Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... et Mme C... D..., épouse A... ont demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler la " décision " du 30 janvier 2023 par laquelle le préfet du Finistère a refusé de leur délivrer une carte de " résident de longue durée UE ", d'une durée de dix ans, sur le fondement de l'article L. 426-17 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que la décision implicite de rejet intervenue deux mois après leur recours gracieux présenté contre cette " décision " par un courrier du 2 mars 2023.
Par un jugement n°2304693 du 3 juin 2024, le tribunal administratif de Rennes a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 29 juillet 2024 et 9 décembre 2024, M. et Mme A..., représentés par Me Vervenne, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 3 juin 2024 ;
2°) d'annuler la décision du 25 janvier 2023 par laquelle le préfet du Finistère a refusé de leur délivrer une carte de résident de longue durée UE ainsi que la décision implicite de rejet née le 3 juillet 2023, opposée à leur recours gracieux du 2 mars 2023 ;
3°) d'enjoindre au préfet du Finistère, à titre principal, de leur délivrer une carte de résident longue durée UE et, à titre subsidiaire, de délivrer seulement à M. A... une telle carte dans un délai de 15 jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et, à titre encore plus subsidiaire, de réexaminer sa situation privée et familiale et de lui délivrer dans l'attente un récépissé avec autorisation de travail ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- les décisions du préfet du Finistère sont entachées d'erreur de droit au regard de l'article L. 426-17 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de la directive 2003/109/CE du Conseil du 25 novembre 2003 en ce qu'elles subordonnent la délivrance d'une carte de résident à la condition d'avoir perçu des revenus suffisants pendant les 5 années précédant la demande de carte alors que la directive et l'article L. 426-17 n'exigent que des ressources stables, régulières et suffisantes pour subvenir aux besoins du demandeur et à ceux des membres de sa famille ;
- le point 58 de l'annexe 10 à l'arrêté du 30 avril 2021 fixant la liste des pièces justificatives exigées pour la délivrance, hors Nouvelle-Calédonie, des titres de séjour prévus par le livre IV du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui prévoit la production de justificatifs de ressources suffisantes, stables et régulières sur les 5 années précédant la demande de carte de résident, est illégal car de telles dispositions relèvent d'un décret en Conseil d'Etat ;
- les décisions litigieuses sont entachées d'une erreur de fait en ce que Mme A... a travaillé et a perçu des salaires en 2019, 2020, 2021 et 2022 et a eu une activité professionnelle ininterrompue à partir de novembre 2022, et d'erreur de fait en ce qu'à la date du 3 juillet 2023 de rejet du recours gracieux, le couple disposait d'un revenu mensuel brut moyen de 1 880,25 euros (3 551 euros sur l'année entière 2023) soit un revenu supérieur au SMIC mensuel brut + 10 % pour une famille de 5 personnes qui est de 1 755, 93 euros, de 1 880,25 euros pour 2022, de 1 867,08 euros pour 2021, de 2 074 euros pour 2020, de 2 281,08 euros pour 2019 et de 1 763,33 euros pour 2018 ;
- M. A... percevant de façon continue des revenus depuis 2017, il aurait dû à minima bénéficier d'une carte de résident.
Par un mémoire en défense, enregistré le 19 novembre 2024, le préfet du Finistère conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que :
- le courriel du 30 janvier 2023 n'est pas une décision mais une information donnée par les services préfectoraux en réponse au courriel de M. et Mme A..., qui venaient de recevoir leurs cartes de séjour pluriannuelles et s'étonnaient qu'il ne s'agisse pas de cartes de résidents ;
- le jugement n'est pas irrégulier et entaché d'erreur de fait alors que les revenus salariés de Mme A... de 2019 à 2021 sont très faibles et très irréguliers et ne permettent pas, en l'absence de tout autre document, de constater une activité professionnelle stable, que les pièces concernant les revenus 2022 de Mme A... n'ont pas été produites en première instance, et que les revenus 2023 de Mme A... sont postérieurs au courriel du 30 janvier 2023 ;
- en vertu de l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 3 octobre 2019 C-302/18, rendu sur renvoi préjudiciel d'une juridiction belge, les ressources du demandeur d'une carte de résident s'entendent, au sens de la directive 2003/109/CE du Conseil du 25 novembre 2003, comme les ressources du demandeur mais aussi de sa famille ; or en retenant des revenus nets de 20 192 euros par an en 2022, mentionnés par les requérants, leur revenu mensuel net de 1 682,70 euros est insuffisant pour une famille de 5 personnes alors que le SMIC mensuel brut est de 1 596,30 euros en 2022 et que la majoration du revenu pour une famille de 4 à 5 personnes est de 10 % si bien que le nouveau seuil à atteindre était de 1 755,93 euros, supérieur au revenu mensuel de 1 682,70 euros dont ils justifient..
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- l'arrêté du 4 mai 2022 fixant la liste des pièces justificatives exigées pour la délivrance des titres de séjour prévus par le livre IV du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Marion,
- et les observations de Me Benveniste, représentant M. et Mme A....
