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28/01/2025 | FRANCE | N°23NT03041

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 6ème chambre, 28 janvier 2025, 23NT03041


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



L'Union Fédérale des Syndicats de l'État-CGT (UFSE-CGT) a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler la décision du 7 février 2023 du directeur départemental de la protection des populations d'Ille-et-Vilaine ayant rejeté son recours gracieux dirigé contre les opérations électorales qui ont eu lieu le 8 décembre 2022 en vue de la désignation des représentants du personnel au comité social d'administration (CSA) de la direction départementale de la protection

des populations d'Ille-et-Vilaine (DDPP 35).



Par un jugement n°2300867 du 22 se...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'Union Fédérale des Syndicats de l'État-CGT (UFSE-CGT) a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler la décision du 7 février 2023 du directeur départemental de la protection des populations d'Ille-et-Vilaine ayant rejeté son recours gracieux dirigé contre les opérations électorales qui ont eu lieu le 8 décembre 2022 en vue de la désignation des représentants du personnel au comité social d'administration (CSA) de la direction départementale de la protection des populations d'Ille-et-Vilaine (DDPP 35).

Par un jugement n°2300867 du 22 septembre 2023, le tribunal administratif de Rennes a annulé les élections professionnelles pour la désignation des représentants du personnel au CSA de la DDPP 35 ainsi que la décision du 7 février 2023 du directeur départemental de la protection des populations d'Ille-et-Vilaine et rejeté le surplus des conclusions de la protestation de l'UFSE-CGT.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 13 octobre 2023 et le 27 décembre 2023, le ministre de l'intérieur et des outre-mer demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 22 septembre 2023 du tribunal administratif de Rennes ;

2°) de rejeter les conclusions présentées le syndicat UFSE-CGT devant du tribunal administratif de Rennes ;

3°) à titre subsidiaire, compte tenu des conséquences de l'annulation prononcée en première instance sur le fonctionnement normal des instances de dialogue social appelées à se réunir régulièrement, de différer dans le temps les effets de l'annulation de l'élection contestée, en jugeant que cette annulation ne prendra effet que 6 mois après la notification de l'arrêt à intervenir.

Il soutient que :

- c'est à tort que le tribunal a annulé les élections professionnelles pour la désignation des représentants du personnel au CSA de la DDPP 35 ainsi que la décision du 7 février 2023 du directeur départemental de la protection des populations d'Ille-et-Vilaine :

* aucune irrégularité ni aucune manœuvre ne peut être identifiée en l'espèce susceptible d'avoir altéré la sincérité du scrutin ;

* l'administration a été contrainte de substituer au vote électronique initialement prévu un vote à l'urne exclusif le 8 décembre 2022 ;

* les circonstances retenues par le tribunal et celles invoquées par le syndicat requérant pour annuler les élections ne sont pas susceptibles d'avoir altéré la sincérité du scrutin ;

* le taux de participation observé en baisse au regard du précédent scrutin de 2021, ne permet pas présumer d'une atteinte à la sincérité du scrutin.

* l'UFSE-CGT ne fait valoir aucune circonstance particulière locale susceptible de révéler une atteinte à l'égalité entre les candidats ou au libre exercice du droit de vote.

- l'annulation rétroactive des élections professionnelles a pour effet de priver durablement l'intégralité des agents de la DDPP 35 de représentation au CSA local, compte tenu des délais incompressibles nécessaires à l'organisation d'un nouveau scrutin.

Par un mémoire en défense, enregistré le 22 décembre 2023, l'UFSE-CGT conclut :

1°) au rejet de la requête ;

2°) à ce qu'il soit enjoint au premier ministre, au ministre de la fonction publique, de la simplification et de la transformation de l'action publique ainsi qu'au ministre de l'intérieur d'organiser, sous astreinte, dans un délai fixé par la cour, de nouvelles élections dans des conditions susceptibles de permettre la garantie de la sincérité des opérations électorales, soit par vote électronique durant une semaine entière, soit par vote à l'urne et vote par correspondance durant une semaine entière ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens soulevés par le ministre ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Par un arrêt du 30 novembre 2023, la cour administrative de Nantes a sursis à l'exécution du jugement n° 2300867 du 22 septembre 2023 du tribunal administratif de Rennes.

