Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler la décision du 15 juillet 2020 par laquelle le directeur de la plateforme de colis du Rheu a procédé à une retenue sur salaire à la suite de l'exercice de son droit de retrait le 10 avril 2020, ainsi que la décision du 12 août 2020 rejetant son recours gracieux.
Par un jugement n°2103952 du 15 septembre 2023, le tribunal administratif de Rennes a annulé la décision du directeur de la plateforme de colis du Rheu du 15 juillet 2020 ainsi que la décision du 12 août 2020 rejetant le recours gracieux de l'intéressé.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 27 novembre 2023 et le 25 novembre 2024, ce dernier non communiqué, La Poste, représentée par Me Ardisson, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 15 septembre 2023 du tribunal administratif de Rennes ;
2°) de rejeter la demande de M. A... présentée devant le tribunal administratif de Rennes ;
3°) de mettre à la charge de M. A... une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la demande de M. A... était irrecevable car tardive ;
- le jugement attaqué est insuffisamment motivé ;
- le signalement de danger grave et imminent effectué par des membres du CHSCT (Comité d'Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail) le 16 mars 2020 a été levé le 3 avril 2020, le tribunal ne pouvait prendre en compte ce signalement pour justifier l'exercice du droit de retrait litigieux, alors même que M. A... s'est retiré le 10 avril 2020, postérieurement à cette date ;
- rien ne justifie le danger grave et imminent invoqué par M. A... pour la seule journée du 10 avril 2020 et l'exercice d'un droit de retrait ne saurait être justifié par l'existence d'une pandémie ;
- à la date du 10 avril 2020, il n'existait aucune obligation ni recommandation gouvernementale allant dans le sens du port d'un masque et/ou de gants ;
- tout était en place sur le site sur lequel travaillait M. A... pour que les distanciations sociales soient respectées.
Par un mémoire en défense, enregistré le 18 novembre 2024, M. A... conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de La Poste la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens soulevés par La Poste ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de la santé publique ;
- le décret n° 2011-619 du 31 mai 2011 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Pons,
- les conclusions de Mme Bailleul, rapporteure publique ;
- et les observations de Me Cosnard, pour La Poste, et de Me Mlekuz, pour M. A....
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., fonctionnaire de l'Etat en service à la société La Poste depuis le 5 octobre 1989, exerce les fonctions d'agent de traitement monocolis au sein du site de la plateforme de colis (PFC) du Rheu. A la suite de la pandémie de covid-19 et de l'institution de l'état d'urgence sanitaire, il a exercé son droit de retrait le 10 avril 2020, conduisant son employeur à procéder à une retenue sur salaire sur la paie de juillet 2020 par une décision du 15 juillet. M. A... a effectué un recours gracieux à l'encontre de cette décision par un courrier du 21 juillet 2020 qui a fait l'objet d'un rejet par une décision du 12 août 2020. M. A... a alors demandé au tribunal administratif de Rennes l'annulation des décisions des 15 juillet et 12 août 2020. Par un jugement du 15 septembre 2023, dont La Poste relève appel, le tribunal a annulé ces décisions.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Le jugement attaqué, contrairement à ce qui est allégué par La Poste, est suffisamment motivé. Par suite, La Poste n'est pas fondée à soutenir que le jugement attaqué serait irrégulier.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
3. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que, par un courrier du 21 juillet 2020, M. A... a présenté un recours gracieux à l'encontre de la décision litigieuse du 15 juillet 2020, qui ne mentionnait pas les voies et délais de recours. Le tribunal a relevé à bon droit que l'exercice de ce recours administratif avait eu pour effet d'interrompre le délai de recours contentieux. Dès lors que La Poste a rejeté, par une décision expresse du 12 août 2020, le recours gracieux de l'intéressé ne mentionnant toujours pas les voies et délais de recours, le tribunal a pu justement estimer, qu'à compter de cette date, M. A... disposait d'un nouveau délai raisonnable d'un an pour saisir la juridiction et que sa requête, introduite le 30 juillet 2021, l'avait été dans le délai de recours contentieux. Par suite, La Poste n'est pas fondée à soutenir que la demande de M. A... était irrecevable car tardive.
