Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... a demandé au tribunal administratif de B..., d'une part, d'annuler la décision par laquelle le ministre de l'intérieur a implicitement rejeté sa demande, reçue le 30 décembre 2019, tendant au prononcé, à titre rétroactif, de son affectation administrative au sein de la circonscription de sécurité publique de B..., à compter du 14 mai 2012, à la reconstitution de sa carrière tenant compte du bénéfice de l'avantage spécifique d'ancienneté et à l'indemnisation de ses préjudices économiques et moraux et, d'autre part, de condamner l'Etat à lui verser une somme de 10 000 euros en réparation des préjudices économique et moral qu'elle estime avoir subis à raison de son affectation illégale au sein de la direction départementale de sécurité publique de D....
Par un jugement n° 2004546 du 19 octobre 2023, le tribunal administratif de B... a, d'une part, annulé la décision implicite du ministre de l'intérieur, d'autre part, enjoint à ce dernier de prendre un nouvel arrêté portant affectation de Mme A... à la circonscription de sécurité publique de B... à compter du 2 novembre 2013, de reconstituer sa carrière et de lui verser le rappel de traitements auquel l'avantage spécifique d'ancienneté lui ouvre droit et, enfin, condamné l'Etat à verser à Mme A... la somme de 1 000 euros en réparation du préjudice moral subi.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 11 décembre 2023, le ministre de l'intérieur et des outre-mer demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de B... du 19 octobre 2023 ;
2°) de rejeter la demande présentée par Mme A... devant le tribunal administratif de B....
Il soutient que :
- dès lors que Mme A... a été affectée administrativement à la direction départementale de sécurité publique de B..., à compter du 2 septembre 2013, elle ne peut bénéficier de l'avantage spécifique d'ancienneté ;
- il renvoie à ses écritures de première instance.
Par un mémoire en défense, enregistré le 11 mars 2024, Mme A..., représentée par Me Gernez, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de l'Etat d'une somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que les moyens soulevés par le ministre de l'intérieur et des outre-mer ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;
- la loi n° 91-715 du 26 juillet 1991 ;
- le décret n° 95-313 du 21 mars 1995 ;
- l'arrêté du fixant la liste des circonscriptions de police prévues au 1° de l'article 1er du décret n° 95-313 du 21 mars 1995 relatif au droit de mutation prioritaire et au droit à l'avantage spécifique d'ancienneté accordés à certains agents de l'Etat affectés dans les quartiers urbains particulièrement difficiles ;
- le code de justice administrative.
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Bougrine,
- et les conclusions de Mme Bailleul, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., commandante de police affectée à la direction départementale de sécurité publique de D... du 2 septembre 2013 au 10 septembre 2017, a, par une demande du 28 décembre 2019, demandé au ministre de l'intérieur de l'affecter administrativement à la circonscription de sécurité publique de B... à compter du 14 mai 2012, de procéder à la reconstitution de sa carrière en tenant compte de l'avantage spécifique d'ancienneté et de l'indemniser de ses préjudices. Le ministre de l'intérieur relève appel du jugement du 19 octobre 2023 par lequel le tribunal administratif de B..., à la demande de Mme A..., a annulé la décision implicite de rejet de sa demande du 28 décembre 2019, lui a enjoint de prendre un nouvel arrêté portant affectation de l'intéressée à la circonscription de sécurité publique de B... à compter du 2 septembre 2013, de reconstituer sa carrière et de lui verser l'arriéré de rémunération attaché à la prise en compte du bénéfice de l'avantage spécifique d'ancienneté et condamné l'Etat à lui verser la somme de 1 000 euros en réparation du préjudice moral subi à raison de l'illégalité de cette décision implicite de rejet.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article 11 de la loi du 26 juillet 1991 portant diverses dispositions relatives à la fonction publique, modifié par l'article 17 de la loi du 25 juillet 1994 : " Les fonctionnaires de l'Etat et les militaires de la gendarmerie affectés pendant une durée fixée par décret en Conseil d'Etat dans un quartier urbain où se posent des problèmes sociaux et de sécurité particulièrement difficiles, ont droit, pour le calcul de l'ancienneté requise au titre de l'avancement d'échelon, à un avantage spécifique d'ancienneté dans des conditions fixées par ce même décret ". L'article 1er du décret du 21 mars 1995 relatif au droit de mutation prioritaire et au droit à l'avantage spécifique d'ancienneté accordés à certains agents de l'Etat affectés dans les quartiers urbains particulièrement difficiles prévoit : " Les quartiers urbains où se posent des problèmes sociaux et de sécurité particulièrement difficiles, mentionnés au quatrième alinéa de l'article 60 de la loi du 11 janvier 1984 susvisée et à l'article 11 de la loi du 26 juillet 1991 susvisée, doivent correspondre : 1°/ En ce qui concerne les fonctionnaires de police, à des circonscriptions de police ou à des subdivisions de ces circonscriptions désignées par arrêté conjoint du ministre chargé de la sécurité, du ministre chargé de la ville, du ministre chargé de la fonction publique et du ministre chargé du budget (...) ". Aux termes de l'article 2 de ce décret : " Lorsqu'ils justifient de trois ans au moins de services continus accomplis dans un quartier urbain désigné en application de l'article 1er ci-dessus, les fonctionnaires de l'Etat ont droit, pour l'avancement, à une bonification d'ancienneté d'un mois pour chacune de ces trois années et à une bonification d'ancienneté de deux mois par année de service continu accomplie au-delà de la troisième année. / Les années de services ouvrant droit à l'avantage mentionné à l'alinéa précédent sont prises en compte à partir du 1er janvier 1995 (...) ".
