Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme C... E... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler l'arrêté du 7 juillet 2020 par lequel le maire de B...-Au a prononcé son licenciement pour insuffisance professionnelle.
Par un jugement n° 2008819 du 4 avril 2024, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 4 juin 2024 et le 31 décembre 2024, Mme E..., représentée par Me Boidin, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nantes du 4 avril 2024 ;
2°) d'annuler l'arrêté contesté ;
3°) de mettre à la charge de la commune de B...-Au une somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement n'est pas suffisamment motivé ;
- la décision prononçant son licenciement, qui repose sur les seuls témoignages orientés de collègues avec lesquelles les relations sont difficiles, est fondée sur des faits inexacts ;
- elle est entachée d'erreur d'appréciation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 30 octobre 2024, la commune de B...-Au, représentée par Me Bertrand, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de la requérante d'une somme de 4 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- le moyen tiré de l'insuffisance de motivation du jugement attaqué n'est pas suffisamment précis ;
- les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
- le décret n° 92-865 du 28 août 1992 portant statut particulier du cadre d'emplois des auxiliaires de puériculture territoriaux ;
- le code de justice administrative.
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Bougrine,
- les conclusions de Mme Bailleul, rapporteure publique,
- et les observations de Me Boidin, représentant Mme E... et les observations de Me Chetrit, substituant Me Bertrand et représentant la commune de B...-Au.
Considérant ce qui suit :
1. Mme E..., auxiliaire de puériculture territoriale, a été employée en 2012 par la commune de B..., devenue la commune de B...-Au pour exercer ses fonctions au sein d'une micro-crèche accueillant, au plus, dix enfants âgés de trois mois à trois ans. Après l'avoir provisoirement suspendue de ses fonctions, par un arrêté du 2 décembre 2019, le maire de B...-Au a prononcé son licenciement pour insuffisance professionnelle par un arrêté du 7 juillet 2020. Mme E... relève appel du jugement du 4 avril 2024 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté du 7 juillet 2020.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Le licenciement pour inaptitude professionnelle d'un agent public ne peut être fondé que sur des éléments révélant l'inaptitude de l'agent à exercer normalement les fonctions pour lesquelles il a été engagé, s'agissant d'un agent contractuel, ou correspondant à son grade, s'agissant d'un fonctionnaire, et non sur une carence ponctuelle dans l'exercice de ces fonctions. Une évaluation portant sur la manière dont le fonctionnaire a exercé ses fonctions durant une période suffisante et révélant son inaptitude à un exercice normal de ses fonctions est de nature à justifier légalement son licenciement.
En ce qui concerne les mises en danger des enfants reprochés à Mme E... :
3. Le maire de B...-Au a licencié Mme E... en raison de son insuffisance professionnelle en se fondant sur six incidents, survenus entre l'été 2019 et le mois de novembre 2019, de nature à établir que l'intéressée exposerait les enfants à des risques pour leur sécurité.
4. D'une part, il n'est pas contesté que Mme E... a, le 17 juillet 2019, servi à un enfant une demi-tranche de jambon non découpée et, le 1er octobre 2019, procédé seule à l'ouverture d'une chaise alors qu'elle portait un enfant dans les bras. La requérante admet également qu'elle a installé un enfant sur un lit bas dépourvu de tour, en méconnaissance de la consigne donnée par la directrice.
