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13/12/2024 | FRANCE | N°23NT03548

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 4ème chambre, 13 décembre 2024, 23NT03548


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société par actions simplifiée (SAS) Sill a demandé au tribunal administratif de Rennes, à titre principal, d'annuler la décision du 17 mai 2021 par laquelle le directeur régional de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités de Bretagne (DREETS) lui a appliqué une amende administrative d'un montant de 350 000 euros et, à titre subsidiaire, de réformer cette décision en modulant à la baisse l'amende appliquée ou d'enjoindre au DREETS de procéder à une te

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société par actions simplifiée (SAS) Sill a demandé au tribunal administratif de Rennes, à titre principal, d'annuler la décision du 17 mai 2021 par laquelle le directeur régional de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités de Bretagne (DREETS) lui a appliqué une amende administrative d'un montant de 350 000 euros et, à titre subsidiaire, de réformer cette décision en modulant à la baisse l'amende appliquée ou d'enjoindre au DREETS de procéder à une telle modulation dans un délai d'un mois à compter du jugement, sous astreinte de 100 euros par jour de retard.

Par un jugement n° 2103687 du 18 octobre 2023, le tribunal administratif de Rennes a annulé la décision précitée du DREETS de Bretagne du 17 mai 2021 et rejeté le surplus des conclusions de la requête.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 30 novembre 2023, le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 18 octobre 2023 ;

2°) de rejeter la demande de la SAS Sill, à titre subsidiaire, de moduler le montant de l'amende en litige à due proportion des montants concernés par les deuxièmes et troisièmes décades de livraison figurant dans les factures récapitulatives éditées par la société Sill pour le compte de ses fournisseurs.

Il soutient que :

- le tribunal administratif a méconnu les dispositions de l'article L. 443-1 du code de commerce ; son raisonnement conduit à permettre le paiement de premières livraisons mensuelles figurant sur des factures récapitulatives d'achat de produits alimentaires périssables dans un délai excédant le plafond légal de 30 jours ; si toutes les livraisons d'un même mois peuvent être payées dans le respect de l'échéance légale applicable aux livraisons réalisées pendant la troisième décade, cela signifie que les livraisons effectuées pendant les premières et deuxième décades sont nécessairement réglées au-delà de leur échéance légale ; le paiement des livraison de la première et de la deuxième décade a respectivement pour échéance légale le neuvième ou le dixième jour du mois suivant et le dix-neuvième ou vingtième jour du mois suivant ; aucune disposition ne permet l'application d'un délai de paiement dérogatoire pour les factures périodiques prévues par le 3 du I de l'article 289 du code général des impôts ; compte tenu du caractère indissociable de la facture, il a retenu pour toutes les livraisons mentionnées sur la facture une échéance de paiement unique, qui ne peut qu'être celle de la première décade de livraison afin de respecter le plafond légal de 30 jours ; la SAS Sill n'a pas précisé au sein de ses factures récapitulatives la date à laquelle les livraisons ont été effectuées ; l'article L. 443-1 du code de commerce ne permet pas d'appliquer à une seule facture plusieurs échéances de paiement ;

- à titre subsidiaire, dans l'hypothèse où la cour ne retiendrait pas le caractère indissociable des factures litigieuses, il y aurait lieu de moduler le montant de l'amende en litige à due proportion des montants concernés par les deuxièmes et troisièmes décades de livraison figurant dans les factures récapitulatives éditées par la société Sill pour le compte de ses fournisseurs.

Par un mémoire en défense, enregistré le 21 mars 2024, la SAS Sill, représentée par Mes Lévy et Martin Saint-Léon, conclut au rejet de la requête, à ce qu'une somme de 20 000 euros soit mise à la charge du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les dépens de l'instance.

Elle soutient qu'aucun des moyens soulevés n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de commerce ;

- le code général des impôts ;

- le code rural et de la pêche maritime ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Chabernaud,

- les conclusions de Mme Rosemberg, rapporteure publique,

- et les observations de Mme B... et de M. A..., représentant le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, et de Mes Lévy et Martin Saint-Léon pour la société Sill.

