moyens soulevés à l'encontre de l'arrêté de la note de service du 24 décembre 2021 du directeur du centre hospitalier de Lisieux dont ils avaient demandé l'annulation au tribunal administratif de Caen. Une telle motivation répond aux conditions posées par l'article R. 411-1 du code de justice administrative.

Sur les conclusions dirigées contre la note de service du 24 décembre 2021 :

4. La note de service du 24 décembre 2021 du directeur du centre hospitalier de Lisieux informe l'ensemble du personnel de la conservation de l'organisation de travail basé sur une implitude de 12 heures pour pour le personnel infirmier des cinq services concernés et pour le personnel infirmier, auxiliaires de puériculture et aides-soignants du service de pédiatrie et joint l'" arrêté confirmant cette décision ". Il apparaît donc que cette note a exclusivement une finalité informative et est dépourvue de tout caractère décisionnel. Par suite doit être accueillie la fin de non-recevoir opposée par le centre hospitalier de Lisieux aux conclusions dirigées contre la note de service du 24 décembre 2021.

Sur les conclusions dirigées contre l'arrêté du 24 décembre 2021 :

En ce qui concerne la régularité de la procédure :

5. En premier lieu, le moyen tiré de ce que les membres du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail et le comité technique d'établissement n'auraient pas disposé des informations suffisantes en temps utile pour émettre un avis éclairé sur le maintien de l'organisation selon une amplitude de 12 heures du temps de travail du personnel infirmier de six services de l'hôpital au cours de leur réunion respective des 9 décembre 2021 et 17 décembre 2021 doit être écarté par les mêmes motifs que ceux retenus par les premiers juges aux points 2 à 4 de leur jugement.

6. En deuxième lieu, le moyen tiré du vice tenant à la composition irrégulière des réunions du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail et du comité technique d'établissement, à raison de l'absence du médecin du travail, doit être écarté par les mêmes motifs que ceux retenus par les premiers juges au point 7 de leur jugement.

7. En troisième lieu, le moyen tiré de ce que les membres du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail et du comité technique d'établissement n'ont pas été destinataires des procès-verbaux des réunions des 9 décembre 2021 et 17 décembre 2021 est sans incidence sur la légalité des avis rendus par ces comités ainsi que l'ont relevé les premiers juges au point 9 du jugement attaqué.

8. En dernier lieu, aucune disposition ne prévoit que les membres du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail et du comité technique d'établissement soient destinataires d'un relevé de conclusions de la part de la direction de l'hôpital ou que leur soit adressé le procès-verbal des réunions de ces instances. Par suite, et alors qu'en tout état de cause le procès-verbal de la réunion du CTE du 17 décembre 2021 a été soumis à l'approbation de ce comité réuni le 28 juin 2022, ce moyen est inopérant.

En ce qui concerne la légalité interne de la décision en litige :

9. En premier lieu, aux termes de l'article 5 du décret du 4 janvier 2002 relatif au temps de travail et à l'organisation du travail dans les établissements mentionnés à l'article 2 de la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière : " La durée du travail effectif s'entend comme le temps pendant lequel les agents sont à la disposition de leur employeur et doivent se conformer à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles. (...)". L'article 6 de ce même décret prévoit que : " (...) La durée hebdomadaire de travail effectif, heures supplémentaires comprises, ne peut excéder 48 heures au cours d'une période de 7 jours. / Les agents bénéficient d'un repos quotidien de 12 heures consécutives minimum et d'un repos hebdomadaire de 36 heures consécutives minimum. / Par dérogation à l'alinéa précédent, la durée du repos quotidien peut être fixée à 11 heures consécutives minimum par décision du chef d'établissement, après accord conclu dans les conditions fixées aux articles 8 bis à 8 nonies de la loi du 13 juillet 1983 susvisée. (...) ". Enfin, l'article 7 de ce décret dispose que : " : " 1° En cas de travail continu, la durée quotidienne de travail ne peut excéder 9 heures pour les équipes de jour, 10 heures pour les équipes de nuit. Toutefois lorsque les contraintes de continuité du service public l'exigent en permanence, le chef d'établissement peut, après avis du comité technique d'établissement, ou du comité technique, déroger à la durée quotidienne du travail fixée pour les agents en travail continu, sans que l'amplitude de la journée de travail ne puisse dépasser 12 heures. (...) ".

10. Il résulte de ces dispositions spécifiques au service public hospitalier que le recours à une durée quotidienne de travail de douze heures vise les services de l'hôpital où, eu égard à la situation particulière des patients accueillis, le maintien auprès d'eux des mêmes personnels soignants pendant cette durée permet d'assurer un niveau adéquat de qualité des soins.

