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17/12/2024 | FRANCE | N°23NT02405

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 6ème chambre, 17 décembre 2024, 23NT02405


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. G... H... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du ministre du travail du 9 janvier 2020 en tant qu'elle autorise la société Walor Legé à prononcer son licenciement pour motif disciplinaire (article 3).



Par un jugement n° 20003170 du 22 juin 2023, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour :



Par une requête, enregistrée le 8 août 2023, M

. H..., représentée par Me Hardy, demande à la cour :



1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nan...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. G... H... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du ministre du travail du 9 janvier 2020 en tant qu'elle autorise la société Walor Legé à prononcer son licenciement pour motif disciplinaire (article 3).

Par un jugement n° 20003170 du 22 juin 2023, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 8 août 2023, M. H..., représentée par Me Hardy, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nantes du 22 juin 2023 ;

2°) d'annuler l'article 3 de la décision du ministre du travail du 9 janvier 2020 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- il convient de tirer les conséquences sur son licenciement intervenu le 27 mars 2019 de l'illégalité de la décision de l'inspecteur du travail du 19 mars 2019 ;

- la décision du ministre du travail du 9 janvier 2020 est insuffisamment motivée ;

- elle n'a pas été précédée d'un examen complet de sa situation ;

- il n'est pas établi que la signataire de la décision, dont il n'est pas démontré qu'elle appartiendrait à un corps de catégorie A, bénéficiait d'une délégation de signature ;

- alors que le ministre ne mentionne pas, dans sa décision du 9 janvier 2020, les observations qu'il a transmises postérieurement à l'intervention de la décision de l'inspecteur du travail, notamment celles du 20 mars 2019, la procédure doit être regardée comme irrégulière ;

- la matérialité des faits qui lui sont reprochés et pour lesquels il n'a pas été poursuivi n'est pas établie ;

- en estimant caractérisée l'infraction pénale de diffamation publique sans qu'aucune procédure pénale n'ait été ouverte à ce sujet, le ministre du travail a entaché sa décision d'erreur de droit ;

- les accusations et la procédure disciplinaire dont il fait l'objet sont liées au contexte social dans l'entreprise et s'inscrivent dans le prolongement de précédentes sanctions ou procédures en lien avec son mandat ;

- en caractérisant lui-même des infractions pénales pour autoriser son licenciement, le ministre du travail a commis un détournement de pouvoir.

Par un mémoire en défense, enregistré le 19 avril 2024, le ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :

- le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3 de la loi du 11 juillet 1979 est inopérant, les dispositions de cet article ayant été abrogées par une ordonnance du 23 octobre 2015 ; il est également non fondé ;

- le requérant ne peut utilement se prévaloir de l'irrégularité entachant la procédure suivie devant l'inspecteur du travail, laquelle est sans incidence sur la légalité de sa propre décision ; le caractère contradictoire de la procédure menée dans le cadre du recours hiérarchique a été respecté ;

- les autres moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 29 avril 2024, la société par actions simplifiée (SAS) Walor Legé, représentée par Me Tardivel, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge du requérant d'une somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Bougrine,

- les conclusions de Mme Bailleul, rapporteure publique,

- les observations de Me Hardy, représentant M. H... et les observations de Me Berthomé, substituant Me Tardivel et représentant la SAS Walor Legé.

Considérant ce qui suit :

1. M. H... a été recruté, le 13 septembre 2004, par la société par actions simplifiée (SAS) Walor Legé, qui exerce une activité dans le secteur de la métallurgie, pour occuper l'emploi d'... puis F.... Il exerce les mandats de délégué du personnel, de membre titulaire de la délégation unique du personnel, membre du comité de groupe, délégué syndical de la I... et de coordinateur syndical de groupe. Par une décision du 19 mars 2019, l'inspecteur du travail a autorisé la SAS Walor Legé à procéder à son licenciement pour motif disciplinaire. Saisi du recours hiérarchique formé par M. H..., le ministre a, par une décision du 9 janvier 2020, premièrement, retiré sa décision portant rejet implicite du recours, deuxièmement, annulé la décision de l'inspecteur du travail du 19 mars 2019 et, troisièmement, autorisé le licenciement de M. H.... Ce dernier relève appel du jugement du 22 juin 2023 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du ministre du travail du 9 janvier 2020 en tant qu'elle autorise son licenciement.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. En premier lieu, il résulte des articles R. 2421-5 et R. 2421-12 du code du travail que la décision par laquelle l'autorité administrative statue sur une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé doit être motivée.

