La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

17/12/2024 | FRANCE | N°23NT03326

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 5ème chambre, 17 décembre 2024, 23NT03326


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 22 octobre 2019 par laquelle le ministre de l'intérieur a ajourné à trois ans sa demande de naturalisation.



Par un jugement n° 2000380 du 27 septembre 2023, le tribunal administratif de Nantes a annulé cette décision et a enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de procéder au réexamen de la demande dans un délai de six mois.



Procédure

devant la cour :



Par une requête, enregistrée le 17 novembre 2023, le ministre de l'intérieur et des ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 22 octobre 2019 par laquelle le ministre de l'intérieur a ajourné à trois ans sa demande de naturalisation.

Par un jugement n° 2000380 du 27 septembre 2023, le tribunal administratif de Nantes a annulé cette décision et a enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de procéder au réexamen de la demande dans un délai de six mois.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 17 novembre 2023, le ministre de l'intérieur et des outre-mer demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 27 septembre 2023 du tribunal administratif de Nantes ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Nantes.

Il soutient que :

- l'administration n'a pas accédé irrégulièrement aux informations du fichier automatisé de traitement des antécédents judiciaires (TAJ) lors de son enquête administrative, conduite par un agent habilité, en l'absence de toute mention restrictive d'accès aux informations en débat ; ces informations ont ensuite été recoupées avec celles du TGI de Paris et le Procureur de la République ; en tout état de cause, la seule consultation de ce fichier n'a pas été décisive avant l'intervention de la décision annulée ; les faits fondant la décision d'ajournement sont établis ;

- les moyens soulevés en première instance ne sont pas fondés.

La requête a été communiquée à M. A... B..., qui n'a pas produit de mémoire en défense.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de procédure pénale ;

- le code de la sécurité intérieure ;

- la loi n° 95-73 du 21 janvier 1995 ;

- le décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Rivas a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A... B..., ressortissant algérien né le 3 novembre 1980, a sollicité la nationalité française auprès du préfet de police de Paris qui a ajourné sa demande pour deux ans par une décision du 7 mars 2019. M. B... a formé, le 5 avril 2019, un recours administratif préalable obligatoire auprès du ministre de l'intérieur. Par une décision du 22 octobre 2019, celui-ci a ajourné à trois ans sa demande de naturalisation. Par un jugement du 27 septembre 2023, dont le ministre de l'intérieur et des outre-mer relève appel, le tribunal administratif de Nantes a annulé cette décision ministérielle et a enjoint au ministre de procéder au réexamen de la demande de l'intéressé dans un délai de six mois.

2. En premier lieu, aux termes de l'article 21-15 du code civil : " (...) l'acquisition de la nationalité française par décision de l'autorité publique résulte d'une naturalisation accordée par décret à la demande de l'étranger. ". Aux termes de l'article 48 du décret du 30 décembre 1993 relatif aux déclarations de nationalité, aux décisions de naturalisation, de réintégration, de perte, de déchéance et de retrait de la nationalité française : " Si le ministre chargé des naturalisations estime qu'il n'y a pas lieu d'accorder la naturalisation ou la réintégration sollicitée, il prononce le rejet de la demande. Il peut également en prononcer l'ajournement en imposant un délai ou des conditions (...). ". L'autorité administrative dispose, en matière de naturalisation, d'un large pouvoir d'appréciation. Elle tient notamment compte, dans l'exercice de ce pouvoir, de la conduite du demandeur telle qu'elle ressort en particulier de l'enquête administrative, dont l'objet n'est pas limité à la recherche d'éventuelles condamnations pénales.

3. Pour fonder l'ajournement à trois ans de la demande de naturalisation présentée par M. A... B..., le ministre s'est fondé sur une procédure dont l'intéressé a fait l'objet pour des faits de menace de mort réitérée et violence suivie d'incapacité n'excédant pas 8 jours par une personne étant ou ayant été conjoint, concubin ou partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité, le 8 mars 2015 à Paris.