5. En revanche, si l'arrêté contesté retient que Mme E... aurait " enroul[é] un enfant de quatre mois dans un tapis de sol pour le porter dans ses bras ", la requérante indique qu'en se penchant vers l'enfant, pour le prendre dans ses bras, la bande agrippante du tapis d'éveil s'est accrochée à son vêtement. Pour établir la réalité des faits contestés, la commune se fonde sur le seul témoignage de Mme A..., recueilli le 4 septembre 2019, dont il ressort que la directrice et une autre collègue auraient assisté à la scène. Pourtant, alors même qu'elles ont produit des attestations pour dénoncer la manière de servir de Mme E..., aucune de ces deux personnes, supposées avoir été témoins, n'a relaté l'action décrite par Mme A... et reprise par le maire de B...-Au dans l'arrêté litigieux. Eu égard à l'explication, plausible, donnée par la requérante et l'état dégradé des relations entre Mme A... et Mme E..., la matérialité des faits considérés n'est pas suffisamment établie. De même, s'il ressort des pièces du dossier que, le 22 novembre 2019, un bébé, sous la surveillance de Mme E..., a pu rejoindre l'espace dédié aux enfants plus grands, au sein duquel une chaise d'enfant a basculé, aucune pièce du dossier, à l'exception de l'attestation de Mme A... du 30 novembre 2019, n'indique que la chaise serait tombée sur la tête du bébé sans que Mme E... ne s'en inquiète. Dès lors, en estimant que cette dernière aurait " laiss[é] un enfant recevoir une chaise haute sur la tête ", le maire de B...-Au s'est fondé sur un fait inexact. Enfin, Mme A... et Mme D..., la directrice de la crèche, ont attesté de ce que, le 29 novembre 2019, Mme E... aurait servi à un enfant une purée à la température de 75,4 degrés Celsius. La commune produit, en outre, la matrice d'enregistrement faisant état de ce niveau de température " au moment du service ". Toutefois, la requérante explique, sans être contredite, que l'organisation des repas implique l'intervention de deux personnes, la première étant chargée de réceptionner les plats, vérifier leur température et préparer les assiettes qu'elle remet à la seconde chargée de faire manger les enfants. Elle ajoute qu'elle a posé l'assiette de purée à l'attention de sa collègue en la prévenant de la température encore élevée. Si les deux témoignages produits pas la commune indiquent, au contraire, que l'assiette a été servie à l'enfant, les faits qu'ils énoncent sont confus quant à l'organisation du temps du repas et à l'autonomie de l'enfant considérée (" ne mangeant pas seule mais avec aide "). Il n'est, au demeurant, pas soutenu en défense que le protocole décrit par l'appelante ne serait pas applicable aux plus grands. Dans ces conditions, seuls certains éléments matériels fondant le grief de mise en danger des enfants peuvent être regardés comme matériellement établis.
6. La commune de B...-Au ne conteste pas les affirmations de l'appelante selon lesquelles, d'une part, l'enfant était en âge de recevoir une demi-tranche de jambon servie en rouleau à croquer et, d'autre part, que les locaux étaient configurés de manière à permettre une interconnexion entre l'espace " bébé " et l'espace " grand ". En outre, en admettant, d'une part, que la chaise haute ne puisse être dépliée d'une seule main de sorte que Mme E... a pris un risque inutile en y procédant tout en ayant un enfant dans les bras et, d'autre part, que les espaces " bébé " et " grand " doivent impérativement être cloisonnés pour des considérations de sécurité si bien que la requérante n'aurait pas dû laisser un bébé évoluer dans un espace inadapté, les faits en cause s'analysent comme des carences isolées sans caractériser une incapacité de l'intéressée à identifier les risques pour les enfants ou à assurer la sécurité de ces derniers. De même, si, en ne se conformant pas à l'instruction qui lui était donnée d'entourer le lit bas de tours, Mme E... a commis un manquement professionnel, celui-ci ne suffit pas à établir une inaptitude à un exercice normal de ses fonctions, seul de nature à justifier légalement son licenciement pour insuffisance professionnelle.
En ce qui concerne les qualités relationnelles de Mme E... :
7. L'arrêté contesté est également fondé sur le comportement de Mme E... qui serait à l'origine des relations de travail tendues au sein de l'équipe et du mal-être de ses collègues ainsi que d'une détérioration de l'image du service auprès des parents.
