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17/12/2024 | FRANCE | N°24NT00729

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 6ème chambre, 17 décembre 2024, 24NT00729


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme L... M... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler, d'une part, la décision née le 9 mars 2023 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a implicitement rejeté le recours formé contre la décision du 14 novembre 2022 des autorités diplomatiques françaises en poste à Téhéran rejetant la demande de visa de long séjour qu'elle avait présentée au titre de la réunification familiale et, d'autre part, la

décision du 12 avril 2023 par laquelle la commission de recours contre les décisions de ref...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme L... M... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler, d'une part, la décision née le 9 mars 2023 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a implicitement rejeté le recours formé contre la décision du 14 novembre 2022 des autorités diplomatiques françaises en poste à Téhéran rejetant la demande de visa de long séjour qu'elle avait présentée au titre de la réunification familiale et, d'autre part, la décision du 12 avril 2023 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a expressément rejeté ce recours.

M. C... O... K..., agissant pour le compte de l'enfant mineure B... H..., a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler, d'une part, la décision née le 9 mars 2023 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a implicitement rejeté le recours formé contre la décision du 14 novembre 2022 des autorités diplomatiques françaises en poste à Téhéran rejetant la demande de visa de long séjour formée, au titre de la réunification familiale, pour la jeune B... H... et, d'autre part, la décision du 12 avril 2023 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a expressément rejeté ce recours.

M. C... O... K..., agissant pour le compte de l'enfant mineur I... H..., a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler, d'une part, la décision née le 9 mars 2023 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a implicitement rejeté le recours formé contre la décision du 14 novembre 2022 des autorités diplomatiques françaises en poste à Téhéran rejetant la demande de visa de long séjour formée, au titre de la réunification familiale, pour le jeune I... H... et, d'autre part, la décision du 12 avril 2023 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a expressément rejeté ce recours.

M. C... O... K..., agissant pour le compte de l'enfant mineur E... H..., a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler, d'une part, la décision née le 9 mars 2023 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a implicitement rejeté le recours formé contre la décision du 14 novembre 2022 des autorités diplomatiques françaises en poste à Téhéran rejetant la demande de visa de long séjour formée, au titre de la réunification familiale, pour le jeune E... H... et, d'autre part, la décision du 12 avril 2023 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a expressément rejeté ce recours.

M. C... O... K..., agissant pour le compte de l'enfant mineur G... A... H..., a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler, d'une part, la décision née le 9 mars 2023 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a implicitement rejeté le recours formé contre la décision du 14 novembre 2022 des autorités diplomatiques françaises en poste à Téhéran rejetant la demande de visa de long séjour formée, au titre de la réunification familiale, pour le jeune G... A... H... et, d'autre part, la décision du 12 avril 2023 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a expressément rejeté ce recours.

M. C... O... K..., agissant pour le compte de l'enfant mineur D... H..., a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler, d'une part, la décision née le 9 mars 2023 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a implicitement rejeté le recours formé contre la décision du 14 novembre 2022 des autorités diplomatiques françaises en poste à Téhéran rejetant la demande de visa de long séjour formée, au titre de la réunification familiale, pour le jeune D... H... et, d'autre part, la décision du 12 avril 2023 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a expressément rejeté ce recours.

Mme L... M... et M. C... O... K... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler les décisions du 14 juin 2023 par lesquelles le ministre de l'intérieur et des outre-mer a refusé de délivrer des visas de long séjour, au titre de la réunification familiale, à Mme M... et aux jeunes B... H..., I... H..., E... H..., G... A... H... et D... H....

Par un jugement n° 2303809, 2303810, 2303811, 2303812, 2303813, 2303814, 2306632, 2306633, 2306634, 2306636, 2306639, 2306640, 2309965 du 17 janvier 2024, le tribunal administratif de Nantes a, après avoir redirigées les demandes dirigées contre les décisions implicites de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France nées le 9 mars 2023 vers les décisions expresses de cette autorité du 12 avril 2023, d'une part, constaté que la demande dirigée contre les décisions du ministre de l'intérieur et des outre-mer du 14 juin 2023 avait perdu son objet, d'autre part, annulé les décisions de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 12 avril 2023 et, enfin, enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer les visas sollicités.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 11 mars 2024, le ministre de l'intérieur demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nantes du 17 janvier 2024 en tant qu'il a annulé les décisions de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 12 avril 2023 et lui a enjoint de délivrer les visas sollicités ;

2°) de rejeter les demandes présentées par Mme L... M... et par M. C... O... K... devant le tribunal administratif de Nantes.

