Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. E... A... et Mme C... G... F... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté leur recours formé contre la décision du 17 juin 2021 de l'autorité consulaire française à Conakry (Guinée) refusant de délivrer à Mme G... F... et aux enfants B... A..., C... I... A... et H... A... des visas de long séjour en qualité de membres de famille de réfugié.
Par un jugement n° 2206664, 2206672 du 10 mars 2023, le tribunal administratif de Nantes a annulé, en son article 1er, la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France en tant qu'elle a refusé de délivrer à Mme F... le visa demandé et, en son article 4, a rejeté les conclusions tendant à l'annulation de la décision implicite de la commission de recours en tant qu'elle a refusé de délivrer aux enfants B... A..., C... I... A... et H... A... les visas demandés.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 17 juillet 2023 et 11 juin 2024, M. E... A... et Mme C... G... F..., représentés par Me Greffard-Poisson, demandent à la cour :
1°) d'annuler l'article 4 de ce jugement du tribunal administratif de Nantes ;
2°) d'annuler la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France en tant qu'elle refuse de délivrer aux enfants B... A..., C... I... A... et H... A... des visas de long séjour en qualité de membres de famille de réfugié ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer aux enfants les visas demandés, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Greffard-Poisson, leur avocate, de la somme de 2 000 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Ils soutiennent que :
- la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France contestée a été prise en méconnaissance des articles L. 561-2 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors que l'identité des demandeurs de visas et leurs liens familiaux avec le réunifiant sont établis par les actes d'état civil produits et par des éléments de possession d'état ;
- elle a été prise en méconnaissance de l'article L. 434-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors qu'a été produit un jugement de délégation d'autorité parentale ;
- elle porte une atteinte disproportionnée au droit au respect de leur vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est contraire à l'intérêt supérieur de l'enfant protégé par le paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant.
Par un mémoire en défense, enregistré le 2 août 2023, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun des moyens invoqués par les requérants n'est fondé.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle à hauteur de 55 % par une décision du 14 juin 2023 du bureau d'aide juridictionnelle (section administrative) du tribunal judiciaire de Nantes.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code civil ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Ody a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. E... A..., ressortissant guinéen, s'est vu reconnaître la qualité de réfugié. Par décision du 17 juin 2021, l'autorité consulaire française à Conakry (Guinée) a refusé de délivrer à Mme G... F... et aux enfants B... A..., C... I... A... et H... A... les visas de long séjour demandés en qualité de membres de famille de réfugié. La commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a implicitement rejeté le recours formé contre cette décision consulaire. Par un jugement du 10 mars 2023, le tribunal administratif de Nantes a annulé, en son article 1er, la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France en tant qu'elle a refusé de délivrer à Mme F... le visa demandé et, en son article 4, a rejeté les conclusions tendant à l'annulation de la décision implicite de la commission de recours en tant qu'elle a refusé de délivrer aux enfants B... A..., C... I... A... et H... A... les visas demandés. M. E... A... et Mme C... G... F... relèvent appel de l'article 4 de ce jugement.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Il ressort des écritures en défense produites par le ministre de l'intérieur en première instance que la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France est fondée sur le motif tiré de ce que l'identité des trois enfants pour lesquels les visas ont été demandés et leurs liens de filiation avec M. A... ne sont pas établis par les actes d'état civil produits et les éléments de possession d'état invoqués et, s'agissant de l'enfant H... A..., sur le motif tiré de ce que la mère biologique de l'enfant n'est ni décédée, ni déchue de l'autorité parentale et aucun jugement de délégation de l'autorité parentale n'a été produit.
3. En premier lieu, d'une part, aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / (...) 3° Par les enfants non mariés du couple, n'ayant pas dépassé leur dix-neuvième anniversaire. / (...) L'âge des enfants est apprécié à la date à laquelle la demande de réunification familiale a été introduite. ".
4. D'autre part, l'article L. 811-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit que la vérification des actes d'état civil étrangers doit être effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. L'article 47 du code civil dispose quant à lui que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.