Considérant ce qui suit :

1. La SAS Sill exploite une activité de collecte de lait, de transformation et de vente de produits laitiers et dérivés. A la suite d'un contrôle effectué par les agents de la direction régionale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités de Bretagne (DREETS), elle a fait l'objet d'une décision du 30 décembre 2019, prise en application des dispositions de l'article L. 443-1 du code de commerce, mettant à sa charge une amende administrative d'un montant de 350 000 euros pour non-respect des délais de paiement des factures de ses fournisseurs pour la période du 1er janvier au 31 octobre 2018. Cette décision a été retirée le 22 janvier 2020 puis, le 17 mai 2021, une seconde décision a été prise par le directeur de la DREETS afin de mettre à la charge de la SAS Sill une amende du même montant que précédemment et pour les mêmes motifs. La SAS Sill a demandé au tribunal administratif de Rennes, à titre principal, d'annuler cette décision du 17 mai 2021 et, à titre subsidiaire, de réformer celle-ci en modulant à la baisse l'amende appliquée ou d'enjoindre au DREETS de procéder à une telle modulation. Par un jugement du 18 octobre 2023, le tribunal administratif de Rennes a annulé la décision précitée du DREETS de Bretagne du 17 mai 2021 et rejeté le surplus des conclusions de la requête. Le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie fait appel de ce jugement devant la cour.

Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal administratif :

2. Aux termes de l'article L. 443-1 du code de commerce applicable durant la période en litige, devenu l'article L. 441-11 du même code : " Le délai de paiement, par tout producteur, revendeur ou prestataire de services, ne peut être supérieur : / 1° à trente jours après la fin de la décade de livraison pour les achats de produits alimentaires périssables (...) / Les manquements aux dispositions du présent article (...) sont passibles d'une amende administrative dont le montant ne peut excéder (...) deux millions d'euros pour une personne morale. L'amende est prononcée dans les conditions prévues à l'article L. 470-2 du présent code. (...) ". Selon l'article L. 441-3 dudit code : " Tout achat de produits ou toute prestation de service pour une activité professionnelle doivent faire l'objet d'une facturation. (...) La facture mentionne (...) la date à laquelle le règlement doit intervenir. (...) ". Aux termes du 3 de l'article 289 du code général des impôts en vigueur à la date des faits litigieux : " La facture est, en principe, émise dès la réalisation de la livraison ou de la prestation de services. / (...) / Elle peut être établie de manière périodique pour plusieurs livraisons de biens ou prestations de services distinctes réalisées au profit d'un même acquéreur ou preneur pour lesquelles la taxe devient exigible au cours d'un même mois civil. Cette facture est établie au plus tard à la fin de ce même mois. ". Enfin, aux termes de l'article D. 654-29 du code rural et de la pêche maritime : " I.- Le lait de vache est payé aux producteurs en fonction de sa composition et de sa qualité hygiénique et sanitaire. (...) ".

3. Il résulte de l'instruction que la SAS Sill achète auprès d'exploitants agricoles du lait cru de vache pour les besoins de son activité de transformation et de vente de produits laitiers. Dans ce cadre, elle utilise le mécanisme de l'auto facturation et émet une facture périodique regroupant l'ensemble des livraisons de lait effectuées chaque mois par l'exploitant. Elle attribue à cette facture mensuelle un délai de paiement unique de trente jours, qu'elle compute à partir de la fin de la dernière décade de livraison du mois, et ce alors même que des livraisons interviennent systématiquement pendant les deux premières décades de livraison. Ainsi, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif, la computation de ce délai de paiement n'est pas conforme à celle prescrite par les dispositions précitées du 1° de l'article L. 443-1 du code de commerce qui imposent, pour les achats de produits alimentaires périssables, un délai de paiement de trente jours à compter de la fin de la décade de livraison, sans prévoir aucune exception ou aménagement à cette règle. La circonstance que la SAS Sill utilise la possibilité offerte par le 3 de l'article 289 du code général des impôts de déroger au principe de l'émission d'une facture dès la réalisation de la livraison en établissant, chaque mois, une facture périodique mensualisée ne peut lui permettre de bénéficier d'un délai de paiement différent, calculé non pas à partir de la fin de la décade de livraison, comme la loi l'impose, mais à partir de la fin de la dernière décade de livraison de sa facture mensuelle. Il résulte ainsi de l'instruction, en particulier du procès-verbal d'infraction du 7 août 2019 et du tableau récapitulatif établi par la SAS Sill, que sur les 100 factures analysées par les services de la DREETS, le paiement de ces dernières est intervenu entre le dix-huitième et le vingtième jour du mois suivant celui au titre duquel le lait avait été collecté, alors qu'il aurait dû intervenir au plus tard le dixième jour de ce mois, date qui correspond en effet à l'expiration du délai de paiement de trente jours commençant à courir à la fin de la première décade de livraison de lait cru opérée par les fournisseurs de la SAS Sill figurant sur ces factures, dont il n'est pas contesté qu'elles devaient comporter une date de paiement unique en application des dispositions précitées de l'article L. 441-3 du code de commerce. Enfin, la société Sill n'établit pas que les analyses du lait effectuées en laboratoire, qui sont nécessaires à la détermination de son prix en application des dispositions précitées de l'article D. 654-29 du code rural et de la pêche maritime, rendraient le respect de ce délai de paiement impossible.