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule ;

- le code général de la fonction publique ;

- le décret n° 2020-1427 du 20 novembre 2020 ;

- l'arrêté du 9 mars 2022 fixant la date des prochaines élections professionnelles dans la fonction publique ;

- l'arrêté du 9 mars 2022 portant dérogation à l'utilisation du vote électronique en vue du prochain renouvellement général des instances de dialogue social dans la fonction publique de l'État ;

- l'arrêté du 30 novembre 2022 modifiant l'arrêté du 9 mars 2022 portant dérogation à l'utilisation du vote électronique en vue du prochain renouvellement général des instances de dialogue social dans la fonction publique de l'État ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Pons,

- et les conclusions de Mme Bailleul, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté interministériel du 9 mars 2022, la date des élections pour le renouvellement général des organismes consultatifs au sein desquels s'exerce la participation des fonctionnaires et agents de la fonction publique de l'Etat, de la fonction publique territoriale et de la fonction publique hospitalière a été fixée au 8 décembre 2022. Le même arrêté précisait que les opérations de vote électronique par internet dans la fonction publique de l'Etat se dérouleraient du 1er décembre au 8 décembre 2022. Toutefois, un arrêté du 30 novembre 2022 a prévu que les opérations de vote relatives aux comités sociaux d'administration des directions départementales interministérielles se dérouleraient finalement au moyen du vote à l'urne à titre exclusif, au cours de la journée du 8 décembre. Par un courrier du 13 décembre 2022, l'UFSE-CGT a saisi le directeur départemental de la protection des populations d'Ille-et-Vilaine (DDPP 35) d'un recours administratif préalable obligatoire tendant à solliciter l'annulation des opérations électorales afférentes au scrutin du 8 décembre 2022 portant élection du comité social d'administration (CSA) de la DDPP 35. Par une décision du 7 février 2023, le directeur départemental a refusé de faire droit à la demande du syndicat. L'UFSE-CGT a alors demandé au tribunal administratif de Rennes l'annulation de cette décision et des résultats des opérations électorales. Par sa requête, le ministre de l'intérieur demande à la cour l'annulation du jugement du tribunal administratif de Rennes ayant annulé les élections professionnelles pour la désignation des représentants du personnel au CSA de la DDPP 35.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article 19 du décret du 20 novembre 2020 relatif aux CSA dans les administrations et les établissements publics de l'Etat : " La date des élections pour le renouvellement général des comités sociaux d'administration [de direction départementale interministérielle] est fixée par arrêté conjoint du Premier ministre et du ministre chargé de la fonction publique (...) ". Aux termes de l'article 36 de ce même décret : " I. - Le vote a lieu par voie électronique selon les modalités prévues par le décret du 26 mai 2011 susvisé. Il est fait mention, dans les informations dont dispose l'électeur au moment d'exprimer son vote, de l'appartenance éventuelle des organisations syndicales candidates, à la date du dépôt des listes, à une union de syndicats à caractère national. II. - Toutefois, un arrêté des ministres intéressés et du ministre chargé de la fonction publique peut prévoir, par dérogation au I, que les opérations de vote se déroulent au moyen du vote à l'urne, à titre exclusif ou complémentaire, dans certaines administrations, établissements ou autorités dont ils établissent la liste. III. - Dans tous les cas, le vote peut avoir lieu par correspondance, dans les conditions fixées par les mêmes arrêtés. Dans ce cas, les enveloppes expédiées, aux frais de l'administration, par les électeurs doivent parvenir au bureau de vote avant l'heure de la clôture du scrutin ".