Il soutient que :

- le jugement doit être annulé dès lors que le mémoire enregistré le 12 octobre 2023 ne lui a pas été communiqué ;

- les déclarations du réunifiant relatives au patronyme des quatre aînés et aux années de naissance des jeunes B..., E... et D..., la production de passeports manifestement frauduleux et les discordances existant entre les taskeras et les actes de naissance démontrent le caractère frauduleux des demandes de visa ;

- il n'est pas établi que M. C... O... K..., qui a falsifié un e-visa pakistanais ainsi qu'un billet d'avion et a formulé de fausses déclarations, se trouvait auprès de son épouse au moment de la conception du jeune F... A... ni, par suite, qu'il est le père de l'enfant ;

- le certificat de mariage du 1er mai 2019 est manifestement frauduleux ;

- les éléments de possession d'état ne permettent pas d'établir les liens de filiation allégués.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 14 avril 2024 et le 6 novembre 2024, Mme L... M... et M. C... O... K..., agissant en leurs noms propres et pour le compte des jeunes B... H..., I... H..., E... H..., G... A... H... et D... H..., représentés par Me Kati, demandent à la cour :

1°) de rejeter la requête du ministre de l'intérieur ;

2°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de faire délivrer les visas de long séjour sollicités, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jour de retard ou, à défaut, lui enjoindre de réexaminer les demandes de visa, dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;

3°) à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise biologique à fin de comparaison des empreintes génétiques de M. C... O... K... et de Mme L... M... avec celles des jeunes B... H..., I... H..., E... H..., G... A... H... et D... H....

Ils font valoir que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Vu :

- l'arrêt n° 24NT00730 du 26 avril 2024 prononçant le sursis à exécution du jugement attaqué ;

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Bougrine a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Par une décision du directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 6 novembre 2017, M. C... O... K..., ressortissant afghan, a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire. Les demandes de visa de long séjour formées, au titre de la réunification familiale, par Mme L... M... et pour les jeunes I... H..., B... H..., E... H..., D... H... et G... A... H..., présentées comme l'épouse de M. K... et leurs cinq enfants, ont été rejetées par les autorités diplomatiques françaises en poste à Téhéran le 14 novembre 2022. Les recours préalables formés contre ces décisions ont été rejetés par une décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France née le 9 mars 2023 puis par une décision expresse de rejet du 12 avril 2023, se substituant à la précédente. Le juge des référés du tribunal administratif de Nantes, par une ordonnance du 2 juin 2023, a suspendu l'exécution de la décision de la commission du 12 avril 2023 et a enjoint au ministre de l'intérieur de réexaminer les demandes de visa des intéressés. En exécution de cette ordonnance, le ministre de l'intérieur a, le 14 juin 2023, refusé de délivrer les visas sollicités. Par un jugement du 17 janvier 2024, le tribunal administratif de Nantes, saisi de plusieurs demandes introduites par M. K... et par Mme M..., a constaté un non-lieu à statuer sur les demandes dirigées contre la décision du ministre de l'intérieur du 14 juin 2023, jugé que les demandes dirigées contre la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France devaient être redirigées vers la décision de la commission du 12 avril 2023, annulé cette décision et enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à Mme M... et aux jeunes I... H..., B... H..., E... H..., D... H... et G... A... H... les visas de long séjour sollicités. Le ministre de l'intérieur relève appel de ce jugement en tant qu'il a annulé la décision du 12 avril 2023 et prononcé l'injonction mentionnée ci-dessus.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Le ministre de l'intérieur fait valoir " que le mémoire produit par le requérant et publié le 12 octobre 2023, qui est visé par le jugement litigieux, n'a pas été transmis à l'administration ", sans même préciser l'instance concernée alors que, par le jugement attaqué, le tribunal a joint treize requêtes. Il produit néanmoins une copie d'écran de l'application Sagace correspondant à l'instance n° 2303813 et sur laquelle il a reproduit le visa des écritures du demandeur dans cette même instance. S'il est exact que le jugement vise un mémoire qui aurait été produit par M. K... et enregistré le 12 octobre 2023, il ressort des pièces du dossier de la procédure relative à l'instance n° 2303813 que le demandeur n'a produit devant le tribunal qu'une requête introductive d'instance, enregistrée le 14 mars 2023 et communiquée au ministre de l'intérieur qui en a accusé réception le 17 mars 2023. Alors que le ministre ne démontre ni même n'allègue que le tribunal se serait fondé, pour statuer sur les conclusions de la demande enregistrée sous le n° 2303813, sur des éléments qui n'auraient pas été versés au débat contradictoire, cette erreur purement matérielle affectant les visas du jugement attaqué est sans incidence sur sa régularité.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

3. Aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger (...) qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / 1° Par son conjoint (...) âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage ou l'union civile est antérieur à la date d'introduction de sa demande d'asile ; / 2° Par son concubin, âgé d'au moins dix-huit ans, avec lequel il avait, avant la date d'introduction de sa demande d'asile, une vie commune suffisamment stable et continue ; / 3° Par les enfants non mariés du couple, n'ayant pas dépassé leur dix-neuvième anniversaire. / (...). ". L'article L. 561-5 du même code dispose : " Les membres de la famille (...) d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. Ils produisent pour cela les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec (...) le bénéficiaire de la protection subsidiaire. / En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 121-9 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux. ".

4. La circonstance qu'une demande de visa de long séjour ait pour objet le rapprochement familial d'un conjoint ou des enfants d'une personne bénéficiaire de la protection subsidiaire ne fait pas obstacle à ce que l'autorité administrative refuse la délivrance du visa sollicité en se fondant, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, sur un motif d'ordre public. Figure au nombre de ces motifs l'absence de lien conjugal ou de lien de filiation entre le demandeur de visa et le membre de famille que celui-ci entend rejoindre.

5. Aux termes de l'article L. 811-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies à l'article 47 du code civil. ". L'article 47 du code civil dispose : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. Celle-ci est appréciée au regard de la loi française.

6. Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.

7. Par la décision contestée du 12 avril 2023, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a confirmé les refus de visa opposés à Mme M... et aux jeunes I... H..., B... H..., E... H..., D... H... et G... A... H... au motif que leur identité et leur lien familial avec M. K... n'étaient pas établis.

En ce qui concerne Mme M... :

8. D'une part, il ressort de la copie de la carte nationale d'identité (tazkira) délivrée le 25 janvier 2007, de la copie de la carte nationale d'identité (tazkira) électronique délivrée le 17 août 2024 ainsi que du certificat de naissance délivré le 30 janvier 2022 par la Direction de la population et de l'enregistrement de l'état civil de la République islamique d'Afghanistan, lequel précise les références de la tazkira du 25 janvier 2007, que Mme L... M... est née le 21 janvier 1993 à Khost (Afghanistan) d'un père nommé M... et d'une mère nommée Shana. Alors qu'il n'est pas démontré que les ressortissants afghans seraient tenus de déclarer les naissances ou de faire dresser un document d'état civil dans un délai précis, la circonstance que certains de ces documents ont été établis postérieurement à l'obtention de la protection subsidiaire par M. K... et même postérieurement au refus de visa en litige ne caractérise, par elle-même, aucune fraude ni n'est de nature à priver ces documents de valeur probante. En outre, l'identité de Mme M... est corroborée par la copie du passeport délivré le 14 décembre 2021 dont les autorités diplomatiques afghanes à Téhéran ont certifié l'identité du titulaire. A cet égard, les extraits d'articles publiés en 2021 sur Internet faisant état de l'interruption de la délivrance de passeports afghans entre le 15 août 2021 et le 19 août 2021 ainsi que du développement d'un trafic de faux passeports ne suffisent pas, eu égard à leur nature et leur teneur, à démontrer que le passeport dont justifie Mme M... serait frauduleux. Dans ces conditions, l'identité de Mme L... M... doit être regardée comme établie.

