La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

14/02/2025 | FRANCE | N°24NT01149

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 3ème chambre, 14 février 2025, 24NT01149


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure



Mme C... D... a demandé au tribunal administratif de Caen de condamner le centre hospitalier public du Cotentin à lui verser la somme de 15 000 euros en réparation du préjudice moral résultant des faits de harcèlement moral dont elle estime avoir été victime et la somme de 5 000 euros en réparation du manquement de son employeur à l'obligation de prévention prévue à l'article L. 4121-1 du code du travail.



Par un jugement n° 2202206 du 12 février 2024, l

e tribunal administratif de Caen a rejeté la requête de Mme D....



Procédure devant la cour : ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme C... D... a demandé au tribunal administratif de Caen de condamner le centre hospitalier public du Cotentin à lui verser la somme de 15 000 euros en réparation du préjudice moral résultant des faits de harcèlement moral dont elle estime avoir été victime et la somme de 5 000 euros en réparation du manquement de son employeur à l'obligation de prévention prévue à l'article L. 4121-1 du code du travail.

Par un jugement n° 2202206 du 12 février 2024, le tribunal administratif de Caen a rejeté la requête de Mme D....

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée les 15 avril 2024, Mme C... D..., représentée par Me Ayral, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de condamner le centre hospitalier public du Cotentin à lui verser la somme de 15 000 euros en réparation du préjudice moral résultant des faits de harcèlement moral dont elle a été victime et la somme de 5 000 euros en réparation du manquement de son employeur à l'obligation de prévention prévue à l'article L. 4121-1 du code du travail ;

3°) de mettre à la charge de centre hospitalier du Cotentin la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle a été victime de la part du docteur B..., médecin anesthésiste, à compter de l'année 2018 jusqu'à son placement en congé de maladie à partir du 13 septembre 2021, d'agissements répétés établis et d'ailleurs non contestés, ayant eu pour objet et pour effet une dégradation de ses conditions de travail, portant atteinte à ses droits et à sa dignité et préjudiciables à sa santé physique et mentale et à son avenir professionnel, répondant donc à la définition du harcèlement moral ;

- elle est fondée à demander, à hauteur de 15 000 euros, réparation du préjudice moral qu'elle a subi du fait des actes de harcèlement moral dont elle a fait l'objet ;

- le centre hospitalier public du Cotentin a méconnu ses obligations d'employeur applicables en matière de santé et de sécurité au travail, prévues à l'article L. 4121-1 du code du travail ;

- elle est fondée à demander à hauteur de 5 000 euros une indemnisation, distincte de celle qui lui est due au titre du harcèlement moral, du préjudice ayant résulté du manquement caractérisé du centre hospitalier à son obligation de prévention ; l'hôpital ne justifie pas des mesures qu'il aurait prises, de sorte que sa carence doit être sanctionnée.

Par un mémoire en défense enregistré le 11 octobre 2024, le centre hospitalier public du Cotentin, représentée par Me Dollon, demande à la cour :

1°) à titre principal, de rejeter la requête de Mme D... ;

2°) à titre subsidiaire, de limiter dans les plus larges proportions les demandes d'indemnisation présentées par cette requérante.

Il fait valoir que :

- des griefs ont également été articulés à l'encontre de Mme D... ;

- la carence que la requérante impute au centre hospitalier n'est pas établie ;

- les incidents qu'elle décrit ne suffisent pas pour laisser présumer des agissements constitutifs de harcèlement moral.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général de la fonction publique ;

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Vergne,

- et les conclusions de M. Catroux, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Mme D..., infirmière titulaire depuis 1994, exerçant depuis 2002 en tant qu'infirmière de bloc opératoire dipômée d'Etat (IBODE) du centre hospitalier public du Cotentin à Cherbourg, a sollicité en vain, le 15 juillet 2022, l'indemnisation par cet hôpital des préjudices qu'elle estime avoir subis dans ses conditions de travail jusqu'à son placement en congé maladie de manière continue à partir du 13 septembre 2021 puis son admission à la retraite pour invalidité par décision du 12 décembre 2023, préjudices résultant, d'une part, du harcèlement moral dont elle estime avoir été victime de la part d'un médecin anesthésiste employé dans l'établissement et, d'autre part, de la carence de son employeur à assurer la protection qu'il lui devait, comme à l'ensemble de ses agents, en application de l'article L. 4121-1 du code du travail. Elle relève appel du jugement du 12 février 2024 par lequel le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'hôpital à lui verser, à ces deux titres, des indemnités de 15 000 euros et 5 000 euros.