3 Si, au sein de la fonction publique de l'État, les opérations de vote se tiennent normalement par voie électronique, un arrêté du 9 mars 2022, pris en application des dispositions de l'article 36 du décret du 20 novembre 2022 citées au point précédent, permet, dans certains cas, d'y déroger. Il comporte à cet effet des annexes fixant la liste des scrutins des administrations, établissements ou services faisant usage de cette dérogation et définissant les modalités de celle-ci pour chaque scrutin, que ce soit au moyen du vote à l'urne, à titre exclusif ou complémentaire du vote électronique, ou au moyen du vote par correspondance. Il résulte de l'instruction que, alors que les scrutins relevant du ministère de l'intérieur et des outre-mer devaient tous se dérouler par voie électronique du 1er décembre au 8 décembre 2022, un arrêté du 30 novembre 2022 a ajouté une annexe 6 à l'arrêté dérogatoire du 9 mars 2022 pour prévoir que les opérations de vote relatives aux comités sociaux d'administration des directions départementales interministérielles se dérouleraient finalement au moyen du vote à l'urne à titre exclusif, au cours de la journée du 8 décembre.

4. Pour annuler les élections professionnelles pour la désignation des représentants du personnel au CSA de la DDPP 35 ainsi que la décision du 7 février 2023 du directeur départemental de la protection des populations d'Ille-et-Vilaine, le tribunal a relevé que pour les élections professionnelles intermédiaires organisées en 2021 à la DDPP 35, le taux de participation s'est élevé à 62,81 % et que, pour les élections contestées, ce taux était de 53,72%, soit une baisse de 9,09 points par rapport aux élections de 2021. Il a également relevé que ce taux de 53,72% était également sensiblement inférieur au taux moyen de 61,23 % constaté pour les élections de CSA des directions départementales. Il a tiré de ces constatations que compte tenu, d'une part, des circonstances relatives au déroulement du scrutin et, d'autre part, du faible écart de voix obtenues par les différentes organisations syndicales, en particulier entre le l'UFSE-CGT (36 voix) et le syndicat Force Ouvrière (40 voix), ce niveau d'abstention, sans commune mesure avec les élections précédentes organisées quelques mois auparavant et portant sur le même corps électoral, devait être mis en lien avec le changement des modalités du scrutin, lequel, par conséquent, devait être regardé, dans les circonstances propres à l'espèce, comme ayant altéré la sincérité des résultats.

5. Toutefois, le niveau de l'abstention n'est, par lui-même, pas de nature à remettre en cause les résultats d'un scrutin professionnel, s'il n'a pas altéré, dans les circonstances de l'espèce, sa sincérité. Le ministre de l'intérieur est donc fondé à soutenir à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Rennes a retenu ce moyen pour annuler les élections contestées.

6. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par le syndicat.

7. Aux termes du huitième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 : " Tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises ". Selon l'article L. 112-1 du code général de la fonction publique : " Dans les conditions prévues au livre II, les agents publics participent, par l'intermédiaire de leurs délégués siégeant dans des organismes consultatifs, à l'organisation et au fonctionnement des services publics, à l'élaboration des règles statutaires régissant les fonctionnaires et des règles relatives aux conditions d'emploi des agents contractuels, à la définition des orientations en matière de politique de ressources humaines et à l'examen de certaines décisions individuelles. "

8. Le syndicat soutient que les nouvelles modalités d'organisation du scrutin, en ce qu'elles ont prévu de manière particulièrement tardive un vote en présentiel à l'urne sans solution de substitution, ont porté atteinte au principe de participation consacré par le huitième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et repris par l'article L. 112-1 du code général de la fonction publique, et à son effectivité.