3. La liste des circonscriptions de police ouvrant droit à l'avantage spécifique d'ancienneté a d'abord été fixée, sur le fondement de ces dispositions, par un arrêté du 17 janvier 2001, dont le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a, par voie d'exception, constaté l'illégalité par sa décision n° 327428 du 16 mars 2011. Un arrêté du 3 décembre 2015 a fixé une nouvelle liste comprenant des circonscriptions de sécurité publique, qui constituent, aux termes de l'article 252-3 du règlement général d'emploi de la police nationale approuvé par l'arrêté du 6 juin 2006, " la structure de base des services territoriaux de la sécurité publique ". Enfin, une directive du ministre de l'intérieur du 9 mars 2016, publiée au bulletin officiel du 15 avril 2016, a arrêté, à titre d'orientation générale pour le traitement de la situation des agents en matière d'avantage spécifique d'ancienneté entre le 1er janvier 1995 et le 16 décembre 2015, une liste indicative de circonscriptions de sécurité publique éligibles à cet avantage pour cette période passée. La circonscription de sécurité publique de B... figure dans la liste établie par l'arrêté du 3 décembre 2015 et dans la liste indicative mentionnée par la directive du 9 mars 2016.
En ce qui concerne les conclusions à fin d'annulation :
4. D'une part, pour annuler la décision par laquelle le ministre de l'intérieur a rejeté la demande de Mme A... tendant à être administrativement affectée, à titre rétroactif, à la circonscription de sécurité publique de B..., le tribunal a relevé que l'affectation administrative de l'intéressée à la direction départementale de sécurité publique de D... à compter du 2 septembre 2013 puis à la circonscription de sécurité publique de B... à compter du 11 septembre 2017 ne correspondait à aucun changement d'affectation opérationnelle et que, à l'exception de quatre officiers, tous les fonctionnaires de police employés dans le service et placés sous l'autorité de ces officiers étaient administrativement affectés à la circonscription de sécurité publique de B.... Il en a déduit que la décision refusant de fixer rétroactivement l'affectation administrative de Mme A... à la circonscription de sécurité publique de B... était entachée d'erreur de fait.
5. En se bornant à soutenir que le bénéfice de l'avantage spécifique d'ancienneté est subordonné à une affectation administrative à une circonscription de sécurité publique ou à une circonscription de sécurité de proximité de sorte que le fonctionnaire affecté administrativement dans un service dépendant directement de la direction départementale de sécurité publique ne peut, quel que soit le lieu où il exerce ses fonctions, y prétendre, le ministre de l'intérieur ne critique pas utilement le motif sur lequel se sont fondés les premiers juges pour annuler la décision litigieuse.
6. D'autre part, en retenant, après avoir relevé que la circonscription de sécurité publique de B... figure dans la liste établie par l'arrêté du 3 décembre 2015 ainsi que dans la liste indicative mentionnée par la directive du 9 mars 2016, mentionnées au point 3 du présent arrêt, que " l'administration aurait dû faire droit à la demande de Mme A... tendant à son rattachement rétroactif à la CSP de B... ", le tribunal a annulé la décision du ministre rejetant la demande de l'intéressée tendant à ce qu'il procède à la reconstitution de sa carrière en prenant en compte l'avantage spécifique d'ancienneté au titre de son affectation à la circonscription de sécurité publique de B....
7. L'argumentation du ministre selon laquelle les dispositions citées au point 2 du présent arrêt font obstacle à l'attribution de l'avantage spécifique d'ancienneté au fonctionnaire administrativement affecté non à une circonscription de sécurité publique mais dans un service dépendant directement de la direction départementale de sécurité publique n'est pas de nature, en elle-même, à infirmer le bien-fondé du motif d'annulation sur lequel s'est fondé le tribunal et rappelé au point 6.