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 133-2 du code général de la fonction publique : " Aucun agent public ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ". Il appartient à l'agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. En revanche, la nature même des agissements en cause exclut, lorsque l'existence d'un harcèlement moral est établie, qu'il puisse être tenu compte du comportement de l'agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui. Le préjudice résultant de ces agissements pour l'agent victime doit alors être intégralement réparé.

3. D'une part, il ressort d'une fiche de signalement adressée le 29 janvier 2018 par trois infirmières à la direction du centre hospitalier que le docteur B..., le 11 janvier 2018, en réaction à une demande d'explications d'une infirmière anesthésiste portant sur la prise en charge en cours d'un patient, a accusé les équipes des infirmières de bloc et anesthésistes de " comploter " contre lui, accusant particulièrement Mme D... de " concourir à la mauvaise réputation du centre hospitalier public du Cotentin dans toute la France " et adoptant ensuite, durant le reste de la journée, un comportement provocateur et ironique envers ces trois infirmières, que celles-ci ont choisi d'ignorer. Il n'est pas contesté, ensuite, qu'une fiche d'évènement indésirable a été établie le 9 mars 2018 sous le n° 18-072, par laquelle Mme D... et Mme A..., l'une et l'autre IBODE, ont relaté que le docteur B... leur reprochait l'agressivité dont il s'estimait l'objet de leur part et qu'il leur avait déclaré que " les IBODE de Cherbourg sont connus dans toute la France comme nuisibles ". Dans une déclaration d'évènement indésirable du 8 septembre 2020, Mme D... expose aussi avoir été prise à témoin la veille en fin de garde de nuit par une femme médecin anesthésiste remplaçante auquel le docteur B... reprochait de n'avoir pas répondu à son " bip " d'appel, et avoir été insultée à cette occasion malgré la modération et le caractère factuel de son intervention, ce qui est confirmé par une autre infirmière présente et par le médecin en cause, lequel confirme cette agressivité du docteur B... ainsi que des propos inappropriés par lesquels celui-ci a déclaré qu' " il en avait assez des femmes et des vieilles ". Enfin, dans une déclaration au registre de la main courante de l'hôpital datée du 17 septembre 2020, enregistrée au cours d'une convocation le même jour dans le cadre de l'enquête administrative concernant son propre comportement, Mme D... a mentionné des faits datant d'" il y a un an ", indiquant que le docteur B... l'avait à l'époque agressée verbalement alors qu'elle "avait tenu la main d'un patient avant qu'il ne s'endorme ", criant qu'elle était folle et qu'elle n'y comprenait rien. Il résulte ainsi de l'instruction qu'à quatre reprises seulement sur la période 3 ans et demi de 2018 au 13 septembre 2021, date à partir de laquelle l'appelante a été placée en arrêt de travail et a quitté définitivement son service, le docteur B... s'est adressé à Mme D... de manière inadaptée ou a adopté envers elle une attitude injurieuse ou dégradante devant des tiers.

4. D'autre part, si la requérante se prévaut d'autres témoignages de personnels et d'autres fiches d'événements indésirables qui auraient été établies à la suite de faits d'agressivité ou de violence verbale imputables au docteur B..., ainsi que des " entretiens avec les cadres, les chefs de services pour certains en présence de la psychologue et du médiateur ", les éléments produits mettent en lumière des attitudes inappropriées ainsi que des problèmes relationnels et un comportement colérique et agressif ou excessif et vindicatif du docteur B... qui n'apparaissent pas dirigés particulièrement contre elle. Il en est ainsi, d'abord, du témoignage adressé par mail le 2 octobre 2020 par Mme E..., IBODE, relatant une explosion de colère et un comportement menaçant du docteur B... à son égard en salle d'opération "en janvier 2018 (ou 2017) " et faisant aussi état de problèmes relationnels, d'un comportement colérique, brutal et agressif de ce médecin envers plusieurs collègues, dont les noms ne sont pas précisés, mais qui auraient donné lieu à des FEI (fiches d'événements indésirables). Il en est de même, ensuite, de la plainte pénale de Mme F..., IBODE, à l'encontre du docteur B... pour injure non publique, enregistrée le 7 décembre 2020 à la suite d'une agression verbale s'étant produite le 6 novembre 2020 au bloc opératoire de l'hôpital, en réaction à une remarque faite par la première au second lui signalant qu'il avait emprunté un accès à la salle d'opération qui devait de préférence rester fermé. Enfin, le courriel du 23 septembre 2020 par lequel la même Mme F... relate un événement, qu'elle situe au " printemps 2019 ", consistant dans l'intrusion injustifiée et grossière, à deux reprises, du docteur B... pour récupérer une tasse de café dans un bureau polyvalent où était en cours l'évaluation d'une élève infirmière, son refus de lui laisser la disposition du local pour terminer l'entretien en cours, et un comportement colérique de l'intéressé ne met pas en cause le comportement de ce médecin envers Mme D....

