Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 26 janvier 2023 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision des autorités consulaires françaises en poste à Nouakchott refusant de lui délivrer un visa d'entrée et de court séjour pour visite familiale.
Par un jugement n° 2301880 du 18 décembre 2023, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 24 décembre 2023, Mme B..., représentée par Me Ba, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nantes du 18 décembre 2023 ;
2°) d'annuler la décision contestée ;
3°) d'enjoindre à l'administration de lui délivrer le visa sollicité ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle justifie de moyens de subsistance suffisants pour la durée de son séjour et a souscrit une assurance couvrant ses dépenses médicales ;
- elle ne présente pas de risque de détournement de l'objet du visa ;
- son fils n'est pas en mesure d'emmener sa fille visiter sa grand-mère en Mauritanie, la mère de l'enfant s'y opposant.
Par un mémoire en défense, enregistré le 14 février 2024, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par Mme B... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention d'application de l'accord de Schengen, signée le 19 juin 1990 ;
- le règlement (CE) n° 810/2009 du 13 juillet 2009 du Parlement européen et du Conseil établissant un code communautaire des visas ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Bougrine,
- et les observations de Me Ba, représentant Mme B....
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., de nationalité mauritanienne, a sollicité la délivrance d'un visa de court séjour afin de rendre visite à son fils et à sa petite-fille, née en 2014, ressortissants français. Elle relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 26 janvier 2023 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France confirmant le refus opposé à sa demande de visa le 2 novembre 2022 par les autorités consulaires françaises à Nouakchott (Mauritanie).
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Pour confirmer le refus opposé à la demande de visa de court séjour présentée par Mme B..., la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée, d'une part, sur le motif tiré de ce que son fils ne justifiait pas de moyens financiers et matériels suffisants pour assumer son accueil et entretien pendant la durée de son séjour et, d'autre part, sur le motif tiré de ce que l'intéressée présenterait un risque de détournement de l'objet du visa à des fins migratoires.
3. En premier lieu, l'article 32 du règlement (CE) du 13 juillet 2009 établissant un code communautaire des visas dispose : " 1. (...), le visa est refusé : / a) si le demandeur : (...) / ne fournit pas la preuve qu'il dispose de moyens de subsistance suffisants, tant pour la durée du séjour envisagé que pour le retour dans son pays d'origine ou de résidence (...) ou n'est pas en mesure d'acquérir légalement ces moyens, / (...) ".
4. Par ailleurs, aux termes de l'article L. 313-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Tout étranger qui déclare vouloir séjourner en France pour une durée n'excédant pas trois mois dans le cadre d'une visite familiale ou privée doit présenter un justificatif d'hébergement qui prend la forme d'une attestation d'accueil, signée par la personne qui se propose d'assurer le logement de l'étranger, ou son représentant légal. Cette attestation est validée par l'autorité administrative, et constitue le document prévu par la convention signée à Schengen le 19 juin 1990 pour justifier les conditions de séjour dans le cas d'une visite familiale ou privée. ". L'article R. 313-9 du même code dispose : " Le signataire de l'attestation d'accueil doit, pour en obtenir la validation par le maire, se présenter personnellement en mairie, muni d'un des documents mentionnés aux articles R. 313-7 et R. 313-8, d'un document attestant de sa qualité de propriétaire, de locataire ou d'occupant du logement dans lequel il se propose d'héberger le visiteur ainsi que de tout document permettant d'apprécier ses ressources et sa capacité d'héberger l'étranger accueilli dans un logement décent au sens des dispositions réglementaires en vigueur et dans des conditions normales d'occupation. ".
5. Il résulte de ces dispositions que l'obtention d'un visa d'entrée et de court séjour est subordonnée à la condition que le demandeur justifie à la fois de sa capacité à retourner dans son pays d'origine et de moyens de subsistance suffisants pendant son séjour. Il appartient au demandeur de visa dont les ressources personnelles ne lui assurent pas ces moyens d'apporter la preuve de ce que les ressources de la personne qui l'héberge et qui s'est engagée à prendre en charge ses frais de séjour au cas où il n'y pourvoirait pas sont suffisantes pour ce faire. Cette preuve peut résulter de la production d'une attestation d'accueil validée par l'autorité compétente et comportant l'engagement de l'hébergeant de prendre en charge les frais de séjour du demandeur, sauf pour l'administration à produire des éléments de nature à démontrer que l'hébergeant se trouverait dans l'incapacité d'assumer effectivement l'engagement qu'il a ainsi souscrit.
6. Il ressort des pièces du dossier que Mme B... a produit à l'appui de sa demande de visa l'attestation d'accueil, mentionnée à l'article L. 313-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, visée par le maire de Bobigny le 12 août 2022. Par cette attestation, le fils de Mme B... s'est engagé tant à l'héberger qu'à prendre en charge les frais de son séjour de quarante-cinq jours, prévu du 1er novembre au 15 décembre 2022. Le ministre de l'intérieur ne produit aucune pièce, ni même n'avance d'autres éléments de nature à démontrer que le fils de Mme B..., fonctionnaire à la Ville de Paris, se trouverait dans l'incapacité d'assumer effectivement l'engagement qu'il a ainsi souscrit. Dès lors, en se fondant sur l'insuffisance des ressources de l'intéressé pour assurer l'accueil et l'entretien de sa mère, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a fait une inexacte application des dispositions précitées.
7. En second lieu, aux termes des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
8. Si, pour contester la réalité du risque de détournement de l'objet du visa à des fins migratoires, Mme B... soutient que seul un de ses fils réside en France et qu'elle n'est pas en mesure de produire les titres de propriété de ses biens, elle ne verse aux débats aucun commencement de justification de ses attaches familiales ou matérielles en Mauritanie ni ne démontre être dans l'impossibilité absolue de les apporter.
9. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que, par une décision du 5 octobre 2020 produite en appel, le juge aux affaires familiales a, à la demande de la mère de la petite-fille de la requérante, ordonné l'interdiction de sortie du territoire de l'enfant sans l'autorisation de ses deux parents ainsi que l'inscription de cette interdiction sur le fichier des personnes recherchées. Au soutien de sa demande, la mère de l'enfant s'opposait, par crainte d'excision, à ce que sa fille voyage en Mauritanie avec son père. Le juge aux affaires familiales fait état du conflit persistant entre les deux parents et de l'impossibilité d'exclure le risque d'excision tant dans la famille du père de l'enfant que dans celle de sa mère. Dans ces conditions particulières, qui font obstacle à ce que l'enfant puisse rendre visite à sa grand-mère en Mauritanie, le refus de visa opposé à Mme B... porte à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise et méconnaît, par suite, les stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
10. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 26 janvier 2023.
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
11. Eu égard au motif d'annulation sur lequel se fonde le présent arrêt, son exécution implique nécessairement, sous réserve d'un changement de circonstances affectant les motifs retenus aux points 6 et 9, la délivrance à Mme B... d'un visa de court séjour pour visite familiale. Il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur d'y procéder dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les frais liés au litige :
12. Il y a lieu, sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Mme B... de la somme de 1 200 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 18 décembre 2023 et la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 26 janvier 2023 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à Mme B... un visa de court séjour, dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Mme B... la somme de 1 200 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 29 novembre 2024, à laquelle siégeaient :
Mme Gaspon, président de chambre,
M. Pons, premier conseiller,
Mme Bougrine, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 17 décembre 2024.
La rapporteure,
K. BOUGRINE
Le président,
O. GASPON
La greffière,
C. VILLEROT
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23NT03834