Considérant ce qui suit :
1. M. et Mme A..., ressortissants serbes, nés respectivement en 1985 et en 1987, sont entrés en France irrégulièrement le 15 décembre 2010. Ils ont sollicité l'asile le 5 janvier 2011. Leurs demandes ont été rejetées par des décisions de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) du 17 mai 2011, confirmées le 26 octobre 2011 par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA). Entre mai 2012 et avril 2017, M. A... a bénéficié de cinq cartes de séjour portant la mention " étranger malade " et Mme A... de cartes de séjour en qualité d'accompagnante de son époux. En avril 2017, ils ont bénéficié de cartes de séjour portant la mention " vie privée et familiale " régulièrement renouvelées par des cartes pluriannuelles. Le 25 octobre 2022, M. et Mme A... ont sollicité la transformation de leurs titres de séjour pluriannuels en cartes de résidents. Le 25 janvier 2023, jour de la remise en mains propres de leurs cartes de séjour pluriannuelles, ils ont adressé un courriel à la préfecture s'étonnant de ne pas avoir reçu de cartes de résident portant la mention " résident de longue durée-UE ". Le 30 janvier 2023, la préfecture du Finistère leur a répondu par mail qu'ils ne remplissaient pas les conditions de ressources pour obtenir une telle carte. Par courrier du 2 mars 2023, notifié le 3 mars 2023, M. et Mme A... ont exercé un recours gracieux à l'encontre des décisions de refus de leur délivrer des cartes de résidents. En l'absence de réponse, une décision implicite de rejet est née le 3 juillet 2023. M. et Mme A... ont alors demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler la décision contenue dans le courriel de la préfecture du 30 janvier 2023 ainsi que la décision implicite du 3 juillet 2023 de rejet de leurs recours gracieux. M. et Mme A... relèvent appel du jugement du
3 juin 2024 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté leurs demandes.
Sur le cadre du litige et la détermination des décisions contestées :
2. Il ressort des pièces du dossier que, le 25 janvier 2023, alors qu'ils venaient de se voir remettre leur nouvelle carte de séjour pluriannuelle portant la mention " vie privée et familiale " pour la période courant jusqu'au 1er janvier 2025, M. et Mme A... ont adressé un courriel à la préfecture du Finistère, par lequel ils se sont plaints de ne pas avoir reçu de cartes de résidents. Il leur a été répondu par un courriel non nominatif des services de la préfecture, daté du 30 janvier 2023 que les revenus déclarés de leur foyer fiscal, correspondant à un couple avec trois enfants, étaient insuffisants pour bénéficier de la carte de résident de dix ans. Il ressort des pièces du dossier qu'en délivrant à M. et Mme A... des cartes de séjour pluriannuelles au lieu de cartes de résidents, le préfet du Finistère a implicitement rejeté les demandes de cartes de résidents présentées par les intéressés le 25 octobre 2022. Par suite, le courriel non nominatif de la préfecture du 30 janvier 2023 doit être regardé comme l'exposé des motifs de la décision implicite de rejet du 25 janvier 2023 et la demande formée par les requérants doit, ainsi que l'ont considéré à bon droit les premiers juges, être considérée, de même que leur requête d'appel, comme dirigée contre les décisions implicites des 25 janvier 2023 et 3 juillet 2023.
Sur les conclusions tendant à l'annulation des décisions des 25 janvier et 3 juillet 2023 :
3. Aux termes, d'une part, de l'article L. 426-17 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui transpose en droit interne l'article 5 de la directive 2003/109/CE du Conseil du 25 novembre 2003 relative au statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée : " L'étranger qui justifie d'une résidence régulière ininterrompue d'au moins cinq ans en France au titre d'une carte de séjour temporaire ou pluriannuelle ou d'une carte de résident, de ressources stables, régulières et suffisantes pour subvenir à ses besoins et d'une assurance maladie se voit délivrer, sous réserve des exceptions prévues à l'article L. 426-18, une carte de résident portant la mention " résident de longue durée-UE " d'une durée de dix ans. (...) / Les ressources mentionnées au premier alinéa doivent atteindre un montant au moins égal au salaire minimum de croissance. Sont prises en compte toutes les ressources propres du demandeur, indépendamment des prestations familiales et des allocations prévues à l'article L. 262-1 du code de l'action sociale et des familles ainsi qu'aux articles L. 5423-1, L. 5423-2 et L. 5423-3 du code du travail. / La condition de ressources prévue au premier alinéa n'est pas applicable lorsque la personne qui demande la carte de résident est titulaire de l'allocation aux adultes handicapés mentionnée à l'article L. 821-1 du code de la sécurité sociale ou de l'allocation supplémentaire mentionnée à l'article L. 815-24 du même code. / Les modalités d'application du présent article sont définies par décret en Conseil d'Etat. ".
4. Aux termes, d'autre part, de l'arrêt rendu le 3 octobre 2019 dans l'affaire C-302/18, sur renvoi préjudiciel d'une juridiction belge, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que l'article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive 2003/109/CE du Conseil, du 25 novembre 2003, relative au statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée, " doit être interprété en ce sens que la notion de " ressources " visée à cette disposition ne concerne pas uniquement les " ressources propres " du demandeur du statut de résident de longue durée, mais peut également couvrir les ressources mises à la disposition de ce demandeur par un tiers pour autant que, compte tenu de la situation individuelle du demandeur concerné, elles sont considérées comme étant stables, régulières et suffisantes ".
