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24/12/2024 | FRANCE | N°23NT03871

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 1ère chambre, 24 décembre 2024, 23NT03871


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Nantes de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux auxquelles il a été assujetti au titre des années 2012 à 2014.



Par un jugement n° 2000628 du 27 octobre 2023, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour :



Par une requête, enregis

trée le 26 décembre 2023, M. B..., représenté par

Me Milochau, demande à la cour :



1°) d'annuler ce jugement ;



...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Nantes de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux auxquelles il a été assujetti au titre des années 2012 à 2014.

Par un jugement n° 2000628 du 27 octobre 2023, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 26 décembre 2023, M. B..., représenté par

Me Milochau, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de prononcer la décharge sollicitée.

Il soutient que :

- c'est à tort que l'administration l'a assujetti à l'impôt sur le revenu dès lors que les véhicules loués n'étaient destinés à aucun usage personnel et les produits illicites ont été saisis et n'ont pas pu être revendus ;

- l'absence de méthode de calcul motivée par le service remet en cause le bien-fondé des rectifications ;

- il a fait l'objet d'une double taxation ;

- les majorations de 40% et de 80% ne sont pas motivées et méconnaissent les stipulations du paragraphe 1 de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense, enregistré le 12 juillet 2024, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par M. B... ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention signée le 10 octobre 1995 entre la France et l'Espagne en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Geffray,

- et les conclusions de M. Brasnu, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. A la suite d'un contrôle sur pièces effectué en application des dispositions de l'article L. 188 C du Livre des procédures fiscales, l'administration, par deux propositions de rectification des 16 février et 11 avril 2016, a taxé d'office les revenus de M. B... au titre des années 2012 à 2014 sur la base des éléments de son train de vie. M. B... relève appel du jugement du 27 octobre 2023 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux auxquelles il a été assujetti au titre des années 2012 à 2014.

Sur le bien-fondé des impositions :

En ce qui concerne les années 2012 et 2013 :

2. Aux termes de l'article 1649 quater-0 B ter du code général des impôts : " 1. Lorsque l'administration fiscale est informée, dans le cadre de la lutte contre les activités lucratives non déclarées portant atteinte à l'ordre public et à la sécurité publique et dans les conditions prévues aux articles L. 82 C, L. 101 ou L. 135 L du livre des procédures fiscales, qu'un contribuable dispose d'éléments mentionnés ci-après, elle peut, en cas de disproportion marquée entre son train de vie et ses revenus, porter la base d'imposition à l'impôt sur le revenu à une somme forfaitaire déterminée en appliquant à ce ou ces éléments de train de vie le barème ci-après, compte tenu, le cas échéant, de la majoration prévue au 2. (...) ". En ce qui concerne la base des éléments de train de vie, cet article prévoit que pour les voitures automobiles destinées au transport des personnes, " La valeur de la voiture neuve avec abattement de 50 % après trois ans d'usage ou, dans le cas d'une prise en location, cinq fois le prix toutes taxes comprises de cette location. ".

3. M. B..., qui n'a déclaré aucun revenu au titre des années 2012 et 2013, a disposé au cours de ces deux années de l'usage de véhicules pris en location et financés par le trafic illicite de stupéfiants pour lequel il a été condamné puis incarcéré. Le montant total des locations des véhicules s'établissait à 11 153 euros en 2012 et à 26 826 euros en 2013.

4. Le contribuable dont les bases d'imposition à l'impôt sur le revenu ont été évaluées forfaitairement d'après certains éléments de son train de vie peut, s'il entend contester ces bases, apporter la preuve, prévue par les dispositions du 3 de l'article 168 du code général des impôts, de la manière dont, au cours de chaque année d'imposition concernée, il a pu financer, en tout ou partie, le train de vie correspondant à cette évaluation. Pour apporter une telle preuve, qui porte nécessairement sur les ressources dont le contribuable a disposé et qu'il a effectivement utilisées pour assurer son train de vie au cours des années d'imposition litigieuses, il doit justifier non seulement de l'existence des ressources qu'il invoque mais aussi de leur nature et de leur origine.