9. D'autre part, M. K... a, dès 2017 et de manière constante, déclaré auprès des autorités françaises avoir épousé une personne nommée Fatima née à Khost en 1992. Les intimés versent aux débats un certificat de mariage, établi le 1er mai 2019 par la cour primaire de Bak, dont il ressort que, le 1er avril 2009, a été célébré le mariage de H... (fils de N...) et de L... (fille de M...). Contrairement à ce que soutient le ministre, la circonstance que ce certificat est daté du 1er mai 2019 ne permet pas de le regarder comme frauduleux, les intimés faisant valoir que cette journée n'est pas chômée en Afghanistan et produisant une coupure de presse corroborant leurs dires. De même, en se prévalant des informations publiées sur les sites du consulat général d'Afghanistan à Bonn et de l'ambassade américaine en Afghanistan qui concernent des situations étrangères à celle des intimés, à savoir la délivrance de certificat de confirmation de mariage aux couples de nationalité afghane résidant en Allemagne et le mariage en Afghanistan de ressortissants étrangers ou binationaux, le ministre ne démontre pas que le certificat de mariage délivré le 1er mai 2019 par la cour primaire de Bak ne pouvait l'être en l'absence de M. K..., séjournant alors en France. Ensuite, si le directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides n'a pas établi, sur le fondement de l'article L. 121-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, de certificat de mariage, au motif que l'âge de Mme M... au moment du mariage aurait été contraire à la législation de son pays et à l'ordre public français, cette même autorité a, par une attestation du 28 mai 2018, porté, à propos de la situation de famille de M. K..., la mention " concubin ". Enfin, M. K... et Mme M... sont, ainsi qu'il sera dit aux points suivants, les parents de cinq enfants nés en 2010, 2013, 2016 et 2021. Compte-tenu de l'ensemble de ces circonstances, l'existence, à la date d'introduction de la demande d'asile de M. K..., soit le 9 août 2017, d'une vie commune stable et continue entre M. K... et Mme M... est établie. Il s'ensuit que le refus de visa opposé à Mme M... méconnaît les dispositions du 2° de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

En ce qui concerne les jeunes I..., B..., D... et E... :

10. Sont produits, pour chacun de ces enfants, une tazkira datée du 22 décembre 2018 dont il ressort que I..., B..., nés, respectivement, en 2010 et 2013, et D... et E..., nés tous deux le 21 décembre 2016, ont pour père H... et pour grand-père N.... Les mêmes mentions sont portées sur les tazkira électroniques délivrées le 17 août 2024. Le certificat de naissance tenant lieu d'acte d'état civil délivré à M. K... par le directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides indique que ce dernier se nomme C... O... et que son père se prénomme N.... En outre, les certificats de naissance délivrés le 27 janvier 2022 et concernant les enfants font état des mêmes années de naissance et identifient leurs père, grand-père et mère comme, respectivement, H..., N... et L.... Les certificats de naissance délivrés le vendredi 2 juin 2023 par l'ambassade afghane à Paris confirment l'identité des intéressés et leurs liens de filiation avec M. K... et avec Mme M....

11. Pour nier toute valeur probante à ces documents, le ministre de l'intérieur pointe, en premier lieu, la discordance entre le " patronyme " K... renseigné comme étant celui des enfants lors des déclarations faites par M. K... devant l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et le " patronyme " H... dont se prévalent les demandeurs des visas.

12. Il ressort, toutefois, des pièces du dossier, notamment de la documentation élaborée en 2019 par les services du secrétariat d'Etat aux migrations de la Confédération suisse, que " Le nom de famille, au sens où il est compris en Occident, n'a pas d'équivalent en Afghanistan " et " n'est pas perçu en Afghanistan comme un symbole d'unité familiale. Des frères peuvent ne pas porter le même nom de famille, un mari et son épouse non plus ". En outre, la législation afghane ne prévoit aucune règle relative à l'attribution des noms et notamment pas la transmission d'un patronyme. Ce même document, qui souligne la grande diversité des usages et les difficultés rencontrées à l'étranger dans la saisie des données personnelles des ressortissants afghans, explique que le système afghan est organisé autour d'un " "nom personnel" qui n'est ni un prénom ni un nom de famille " auquel peut s'ajouter un élément d'appartenance familiale, un titre ou encore un pseudonyme (takhallus), pouvant d'ailleurs " changer au fil des ans ou au gré des circonstances ". Parmi les usages décrits, il est fait état de l'attribution d'un nom consistant à choisir le nom du père ou encore du recours à un pseudonyme, souvent marqueurs d'une ethnie ou d'un lieu d'origine, pouvant comprendre le suffixe " khel " pour désigner le descendant.

