Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler l'arrêté du 6 mai 2021 par lequel le maire de Gatteville-le-Phare a refusé de lui accorder le permis de construire qu'il a sollicité le 11 mars 2021 ainsi que la décision implicite née le 15 septembre 2021 portant rejet de son recours gracieux.
Par un jugement n° 2102423 du 9 juin 2023, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 21 juillet 2023 et 11 juin 2024, M. A..., représenté par Me Jean-Meire, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Caen ;
2°) d'annuler l'arrêté du 6 mai 2021 du maire de Gatteville-le-Phare ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Manche de délivrer un avis conforme favorable à son projet et au maire de Gatteville-le-Phare de lui délivrer le permis de construire sollicité dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat et de la commune de Gatteville-le-Phare la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le projet de construction ne méconnaît pas les dispositions de l'article L. 121-8 du code de l'urbanisme ; l'application de l'article L. 121-8 du code de l'urbanisme s'effectue compte tenu des dispositions du SCOT ; le secteur de la Hougue se situe en continuité avec le centre-bourg de la commune, ainsi que le présente le SCOT du Pays de Cotentin, dans sa version issue de la révision approuvée le 15 décembre 2022 ; le secteur de la Hougue présente lui-même les caractéristiques d'un village ; la rue de la Hougue ne constitue pas une coupure de l'urbanisation ; le terrain d'assiette du projet en cause est en continuité avec l'espace urbanisé environnant ;
- l'avis conforme défavorable du préfet est, par voie d'exception, entaché d'illégalité ;
- la décision contestée ayant été prise par le maire au nom de la commune, seul ce dernier, et non le préfet, est compétent pour solliciter une substitution de motif tirée de ce que le projet méconnaitrait les dispositions de l'article L. 111-3 du code de l'urbanisme ;
- situé en bordure de la partie actuellement urbanisée de la commune, le projet n'entraînerait pas, eu égard à son caractère modeste, une extension de l'urbanisation, contraire aux dispositions de l'article L. 111-3 du code de l'urbanisme.
Par un mémoire, enregistré le 10 mai 2024, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Montes-Derouet,
- les conclusions de M. Le Brun, rapporteur public,
- et les observations de Me Lemaire, substituant Me Jean Meire, pour M. A....
Considérant ce qui suit :
1. Le 11 mars 2021, M. A... a déposé une demande de permis de construire en vue d'édifier une maison d'habitation de 126 m² sur un terrain cadastré B 597, situé 53, rue de la Hougue à Gatteville-le-Phare. Par un arrêté du 6 mai 2021, pris sur avis conforme défavorable du préfet de la Manche, le maire de Gatteville-le-Phare a refusé de délivrer le permis de construire sollicité. Par un jugement du 9 juin 2023, le tribunal administratif de Caen a rejeté la demande de M. A... tendant à l'annulation de l'arrêté du 6 mai 2021 du maire de Gatteville-le-Phare et de la décision née le 15 septembre 2021 portant rejet de son recours gracieux. M. A... relève appel de ce jugement.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. D'une part, aux termes de l'article L. 121-3 du code de l'urbanisme : " (...) Le schéma de cohérence territoriale précise, en tenant compte des paysages, de l'environnement, des particularités locales et de la capacité d'accueil du territoire, les modalités d'application des dispositions du présent chapitre. Il détermine les critères d'identification des villages, agglomérations et autres secteurs déjà urbanisés prévus à l'article L. 121-8, et en définit la localisation. ". Aux termes de l'article L. 121-8 du même code : " L'extension de l'urbanisation se réalise en continuité avec les agglomérations et villages existants. /(...) ".
