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10/01/2025 | FRANCE | N°23NT00803

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 2ème chambre, 10 janvier 2025, 23NT00803


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme A... D... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite née le 23 novembre 2021 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 10 août 2021 de l'autorité consulaire française à Bamako (Mali) refusant de délivrer à l'enfant F... B... un visa d'entrée et de long séjour au titre de la réunification familiale.



Par un jugemen

t n° 2205051 du 23 décembre 2022, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.



Pro...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... D... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite née le 23 novembre 2021 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 10 août 2021 de l'autorité consulaire française à Bamako (Mali) refusant de délivrer à l'enfant F... B... un visa d'entrée et de long séjour au titre de la réunification familiale.

Par un jugement n° 2205051 du 23 décembre 2022, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 23 mars 2023 et 12 septembre 2023, Mme D..., représentée par Me Arnal, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes ;

2°) d'annuler la décision implicite de la commission de recours née le 23 novembre 2021 ;

3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer le visa sollicité dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard, ou, subsidiairement, de réexaminer la demande de visa dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;

4°) de mettre à la charge de l'État le versement à son conseil de la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- le tribunal administratif a méconnu le caractère contradictoire de la procédure en fondant sa décision sur des éléments que l'administration n'avait pas contestés et qui n'avaient dès lors pas été débattus ;

- l'identité de l'enfant F... B... et son lien de filiation avec elle sont établis par les actes d'état civil produits qui sont authentiques et par la possession d'état ;

- l'identité de M. B... est établie par les actes d'état-civil produits ; un doute sur l'identité de celui-ci demeurerait sans incidence sur le droit de l'enfant F... B... à obtenir un visa au titre de la réunification familiale ;

- le motif tiré de ce que l'intérêt supérieur de l'enfant consisterait à rester dans son pays d'origine est entaché d'erreur de droit au regard des dispositions de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle justifie d'un jugement de délégation de l'autorité parentale sur l'enfant F... B... ;

- la décision contestée méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle méconnaît les stipulations du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

Par un mémoire en défense, enregistré le 4 septembre 2023, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens invoqués ne sont pas fondés.

Mme D... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 9 février 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Mas,

- et les observations de Me Arnal, représentant Mme D....

Considérant ce qui suit :

1. Par un jugement du 23 décembre 2022, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande de Mme D..., ressortissante malienne née le 2 février 1995, tendant à l'annulation de la décision implicite née le 23 novembre 2021 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 10 août 2021 des autorités consulaires françaises à Bamako rejetant la demande de visa de long séjour présentée pour l'enfant F... B..., que Mme D... présente comme sa fille, au titre de la réunification familiale. Mme D... relève appel de ce jugement.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / 1° Par son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage ou l'union civile est antérieur à la date d'introduction de sa demande d'asile ; / 2° Par les enfants non mariés du couple, n'ayant pas dépassé leur dix-neuvième anniversaire, accompagnés le cas échéant par leurs enfants mineurs non mariés dont ils ont la charge effective. (...) ". Aux termes de l'article L. 561-4 du même code : " Les articles L. 434-1, L. 434-3 à L. 434-5 et le premier alinéa de l'article L. 434-9 sont applicables. ". Aux termes de l'article L. 434-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le regroupement familial peut également être demandé pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et pour ceux de son conjoint si, au jour de la demande : / 1° La filiation n'est établie qu'à l'égard du demandeur ou de son conjoint ; / 2° Ou lorsque l'autre parent est décédé ou déchu de ses droits parentaux ". Aux termes de l'article L. 434-4 du même code : " Le regroupement familial peut être demandé pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et ceux de son conjoint, qui sont confiés, selon le cas, à l'un ou l'autre, au titre de l'exercice de l'autorité parentale, en vertu d'une décision d'une juridiction étrangère. Une copie de cette décision devra être produite ainsi que l'autorisation de l'autre parent de laisser le mineur venir en France. ".

3. L'article L. 561-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose : " Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. Ils produisent pour cela les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article

L. 121-9 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. (...) ". Aux termes de l'article L. 811-2 du même code : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies à l'article 47 du code civil. ". Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. Celle-ci est appréciée au regard de la loi française. ".

4. Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.

5. Il n'appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère, hormis le cas où le jugement produit aurait un caractère frauduleux.