13. La tazkira du réunifiant l'identifie comme portant le nom de H... tout en précisant les noms de ses père et grand-père. Afin de décliner son identité et celles de ses enfants en se conformant aux usages en cours en France, l'intéressé a indiqué avoir pour prénom H... et pour nom de famille K..., ce dernier nom faisant référence, selon le ministre, à la tribu de l'intéressé. Eu égard aux considérations énoncées au point précédent, la circonstance que les tazkira des jeunes I..., B..., D... et E... ne mentionnent pas le nom K..., n'est pas de nature à les priver de valeur probante alors même qu'elles ont été délivrées postérieurement à l'utilisation de ce nom par le réunifiant en France.

14. Le ministre de l'intérieur fait valoir, en deuxième lieu, que, s'agissant des jeunes I... et B..., les références de registre mentionnées sur leurs tazkira divergent de celles figurant sur leurs certificats de naissance délivrés en 2022. Il n'apporte aucune précision sur les modalités selon lesquelles sont enregistrées ces deux types de documents et sur les informations qu'ils doivent comporter. Cela étant, en admettant qu'elle soit constitutive d'une irrégularité, cette discordance, qui ne porte pas sur les mentions essentielles à l'établissement de la filiation, ne permet pas de remettre en cause l'authenticité des documents ci-dessus mentionnés. Ensuite, le ministre souligne que les informations relatives à la tazkira du père et figurant sur les certificats de naissance des enfants délivrés en 2022 ne correspondent pas au numéro de tazkira de M. K.... Toutefois, d'une part, le ministre de l'intérieur ne peut sérieusement faire valoir que les certificats de naissance des enfants ne comportent pas le numéro 430665, qui correspond à la tazkira classique délivrée en 2006 à M. K... alors que les formulaires des certificats considérés prévoient seulement de renseigner, le cas échéant, le numéro de tazkira électronique du père. D'autre part, s'il est exact que les informations relatives à l'enregistrement de la tazkira de M. K... portées sur le certificat de naissance du jeune I... ne correspondent pas à celles figurant sur la tazkira considérée, cette anomalie, qui entache le seul certificat de naissance I..., ne prive pas de valeur probante ce document, dont les informations essentielles concordent avec celles figurant sur les autres documents d'état-civil et de voyage produits.

15. Le ministre de l'intérieur soutient, en troisième lieu, que les documents délivrés le 2 juin 2023 par l'ambassade de la République islamique d'Afghanistan sont frauduleux dès lors, d'une part, que cet Etat a " disparu le 15 août 2021 et a été remplac[é] par l'Emirat islamique d'Afghanistan " et, d'autre part, que l'ambassade, qui de surcroît n'est pas compétente pour délivrer des certificats de naissance, subordonne la délivrance d'acte de naissance à la présentation de la personne concernée. Néanmoins, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'aucune représentation diplomatique ou consulaire de la République islamique d'Afghanistan aurait été maintenue en France postérieurement à la prise de pouvoir par les Talibans dont la France n'a, au demeurant, pas reconnu le régime. Par ailleurs, en se bornant à produire une copie d'écran du site des services consulaires afghans à Ottawa et une copie d'écran du site de l'ambassade de la République islamique d'Afghanistan en France, dont il conteste par ailleurs l'existence, le ministre de l'intérieur ne démontre pas que les certificats de naissance du 2 juin 2023 à l'en-tête de cette représentation seraient inauthentiques.