5. En premier lieu, si l'administration a rappelé dans son courriel du 30 janvier 2023 que, " parmi les critères de reprise en compte de [la ]demande de carte de résident figure l'évaluation des ressources sur les cinq dernières années ", se référant ainsi aux pièces mentionnées au point 58 de l'annexe à l'arrêté du 4 mai 2022 fixant la liste des pièces justificatives exigées pour la délivrance des titres de séjour prévus par le livre IV du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, elle s'est bornée, sans opposer aux appelants l'exigence de ressources suffisantes sur la totalité de cette durée de cinq ans, à exposer que " Au regard de la constitution de votre famille : couple avec trois enfants, il ressort des avis d'imposition présentés que le cumul de vos ressources se sont avérées insuffisantes pour la validation d'une carte de 10 ans ". L'autorité compétente a ainsi fait application de la condition tenant à la justification de ressources stables et suffisantes du foyer fiscal de M. et Mme A..., condition qui procède de l'interprétation par la Cour de justice de l'Union européenne de l'article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive 2003/109/CE du Conseil du 25 novembre 2003 et qui pouvait légalement fonder les refus de cartes de résidents litigieuses. Le moyen tiré de ce que l'autorité administrative aurait commis une erreur de droit en opposant à M. et Mme A... une condition de justification de ressources sur les cinq dernières années incompétemment édictée par un simple arrêté, l'arrêté du 4 mai 2022, alors que le dernier alinéa de l'article L. 426-17 du même code prévoit que ses modalités d'application sont définies par décret en Conseil d'Etat, doit donc être écarté.
6. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que, tant à la date du
25 janvier 2023 qu'à celle du 3 juillet 2023, M. A... était employé à plein temps par contrat à durée indéterminée et de façon continue par la même entreprise depuis 2016 et percevait un revenu brut mensuel supérieur au salaire minimum de croissance. Toutefois, à la différence de son époux, Mme A... était employée en intérim par l'entreprise Adecco de façon irrégulière et avait perçu, ces dernières années, des revenus de montants très variables ainsi que le démontrent les avis d'imposition du foyer fiscal qui font état, pour la requérante, de revenus de 7 984 euros en 2019, 4 951 euros en 2020, 3 173 euros en 2021, et 2 383 euros en 2022. Si, à partir du mois de novembre 2022, Mme A..., expose que, bien que toujours employée en intérim par la société Adecco, elle exerçait de façon régulière et continue un emploi d'ouvrière en conserverie, il n'en demeure pas moins qu'à la date des décisions en litige, elle ne disposait pas d'un contrat de travail attestant de la pérennité de son emploi et de la stabilité des revenus tirés de cet emploi. Par suite, le moyen tiré de ce que le préfet du Finistère aurait commis une erreur de fait en estimant que Mme A... ne justifiait pas de ressources stables, régulières et suffisantes au sens de l'article L. 426-17 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne peut qu'être écarté.
7. En troisième lieu, si le foyer A... justifiait, à la date de la décision en litige, d'un revenu net imposable annuel de 20 159 euros en 2022, supérieur au salaire minimum de croissance de l'année en cause, cette rémunération ne présentait pas un caractère suffisant pour pourvoir aux besoins d'une famille composée d'un couple et de trois enfants sans recourir au système d'aide sociale français. Dans ces conditions, le préfet a pu, sans commettre d'erreur d'appréciation, estimer que M. et Mme A... ne justifiaient pas de ressources suffisantes pour subvenir à leurs propres besoins et à ceux de leurs trois enfants.
8. En dernier lieu, il résulte des dispositions de l'article L. 426-17 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile transposant l'article 5 de la directive 2003/109/CE du Conseil du 25 novembre 2003 et de l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne C-302/18 du 3 octobre 2019 que le caractère suffisant des ressources d'un demandeur d'une carte de résident de longue durée est apprécié en tenant compte de l'ensemble des ressources dont ce dernier dispose pour lui-même et pour les membres de la famille dont il a la charge sans recourir au système d'aide sociale de l'Etat membre concerné. Par suite, il ne peut être fait droit à la demande de carte de résident présenté par M. A... en son nom propre.
9. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède, que M. et Mme A... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté leurs demandes. Par suite, leurs conclusions aux fins d'annulation de la décision du 25 janvier 2023 et de la décision de rejet de leur recours gracieux du 3 juillet 2023 et à fin d'injonction ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement à M. et Mme A... de la somme qu'ils demandent au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. et Mme A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., à Mme C... D..., épouse A..., et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.
Copie en sera délivrée, pour information, au préfet du Finistère.
Délibéré après l'audience du 16 janvier 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Vergne, président,
- Mme Marion, première conseillère,
- Mme Gélard, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 mars 2025.
La rapporteure,
I. MARION
Le président,
G.-V. VERGNE
Le greffier,
R. MAGEAU
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 24NT02380