Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... D... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 6 juillet 2022 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours qu'il a formé contre la décision du 9 mars 2022 des autorités consulaires françaises à Dakar (Sénégal) refusant de délivrer aux jeunes B... E... D... et A... D... des visas d'entrée et de long séjour au titre du regroupement familial.
Par un jugement n°2210567 du 26 mai 2023, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision du 6 juillet 2022 de la commission de recours et a enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer aux jeunes B... E... D... et A... D... les visas sollicités, dans le délai de deux mois suivant la notification du jugement.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 25 juillet 2023, le ministre de l'intérieur et des outre-mer demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. D... devant le tribunal administratif de Nantes.
Il soutient que :
- les actes d'état-civil produits ne présentent pas de caractère probant ;
- les éléments produits restent insuffisants à établir une filiation par possession d'état ;
- le décès allégué de la mère des demandeuses de visa n'est pas établi par la pièce produite.
La requête a été communiquée le 8 novembre 2023 à M. C... D..., qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Montes-Derouet a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. C... D..., de nationalité guinéenne, est entré en France en 1989. Par des décisions du 9 mars 2022, les autorités consulaires françaises à Dakar ont rejeté les demandes de visas présentées pour les enfants allégués de M. C... D..., les jeunes B... E... D... et A... D..., au titre du regroupement familial. Par une décision du 6 juillet 2022, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre les décisions des autorités consulaires. Par un jugement du 26 mai 2023, le tribunal administratif de Nantes a annulé, à la demande de M. D..., la décision de la commission de recours et a enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer aux jeunes B... E... D... et A... D... les visas sollicités, dans le délai de deux mois suivant la notification du jugement. Le ministre de l'intérieur et des outre-mer relève appel de ce jugement.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. D'une part, aux termes de l'article L. 434-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le regroupement familial est sollicité pour l'ensemble des personnes désignées aux articles L. 434-2 à L. 434-4 (...). " L'article L. 434-2 du même code prévoit : " L'étranger qui séjourne régulièrement en France depuis au moins dix-huit mois, sous couvert d'un des titres d'une durée de validité d'au moins un an prévu par le présent code ou par des conventions internationales, peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre du regroupement familial : / (...) / 2° Et par les enfants du couple mineurs de dix-huit ans. ".
3. D'autre part, aux termes de l'article L. 811-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La vérification des actes d'état civil étrangers doit être effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil ". Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. Celle-ci est appréciée au regard de la loi française. ".
4. Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.
5. Pour rejeter le recours de M. D..., la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée sur les motifs tirés, d'une part, de ce que les actes de naissance produits à l'appui des demandes de visas sont dépourvus de valeur probante, en l'absence des mentions, prévues par l'article 52 du code de la famille sénégalais, relatives à l'âge, la profession et le domicile des père et mère des demandeuses de visa, d'autre part, de l'absence de production du jugement supplétif en transcription duquel a été dressé l'acte de naissance de la jeune A... D..., dont les copies produites mentionnent en outre des dates de jugement supplétif distinctes et, enfin, de ce que la production de tels documents relève d'une intention frauduleuse et ne permet pas d'établir l'identité des jeunes demandeuses de visa ni le lien de filiation allégué à l'égard de M. D....
6. D'une part, pour justifier du lien de filiation de la jeune B... E... D... à l'égard de M. D..., a été produite une copie littérale de l'acte de naissance n° 130/2005 dressé le 15 mars 2005 par la commune de Djibanar. Il ressort des pièces du dossier que cet acte de naissance, que le ministre produit pour la première fois en appel, ne comporte pas les mentions obligatoires relatives à l'âge, la profession et le domicile du père et de la mère, en méconnaissance de l'article 52 du code de la famille sénégalais.
7. D'autre part, pour justifier du lien de filiation de la jeune A... D... à l'égard de M. D..., ont été produits, devant les autorités consulaires, une copie, délivrée le 24 juin 2020 par la commune de Goudomp, d'un extrait d'acte de naissance n° 427/2010 et, lors du recours formé devant la commission de recours, une copie littérale, délivrée le 30 août 2017 par la commune de Goudomp, de l'acte de naissance dressé le 22 novembre 2010, que le ministre produit pour la première fois devant la cour. Alors qu'il ressort des mentions de ces deux actes qu'ils ont été pris en transcription d'un jugement supplétif n° 8199 rendu par le tribunal départemental de Sédhiou, M. D... ne produit pas ce jugement supplétif dont l'existence a été contestée par la commission de recours puis par le ministre, dans son mémoire en défense ainsi que dans sa requête d'appel, qui a été communiquée à l'intéressé par le greffe de la cour. Les actes de naissance présentent en outre une discordance sur la date à laquelle ce jugement aurait été rendu, la copie littérale faisant état d'un jugement prononcé le 22 novembre 2010 et l'extrait d'acte de naissance d'un jugement rendu le 9 juillet 2010.
8. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la demande de substitution de motifs présentée par le ministre de l'intérieur, que celui-ci est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes s'est fondé, pour annuler la décision contestée, sur ce que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, en refusant de délivrer les visas sollicités au motif que les actes de naissance produits étaient dépourvus de valeur probante, a fait une inexacte application des dispositions législatives citées aux points 2 et 3.
9. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. D... devant le tribunal administratif de Nantes.
10. En premier lieu, les éléments présentés pour établir le lien familial par la possession d'état, qui consistent uniquement en quelques photographies et en la production d'avis d'imposition visant à justifier que M. D... déclare les jeunes B... E... D... et A... D... comme enfants mineures à charge, ne suffisent pas à établir l'identité des intéressées. Dans ces conditions, en estimant que l'identité des jeunes B... E... D... et A... D... et partant leur lien familial avec M. D... n'étaient pas établis par la possession d'état, la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France n'a pas fait une inexacte application des dispositions précitées aux points 2 et 3.
11. En second lieu, l'identité des demandeuses de visa et partant leur lien familial à l'égard de M. D... n'étant pas établis, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peut qu'être écarté.
12. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur et des outre-mer est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé, à la demande de M. D..., la décision du 6 juillet 2022 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France et lui a enjoint de délivrer les visas sollicités.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 26 mai 2023 du tribunal administratif de Nantes est annulé.
Article 2 : La demande de M. D... présentée devant le tribunal administratif de Nantes est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et à M. C... D....
Délibéré après l'audience du 4 mars 2025, à laquelle siégeaient :
- Mme Buffet, présidente de chambre,
- Mme Montes-Derouet, présidente-assesseure,
- M. Dias, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 mars 2025.
La rapporteure,
I. MONTES-DEROUETLa présidente,
C. BUFFET
La greffière,
A. MARCHAND
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23NT02270