La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

21/01/2025 | FRANCE | N°24NT00553

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 6ème chambre, 21 janvier 2025, 24NT00553


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme C... B... D... A... et M. E... F..., ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 24 novembre 2022 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a confirmé la décision du 7 juin 2022 de l'autorité consulaire française au Soudan refusant un visa d'entrée et de long séjour à Mme B... D... A... au titre de la réunification familiale.



Par un jugement n°2214197 du 31 août 2023,

le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.



Procédure devant la cour :



...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... B... D... A... et M. E... F..., ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 24 novembre 2022 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a confirmé la décision du 7 juin 2022 de l'autorité consulaire française au Soudan refusant un visa d'entrée et de long séjour à Mme B... D... A... au titre de la réunification familiale.

Par un jugement n°2214197 du 31 août 2023, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 22 février 2024, Mme B... D... A... et M. F..., représentés par Me Pronost, demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 31 août 2023 du tribunal administratif de Nantes ;

2°) d'annuler la décision du 24 novembre 2022 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a confirmé la décision du 7 juin 2022 de l'autorité consulaire française au Soudan refusant un visa d'entrée et de long séjour à Mme B... D... A... au titre de la réunification familiale ;

3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer à Mme B... D... A... le visa sollicité ou de réexaminer sa demande, dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 440 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le tribunal a omis de répondre au moyen selon lequel la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France était irrégulièrement composée, en méconnaissance des dispositions de l'article D. 312-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en estimant qu'il n'était pas en mesure d'apprécier " la teneur de ce moyen " ;

- le tribunal ne s'est pas prononcé sur le moyen tiré de ce que les motifs retenus par la commission de recours étaient entachés d'une erreur d'appréciation ;

- la décision de la commission de recours est entachée d'une erreur d'appréciation :

* elle a produit des documents d'état civil et d'identité soudanais et elle a procédé à son inscription au registre civil ;

* les deux passeports correspondent bien à sa personne, c'est afin de rectifier une erreur sur son lieu de naissance qu'un second passeport a été établi ;

* la circonstance qu'elle ait produit un certificat de naissance postérieur à l'obtention du statut de réfugié de son conjoint, ne permet pas de nier à ce document son caractère authentique ;

* elle était mineure au moment de la célébration de son mariage et la mention " majeure " sur la traduction de l'acte de mariage soudanais est due à une erreur de traduction ;

* M. F... a déclaré être marié avec elle au cours de la procédure de demande d'asile et ils ont maintenu des liens ;

* son mariage est un élément qui doit être pris en compte pour examiner la qualité de concubin dont les intéressés se prévalent.

* elle réside au Darfour où la situation est très difficile.

- la décision de la commission de recours méconnait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense, enregistré le 12 avril 2024, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il entend se rapporter à l'ensemble de ses écritures en défense produites en première instance.

Vu les autres pièces du dossier.

M. F... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle (85%) par une décision du 17 janvier 2024.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Pons,

- et les observations de Me Pronost, représentant les requérants.

Considérant ce qui suit :

1. M. F..., ressortissant soudanais, a obtenu le statut de réfugié par décision du directeur de l'office français de protection des réfugiés et apatrides du 18 novembre 2019. Le 17 novembre 2021, une demande de visa de long séjour a été déposée pour Mme B... D... A... en qualité de membre de la famille d'un réfugié statutaire. Après le rejet de cette demande par l'autorité consulaire française au Soudan le 7 juin 2022, Mme B... D... A... a formé un recours devant la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France. Par une décision implicite puis par une décision explicite du 24 novembre 2022, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre cette décision consulaire. Les requérants ont demandé au tribunal administratif de Nantes l'annulation de cette décision du 24 novembre 2022. Par un jugement du 31 août 2023, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande. Mme B... D... A... et M. F... relèvent appel de ce jugement.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Il ressort de la décision du 24 novembre 2022 que la commission de recours s'est fondée sur les motifs tirés, d'une part, de ce que Mme B... D... A... a produit " un certificat de naissance établi postérieurement à l'obtention du statut de réfugié par le réunifiant et deux passeports indiquant des lieux de naissance différents ainsi qu'un acte de mariage qui indique qu'elle était majeure lors de la célébration de l'union différents ", ce qui ôte à ces actes leur caractère authentique et, d'autre part, que la demandeuse de visa ne justifiait pas avoir mené avec le réunifiant une vie commune suffisamment stable et continue avant l'introduction de la demande d'asile.

3. D'une part, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ". Aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en vigueur depuis le 1er mai 2021 : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / 1° Par son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage ou l'union civile est antérieur à la date d'introduction de sa demande d'asile ; / 2° Par son concubin, âgé d'au moins dix-huit ans, avec lequel il avait, avant la date d'introduction de sa demande d'asile, une vie commune suffisamment stable et continue ; (...) ". L'article L. 561-5 du même code dispose : " Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. Ils produisent pour cela les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. / En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 121-9 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux ".