4. Il résulte de ce qui précède que c'est à tort que le tribunal administratif s'est fondé sur le moyen tiré de ce que la SAS Sill n'avait pas méconnu le délai maximal de paiement mentionné au 1° de l'article L. 443-1 du code de commerce au titre de la période du 1er janvier au 31 octobre 2018 pour annuler la décision du directeur de la DREETS de Bretagne du 17 mai 2021.

5. Toutefois, il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par la SAS Sill devant le tribunal administratif de Rennes.

Sur les autres moyens soulevés par la SAS Sill :

6. En premier lieu, aux termes de l'article L. 470-2 du code de commerce : " I. -L'autorité administrative chargée de la concurrence et de la consommation est l'autorité compétente pour prononcer les amendes administratives sanctionnant les manquements mentionnés au titre IV du présent livre ainsi que l'inexécution des mesures d'injonction prévues à l'article L. 470-1. (...) III. - Les manquements passibles d'une amende administrative sont constatés par procès-verbal, selon les modalités prévues à l'article L. 450-2. IV. - Avant toute décision, l'administration informe par écrit la personne mise en cause de la sanction envisagée à son encontre, en lui indiquant qu'elle peut prendre connaissance des pièces du dossier et se faire assister par le conseil de son choix et en l'invitant à présenter, dans le délai de soixante jours, ses observations écrites et, le cas échéant, ses observations orales. Passé ce délai, l'autorité administrative peut, par décision motivée, prononcer l'amende. (...) ". Selon l'article L. 450-2 de ce code : " Les enquêtes donnent lieu à l'établissement de procès-verbaux et, le cas échéant, de rapports. Les procès-verbaux sont transmis à l'autorité compétente. Copie en est transmise aux personnes intéressées. Ils font foi jusqu'à preuve contraire. ". Enfin, aux termes de l'article L. 100-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Le présent code régit les relations entre le public et l'administration en l'absence de dispositions spéciales applicables. (...) ".

7. D'une part, la société requérante ne peut utilement se prévaloir de la méconnaissance des dispositions des articles L. 122-1 et L. 122-2 du code des relations entre le public et l'administration, dès lors que les modalités de la procédure contradictoire préalable à l'édiction de la sanction administrative en litige sont définies non pas par ces dispositions mais par celles des articles L. 450-2 et L. 470-2 du code de commerce précités, qui doivent en effet être regardées comme des dispositions spéciales au sens de l'article L. 100-1 précité du code des relations entre le public et l'administration.

8. D'autre part, il résulte de l'instruction que par une lettre du 9 juin 2020, le directeur de la DREETS de Bretagne a indiqué de façon précise à la société Sill les manquements qui lui étaient reprochés en ce qui concerne les délais de paiement de ses fournisseurs de lait, lui a adressé le procès-verbal d'infraction du 7 août 2019 y afférent, qui est suffisamment motivé, contrairement à ce qu'elle soutient, et l'a informée de son intention de prononcer à son encontre une sanction administrative d'un montant de 350 000 euros ainsi que la publication de cette sanction. La société Sill a également été informée de la possibilité qui lui était offerte de présenter, dans un délai de soixante jours, des observations écrites et orales, de prendre connaissance de l'ensemble des pièces du dossier et de se faire assister par le conseil de son choix. La société requérante a d'ailleurs présenté, assistée de son conseil, des observations détaillées sur ledit projet de sanction par des courriers des 6 août 2020 et 25 mars 2021 et lors d'un entretien du 17 mars 2021 avec les services de la DREETS dans le cadre duquel elle a présenté des observations orales. Il résulte ainsi de l'ensemble de ces éléments que l'administration a mis à même la société Sill de bénéficier des garanties prévues par la procédure contradictoire définie aux articles L. 450-2 et L. 470-2 précités du code de commerce et que la société a effectivement pu faire valoir sa position lors de cette procédure en ayant accès à l'ensemble des éléments utiles pour ce faire. Si elle soutient que les services de la DREETS auraient dû lui transmettre les informations qu'elle a collectées lors de sa rencontre avec des représentants des producteurs de lait cru de vache et du laboratoire Mylab, il résulte toutefois de l'instruction que ces informations complémentaires, qui ne constituent pas le fondement même de la sanction en litige, ont été collectées pour répondre, dans la décision contestée du 17 mai 2021, à une partie de l'argumentation développée par la société elle-même durant la procédure contradictoire et n'avaient pas, dès lors, à lui être communiquées sous peine d'irrégularité de cette dernière.

