Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... C... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 20 juin 2022 de l'autorité consulaire française à Pondichéry (Inde) refusant de délivrer à M. A... un visa d'entrée et de long séjour au titre de la réunification familiale.
Par un jugement n° 2215054 du 9 octobre 2023, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 8 décembre 2023, Mme B... C..., représentée par Me Bessaa, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 9 octobre 2023 ;
2°) d'annuler la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer le visa sollicité dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 200 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'État le versement à son conseil de la somme de 3 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Mme C... soutient que :
- les actes d'état civil produits établissent le lien conjugal avec M. A... ;
- le motif tiré de ce que M. A... est susceptible de troubler l'ordre public français n'est pas de nature à fonder légalement la décision contestée ;
- la décision contestée méconnait l'intérêt supérieur de son fils tel que garanti par la convention internationale des droits de l'enfant et le respect de leur vie privée et familiale.
Par un mémoire en défense, enregistré le 26 mars 2024, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- les moyens soulevés par Mme C... ne sont pas fondés et se réfère à son mémoire de première instance dont il produit une copie ;
- le motif tiré de ce que M. A... est susceptible de troubler l'ordre public français est de nature à fonder légalement la décision contestée.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Dubost a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme C..., ressortissante srilankaise née le 31 décembre 1971, s'est vue reconnaître le statut de réfugiée par une décision du 21 septembre 2020 de la Cour nationale du droit d'asile. M. A..., qu'elle présente comme son époux, a déposé une demande de visa de long séjour au titre de la réunification familiale auprès de l'autorité consulaire française à Pondichéry (Inde), laquelle a rejeté cette demande par une décision du 20 juin 2022. Le recours formé contre ce refus consulaire devant la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a été rejeté par une décision implicite née du silence gardé par ladite commission pendant plus deux mois. Mme C... a alors demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler cette décision. Elle relève appel du jugement du 9 octobre 2023 de ce tribunal rejetant sa demande.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Il ressort des pièces du dossier que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée, pour rejeter le recours formé à l'encontre de la décision de l'autorité consulaire française à Pondichéry, sur la circonstance que le lien marital entre M. A... et Mme C... n'est pas établi.
3. En premier lieu, le tribunal administratif de Nantes a censuré le motif de la décision contestée énoncé au point précédent. Toutefois, pour établir que la décision contestée était légale, le ministre a fait valoir, en première instance, un nouveau motif fondé sur la circonstance que le demandeur présente une menace à l'ordre public qui est de nature à légalement fonder la décision contestée.
4. L'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.
5. Aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / 1° Par son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage ou l'union civile est antérieur à la date d'introduction de sa demande d'asile (...). " Aux termes de l'article L. 561-3 du même code : " La réunification familiale est refusée : 1° Au membre de la famille dont la présence en France constituerait une menace pour l'ordre public (...). ".
6. Il ressort de la décision du 21 septembre 2020 de la Cour nationale du droit d'asile, qui est revêtue de l'autorité absolue de la chose jugée, que M. A... est un " ancien combattant de la brigade Batticaloa-Ampara blessé lors de l'offensive de Jesikuru ". A la suite de cette blessure, l'intéressé " a été en charge du cryptage et de la télétransmission des échanges entre le responsable de la zone Batticaloa-Ampara, Ramesh, et le dirigeant du mouvement LTTE [Tigres de libération de l'Eelam tamoul], Vellupillai Prabakharan ", faisant ainsi de lui le " responsable de la communication interne des LTTE ". Il ressort ainsi des pièces du dossier que M. A... a occupé des fonctions de responsabilité au sein d'une organisation classée comme terroriste par la décision (PESC) 2020/1132 du Conseil de l'Union européenne du 30 juillet 2020. Si Mme C... fait valoir le handicap et l'état de santé défaillant de M. A... ainsi que le fait qu'il n'est pas défavorablement connu des services de police en Inde où il réside, ces circonstances ne sont pas par elles-mêmes de nature à établir qu'il ne présenterait pas une menace à l'ordre public. Ainsi, le motif tiré de cette menace est de nature à fonder légalement la décision contestée et l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée sur ce seul motif. Dans ces conditions, il y a lieu de procéder à la substitution de motif demandée par le ministre de l'intérieur, qui ne prive Mme C... d'aucune garantie.
7. En second lieu, aux termes de l'article 3, paragraphe 1, de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Aux termes des stipulations de l'article 10 de cette même convention : " Conformément à l'obligation incombant aux Etats parties en vertu du paragraphe 1 de l'article 9, toute demande faite par un enfant ou ses parents en vue d'entrer dans un Etat partie ou de le quitter aux fins de réunification familiale est considérée par les Etats parties dans un esprit positif, avec humanité et diligence. (...) ".
8. La requérante soutient que la décision contestée a pour effet d'empêcher son fils, né en 2007 de son union avec M. A..., de grandir aux côtés de son père. Toutefois, comme il a été dit au point 6, eu égard à la menace à l'ordre public que présente M. A... du fait de son activisme passé au sein de l'organisation des tigres tamouls, cette décision n'a pas méconnu l'intérêt supérieur de l'enfant. Par ailleurs, il ne ressort pas des pièces du dossier que Mme C... et son fils ne pourraient se rendre en Inde, pays tiers, ou dans un pays voisin afin d'y rencontrer M. A.... Par suite, la décision contestée n'a pas méconnu les stipulations citées au point 7.
9. Il résulte de tout ce qui précède que Mme C... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction sous astreinte :
10. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions à fin d'annulation présentées par Mme C..., n'appelle aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions à fin d'injonction sous astreinte présentées par la requérante doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
11. En tout état de cause, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'État, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme demandée par le conseil de Mme C... en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme C... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... C... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 9 janvier 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Rivas, président de la formation de jugement,
- Mme Ody, première conseillère,
- Mme Dubost, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 janvier 2025.
La rapporteure,
A.-M. DUBOST
Le président de
la formation de jugement,
C. RIVASLa présidente,
C. BUFFET
Le greffier,
C. GOY
La greffière,
K. BOURON
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23NT03657