4. D'autre part, l'article L. 811-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit que la vérification des actes d'état civil étrangers doit être effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. Cet article, dans sa rédaction applicable au litige, dispose quant à lui que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. Celle-ci est appréciée au regard de la loi française. ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.

5. En premier lieu, Mme B... D... A... se prévaut de la qualité de concubine de M. F..., en application des dispositions du 2° de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Elle fait valoir, sans être sérieusement contredite, qu'elle est inscrite au registre d'état civil du Soudan et produit une attestation pour corroborer ses affirmations. Elle ajoute qu'elle a sollicité la délivrance d'un second passeport pour faire rectifier une erreur sur son lieu de naissance figurant sur le premier et il ressort de ces deux documents que toutes les autres informations figurant sur ces deux passeports sont identiques, y compris le numéro national de Mme B... D... A.... Dans ces conditions, la circonstance retenue par la commission de recours, selon laquelle deux passeports ont été produits avec des lieux de naissance différents, ne permet pas de considérer que ces documents produits à l'appui de la demande de visa seraient inauthentiques. En outre, le fait que Mme B... D... A... ait produit un certificat de naissance postérieur à l'obtention du statut de réfugié de M. F..., ne permet pas d'ôter à ce document son caractère authentique, alors que le ministre ne précise pas quelle disposition de droit local aurait été méconnue de ce fait. De plus, Mme B... D... A... ajoute, sans être davantage contredite, que la mention du terme " majeure " sur la traduction de l'acte de mariage soudanais est due à une erreur de traduction et se prévaut d'une nouvelle traduction traduisant ce terme par celui " d'apte au mariage ". Enfin, de nombreux autres éléments du dossier viennent corroborer l'identité de la demandeuse de visa.

6. En second lieu, M. F... a déclaré être marié à Mme B... D... A... dès l'introduction de sa demande d'asile, les requérants soutiennent qu'ils ont séjourné ensemble en 2020 et ils produisent de nombreuses photographies attestant de leur vie commune. Ils produisent leur acte de mariage soudanais, échangent régulièrement via les réseaux sociaux et produisent quelques captures d'écran de leurs échanges. Enfin, M. F... justifie faire parvenir de l'argent à son épouse et le couple produit ainsi une attestation de voyage délivrée à Mme B... D... A... en 2020 mentionnant qu'elle est mariée. Dans ces conditions, la demandeuse de visa justifie avoir eu avec le réunifiant une vie commune suffisamment stable et continue avant l'introduction de sa demande d'asile. Par suite, Mme B... D... A... et M. F... sont fondés à soutenir que la décision de la commission de recours méconnait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

7. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête, que Mme B... D... A... et M. F... sont fondés soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande tendant à l'annulation de la décision du 24 novembre 2022 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a confirmé la décision du 7 juin 2022 de l'autorité consulaire française au Soudan refusant un visa d'entrée et de long séjour à Mme B... D... A... au titre de la réunification familiale

Sur les conclusions à fin d'injonction :

8. Le présent arrêt implique qu'il soit enjoint au ministre de l'intérieur de réexaminer la situation de Mme B... D... A... dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction de l'astreinte sollicitée.

Sur les frais liés au litige :

9. Il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, le versement au conseil de Mme B... D... A... et M. F..., d'une somme de 1 200 euros hors taxe dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n°2214197 du 31 août 2023 du tribunal administratif de Nantes est annulé.

Article 2 : La décision du 24 novembre 2022 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a confirmé la décision du 7 juin 2022 de l'autorité consulaire française au Soudan refusant un visa d'entrée et de long séjour à Mme B... D... A... au titre de la réunification familiale est annulée.

Article 3 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de réexaminer la situation de Mme B... D... dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 4 : L'Etat versera au conseil de Mme B... D... A... et M. F... la somme de 1 200 euros hors taxe au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Article 5 : Le surplus des conclusions de Mme B... D... A... et M. F... est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... B... D... A... et M. E... F... et au ministre d'État, ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 13 décembre 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Gaspon, président de chambre,

- M. Pons, premier conseiller,

- Mme Bougrine, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 21 janvier 2025.

Le rapporteur,

F. PONSLe président,

O. GASPON

La greffière,

I. PETTON

La République mande et ordonne au ministre d'État, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N°24NT00553


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 24NT00553
Date de la décision : 21/01/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. GASPON
Rapporteur ?: M. François PONS
Rapporteur public ?: Mme BAILLEUL
Avocat(s) : PRONOST

Origine de la décision
Date de l'import : 23/01/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-01-21;24nt00553 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award