Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société JJLF Limited a demandé au tribunal administratif de Rennes de prononcer la décharge, en droits été pénalités, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 22 août 2011 au 31 décembre 2016.
Par un jugement n° 2104359 du 18 octobre 2023, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistré le 15 décembre 2023, la société JJLF Limited, représentée par Me Derres, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de prononcer la décharge sollicitée ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les rappels de taxe sur la valeur ajoutée sont dépourvus de fondement légal, dans la mesure où le transfert de propriété des biens s'est opéré au Royaume-Uni et où les marchandises ont été livrées directement depuis cet État alors membre de l'Union européenne vers les clients français, seuls redevables de la taxe sur la valeur ajoutée au titre de leurs acquisitions intracommunautaires ainsi constituées ; elle a pris possession des produits de la mer au Royaume-Uni et a pu alors bénéficier d'un transfert de propriété ; c'est donc à tort que l'administration l'a assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée applicable en France ;
- la majoration pour activité occulte n'est pas justifiée.
Par un mémoire en défense, enregistré le 6 juin 2024, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la société JJLF Limited ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Geffray,
- les conclusions de M. Brasnu, rapporteur public,
- et les observations de Me Derres, représentant la société JJLF Limited.
Considérant ce qui suit :
1. La société JJLF Limited, de droit britannique qui a pour activité le commerce de produits de la mer, a fait l'objet le 15 février 2017 d'une procédure de droit de visite et de saisie en application de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales dans les locaux situés au 28, Le Clos Saint James à Nivillac (Morbihan) constituant le domicile de son gérant et associé unique, M. B... A.... L'administration, au cours d'une vérification de comptabilité portant sur la période allant du 22 août 2011 au 31 décembre 2015, étendue au 31 décembre 2016 s'agissant de la taxe sur la valeur ajoutée, a constaté l'existence d'une activité occulte par l'intermédiaire de son établissement stable en France, implanté dans les locaux visités. Par une proposition de rectification du 16 octobre 2017, l'administration, en l'absence de présentation d'une comptabilité complète, a déterminé les produits imposables à la taxe sur la valeur ajoutée au titre de l'activité déployée par la société en France sur la base des ventes en France réalisées par elle, et a procédé à des rappels de cette taxe au titre de la période du 22 août 2011 au 31 décembre 2016 en appliquant la procédure de la taxation d'office et le délai de reprise prorogé conformément aux dispositions des articles L. 169 et L. 176 du même livre. Par un jugement du 18 octobre 2023, le tribunal administratif de Rennes a rejeté la demande de la société tendant à la décharge, en droits et pénalités, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée. La société JJLF Limited relève appel de ce jugement.
Sur la territorialité de la taxe sur la valeur ajoutée :
2. La société requérante, qui achète des produits de la mer au Royaume-Uni, puis les vend à des clients français en France, soutient que ses ventes ne sont pas soumises à la taxe sur la valeur ajoutée en France en invoquant les règles de territorialité de la taxe sur la valeur ajoutée, qui faisaient obstacle à la taxation de ses ventes.
3. Le 3° du I de l'article 256 bis du code général des impôts dispose que : " Est considérée comme acquisition intracommunautaire l'obtention du pouvoir de disposer comme un propriétaire d'un bien meuble corporel expédié ou transporté en France par le vendeur, par l'acquéreur ou pour leur compte, à destination de l'acquéreur à partir d'un autre Etat membre de l'Union européenne. / Est également considérée comme acquisition intracommunautaire l'obtention, par l'assujetti destinataire de la livraison, du pouvoir de disposer comme un propriétaire des biens expédiés ou transportés dans les conditions prévues au 2 de l'article 17 bis de la directive 2006/112/ CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée dans les douze mois suivant l'arrivée des biens en France. ". Aux termes de l'article 258 du même code : " I. - Le lieu de livraison de biens meubles corporels est réputé se situer en France lorsque le bien se trouve en France : / a) Au moment de l'expédition ou du transport par le vendeur, par l'acquéreur, ou pour leur compte, à destination de l'acquéreur ; (...) ".
4. Il résulte de ces dispositions qu'une acquisition intracommunautaire se définit comme l'obtention du pouvoir de disposer comme un propriétaire d'un bien meuble corporel expédié ou transporté en France par le vendeur ou l'acquéreur à partir d'un autre Etat membre de l'Union européenne. Dès lors, l'acquisition intracommunautaire de biens par une société soumise au droit d'un autre Etat membre de l'Union européenne, qui dispose d'un établissement stable en France, est réalisée lors de l'achat de ces biens.