6. Il ressort des écritures en défense du ministre de l'intérieur devant le tribunal administratif de Nantes que, pour rejeter la demande de visas de long séjour présentée en faveur de l'enfant F... B..., la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France s'est fondée sur quatre motifs tirés, premièrement, de ce que l'identité de la personne qui a présenté la demande pour cette enfant devant l'autorité consulaire et qui se présente comme son père n'est pas établie, deuxièmement, de ce que l'identité de l'enfant et son lien de filiation avec Mme D... ne sont pas établis, troisièmement, de ce qu'aucun jugement délégant l'autorité parentale sur l'enfant à Mme D... n'a été produit et, quatrièmement, de ce que la demande de réunification familiale n'a été formée par Mme D... que tardivement.

7. En premier lieu, la circonstance que ne serait pas établie l'identité de la personne qui a présenté pour elle une demande de visa devant les autorités consulaires est, par elle-même, sans incidence sur le droit de cette enfant de se voir délivrer un titre de séjour au titre de la réunification familiale.

8. En deuxième lieu, Mme D... produit, pour la première fois en appel, le jugement supplétif d'état-civil du tribunal de grande instance de la commune I du district de Bamako du 24 juin 2019, dont seul un extrait avait été produit devant le tribunal administratif de Nantes. Contrairement à ce que soutient le ministre de l'intérieur, ce jugement indique l'identité de la personne ayant saisi le tribunal ainsi que les dispositions de droit local dont il fait application. Il ressort des mentions de ce jugement que l'enfant F... B... est née le 6 juin 2009 à Bamako de M. C... B... et de Mme A... D.... Ce jugement comporte ainsi les mentions essentielles de l'état-civil de l'intéressée. Le ministre de l'intérieur ne soutient pas que ce jugement présenterait un caractère frauduleux, ce qui ne saurait se déduire du seul caractère succinct de sa motivation. Dans ces conditions, en estimant que l'identité de l'enfant F... B... et son lien de filiation avec Mme D... n'étaient pas établis, la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France a fait une inexacte application des dispositions précitées.

9. En troisième lieu, Mme D... produit un jugement du tribunal de grande instance de la commune I du district de Bamako du 24 avril 2018 portant délégation à son profit de l'autorité parentale sur l'enfant F... B.... Le ministre de l'intérieur, qui ne critique aucunement ce jugement, ne soutient pas qu'il présenterait un caractère frauduleux. Ainsi, Mme D... disposait, à la date de la décision contestée, d'une délégation de l'autorité parentale sur sa fille. Dans ces conditions, en fondant sa décision sur un motif tiré de l'absence d'un tel jugement, la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France a entaché sa décision d'une erreur de fait.

10. En quatrième lieu, le motif tiré de ce qu'une demande de visa présentée au titre de la réunification familiale n'a pas été formée dans un délai raisonnable à compter de la reconnaissance du statut de réfugié du réunifiant n'est pas au nombre de ceux pouvant légalement fonder un rejet de cette demande. Dans ces conditions, ce motif ne saurait légalement fonder la décision implicite contestée de la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France née le 23 novembre 2021.

11. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la régularité du jugement attaqué et les autres moyens de la requête, que Mme D... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

12. L'exécution du présent arrêt implique nécessairement qu'un visa de long séjour soit délivré à l'enfant F... B.... Il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer un tel visa dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

13. Mme D... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Arnal de la somme de 1 200 euros hors taxe, dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du 23 décembre 2022 du tribunal administratif de Nantes est annulé.

Article 2 : La décision implicite de la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France née le 23 novembre 2021 est annulée.

Article 3 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à Mme F... B... un visa d'entrée et de long séjour dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 4 : L'Etat versera à Me Arnal une somme de 1 200 euros hors taxe dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... D... et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 17 décembre 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Buffet, présidente de chambre,

- Mme Montes-Derouet, présidente-assesseure,

- M. Mas, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 janvier 2025.

Le rapporteur,

B. MASLa présidente,

C. BUFFET

La greffière,

M. E...

La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23NT00803


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NT00803
Date de la décision : 10/01/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BUFFET
Rapporteur ?: M. Benoît MAS
Rapporteur public ?: M. LE BRUN
Avocat(s) : ARNAL

Origine de la décision
Date de l'import : 15/01/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-01-10;23nt00803 ?
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