3. La décision contestée, par laquelle le ministre de l'intérieur autorise le licenciement de M. H..., vise notamment les articles L. 2411-1, L. 2411-3, L. 2411-5 et L. 2411-8 du code du travail. Elle se prononce sur la matérialité et la nature des faits reprochés à l'intéressé et prend position sur leur caractère fautif. Elle expose également les circonstances ayant conduit le ministre à estimer que leur gravité justifiait le licenciement ainsi que les considérations sur lesquelles il s'est fondé pour écarter l'existence d'un lien avec les mandats. Elle est ainsi suffisamment motivée, tant en droit qu'en fait, alors même qu'elle ne se réfère pas à l'ensemble des explications et pièces dont M. H... s'est prévalu à l'appui de son recours.

4. En deuxième lieu, contrairement à ce que soutient M. H..., il ne ressort d'aucun des éléments du dossier que le ministre du travail se serait exclusivement fondé sur les éléments produits par la SAS Walor Legé et n'aurait pas tenu compte de ses observations, notamment celles que le requérant a adressées, par voie de courriel, à l'inspecteur du travail le 20 mars 2019 et qu'il a ensuite jointes au recours hiérarchique dont il a saisi le ministre.

5. En troisième lieu, dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail saisi et, le cas échéant, au ministre compétent, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi.

6. De première part, il ressort des pièces du dossier et n'est d'ailleurs pas contesté que lors d'une réunion de délégués du personnel, tenue dans le cours du mois de juillet 2018, M. H... a reproché à M. D..., responsable de site, d'avoir demandé à M. E... et M. C..., salariés de l'entreprise, de " l'aider à virer les négros ". Durant l'automne suivant, le requérant a oralement rapporté les propos qu'il impute à M. D... à M. Cudelou, vice-président de la société. Dans le courrier du 26 décembre 2018 à l'attention de M. D..., dont une copie a été adressée notamment au président-directeur-général du groupe Walor, à l'inspection du travail et à la médecine du travail, M. H... a de nouveau affirmé que M. D... menait une " campagne de haine raciale " et avait " demandé à un groupe de salariés bien identifié[s], avant les vacances d'été 2018, de [l']aider à virer les NEGROS ". Ces accusations ont été réitérées dans le courrier adressé le 17 janvier 2019 au président-directeur-général du groupe Walor, également transmis, en copie, à l'inspection du travail et à la médecine du travail. Enfin, M. H... est l'auteur d'un article, publié le 9 février 2019 sur internet, dans lequel il dénonce, sans toutefois nommément désigner M. D..., les propos mentionnés ci-dessus. Par ailleurs, dans ses courriers du 26 décembre 2018 et du 17 janvier 2019, M. H... a affirmé faire l'objet de harcèlement moral de la part de M. D.... Dans le second de ces courriers, il a associé M. E... à la campagne de harcèlement moral qu'il soutient subir.

7. S'agissant des propos racistes que M. H... impute à M. D..., il est constant que le requérant n'en a pas été le témoin direct. Il indique que ces propos lui auraient été rapportés par trois personnes sans, toutefois, les désigner ni même préciser si ces dernières les avaient elles-mêmes personnellement entendus. M. D... et M. E... ont fermement démenti les faits. Il ressort, en outre, de l'attestation de M. A..., délégué du personnel, que ce dernier a fait part de son étonnement face au terme utilisé et a conseillé à M. H... d'en discuter avec M. D.... S'il est versé aux débats le témoignage de M. B... indiquant avoir entendu M. D... dire, devant M. E... et M. C..., " Les gars, il faut m'aider à dégager ces deux blacks ", M. H... ne peut, au regard de l'ensemble des circonstances de l'espèce, être regardé comme ayant en toute bonne foi ignoré la fausseté des faits en cause ou, à tout le moins, leur caractère incertain, lequel exigeait de sa part, s'il entendait aborder le sujet, de s'exprimer avec prudence et mesure. M. H... a, au contraire, persisté, durant plusieurs mois et sans aucune précaution, dans ses accusations en leur donnant une diffusion de plus en plus large.

8. S'agissant des faits de harcèlement moral dont M. H... soutient avoir été l'objet de la part de M. D... et de M. E..., le requérant est dans l'impossibilité de justifier du caractère sérieux des éléments l'ayant conduit à porter ces accusations, de surcroît de manière virulente.

9. Il suit de là qu'en estimant que le grief tiré d'accusations mensongères à l'encontre de son entourage professionnel était matériellement établi et fautif, le ministre du travail a fait une exacte appréciation des faits de l'espèce.