4. L'article 36 du décret du 30 décembre 1993 relatif aux déclarations de nationalité, aux décisions de naturalisation, de réintégration, de perte, de déchéance et de retrait de la nationalité française dans sa rédaction applicable en l'espèce dispose que : " Toute demande de naturalisation ou de réintégration fait l'objet d'une enquête. (...) Cette enquête, qui porte sur la conduite et le loyalisme du demandeur, est effectuée par les services de police ou de gendarmerie territorialement compétents. Elle peut être complétée par une consultation des organismes consulaires et sociaux. (...) ". Il résulte de la combinaison des dispositions des articles L. 234-1 du code de la sécurité intérieure et 17-1 de la loi du 21 janvier 1995 d'orientation et de programmation relative à la sécurité que cette enquête inclut la consultation des traitements automatisés de données à caractère personnel mentionnés à l'article 230-6 du code de procédure pénale.

5. L'article R. 40-23 du code de procédure pénale dispose que : " Le ministre de l'intérieur (direction générale de la police nationale et direction générale de la gendarmerie nationale) est autorisé à mettre en œuvre un traitement automatisé de données à caractère personnel, dénommé ''traitement d'antécédents judiciaires", dont les finalités sont celles mentionnées à l'article 230-6. ". Aux termes de l'article 230-6, ce traitement a pour finalité de " faciliter la constatation des infractions à la loi pénale, le rassemblement de preuves de ces infractions et la recherche de leurs auteurs. ".

6. L'article 230-8 du code de procédure pénale dispose que : " Le traitement des données à caractère personnel est opéré sous le contrôle du procureur de la République territorialement compétent, qui, d'office ou à la demande de la personne concernée, ordonne qu'elles soient effacées, complétées ou rectifiées, notamment en cas de requalification judiciaire, ou qu'elles fassent l'objet d'une mention. (...) En cas de décision de relaxe ou d'acquittement devenue définitive, les données à caractère personnel concernant les personnes mises en cause sont effacées, sauf si le procureur de la République en prescrit le maintien, auquel cas elles font l'objet d'une mention. Lorsque le procureur de la République prescrit le maintien des données à caractère personnel relatives à une personne ayant bénéficié d'une décision de relaxe ou d'acquittement devenue définitive, il en avise la personne concernée. En cas de décision de non-lieu ou de classement sans suite, les données à caractère personnel concernant les personnes mises en cause font l'objet d'une mention, sauf si le procureur de la République ordonne l'effacement des données à caractère personnel. Lorsque les données à caractère personnel relatives à la personne concernée font l'objet d'une mention, elles ne peuvent faire l'objet d'une consultation dans le cadre des enquêtes administratives prévues aux articles L. 114-1 et L. 234-1 à L. 234-3 du code de la sécurité intérieure et à l'article 17-1 de la loi n° 95-73 du 21 janvier 1995 d'orientation et de programmation relative à la sécurité. (...) ".

7. Aux termes de l'article R. 40-29 du code de procédure pénale : " I. - Dans le cadre des enquêtes prévues à l'article 17-1 de la loi n° 95-73 du 21 janvier 1995, (...) les données à caractère personnel figurant dans le traitement qui se rapportent à des procédures judiciaires en cours ou closes, à l'exception des cas où sont intervenues des mesures ou décisions de classement sans suite, de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenues définitives, ainsi que des données relatives aux victimes, peuvent être consultées, sans autorisation du ministère public, par : 1° Les personnels de la police et de la gendarmerie habilités selon les modalités prévues au 1° et au 2° du I de l'article R. 40-28 ; / (...) 5° Les personnels investis de missions de police administrative individuellement désignés et spécialement habilités par le représentant de l'Etat. L'habilitation précise limitativement les motifs qui peuvent justifier pour chaque personne les consultations autorisées. Lorsque la consultation révèle que l'identité de la personne concernée a été enregistrée dans le traitement en tant que mise en cause, l'enquête administrative ne peut aboutir à un avis ou une décision défavorable sans la saisine préalable, pour complément d'information, des services de la police nationale ou des unités de la gendarmerie nationale compétents et, aux fins de demandes d'information sur les suites judiciaires, du ou des procureurs de la République compétents. Le procureur de la République adresse aux autorités gestionnaires du traitement un relevé des suites judiciaires devant figurer dans le traitement d'antécédents judiciaires et relatif à la personne concernée. Il indique à l'autorité de police administrative à l'origine de la demande si ces données sont accessibles en application de l'article 230-8 du présent code. (...)".