9. Enfin, aucune des autorités compétentes au sein de la DREETS pour décider de la sanction administrative en litige ne peut être regardée comme un tribunal au sens des stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. En outre, cette sanction peut faire l'objet d'un recours de plein contentieux devant la juridiction administrative, devant laquelle la procédure est en tous points conforme aux exigences de cet article. Par suite, la société Sill ne peut utilement invoquer la méconnaissance de celui-ci en soutenant que la décision contestée du 17 mai 2021 se fonderait sur des déclarations anonymes.

10. En deuxième lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 3 ci-dessus qu'en estimant que la société Sill n'avait pas respecté le délai de paiement de l'ensemble des factures analysées pendant le contrôle dont elle a fait l'objet, et en édictant, en conséquence, la sanction administrative en litige, le directeur de la DREETS de Bretagne a fait une exacte application du 1° de l'article L. 443-1 du code de commerce et n'a ni méconnu le principe de légalité des peines et délits, ni le principe d'interprétation stricte de la loi en matière pénale, ni le principe de sécurité juridique, ni la directive 2019/633 du 17 avril 2019. En outre, contrairement à ce qu'allègue la société Sill, il ne résulte pas de l'instruction que l'administration aurait tenu compte des prestations et cotisations également facturées par la société à ses producteurs dans l'application qu'elle a faite desdites dispositions.

11. En troisième lieu, et comme il a été dit plus haut, la société Sill n'établit pas, par les pièces qu'elle produit, que les analyses du lait effectuées en laboratoire, qui sont nécessaires à la détermination de son prix en application des dispositions précitées de l'article D. 654-29 du code rural et de la pêche maritime, rendraient le respect du délai de paiement du 1° de l'article L. 443-1 impossible. Elle n'est dès lors pas fondée à soutenir qu'en opposant une telle circonstance, qui ne constitue pas, au demeurant, le fondement de la sanction en litige, la décision contestée du 17 mai 2021 serait entachée d'erreur de fait ou n'aurait pas pris en considération les contraintes particulières auxquelles le secteur du lait est soumis.

12. En quatrième lieu, si la société Sill soutient que les services de la DREETS ont commis une erreur de fait en lui opposant la circonstance qu'il existerait des tensions entre elle et les exploitants agricoles qui la fournissent, il résulte toutefois des termes mêmes de la décision attaquée du 17 mai 2021, qui sont suffisamment circonstanciés sur ce point, que les enquêteurs de la DREETS ont rencontré des représentants de ses fournisseurs de lait qui ont fait état de difficultés dans leurs relations avec la société requérante, notamment en ce qui concerne la perspective de signer un contrat d'achat de lait cru et le mécanisme de l'auto facturation actuellement en place. En outre, il résulte du procès-verbal d'infraction du 7 août 2019, dont les énonciations sont détaillées et suffisamment probantes, que les producteurs laitiers et la société Sill s'inscrivent dans une relation commerciale déséquilibrée, dès lors que les producteurs, dont la taille est souvent modeste, peuvent difficilement changer de laiterie pour vendre leur production en raison des contraintes logistiques inhérentes à la collecte du lait cru. En conséquence, c'est sans commettre d'erreur de fait que le directeur de la DREETS de Bretagne a repris ces éléments aux termes de la décision litigieuse.

13. En dernier lieu, le respect du principe de proportionnalité d'une sanction financière s'apprécie au regard de la gravité des manquements commis, de la durée de la période durant laquelle ces manquements ont perduré, du comportement de la société et de sa situation financière.

14. D'une part, il ressort des termes mêmes de la décision contestée du 17 mai 2021 que le directeur de la DREETS de Bretagne a tenu compte des circonstances de l'espèce, en particulier de la gravité des manquements reprochés à la société Sill et de sa situation financière, pour édicter la sanction en litige. La société Sill n'est donc pas fondée à soutenir que cette dernière méconnaîtrait le principe d'individualisation des peines.