10. De deuxième part, les accusations portées par M. H... ont été de nature à porter atteinte à l'autorité, à l'honneur et à la réputation professionnelle de M. D... et à jeter, plus généralement, le discrédit sur l'entreprise. Elles ont également été susceptibles de dégrader les conditions de travail de M. E.... Il ressort, il est vrai, des pièces du dossier qu'il existe au sein de l'entreprise des comportements et actes malveillants dont, selon le compte-rendu de la réunion " point d'étape enquête " du 30 janvier 2019, le caractère raciste ne peut être écarté. Par ailleurs, le climat social dans l'entreprise était marqué par des difficultés de communication entre l'employeur et les institutions représentatives du personnel ainsi que le désaccord opposant la direction et les représentants du personnel quant au versement de la majoration pour travaux pénibles, insalubres et dangereux. Toutefois, au regard de l'ensemble des circonstances de l'espèce, la faute commise par M. H... revêt, en dépit de ce contexte, un caractère de gravité suffisante pour justifier son licenciement.

11. En quatrième lieu, en vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives, qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque leur licenciement est envisagé, celui-ci ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou avec leur appartenance syndicale.

12. D'une part, des difficultés entre M. H... et son employeur sont apparues, par le passé et ont conduit celui-ci à solliciter l'autorisation de licencier celui-là pour motif disciplinaire, qui a été refusée par une décision de l'inspecteur du travail du 27 janvier 2014 fondée sur l'insuffisante gravité des faits fautifs pour justifier le licenciement et sur ce que l'existence d'un lien avec le mandat ne pouvait être totalement écartée. La demande d'autorisation de licenciement d'un autre représentant syndical avait été rejetée par l'inspecteur du travail, position confirmée par une décision du ministre chargé du travail au motif qu'il existait un lien avec entre la demande d'autorisation et le mandat de l'intéressé. En outre, par un jugement du 15 septembre 2015, le conseil des prud'hommes de Nantes a considéré que M. H... avait été victime de discrimination syndicale par la SAS Walor Legé. D'autre part, il ressort des pièces du dossier que M. H... a, en 2018, largement mobilisé les salariés de l'entreprise, en vue de l'obtention de la majoration de rémunération pour travaux pénibles, insalubres et dangereux. Plus de la moitié des salariés ont, ainsi, engagé devant le conseil des prud'hommes une action contre leur employeur. Toutefois, en dépit de ces antécédents et de ce contexte particulier, il n'apparaît pas, eu égard à l'ensemble des éléments versés aux débats, que la demande d'autorisation formulée en 2019 et fondée sur le comportement de M. H... vis-à-vis de son entourage professionnel présentait un lien avec les mandats alors exercés par le requérant.

13. En cinquième lieu, si M. H... se prévaut de l'illégalité de la décision de l'inspecteur du travail du 19 mars 2019 et soutient qu'il convient " d'en tirer toutes conséquences de droit " sur son licenciement prononcé le 27 mars 2019, il n'appartient pas au juge administratif, compétent uniquement pour statuer sur la légalité de la décision administrative délivrant ou refusant une autorisation de licenciement, d'en connaître.

14. En dernier lieu, M. H... réitère en appel les moyens soulevés en première instance et tirés de l'incompétence du signataire de la décision contestée, de l'erreur de droit qui résulterait du fait de s'être fondé sur une infraction pénale en l'absence de toute poursuite judiciaire et du détournement de pouvoir. Il y a lieu de les écarter par adoption des motifs retenus à bon droit par les premiers juges.

15. Il résulte de tout ce qui précède que M. H... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du ministre du travail du 9 janvier 2020 en tant qu'elle autorise son licenciement.

Sur les frais liés au litige :

16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat, lequel n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement à M. H... d'une somme au titre des frais qu'il a exposés et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de ce dernier une somme que demande la SAS Walor Legé au titre des frais de même nature qu'elle a supportés.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. H... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par la SAS Walor Legé sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. G... H..., au ministre du travail et de l'emploi et à la société par actions simplifiée Walor Legé.

Délibéré après l'audience du 29 novembre 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Gaspon, président de chambre,

- M. Pons, premier conseiller,

- Mme Bougrine, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 décembre 2024.

La rapporteure,

K. BOUGRINELe président,

O. GASPON

La greffière,

C. VILLEROT

La République mande et ordonne au ministre du travail et de l'emploi en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23NT02405


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NT02405
Date de la décision : 17/12/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. GASPON
Rapporteur ?: Mme Karima BOUGRINE
Rapporteur public ?: Mme BAILLEUL
Avocat(s) : SELARL FRETIN HARDY AIHONNOU

Origine de la décision
Date de l'import : 22/12/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-12-17;23nt02405 ?
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