5. M. B..., qui ne conteste pas les périodes de location des véhicules rappelées dans la proposition de rectification du 16 février 2016, ne fournit pas, d'une part, des justificatifs sur ses éventuelles ressources susceptibles de financer son train de vie et, d'autre part, des éléments sur le coût réel de son train de vie comprenant non seulement les frais directement liés à la disposition d'un élément de train de vie mais également les autres dépenses relatives à la vie courante telles que l'alimentation quotidienne, les frais d'habillement, de santé, de loisir, y compris les véhicules pris en location. Il affirme que l'utilisation exclusive des véhicules loués était destinée à l'exploitation d'une activité illicite et non à son utilisation privative. Cependant, il résulte de l'instruction que si les périodes de location des véhicules ont été relativement courtes allant jusqu'à un mois, elles se sont multipliées et que M. B..., qui a disposé de l'usage des véhicules presque sans discontinuité entre le 27 juillet 2012 et le 2 décembre 2013, ne verse aucune pièce justificative de nature à démontrer que ces véhicules n'étaient destinés à aucun usage personnel. Dès lors, c'est à bon droit que l'administration a pris en compte un élément de son train de vie, qui est constitué par les locations des véhicules, en application des dispositions de l'article 1649 quater-0 B ter du code général des impôts.

6. M. B... soutient que les revenus en cause seraient taxables en Espagne dès lors qu'il est affilié à la sécurité sociale de ce pays. Toutefois, il a reconnu vivre en concubinage avec sa compagne, domiciliée en Vendée. Ainsi, il doit être regardé comme fiscalement domicilié en France par application des dispositions combinées de l'article 4 A selon lesquelles " Les personnes qui ont en France leur domicile fiscal sont passibles de l'impôt sur le revenu en raison de l'ensemble de leurs revenus (...) " et du a du 1 de l'article 4 B du même code selon lesquelles " 1. Sont considérées comme ayant leur domicile fiscal en France au sens de l'article 4 A : a. Les personnes qui ont en France leur foyer ou le lieu de leur séjour principal (...) " ainsi qu'au regard des stipulations du a du 2 de l'article 4 de la convention signée le 10 octobre 1995 entre la France et l'Espagne en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune selon lesquelles une personne physique est " considérée comme un résident de l'Etat où elle dispose d'un foyer d'habitation permanent ".

En ce qui concerne l'année 2014 :

7. Le 2 janvier 2014, M. B... a été interpellé dans les Landes par l'administration des douanes, qui a découvert dans le véhicule alors loué par lui un sac contenant plusieurs savonnettes de résine de cannabis pour un poids total de 21,280 kilogrammes ayant une valeur de 74 480 euros sur le marché illicite des stupéfiants. Dès lors, en vertu des dispositions précitées de l'article 1649 quater-0 B bis du code général des impôts, qui visent les personnes ayant réellement tiré un revenu des activités délictueuses, M. B... est réputé avoir perçu en 2014 un revenu imposable équivalent à la valeur vénale des biens issus de ce trafic pour lequel il a été condamné.

Les circonstances que ce produit illicite a été saisi et qu'il n'a pas pu être revendu par le requérant sont sans incidence.

8. Le requérant estime que l'absence de méthode de calcul motivée par le service remet en cause le bien-fondé des rectifications. Toutefois, l'évaluation de la valeur vénale du cannabis à hauteur de 74 480 euros ne résulte pas d'une reconstitution effectuée par l'administration fiscale, mais des éléments issus de la procédure judiciaire dont il ressort, qu'à la date de son interpellation, le cannabis saisi pour un poids total de 21,280 kilogrammes avait une valeur de 74 480 euros sur le marché illicite des stupéfiants. Cette valeur vénale a été retenue et indiquée dans la proposition de rectification pour la détermination du revenu de M. B... au titre de l'année 2014, conformément aux dispositions de l'article 1649 quater-0 B bis du code général des impôts.

9. L'amende douanière d'un montant de 74 480 euros et l'impôt sur le revenu déterminé à partir du revenu d'un même montant sont deux impositions distinctes ; la première ayant pour but de pénaliser une infraction et l'autre d'imposer un revenu disponible. Si l'amende douanière correspond à la valeur vénale de la marchandise saisie, l'impôt sur le revenu est progressif et déterminé par rapport à un revenu imposable présumé correspondant à cette même valeur vénale. Dès lors, M. B... n'est pas fondé à soutenir qu'il a fait l'objet d'une double taxation.

10. Pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 6, M. B... doit être regardé comme fiscalement domicilié en France.

Sur les majorations :

11. Aux termes de l'article 1728 du code général des impôts : " 1. Le défaut de production dans les délais prescrits d'une déclaration ou d'un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt entraîne l'application, sur le montant des droits mis à la charge du contribuable ou résultant de la déclaration ou de l'acte déposé tardivement, d'une majoration de : (...) / b. 40 % lorsque la déclaration ou l'acte n'a pas été déposé dans les trente jours suivant la réception d'une mise en demeure, notifiée par pli recommandé, d'avoir à le produire dans ce délai ; (...) ". Aux termes de l'alinéa 4 de l'article 1758 du code général des impôts : " (...) En cas d'application des dispositions prévues à l'article 1649 quater-0 B bis, le montant des droits est assorti d'une majoration de 80 %. ".

12. Aux termes de l'article L. 80 D du livre des procédures fiscales : " Les décisions mettant à la charge des contribuables des sanctions fiscales sont motivées au sens des articles L. 211-2 à L. 211-7 du code des relations entre le public et l'administration, quand un document ou une décision adressés au plus tard lors de la notification du titre exécutoire ou de son extrait en a porté la motivation à la connaissance du contribuable. (...) ".

13. Les propositions de rectifications des 16 février et 11 avril 2016 précisent que les déclarations de revenus des années de 2012 à 2014 n'ont pas été déposées dans le délai imparti de trente jours à compter de la réception de deux mises en demeure, font référence au b du 1 de l'article 1728 du code général des impôts et mentionnent la majoration de 40 %. De plus, la proposition de rectification du 11 avril 2016 fait référence à l'alinéa 4 de l'article 1758 du même code et mentionne la majoration de 80 %. Elles sont donc suffisamment motivées au sens des dispositions de l'article L. 80 D du livre des procédures fiscales.

14. Aux termes de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal indépendant et impartial (...) / 3. Tout accusé a droit notamment à : (...) c) se défendre lui-même ou avoir l'assistance d'un défenseur de son choix et, s'il n'a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d'office, lorsque les intérêts de la justice l'exigent (...) ".

15. D'une part, l'administration a porté à la connaissance des contribuables, avant l'établissement des pénalités pour manquement délibéré, les motifs pour lesquels la majoration pour manquement délibéré a été appliquée aux revenus de l'année 2014 et a informé M. B... qu'il disposait d'un délai d'un mois pour présenter ses observations. Dans ces conditions, et alors que le requérant a présenté des observations par un courrier du 10 mars 2016, le moyen tiré de ce que, en méconnaissance des stipulations précitées du paragraphe 1 de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'administration aurait violé les droits de la défense dans la procédure d'établissement des pénalités ne peut qu'être écarté. D'autre part, si les dispositions précitées de l'article 1649 quater-0 B bis du code général des impôts prévoient un dispositif de présomption de revenus pour les contribuables se trouvant en possession de biens, tels des produits stupéfiants, ou de sommes d'argent provenant du trafic de ces biens, portant notamment atteinte à l'ordre public et à la sécurité publique, cette présomption, qui est établie à partir de constatations de fait opérées dans des procédures pénales précisément définies, peut être combattue par ces contribuables. Ainsi, la majoration de 80 % prévue par les dispositions de l'article 1758 du code général des impôts ne présente pas le caractère d'une sanction automatique portant atteinte au principe de présomption d'innocence, tel qu'il est garanti par le paragraphe 1 de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

16. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Délibéré après l'audience du 6 décembre 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Quillévéré, président de chambre,

- M. Geffray, président-assesseur,

- M. Penhoat, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 décembre 2024.

Le rapporteur

J.E. GEFFRAYLe président

G. QUILLÉVÉRÉ

La greffière

H. DAOUD

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 23NT0387102


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 23NT03871
Date de la décision : 24/12/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. le Pdt. QUILLÉVÉRÉ
Rapporteur ?: M. Jean-Eric GEFFRAY
Rapporteur public ?: M. BRASNU
Avocat(s) : MILOCHAU

Origine de la décision
Date de l'import : 05/01/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-12-24;23nt03871 ?
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