En ce qui concerne les conclusions à fin d'injonction :
8. Eu égard aux motifs d'annulation retenus par les premiers juges, que le ministre de l'intérieur ne critique pas utilement, ainsi qu'il a été dit aux points 4 à 7 du présent arrêt, l'annulation de la décision en litige, prononcée par le tribunal, implique nécessairement l'édiction d'une décision portant affectation administrative de Mme A... à la circonscription de sécurité publique de B... à compter du 1er septembre 2013 ainsi que la reconstitution de sa carrière, tenant compte, notamment, de l'avantage spécifique d'ancienneté, sous réserve, s'agissant du versement de rappels de traitement, de l'application des dispositions relatives à la prescription des créances sur l'Etat, opposée devant les premiers juges.
9. Aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics : " Sont prescrites, au profit de l'Etat, (...), toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis (...) ". Aux termes de l'article 2 de cette loi : " La prescription est interrompue par : / Toute demande de paiement ou toute réclamation écrite adressée par un créancier à l'autorité administrative, dès lors que la demande ou la réclamation a trait au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance (...) / [...) / Toute communication écrite d'une administration intéressée, même si cette communication n'a pas été faite directement au créancier qui s'en prévaut, dès lors que cette communication a trait au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance ; / (...) / Un nouveau délai de quatre ans court à compter du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle a eu lieu l'interruption. (...) ". Aux termes de son article 3 : " La prescription ne court ni contre le créancier qui ne peut agir, soit par lui-même (...) soit pour une cause de force majeure, ni contre celui qui peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance (...) ". Selon les termes de l'article 7 de la même loi : " L'administration doit, pour pouvoir se prévaloir, à propos d'une créance litigieuse, de la prescription prévue par la présente loi, l'invoquer avant que la juridiction saisie du litige au premier degré se soit prononcée sur le fond. (...) ". Lorsqu'un litige oppose un agent public à son administration sur le montant des rémunérations auxquelles il a droit, le fait générateur de la créance se trouve ainsi dans les services accomplis par l'intéressé. Dans ce cas, le délai de prescription de la créance relative à ces services court, sous réserve des cas prévus à l'article 3 cité ci-dessus, à compter du 1er janvier de l'année suivant celle au titre de laquelle ils auraient dû être rémunérés.
10. En l'espèce, les faits générateurs des créances détenues par Mme A... au titre de sa reconstitution de sa carrière, qui correspondent au montant des rémunérations supplémentaires que le déroulement de carrière, tenant compte de l'avantage spécifique d'ancienneté, aurait dû lui procurer, sont constitués par les services qu'elle a effectués à compter du 1er septembre 2013. Le délai de la prescription quadriennale a, en conséquence, en application des dispositions citées au point précédent, commencé à courir, pour la créance née en 2013, à compter du 1er janvier 2014, puis pour les créances nées les années suivantes, à compter du 1er janvier de chaque année la suivant. La directive du 9 mars 2016 relative au traitement de l'avantage spécifique d'ancienneté, mentionnée au point 3 du présent arrêt, doit être regardée comme une communication écrite au sens de l'article 2 de la loi du 31 décembre 1968 et a, ainsi, eu pour effet d'interrompre le délai de la prescription quadriennale. Il s'ensuit qu'un nouveau délai de quatre ans a couru à compter du 1er janvier 2017. La créance de rémunération de Mme A... n'était, dès lors, pas prescrite lorsqu'elle a, par le courrier reçu par le ministre de l'intérieur le 30 décembre 2019, sollicité le versement de ces rémunérations.
En ce qui concerne les conclusions à fin d'indemnisation :
11. Le tribunal a fait une juste appréciation du préjudice moral subi par Mme A... à raison du refus illégalement opposé à sa demande du 28 décembre 2019.
12. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur n'est pas fondé à se plaindre de ce que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de B... a annulé la décision implicite de rejet de la demande formée par Mme A... le 28 décembre 2019, lui a enjoint de prendre un nouvel arrêté portant affectation de l'intéressée à la circonscription de sécurité publique de B... à compter du 2 septembre 2013, de reconstituer sa carrière et de lui verser l'arriéré de rémunération attaché à la prise en compte du bénéfice de l'avantage spécifique d'ancienneté et condamné l'Etat à lui verser la somme de 1 000 euros en réparation du préjudice moral subi à raison de l'illégalité de cette décision implicite de rejet.
Sur les frais liés au litige :
13. Il y a lieu, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Mme A... de la somme de 1 200 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du ministre de l'intérieur est rejetée.
Article 2 : l'Etat versera à Mme A... la somme de 1 200 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à Mme C... A....
Délibéré après l'audience du 29 novembre 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Gaspon, président de chambre,
- M. Pons, premier conseiller,
- Mme Bougrine, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 décembre 2024.
La rapporteure,
K. BOUGRINELe président,
O. GASPON
La greffière,
C. VILLEROT
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23NT03653