15. D'autre part, la totalité des cent factures établies au titre de la période du 1er janvier au 31 octobre 2018 par la société Sill et analysées par les services de la DREETS lors du contrôle a été payée avec retard et concerne dix producteurs de lait pour un total facturé de 3 452 531 euros, déduction faite du montant des acomptes accordés aux producteurs. En outre, ces factures globalisées avec un délai de paiement unique applicable à l'ensemble des décades de livraison ont été émises par la société Sill elle-même à travers le mécanisme de l'auto facturation, dans un contexte économique particulier où ses fournisseurs sont des exploitations agricoles, dont la taille est souvent modeste et qui vendent, la plupart du temps, la totalité de leur production à la société dès lors qu'elles peuvent difficilement changer de laiterie en faisant jouer la concurrence compte tenu des contraintes logistiques inhérentes à la collecte du lait cru, ainsi qu'il résulte du procès-verbal d'infraction du 7 août 2019. Par ailleurs, la société requérante n'établit pas avoir mis en place des mesures correctrices pour remédier aux manquements en cause, notamment à travers une facturation par décade de livraison. Toutefois, il résulte également de l'instruction que la rétention de trésorerie dont a ainsi bénéficié la société Sill au détriment de ses fournisseurs de lait est relativement limitée dès lors, notamment, que le délai moyen de retard de paiement est de 9,70 jours sur l'ensemble des factures, le règlement de ces dernières intervenant au plus tard 20 jours après l'émission de ces dernières à la fin de chaque mois. Enfin, l'amende administrative litigieuse, d'un montant de 350 000 euros, représente 19% de son bénéfice ainsi qu'environ la moitié de ses disponibilités financières au titre de l'exercice 2017. En conséquence, eu égard à l'ensemble de ces éléments, la société Sill est seulement fondée à soutenir que la sanction qui lui a été infligée est excessive. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de ramener l'amende décidée par le directeur de la DREETS de Bretagne à la somme de 200 000 euros.

16. Enfin, la société Sill invoque les lignes directrices publiées le 2 décembre 2021 par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), dont l'objet est de définir des critères pour déterminer le montant des amendes administratives édictées en cas de dépassement des délais de paiement interprofessionnels. Ainsi, ces critères consistent notamment à prendre en compte l'importance de la rétention de trésorerie provoquée par les manquements sanctionnés et la situation financière du contrevenant. Toutefois, la méthodologie que définissent ces lignes directrices étant celle qui est mise en œuvre dans le présent arrêt, ainsi qu'il résulte de ce qui a été dit au point 15 ci-dessus, leur invocation ne peut qu'être écartée.

17. Il résulte de tout ce qui précède qu'il y a seulement lieu de ramener le montant de la sanction administrative mise à la charge de la société Sill par la décision contestée du 17 mai 2021 à la somme de 200 000 euros.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

18. Dès lors que le présent arrêt procède à la modulation de la sanction administrative en litige, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de la société Sill tendant à ce qu'il soit enjoint au directeur de la DREETS de Bretagne de procéder à une telle modulation dans un délai d'un mois à compter de la décision à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard.

Sur les frais liés au litige :

19. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros au titre des frais exposés par la société Sill et non compris dans les dépens. En revanche, aucun dépens n'ayant été exposé dans le cadre du présent litige, il y a lieu de rejeter les conclusions de la société requérante tendant au remboursement de ces derniers.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Rennes du 18 octobre 2023 est annulé.

Article 2 : Le montant de l'amende administrative prononcée à l'encontre de la société Sill aux termes de la décision du 17 mai 2021 du directeur de la DREETS de Bretagne est ramené à la somme de 200 000 euros.

Article 3 : L'Etat versera à la société Sill une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de la société Sill est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à SAS Sill et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Copie en sera adressée pour information au directeur régional de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités en région Bretagne.

Délibéré après l'audience du 26 novembre 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- M. Derlange, président-assesseur,

- M. Chabernaud, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 décembre 2024.

Le rapporteur,

B. CHABERNAUDLe président,

L. LAINÉ

Le greffier,

C. WOLF

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23NT03548


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NT03548
Date de la décision : 13/12/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LAINÉ
Rapporteur ?: M. Benjamin CHABERNAUD
Rapporteur public ?: Mme ROSEMBERG
Avocat(s) : REED SMITH LLP

Origine de la décision
Date de l'import : 18/12/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-12-13;23nt03548 ?
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