16. Le ministre de l'intérieur se prévaut, en dernier lieu, des déclarations de M. K... devant l'Office français de protection des réfugiés et apatrides indiquant que sa fille B... était née en 2015 et non 2013 et ses fils D... et E... en 2017 et non 2016. Toutefois, les déclarations de l'intéressé sont constantes quant à la composition de sa famille depuis le dépôt de sa demande d'asile. Il est, par ailleurs, constant que le calendrier en vigueur en Afghanistan diffère du calendrier grégorien tant en ce qui concerne son point de départ que le commencement de chaque année. Quand bien même il existerait des " convertisseurs " de calendriers accessibles sur Internet, les déclarations erronées de M. K... ne sont pas de nature à démontrer la fraude alléguée par le ministre.

17. Il suit de là que l'identité des jeunes I..., B..., D... et E... de même que leurs liens de filiation avec M. K... sont établis par les documents mentionnés au point 10.

En ce qui concerne le jeune G... A... :

18. D'une part, à l'appui de la demande de visa présentée pour le jeune G... A..., les intimés ont produit un certificat de naissance délivré le 12 janvier 2022 dont il ressort que l'enfant est né le 28 juillet 2021 de H..., fils de N... et de L.... Contrairement à ce qu'affirme le ministre, les informations relatives à l'enregistrement de la tazkira du père portées sur le certificat de naissance du jeune G... A... correspondent à la tazkira de M. K... et concordent, d'ailleurs, avec celles mentionnées sur les certificats de naissance B..., D... et E....

19. D'autre part, M. K... indique avoir effectué un séjour en Afghanistan à l'automne 2020 pour visiter sa famille. Les tampons apposés sur son passeport afghan tendent à conforter la réalité du séjour allégué entre octobre et décembre 2020, soit au cours de la période durant laquelle l'enfant a été conçu. Par ailleurs, M. K... a déclaré la naissance de G... A... auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides.

20. Enfin, s'il ressort des pièces du dossier et n'est d'ailleurs pas contesté par les intimés que M. K... a indiqué avoir rejoint sa famille au Pakistan et a présenté, au soutien de ses déclarations, un faux e-visa pakistanais ainsi qu'un faux titre de transport, l'intéressé explique avoir procédé à cette manœuvre par crainte des répercussions sur son droit à la protection subsidiaire du séjour effectué en Afghanistan.

21. Au regard de l'ensemble de ces éléments, l'identité du jeune G... A... et son lien de filiation avec M. K... doivent être regardés comme établis.

22. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin, pour les raisons indiquées aux point 18 à 20, d'ordonner l'expertise génétique demandée par les intimés, que le ministre de l'intérieur n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, lequel est suffisamment motivé, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 12 avril 2023 et lui a enjoint de délivrer à Mme M... et aux jeunes I... H..., B... H..., E... H..., D... H... et G... A... H... des visas de long séjour au titre la réunification familiale.

Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :

23. Si, par un arrêt n° 24NT00730 du 26 avril 2024, la demande du ministre de l'intérieur tendant au sursis à exécution du jugement attaqué a été accueillie, le présent arrêt confirme la solution retenue par le jugement attaqué, notamment son article 3 qui enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer, dans le délai de deux mois, des visas de long séjour à Mme M... et aux jeunes I... H..., B... H..., E... H..., D... H... et G... A... H.... Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

24. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mette à la charge de l'Etat le versement à M. K... et Mme M... de la somme globale de 1 500 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : La requête du ministre de l'intérieur est rejetée.

Article 2 : L'Etat versera à M. K... et Mme M... la somme globale de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de M. K... et Mme M... est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à M. C... O... K... et à Mme L... M....

Délibéré après l'audience du 29 novembre 2024, à laquelle siégeaient :

Mme Gaspon, président de chambre,

M. Pons, premier conseiller,

Mme Bougrine, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 17 décembre 2024.

La rapporteure,

K. BOUGRINE

Le président,

O. GASPON

La greffière,

C. VILLEROT

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 24NT00729


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 24NT00729
Date de la décision : 17/12/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. GASPON
Rapporteur ?: Mme Karima BOUGRINE
Rapporteur public ?: Mme BAILLEUL
Avocat(s) : KATI

Origine de la décision
Date de l'import : 22/12/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-12-17;24nt00729 ?
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