3. Il résulte de ces dispositions qu'il appartient à l'autorité administrative chargée de se prononcer sur une demande d'autorisation d'occupation ou d'utilisation du sol de s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, de la conformité du projet avec les dispositions du code de l'urbanisme particulières au littoral, notamment celles de l'article L. 121-8 du code de l'urbanisme qui prévoient que l'extension de l'urbanisation ne peut se réaliser qu'en continuité avec les agglomérations et villages existants, c'est-à-dire avec les zones déjà urbanisées caractérisées par un nombre et une densité significatifs de constructions. En revanche, aucune construction ne peut être autorisée, même en continuité avec d'autres, dans les zones d'urbanisation diffuse éloignées de ces agglomérations et villages. A ce titre, l'autorité administrative s'assure de la conformité d'une autorisation d'urbanisme avec l'article L. 121-8 de ce code compte tenu des dispositions du schéma de cohérence territoriale applicable, déterminant les critères d'identification des villages, agglomérations et autres secteurs déjà urbanisés et définissant leur localisation, dès lors qu'elles sont suffisamment précises et compatibles avec les dispositions législatives particulières au littoral.
4. D'autre part, aux termes de l'article L. 422-6 du code de l'urbanisme : " En cas d'annulation par voie juridictionnelle ou d'abrogation d'une carte communale, d'un plan local d'urbanisme ou d'un document d'urbanisme en tenant lieu, ou de constatation de leur illégalité par la juridiction administrative ou l'autorité compétente et lorsque cette décision n'a pas pour effet de remettre en vigueur un document d'urbanisme antérieur, le maire ou le président de l'établissement public de coopération intercommunale recueille l'avis conforme du préfet sur les demandes de permis ou les déclarations préalables postérieures à cette annulation, à cette abrogation ou à cette constatation ".
5. Il résulte de ces dispositions que si, lorsque la délivrance d'une autorisation administrative est subordonnée à l'accord préalable d'une autre autorité, le refus d'un tel accord, qui s'impose à l'autorité compétente pour statuer sur la demande d'autorisation, ne constitue pas une décision susceptible de recours, des moyens tirés de sa régularité et de son bien-fondé peuvent, quel que soit le sens de la décision prise par l'autorité compétente pour statuer sur la demande d'autorisation, être invoqués devant le juge saisi de cette décision.
6. Il ressort des pièces du dossier que, pour refuser le permis de construire sollicité, le maire de Gatteville-le-Phare s'est fondé sur l'avis conforme défavorable émis par le préfet de la Manche sur le fondement des dispositions de l'article L. 422-6 du code de l'urbanisme, au motif que le projet de M. A... ne se situe pas dans un village, au sens de la loi littoral, mais dans une zone d'habitat diffus et qu'il était, dès lors, de nature à constituer une extension de l'urbanisation.
7. En premier lieu, le schéma de cohérence territoriale (SCOT) du Pays du Cotentin approuvé par délibération du 12 avril 2011 applicable au projet, définit, dans le document d'orientation et d'objectifs, les villages " par opposition aux hameaux, comme des noyaux urbains fonctionnels dont le potentiel de développement permet d'y renforcer ou d'y insérer à terme des fonctions mixtes (services) et pas seulement de logement ". S'il détermine de la sorte des critères d'identification des villages au sens de la loi littoral, il n'en définit pas leur localisation, également requise, pour l'application des dispositions de l'article L. 121-8 du code de l'urbanisme.