4. En second lieu, aux termes de l'article 6 du décret du 31 mai 2011 relatif à la santé et à la sécurité au travail à La Poste : " I.- Tout agent de La Poste signale immédiatement au responsable de La Poste toute situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu'elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ainsi que toute défectuosité qu'il constate dans les systèmes de protection. / Aucune sanction ne peut être prise ni aucune retenue de salaire faite à l'encontre d'un agent ou d'un groupe d'agents qui se sont retirés d'une situation de travail dont ils avaient un motif raisonnable de penser qu'elle présentait un danger grave et imminent pour la vie ou la santé de chacun d'eux ". Aux termes de l'article 7 du même décret : " I.- Si un membre du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail constate qu'il existe une cause de danger grave et imminent, notamment lorsqu'un agent a exercé son droit de retrait dans les conditions définies à l'article 6, il en avise immédiatement le responsable de La Poste et consigne cet avis dans le registre prévu à l'article 8. Le responsable de La Poste fait une enquête immédiate, accompagné du membre du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail ayant signalé le danger. Le responsable de La Poste prend les mesures nécessaires pour remédier à la situation et informe le comité des décisions prises ".
5. D'une part, il ressort des pièces du dossier que, suite aux inquiétudes émises par les membres du CHSCT concernant la propagation de la pandémie de covid-19, lors de la réunion exceptionnelle du 17 mars 2020, l'inspecteur du travail a été saisi sur le fondement des dispositions de l'article L. 4132-4 du code du travail et le directeur de la PFC Le Rheu-Rennes a été mis en demeure le 26 mars 2020 de procéder au renforcement des consignes relatives au respect des gestes barrières et de s'assurer de leurs respects. La Poste a justifié des mesures prises auprès de l'inspection du travail, le 3 avril 2020, et une décision au niveau national a modifié l'organisation du travail pour l'ensemble des PFC du territoire. Il est constant que l'utilité de porter un masque pour endiguer la contamination du virus était déjà connue par la population, à la date du 10 avril 2020, date de l'exercice du droit de retrait de M. A.... Or, il n'est pas contesté que depuis le 16 mars 2020, aucun masque n'avait été distribué aux agents de la PFC et que la distribution des masques à l'ensemble des agents de la PFC Le Rheu-Rennes n'est intervenue qu'à compter du 15 avril 2020. En outre, il n'est pas davantage contesté que la distribution de gel hydro-alcoolique par agent n'était toujours pas prévue à cette date. De plus, si la nouvelle organisation du travail mise en place à compter du 30 mars 2020 par La Poste a réduit le temps de travail et le nombre d'agents présents simultanément sur site, les nombreuses observations consignées dans le registre d'hygiène de sécurité et des conditions de travail (HSCT) par les agents de l'équipe de nuit, révèlent que ces mesures n'étaient pas suffisantes pour assurer de manière effective le respect de la distanciation physique nécessaire dans l'enceinte de la plateforme, eu égard aux effectifs présents sur certaines plages horaires.
6. D'autre part, si le signalement de danger grave et imminent effectué par des membres du CHSCT le 16 mars 2020 a été levé le 3 avril 2020, ce signalement était de nature à influer sur la perception que M. A... pouvait avoir de la dangerosité de sa situation de travail. A ce titre, la circonstance selon laquelle il n'a pas exercé son droit de retrait les 8 et 9 avril alors que la situation était pourtant identique à celle du 10 avril 2020, est sans incidence sur la légalité de l'exercice ultérieur du droit de retrait de l'intéressé. De même, est sans incidence sur la légalité de l'exercice du droit de retrait de l'intéressé, la circonstance qu'il n'existait aucune obligation ni recommandation gouvernementale allant dans le sens du port d'un masque et/ou de gants, à la date du 10 avril 2020.
7. Dans ces conditions, M. A... avait des motifs raisonnables de penser qu'il se trouvait, le 10 avril 2020, dans une situation de travail présentant un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé du fait de son exposition sans protection suffisante à la covid-19, dont la forte contagiosité et que le risque grave et imminent pour la vie et la santé des personnes atteintes étaient avérés.
8. Il résulte de tout ce qui précède que La Poste n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, qui n'est pas entaché d'une contradiction interne, le tribunal administratif de Rennes a annulé la décision du directeur de la plateforme de colis du Rheu du 15 juillet 2020, ainsi que la décision du 12 août 2020 rejetant le recours gracieux de M. A....
Sur les frais liés à l'instance :
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. A..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que La Poste demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de La Poste une somme de 1 500 euros à verser à M. A... sur le même fondement.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de La Poste est rejetée.
Article 2 : La Poste versera à M. A... une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et à la société La Poste.
Délibéré après l'audience du 29 novembre 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Gaspon, président de chambre,
- M. Pons, premier conseiller
- Mme Bougrine, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 décembre 2024.
Le rapporteur
F. PONS
Le Président
O. GASPON
La greffière
C.VILLEROT
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
N° 23NT03511