8. Par un courrier du 3 septembre 2019, la directrice de la crèche a alerté le maire de la commune de l'état de souffrance constaté au sein de son équipe à compter de la fin du mois de mai 2019 et qu'elle impute au comportement de Mme E... qui se serait dégradé " depuis le mois de mai 2019 et encore plus depuis qu'[elle] l'a reçu[e] le 22 juillet. ", se manifestant par une attitude de fermeture. Elle a également indiqué que ni le temps d'échange organisé autour du thème du travail en équipe ni l'entretien qu'elle a eu avec Mme E... le 22 juillet 2019 n'avaient permis de rétablir la communication. La psychologue qui intervient habituellement auprès de l'équipe ainsi que le médecin du travail ont été saisis de la difficulté. La première a reçu l'équipe le 9 septembre 2019 mais refusé, ainsi que cela ressort du rapport de la directrice du 10 octobre 2019, d'établir un " écrit pour indiquer que l'équipe est en difficulté. Pour elle, il faudrait que l'équipe et/ou les enfants soient en danger ". Le second fait état, dans sa synthèse du 17 octobre 2019, d'un " mal-être de tous les membres de l'équipe de la micro crèche et ce à tous les niveaux " et d'une nette dégradation de la communication entre les membres de l'équipe et en particulier avec Mme E... " pour une raison qui n'est pas clairement identifiée ". La commune de B...-Au se prévaut des témoignages de la directrice et des trois autres membres de l'équipe reprochant à Mme E... de ne pas leur adresser la parole, ni même de les saluer, de les dénigrer, de ne pas s'inscrire dans un travail collectif, de s'accaparer l'attention des enfants et celle des parents, de délaisser certaines tâches ménagères. Elle verse également aux débats les attestations de deux stagiaires ayant rencontré des difficultés relationnelles avec Mme E.... Si la requérante, qui fait part devant le médecin du travail d' une position de " repli ", a indiqué devant le conseil de discipline que son comportement avait pu légitimement être perçu comme directif ou déplacé et qu'elle avait rencontré des difficultés avec une stagiaire, le médecin du travail a relevé, dans sa synthèse évoquée ci-dessus, qu'il ne lui avait " pas été possible de préciser des faits concrets reprochés à Mme E... : Des problèmes généraux d'organisation, de communication sont évoqués par toute l'équipe, mais par exemple : un même événement est relaté différemment par chaque personne ". Il a également souligné la nécessité de " repréciser les fiches de poste de chacun, de reformuler les bases organisationnelles de la micro crèche et peut être les cadrer davantage (qui fait quoi, quand, comment ') ". En outre, ainsi que le fait valoir la requérante, celle-ci s'est vu confier, entre 2015 et 2017, jusqu'au recrutement de la directrice de la crèche, les fonctions de " référente technique ", ce qui a généré des difficultés de positionnement par rapport à ses collègues durant l'exercice de ses fonctions. Si la commune soutient qu'il ne s'agissait pas de fonctions d'encadrement, l'appelante indique, sans être démentie, qu'elles impliquaient la gestion des plannings d'équipe, la contribution au " rapport annuel à la CAF " et au rapport d'activité, la communication auprès des parents et la gestion des inscriptions ainsi que le montage de projets. La nature des responsabilités ainsi exercées puis retirées à la demande de l'intéressée est susceptible d'expliquer les difficultés de positionnement décrites et ses répercussions négatives sur le travail collaboratif. Enfin, il ressort des comptes-rendus d'entretien professionnel versés aux débats que Mme E... a été capable en 2017 de surmonter les difficultés relationnelles passées et de travailler en équipe. Au regard de l'ensemble de ces circonstances, il n'est pas établi que Mme E... serait incapable de travailler en équipe ou de faire évoluer sa pratique. Il est vrai, ainsi que le fait valoir la commune de B...-Au, que l'état dégradé des relations au sein de l'équipe était de nature à compromettre le fonctionnement et l'image du service. Toutefois, et alors, au demeurant, que la commune n'établit ni même n'allègue avoir poursuivi, comme le lui proposait le médecin du travail, un travail d'accompagnement de l'équipe en vue du rétablissement d'un climat serein et propice au travail collectif, seule l'inaptitude de Mme E... à exercer normalement ses fonctions d'auxiliaire puéricultrice pouvait légalement fonder la décision en litige.
9. Il résulte de ce qui a été dit aux points 4 à 8 qu'en estimant que la manière de servir révélait son inaptitude à un exercice normal de ses fonctions et justifiait, par suite, son licenciement pour insuffisance professionnelle, le maire de B...-Au a commis une erreur d'appréciation.
10. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner le moyen de régularité soulevé par Mme E..., que celle-ci est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge de Mme E..., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement à la commune de B...-Au d'une somme au titre des frais qu'elle a exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de l'intimée le versement à Mme E... de la somme de 1 500 euros au titre des frais de même nature qu'elle a supportés.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2008819 du tribunal administratif de Nantes du 4 avril 2024 et l'arrêté du maire de B...-Au du 7 juillet 2020 sont annulés.
Article 2 : La commune de B...-Au versera à Mme E... la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Les conclusions présentées par la commune de B...-Au sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... E... et à la commune de B...-Au.
Délibéré après l'audience du 24 janvier 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Gaspon, président de chambre,
- M. Coiffet, président-assesseur,
- Mme Bougrine, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 février 2025.
La rapporteure,
K. BOUGRINELe président,
O. GASPON
La greffière,
I. PETTON
La République mande et ordonne au préfet de la Sarthe en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 24NT01653