5. Il résulte de l'instruction que les produits de la mer ont été acquis au Royaume-Uni par la société JJLF Limited qui les a transportés en France pour son propre compte. Ensuite, les produits, sitôt arrivés dans les ports français, étaient vendus par la société JJLF Limited à ses clients avec une livraison immédiate depuis la France sans être entreposés dans son établissement stable en France. Dans ces conditions, la société a procédé par le biais de son établissement stable à une acquisition intracommunautaire au sens du 3° du I de l'article 256 bis du code général des impôts rappelé ci-dessus du fait du changement de propriétaire des produits et de leur transport du Royaume-Uni vers la France. En outre, dès lors que les vendeurs britanniques ne disposaient pas des denrées en cause dans leurs propres locaux avant la livraison à la société requérante ou sur les ports français, les produits se trouvaient en France au moment de leur livraison par la société aux acquéreurs français au sens des dispositions précitées de l'article 258 du code général des impôts. Ainsi, le circuit commercial était caractérisé de manière distincte par une acquisition intracommunautaire par la société JJLF Limited, suivie d'une vente par elle sur le territoire français. Par suite, la vente des produits de la mer par la société JJLF Limited à d'autres entreprises françaises qui ne constituait pas une livraison intracommunautaire était soumise à la taxe sur la valeur ajoutée en France. Ainsi, c'est à bon droit que l'administration a procédé aux rappels de taxe sur la valeur ajoutée sur les ventes des produits de la mer.
Sur le délai spécial de reprise de la taxe sur la valeur ajoutée :
6. En vertu du deuxième alinéa respectifs de l'article L. 176 du livre des procédures fiscales, dans sa version applicable à la période litigieuse, le droit de reprise de l'administration des impôts s'exerce, par exception à la règle de droit commun, jusqu'à la fin de la dixième année qui suit celle au titre de laquelle la taxe sur la valeur ajoutée est due lorsque le contribuable exerce une activité occulte. Cet article précise que l'activité occulte est réputée exercée lorsque le contribuable n'a pas déposé dans le délai légal les déclarations qu'il était tenu de souscrire et soit n'a pas fait connaître son activité à un centre de formalités des entreprises ou au greffe du tribunal de commerce, soit s'est livré à une activité illicite. Il en résulte que, dans le cas où un contribuable n'a ni déposé dans le délai légal les déclarations qu'il était tenu de souscrire ni fait connaître son activité à un centre de formalités des entreprises ou au greffe du tribunal de commerce, l'administration doit être réputée apporter la preuve, qui lui incombe, de l'exercice occulte de l'activité professionnelle. Toutefois le contribuable peut renverser cette présomption s'il est en mesure d'établir qu'il a commis une erreur justifiant qu'il ne s'est acquitté d'aucune de ses obligations déclaratives.
7. Il est constant que la société JJLF Limited, qui a reconnu l'existence d'un établissement stable en France, à Nivillac, n'a pas déposé dans le délai légal les déclarations qu'elle était tenue de souscrire et n'a pas fait connaître son activité à un centre de formalités des entreprises ou au greffe du tribunal de commerce. La société n'établit pas qu'elle a commis une erreur justifiant qu'elle ne s'est acquittée d'aucune de ses obligations déclaratives. Le droit de reprise de l'administration s'exerçait, en raison du caractère occulte de l'activité exercée, jusqu'à la fin de la dixième année qui suit celle au titre de laquelle l'imposition était due. Dès lors, le délai spécial de reprise prévu par ces dispositions trouvait, en l'espèce, à s'appliquer et les rappels de taxe sur la valeur ajoutée dus au titre des périodes antérieures au 1er janvier 2014 n'étaient pas prescrits.
Sur la majoration pour activité occulte :
8. En vertu du c du 1 de l'article 1728 du code général des impôts, le défaut de production dans les délais prescrits d'une déclaration ou d'un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt entraîne l'application, sur le montant des droits mis à la charge du contribuable d'une majoration de 80 % en cas de découverte d'une activité occulte. Dans le cas où un contribuable n'a ni déposé dans le délai légal les déclarations qu'il était tenu de souscrire, ni fait connaître son activité à un centre de formalités des entreprises ou au greffe du tribunal de commerce, l'administration doit être réputée apporter la preuve, qui lui incombe, de l'exercice occulte de l'activité professionnelle si le contribuable n'est pas lui-même en mesure d'établir qu'il a commis une erreur justifiant qu'il ne se soit acquitté d'aucune de ces obligations déclaratives.
9. La société JJLF Limited, qui ne conteste pas en appel l'existence de son établissement stable en France, comme il a été dit au point 7, ne renverse pas la présomption d'activité occulte du fait de son défaut d'inscription à un centre de formalités des entreprises ou au greffe du tribunal de commerce et en l'absence de dépôt dans le délai légal des déclarations qu'elle était tenue de souscrire.
10. Il résulte de tout ce qui précède que la société JJLF Limited n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions relatives aux frais liés au litige doivent être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la société JJLF Limited est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société JJLF Limited et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré après l'audience du 17 janvier 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Quillévéré, président de chambre,
- M. Geffray, président-assesseur,
- M. Vieville, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 février 2025.
Le rapporteur
J.E. GEFFRAYLe président
G. QUILLÉVÉRÉLa greffière
H. DAOUD
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23NT03718