8. En second lieu, il ressort des pièces du dossier, et notamment des plans et photographies aériennes, que le terrain d'assiette du projet est situé dans le secteur de la Hougue, à une distance d'environ 500 mètres du centre-bourg de la commune de Gatteville-le-Phare. Il ressort également des pièces du dossier que le secteur de la Hougue compte au moins une quarantaine de maisons d'habitation implantées, de part et d'autre, le long de la rue de la Hougue qui traverse ce secteur du nord au sud. Certaines de ces constructions sont mitoyennes et plusieurs d'entre elles sont regroupées et forment des noyaux relativement denses, notamment à la croisée de la rue de la Hougue avec la rue de la Houguette ainsi qu'au niveau du croisement de la rue de la Hougue avec le chemin de Gattemare. L'ensemble de ces constructions forme de la sorte un ensemble caractérisé par une densité significative de constructions. Enfin, si la parcelle de M. A... jouxte, à l'ouest, un espace naturel et agricole, elle est encadrée, au nord et au sud, par deux parcelles construites, elle fait face, de l'autre côté de la rue de la Hougue, à moins de 4 m, à plusieurs constructions mitoyennes bâties parallèlement et perpendiculairement à la rue et elle marque un trait d'union entre les deux noyaux de constructions qui se trouvent, au sud, à 43 m de distance au niveau du croisement de la rue de la Hougue avec la rue de la Houguette et au nord, à 46 m de distance au niveau du croisement de la rue de la Hougue avec la chemin de Gattemare. Contrairement à ce que soutient le ministre, le terrain d'assiette du projet de M. A... ne saurait être regardé comme se situant au-delà de la coupure d'urbanisation avec le village de Gatteville-le-Phare que marquerait, sur ce seul tronçon, la rue de la Hougue. Il s'ensuit que le projet de M. A..., qui se limite à la construction d'une maison individuelle, doit être regardé comme faisant partie intégrante d'un espace urbanisé, conformément aux dispositions de l'article L. 121-8 du code de l'urbanisme.
9. Il résulte de tout ce qui précède que l'avis conforme défavorable du préfet de la Manche est entaché d'illégalité et que, dès lors, le maire, qui s'est approprié ce motif de refus, ne pouvait, refuser de délivrer à M. A... le permis de construire sollicité.
10. L'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.
11. Le préfet de la Manche a fait valoir en première instance que le projet méconnaissait les dispositions de l'article L. 111-3 du code de l'urbanisme et doit ainsi être regardé comme ayant sollicité une substitution de motif sur le fondement de ces dispositions.
12. Aux termes de l'article L. 111-3 du code de l'urbanisme : " En l'absence de plan local d'urbanisme, de tout document d'urbanisme en tenant lieu ou de carte communale, les constructions ne peuvent être autorisées que dans les parties urbanisées de la commune. ". Ces dispositions interdisent en principe, en l'absence de plan local d'urbanisme, de tout document d'urbanisme en tenant lieu ou de carte communale, les constructions implantées " en dehors des parties urbanisées de la commune ", c'est-à-dire des parties du territoire communal qui comportent déjà un nombre et une densité significatifs de constructions. Il en résulte qu'en dehors du cas où elles relèvent des exceptions expressément et limitativement prévues par l'article L. 111-4 du même code, les constructions ne peuvent être autorisées dès lors que leur réalisation a pour effet d'étendre la partie urbanisée de la commune.
13. Il ressort des pièces du dossier que, si la parcelle devant accueillir la construction projetée jouxte, à l'ouest, un espace naturel et agricole, elle est encadrée, ainsi qu'il a été dit au point 8, au nord et au sud, par deux parcelles construites. Elle fait face, de l'autre côté de la rue de la Hougue, à moins de 4 m, à plusieurs constructions mitoyennes bâties parallèlement et perpendiculairement à la rue et se trouve dans le prolongement immédiat des deux noyaux de constructions plus denses bâtis au sud de la parcelle de M. A..., à la croisée de la rue de la Houguette et de la rue de la Hougue et au nord de la parcelle, à la croisée de la rue de la Hougue et du chemin de Gattemare. Elle doit, dès lors, être regardée comme se situant à l'intérieur des parties urbanisées de la commune, pour l'application des dispositions de l'article L. 111-3 du code de l'urbanisme. En outre, le projet contesté qui consiste en la réalisation, sur une parcelle de 1 000 m², d'une maison d'habitation de 125 m² n'a pas pour effet d'étendre les parties actuellement urbanisées de la commune. Le projet contesté ne méconnaissant pas les dispositions de l'article L. 111-3 du code de l'urbanisme précitées, la demande de substitution de motifs ne peut être accueillie.
14. Pour l'application de l'article L. 600-4-1 du code de l'urbanisme, aucun autre moyen n'apparaît susceptible, en l'état de l'instruction, de fonder l'annulation de l'arrêté en litige.
15. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 6 mai 2021 et de la décision implicite née le 15 septembre 2021 portant rejet de son recours gracieux.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
16. Aux termes de l'article L. 424-3 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction alors applicable : " Lorsque la décision rejette la demande ou s'oppose à la déclaration préalable, elle doit être motivée. / Cette motivation doit indiquer l'intégralité des motifs justifiant la décision de rejet ou d'opposition, notamment l'ensemble des absences de conformité des travaux aux dispositions législatives et réglementaires mentionnées à l'article L. 421-6. / Il en est de même lorsqu'elle est assortie de prescriptions, oppose un sursis à statuer ou comporte une dérogation ou une adaptation mineure aux règles d'urbanisme applicables. ". Aux termes de l'article
L. 600-2 du même code : " Lorsqu'un refus opposé à une demande d'autorisation d'occuper ou d'utiliser le sol ou l'opposition à une déclaration de travaux régies par le présent code a fait l'objet d'une annulation juridictionnelle, la demande d'autorisation ou la déclaration confirmée par l'intéressé ne peut faire l'objet d'un nouveau refus ou être assortie de prescriptions spéciales sur le fondement de dispositions d'urbanisme intervenues postérieurement à la date d'intervention de la décision annulée sous réserve que l'annulation soit devenue définitive et que la confirmation de la demande ou de la déclaration soit effectuée dans les six mois suivant la notification de l'annulation au pétitionnaire. ".
17. Lorsque le juge annule un refus d'autorisation d'urbanisme, y compris une décision de sursis à statuer, ou une opposition à une déclaration, après avoir censuré l'ensemble des motifs que l'autorité compétente a énoncés dans sa décision conformément à l'article L. 424-3 du code de l'urbanisme ainsi que, le cas échéant, les motifs qu'elle a pu invoquer en cours d'instance, il doit, s'il est saisi de conclusions à fin d'injonction, ordonner à l'autorité compétente de délivrer l'autorisation ou de prendre une décision de non-opposition, sur le fondement de l'article
L. 911-1 du code de justice administrative. Il n'en va autrement que s'il résulte de l'instruction soit que les dispositions en vigueur à la date de la décision annulée, qui eu égard à l'article L 600-2 du code de l'urbanisme demeurent applicables à la demande, interdisent de l'accueillir pour un motif que l'administration n'a pas relevé, ou que par suite d'un changement de circonstances, la situation de fait existant à la date du jugement y fait obstacle.
18. Il ne résulte pas de l'instruction que les dispositions en vigueur à la date de l'arrêté annulé interdisaient la délivrance du permis de construire pour un autre motif que ceux que le présent arrêt censure. Il ne résulte pas non plus de l'instruction qu'un changement dans les circonstances de fait survenu avant le prononcé du présent arrêt ferait obstacle à la délivrance du permis de construire. Par suite, il y a lieu d'enjoindre au maire de Gatteville-le-Phare de délivrer à M. A... un permis de construire conformément à sa demande déposée le 11 mars 2021, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les frais liés au litige :
19. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat et de la commune les sommes de 800 euros que M. A... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Caen du 9 juin 2023 est annulé.
Article 2 : L'arrêté du 6 mai 2021 par lequel le maire de la commune de Gatteville-le-Phare a refusé le permis de construire sollicité par M. A... et la décision implicite née le 15 septembre 2021 du maire portant rejet du recours gracieux sont annulés.
Article 3 : Il est enjoint au maire de Gatteville-le-Phare de délivrer à M. A... le permis de construire sollicité, dans un délai de deux mois suivant la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat et la commune de Gatteville-le-Phare verseront, chacun, à M. A... une somme de 800 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., à la commune de Gatteville-le-Phare et à la ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques.
Délibéré après l'audience du 19 novembre 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Buffet, présidente de chambre,
- Mme Montes-Derouet, présidente-assesseure,
- M. Mas, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 décembre 2024.
La rapporteure,
I. MONTES-DEROUET
La présidente,
C. BUFFET
La greffière,
M. C...
La République mande et ordonne à la ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23NT02234