9. Au cas particulier, il résulte de l'instruction que, pour accompagner la mise en œuvre du nouveau dispositif et faciliter le déroulement du scrutin, une communication active a été effectuée par l'administration vers les chefs de service, les agents et organisations syndicales concernés pour préciser les conditions de mise en œuvre de ce changement des modalités de vote. Ainsi, la directrice des ressources humaines du ministère de l'intérieur et des outre-mer a diffusé un message directement visible dans l'application informatique de vote pour informer l'ensemble des agents des directions départementales interministérielles que, pour les scrutins des comités sociaux, le vote se ferait à l'urne le 8 décembre 2022. En outre, le vendredi 2 décembre, les listes de diffusion nationales " tous agents " ont été réactivées pour permettre aux organisations candidates d'envoyer un message d'information sur le scrutin à l'ensemble des agents concernés. L'instruction, diffusée le 2 décembre 2022, a prévu des aménagements pour permettre aux agents de se rendre dans leurs bureaux de vote, notamment en termes d'horaires, d'autorisations spéciales d'absence et de report de jours de télétravail, ainsi que pour adapter localement l'organisation du vote, le cas échéant par la constitution de bureaux de vote spéciaux ou de sections de vote. Le faible délai entre la modification du mode de scrutin, la communication faite aux agents et la date du vote ne saurait, compte tenu des actions précitées mises en œuvre par l'administration, caractériser l'existence de dysfonctionnements graves ayant pu affecter la sincérité du scrutin. Si l'UFSE-CGT soutient qu'environ 10 % du corps électoral a été empêché de voter, en se basant sur une baisse de la participation de presque 10 points, elle ne fonde cette affirmation sur aucun élément concret. A cet égard, la production d'une attestation d'une candidate sur la liste de l'UFSE-CGT attestant avoir été empêchée de voter en raison du mode de scrutin et mettant en avant les délais de route et sa participation au dépouillement des élections professionnelles au sein du ministère de l'agriculture, n'est pas de nature à établir un empêchement en lien avec le mode de scrutin. Le faible écart entre les voix attribuées à chaque organisation syndicale ne saurait, en lui-même, constituer un élément permettant de démontrer que la sincérité du scrutin aurait été affectée. Pour l'ensemble de ces circonstances, et compte tenu notamment de l'information donnée et des aménagements mis en place pour favoriser des solutions permettant la participation au scrutin, le niveau d'abstention constaté ne saurait, en l'espèce, être regardé comme ayant conduit à altérer la sincérité du scrutin.

10. Dès lors, il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur et des outre-mer est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal a annulé les élections professionnelles pour la désignation des représentants du personnel au CSA de la DDPP 35 ainsi que la décision du 7 février 2023 du directeur départemental de la protection des populations d'Ille-et-Vilaine.

Sur les conclusions à fin de sursis à exécution :

11. Le présent arrêt statuant sur l'appel du ministre de l'intérieur et des outre-mer dirigé contre le jugement du tribunal administratif de Rennes et par un arrêt du 30 novembre 2023, la cour administrative de Nantes ayant sursis à l'exécution du jugement du 22 septembre 2023 du tribunal administratif de Rennes, les conclusions tendant ce qu'il soit sursis à son exécution ont perdu leur objet et il n'y a donc plus lieu d'y statuer.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la somme que l'UFSE-CGT demande au titre des frais qu'elle a exposés soit mise à la charge de l'État, qui n'est pas partie perdante.

DÉCIDE :

Article 1er : L'article 1er du jugement du 22 septembre 2023 du tribunal administratif de Rennes est annulé.

Article 2 : La protestation présentée par l'Union fédérale des syndicats de l'État CGT (UFSE-CGT) devant le tribunal administratif de Rennes est rejetée, ainsi que ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête du ministre de l'intérieur et des outre-mer tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution du jugement du 22 septembre 2023 du tribunal administratif de Rennes.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à l'Union fédérale des syndicats de l'État CGT.

Délibéré après l'audience du 10 janvier 2025, à laquelle siégeaient :

- M. Gaspon, président de chambre,

- M. Pons, premier conseiller,

- Mme Bougrine, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 janvier 2025.

Le rapporteur

F. PONS

Le président

O. GASPON

La greffière

C.VILLEROT

La République mande et ordonne et au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23NT03041


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NT03041
Date de la décision : 28/01/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. GASPON
Rapporteur ?: M. François PONS
Rapporteur public ?: Mme BAILLEUL
Avocat(s) : ATLANTES

Origine de la décision
Date de l'import : 02/02/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-01-28;23nt03041 ?
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