5. Enfin, il n'appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère, hormis le cas où le jugement produit aurait un caractère frauduleux.
6. Pour la première fois en appel, les requérants produisent des jugements supplétifs de naissance rendus pour les enfants B... A... et C... I... A..., les enfants de M. A... et Mme F..., et pour l'enfant H... A..., issu d'une autre union de M. A..., par le tribunal de première instance de Mafanco le 6 avril 2023 annulant les précédents jugements supplétifs successivement rendus. L'administration ne critique pas ces derniers jugements supplétifs qui comportent l'ensemble des mentions relatives aux noms, prénoms, dates et lieux de naissance aussi bien des enfants que des parents. En outre, ces mentions correspondent aux déclarations de M. A... lors de ses démarches auprès de l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides pour obtenir le statut de réfugié. Dans ces conditions, en estimant que l'identité des enfants et leurs liens de filiation avec M. A... n'étaient pas établis, la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France a fait une inexacte application des dispositions précitées.
7. En deuxième lieu, en vertu de l'article L. 561-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, les articles L. 434-1, L. 434-3 à L. 434-5 et le premier alinéa de l'article L. 434-9 sont applicables à la procédure de réunification familiale. Aux termes de l'article L. 434-4 de code : " Le regroupement familial peut être demandé pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et ceux de son conjoint, qui sont confiés, selon le cas, à l'un ou l'autre, au titre de l'exercice de l'autorité parentale, en vertu d'une décision d'une juridiction étrangère. Une copie de cette décision devra être produite ainsi que l'autorisation de l'autre parent de laisser le mineur venir en France. ".
8. Il ressort des pièces du dossier que Mme D... A..., la mère de l'enfant Billy, ni décédée ni déchue de ses droits parentaux, a signé une autorisation parentale de sortie du territoire le 30 novembre 2020 devant les autorités de la police nationale guinéenne. Il ressort du jugement rendu le 6 février 2020 par le tribunal de première instance de Conakry 3, produit pour la première fois en appel et portant rectification d'un précédent jugement, que l'autorité parentale sur l'enfant H... A... a été déléguée par Mme D... A... à M. A... par un jugement du même tribunal rendu le 14 août 2018. Par suite, en refusant la délivrance du visa demandé pour l'enfant H... A... au motif que l'autre parent n'était ni décédé, ni déchu de l'exercice de ses droits parentaux et qu'aucun jugement de délégation de l'autorité parentale n'a été produit, la commission de recours a fait une inexacte application des dispositions précitées de l'article L. 434-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
9. Il résulte de tout ce qui précède et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête que M. A... et Mme F... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande tendant à l'annulation de la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France en tant qu'elle refuse de délivrer aux enfants B... A..., C... I... A... et H... A... les visas demandés.
Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :
10. Eu égard à ses motifs, l'exécution du présent arrêt implique nécessairement que des visas d'entrée et de long séjour soient délivrés aux enfants B... A..., C... I... A... et H... A.... Il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer ces visas dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt. Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
11. M. A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 700 euros hors taxe à Me Greffard-Poisson dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
D E C I D E :
Article 1er : L'article 4 du jugement n° 2206664, 2206672 du 10 mars 2023 du tribunal administratif de Nantes est annulé.
Article 2 : La décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France est annulée en tant qu'elle refuse de délivrer aux enfants B... A..., C... I... A... et H... A... les visas de long séjour demandés.
Article 3 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer aux enfants B... A..., C... I... A... et H... A... des visas d'entrée et de long séjour dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à Me Greffard-Poisson une somme de 700 euros hors taxe dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... A... et Mme C... G... F... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 28 novembre 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Degommier, président de chambre,
- M. Rivas, président assesseur,
- Mme Ody, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 décembre 2024.
La rapporteure,
C. ODY
Le président,
S. DEGOMMIER Le greffier,
C. GOY
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
N° 23NT02150