8. Il résulte des dispositions du code de procédure pénale précitées que, dans le cadre d'une enquête administrative menée pour l'instruction d'une demande d'acquisition de la nationalité française, les données à caractère personnel concernant une personne mise en cause qui figurent le cas échéant dans le traitement des antécédents judiciaires ne peuvent être consultées lorsqu'elles ont fait l'objet d'une mention, notamment à la suite d'une décision de non-lieu ou de classement sans suite. Aucun texte ne permet de déroger à cette interdiction. Lorsque les données à caractère personnel ne sont pas assorties d'une telle mention les personnels mentionnés au point précédent peuvent les consulter.

9. L'autorité compétente ne peut légalement fonder le rejet ou l'ajournement de la demande de naturalisation sur des informations qui seraient uniquement issues d'une consultation des données personnelles figurant dans le traitement des antécédents judiciaires à laquelle elle aurait procédé en méconnaissance de l'interdiction mentionnée au point précédent.

10. Il ressort des pièces du dossier, dont certaines ont été produites pour la première fois en appel, que l'administration a eu connaissance des faits de violence reprochés à M. B... lors de la consultation du fichier de traitement des antécédents judiciaires (TAJ) effectuée le 18 septembre 2018, sur le fondement du 5° de l'article R. 40-29 du code de procédure pénale, par une agente habilitée de la préfecture de police de Paris dans le cadre de l'instruction de la demande de naturalisation de l'intéressé. Cette consultation a été complétée par une demande d'information adressée le 19 septembre 2018 au Procureur de la République près le Tribunal de grande instance (TGI) de Paris. Par un courriel du 2 novembre 2018, celui-ci a indiqué que la procédure engagée à l'encontre de M. B... pour lesdits faits commis le 8 mars 2015 avait fait l'objet d'un classement sans suite pour prescription de l'action publique (code 344). Cette " fiche navette à destination de l'autorité administrative " mentionne que ces informations sont accessibles à l'administration, en application des articles 230-8 et R. 40-29 du code de procédure pénale. Un compte-rendu d'enquête administrative établi par le service régional de documentation criminelle de la préfecture de Paris a précisé les circonstances de la procédure policière conduite à l'occasion des faits du 8 mars 2015. Enfin, toujours dans le cadre de l'instruction de la demande de naturalisation présentée par M. B..., le ministre de l'intérieur et des outre-mer a de nouveau sollicité le Procureur de la République près le TGI de Paris, qui lui a confirmé l'existence d'un classement sans suite intervenu le 24 août 2017 pour prescription de l'action publique. Enfin si M. B... établit qu'il a demandé, par un courrier reçu au parquet du TGI de Paris le 25 juin 2018, l'effacement des données le concernant au fichier TAJ, il n'établit pas en revanche qu'il a été fait droit à cette demande, ou s'il y a été fait droit, sa date d'effet. Dans ces circonstances, le fait que par un courrier du 11 décembre 2018, les services de la direction générale de la police nationale ont indiqué à M. B... que " la procédure faisant l'objet d'une mention de classement sans suite est inaccessible dans le cadre de la consultation de ce fichier [TAJ] à des fins d'enquête administrative " n'est pas de nature à établir que l'administration ne pouvait accéder à cette information à la date à laquelle elle y a eu accès, le 18 septembre 2018, alors qu'en application de l'article 230-8 précité du code de procédure pénale, seules les données à caractère personnel relatives à la personne concernée ayant fait l'objet d'une mention, qui n'est pas établie en l'espèce, ne peuvent faire l'objet d'une consultation dans le cadre des enquêtes administratives. En conséquence, le ministre de l'intérieur et des outre-mer est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé sa décision du 22 octobre 2019 ajournant à trois ans la demande de naturalisation présentée par M. B... au motif que la décision contestée est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.

11. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B... devant le tribunal administratif de Nantes.

12. En premier lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que le ministre de l'intérieur et des outre-mer n'aurait pas procédé à un examen particulier de la demande de M. B....

13. En second lieu, aux termes de l'article 21-15 du code civil : " (...) l'acquisition de la nationalité française par décision de l'autorité publique résulte d'une naturalisation accordée par décret à la demande de l'étranger. ". En application de l'article 48 du décret du 30 décembre 1993 : " Dès réception du dossier, le ministre chargé des naturalisations procède à tout complément d'enquête qu'il juge utile, portant sur la conduite et le loyalisme de l'intéressé. / Lorsque les conditions requises par la loi sont remplies, le ministre chargé des naturalisations propose, s'il y a lieu, la naturalisation ou la réintégration dans la nationalité française. (...) / Si le ministre chargé des naturalisations estime qu'il n'y a pas lieu d'accorder la naturalisation ou la réintégration sollicitée, il prononce le rejet de la demande. Il peut également en prononcer l'ajournement en imposant un délai ou des conditions. Ce délai une fois expiré ou ces conditions réalisées, il appartient à l'intéressé, s'il le juge opportun, de déposer une nouvelle demande. ". En vertu de ces dispositions, il appartient au ministre chargé des naturalisations de porter une appréciation sur l'intérêt d'accorder la nationalité française à l'étranger qui la sollicite. Dans le cadre de cet examen d'opportunité, il peut légalement prendre en compte les renseignements défavorables recueillis sur le comportement général des postulants.

14. Il ressort des pièces du dossier, ainsi qu'il a été exposé au point 3, que l'ajournement de la demande de naturalisation de M. B... est fondé sur le fait qu'il a fait l'objet d'une procédure pour des faits de menace de mort réitérée et violence suivie d'incapacité n'excédant pas 8 jours par une personne étant ou ayant été conjoint, concubin ou partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité, commis à Paris le 8 mars 2015. Devant la juridiction, il ne conteste pas la matérialité des actes de violence commis à l'encontre de sa concubine le 8 mars 2015. Si l'intéressé souligne qu'il s'agirait d'un " évènement singulier, non répété " et ancien, eu égard à la gravité de tels faits de violence encore récents à la date de la décision contestée, le ministre de l'intérieur et des outre-mer, qui détient un large pouvoir pour apprécier l'opportunité d'accorder la naturalisation à l'étranger qui la sollicite, a pu, sans entacher sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation, ajourner la demande de naturalisation de M. B... pour une durée de trois ans.

15. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur et des outre-mer est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé, à la demande de M. B..., sa décision du 22 octobre 2019 ajournant à trois ans sa demande de naturalisation et lui a enjoint de procéder au réexamen de sa demande.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 2000380 du 27 septembre 2023 du tribunal administratif de Nantes est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Nantes est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. A... B....

Délibéré après l'audience du 28 novembre 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Degommier, président de chambre,

- M. Rivas, président assesseur,

- Mme Ody, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 décembre 2024.

Le rapporteur,

C. RIVAS

Le président,

S. DEGOMMIER

Le greffier,

C. GOY

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23NT03326


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NT03326
Date de la décision : 17/12/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. DEGOMMIER
Rapporteur ?: M. Christian RIVAS
Rapporteur public ?: M. FRANK

Origine de la décision
Date de l'import : 22/12/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-12-17;23nt03326 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award