11. Il ressort des pièces du dossier que les personnels infirmiers, auxiliaires de puériculture et aides-soignants du service pédiatrie et le personnel infirmier des cinq autres services concernés à savoir les urgences, la neurologie, la cardiologie, la gastro-entérologie et la gynécologie-obstétrique sont soumis à de plus grandes contraintes de travail que dans les autres services du centre hospitalier de Lisieux. Ces contraintes ont pour origine la nécessité d'assurer un suivi de soins critiques dans le service des urgences et en pédiatrie, de diminuer le temps de transmission des informations sur les patients entre les équipes du matin et du soir au service des urgences, un meilleur suivi et un meilleur accompagnement journalier en cardiologie, neurologie et gastro-entérologie, une meilleure continuité des soins auprès des accouchées et dans la prise en charge des nouveaux-nés en gynécologie-obstétrique, un meilleur suivi de patients présentant une situation d'urgence vitale ou une plus grande vulnérabilité liée à une pathologie plus grave dans les services des urgences, neurologie, cardiologie et gastro-entérologie.

12. Ainsi que l'ont jugé les premiers juges, contrairement à ce que soutiennent les syndicats requérants, l'organisation du travail de chaque agent en cycle de douze heures se justifie par des contraintes de continuité spécifiques des services tenant tant à la nécessité qu'un même soignant puisse assurer le suivi d'un patient, la surveillance de ses paramètres vitaux, de la douleur et l'enchaînement des examens afin, en particulier, d'éviter toute déperdition d'informations dans les transmissions entre agents, préjudiciable à la qualité des soins dispensés ainsi qu'à l'accueil de leur famille. Enfin, les syndicats requérants n'établissent pas que cette organisation du travail, qui a été favorablement accueillie par la majorité du personnel, serait de nature à augmenter les risques d'erreur de traitement des patients. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 7 du décret du 4 janvier 2002 précité doit être écarté.

13. En deuxième lieu, il ne résulte pas des termes de l'arrêté attaqué que le temps de travail effectif de douze heures n'intégrerait pas le temps d'habillage et de déshabillage des agents. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision du directeur du centre hospitalier aurait été prise en méconnaissance de l'article 5 du décret du 4 janvier 2002 manque en fait et ne peut qu'être écarté.

14. En dernier lieu, l'organisation de la journée de travail en douze heures permet au personnel de bénéficier de douze heures de repos par jour et de trois jours de repos complet par semaine. Par suite, le moyen tiré de que cette organisation ferait obstacle à un repos quotidien de 12 heures minimum consécutifs et à un repos hebdomadaire de 36 heures consécutives, en méconnaissance de l'article 6 du dércret du 4 janvier 2002, de sorte que la santé et la sécurité des agents serait compromise, manque en fait.

15. Enfin le détournement de pouvoir dont serait entachée la décision en litige n'est pas en l'espèce établi.

16. Il résulte de ce qui précède que les syndicats requérants ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que le tribunal a rejeté leur demande d'annulation de l'arrêté du 24 décembre 2021 et de la note de service du même jour.

Sur les conclusions aux fins d'injonction :

17. Le présent arrêt qui rejette les conclusions en excès de pouvoir présentées par les syndicats requérants n'appelle aucune mesure d'injonction. Les conclusions présentées par les requérants tendant à ce que le juge d'appel ordonne au centre hospitalier de Lisieux de produire le procès-verbal de la réunion F3SCT du 11 janvier 2024 n'entrent pas, en tout état de cause, dans les prévisions des articles L. 911-1 et L. 911-2 du code de justice administrative.

Sur les frais liés au litige :

18. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du centre hospitalier Robert Bisson de Lisieux, qui n'est pas la partie perdante, la somme que demandent le syndicat CGT de l'hôpital de Lisieux et le syndicat départemental SUD-Santé-Sociaux du Calvados au titre des frais qu'ils ont exposés. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge solidaire des syndicats requérants une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par le centre hospitalier de Lisieux et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : La requête présentée par le syndicat CGT de l'Hôpital de Lisieux et le syndicat départemental SUD Santé Sociaux du Calvados est rejetée.

Article 2 : Le syndicat CGT de l'Hôpital de Lisieux et le syndicat départemental SUD Santé Sociaux du Calvados verseront une somme de 1 500 euros au centre hospitalier Robert Bisson de Lisieux sur le fondement de l'article L 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au syndicat CGT de l'Hôpital de Lisieux, au syndicat départemental SUD Santé Sociaux du Calvados et au centre hospitalier Robert Bisson de Lisieux.

Délibéré après l'audience du 6 mars 2025, à laquelle siégeaient :

- Mme Brisson, présidente de chambre,

- M. Vergne, président assesseur,

- Mme Marion, première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 mars 2025.

La présidente,

C. BRISSONLa Rapporteure

I. MARION

Le greffier,

R. MAGEAU

La République mande et ordonne au ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23NT03887


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NT03887
Date de la décision : 21/03/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme la Pdte. BRISSON
Rapporteur ?: Mme Isabelle MARION
Rapporteur public ?: M. CATROUX
Avocat(s) : CENTAURE AVOCATS CLAISSE

Origine de la décision
Date de l'import : 30/03/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-03-21;23nt03887 ?
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