5. Les difficultés, incidents et agissements mentionnés ci-dessus aux points 4 et 5 sont largement reconnus par l'hôpital dans ses écritures en défense, malgré, d'une part, l'affirmation plausible que les confrontations et violences verbales étaient réciproques, et, d'autre part, la production de pièces révélant un comportement occasionnellement inapproprié ou irrespectueux de Mme D... dénoncé par d'autres médecins que le docteur B... ou par certaines aides-soignantes du bloc opératoire, porté à la connaissance de la direction par les cadres supérieurs du bloc opératoire et le médecin responsable du pôle anesthésie, et le comportement professionnel de Mme D... a d'ailleurs fait l'objet, comme celui du docteur B..., d'une enquête administrative. Mais ils sont peu nombreux sur une période étendue, certains ne concernent pas Mme D..., et, même pris dans leur ensemble, ils ne permettent pas de présumer que celle-ci aurait été personnellement victime, de la part du docteur B..., bien que le comportement fautif de celui-ci à plusieurs reprises soit établi, d'agissements qui, par leur nature, leur répétition ou leur intensité, constitueraient des faits de harcèlement moral au sens et pour l'application de l'article L. 133-2 du code général de la fonction publique.

6. En second lieu, aux termes de l'article L. 4121-1 du code du travail : " L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. / Ces mesures comprennent : / 1° Des actions de prévention des risques professionnels, y compris ceux mentionnés à l'article L. 4161-1 ; / 2° Des actions d'information et de formation ; / 3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés. / L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes ".

7. Mme D... soutient qu'en raison de son inertie face aux agissements du docteur B..., le centre hospitalier public du Cotentin a manqué à son obligation de sécurité et de protection de la santé de ses personnels. Toutefois, il résulte de l'instruction, en particulier des échanges de courriel produits par l'hôpital, notamment en réponse aux alertes d'un agent membre du CHSCT, que la direction de l'établissement a pris des dispositions pour répondre aux difficultés relationnelles et écarts de comportement dénoncés par Mme D..., mais aussi par d'autres membres du personnel. Deux médecins anesthésistes en conflit avec Mme D... ou d'autres IBODE ont été convoqués par la direction de l'établissement qui a diligenté une enquête administrative pour éclairer le comportement du docteur B..., qui a été recadré, mais aussi celui de Mme D..., notamment à la suite de plaintes déposées par des aides-soignantes du bloc opératoire mettant en cause l'attitude d'infirmiers et infirmières de bloc opératoire, parmi lesquels Mme D.... Il résulte de l'ensemble de ces éléments que le centre hospitalier public du Cotentin a recherché des solutions concrètes à la situation dénoncée par Mme D... et il ne résulte pas de l'instruction que de nouvelles doléances restées sans réponse lui auraient été adressées depuis ses interventions. Dans ces conditions, sa responsabilité au titre d'un manquement à son obligation de sécurité ne peut être engagée.

8. Il résulte de ce qui précède que Mme D... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande indemnitaire. Ses conclusions fondées sur les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées par voie de conséquence.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de Mme D... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... D... et au centre hospitalier public du Cotentin.

Délibéré après l'audience du 30 janvier 2025, à laquelle siégeaient :

- M. Vergne, président,

- Mme Marion, première conseillère

- Mme Gélard, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 février 2025.

Le rapporteur,

G.-V. VERGNE

L'assesseure la plus ancienne,

I. MARION

Le greffier,

Y. MARQUIS

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles en ce qui la concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision

2

N° 24NT01149


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 24NT01149
Date de la décision : 14/02/2025
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. VERGNE
Rapporteur ?: M. Georges-Vincent VERGNE
Rapporteur public ?: M. CATROUX
Avocat(s) : JB BORDEAU DOLLON

Origine de la décision
Date de l'import : 19/02/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-02-14;24nt01149 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award