Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme C... B... et M. D... A... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a implicitement rejeté le recours formé contre la décision des autorités consulaires françaises en poste à Alger rejetant la demande de visa de court séjour présentée par M. A....
Par un jugement n° 2213718 du 24 octobre 2023, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 20 décembre 2023, Mme B... et M. A..., représentés par Me Le Floch, demandent à la cour :
1°) de prononcer l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle ;
2°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nantes du 24 octobre 2023 ;
3°) d'annuler la décision contestée ;
4°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de faire délivrer à M. A... le visa de court séjour sollicité, dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ou, à défaut, de lui enjoindre de réexaminer sa demande, dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à leur conseil d'une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ou, dans le cas où la demande d'aide juridictionnelle ferait l'objet d'un refus ou d'une admission partielle, de mettre à la charge de l'Etat le versement à leur profit d'une somme de 1 200 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- compte tenu des ressources propres de M. A... et de celles de Mme B..., qui s'engage à l'héberger durant son séjour, M. A... justifie de sa capacité à retourner dans son pays d'origine et de moyens de subsistance suffisants pour la durée de son séjour ;
- c'est à tort que le ministre de l'intérieur oppose le risque de détournement de l'objet du visa, la demande de visa étant motivée par le souhait de se marier.
Par un mémoire en défense, enregistré le 11 janvier 2024, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par les requérants ne sont pas fondés.
Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 23 janvier 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 ;
- le règlement (CE) n° 810/2009 du 13 juillet 2009 du Parlement européen et du Conseil établissant un code communautaire des visas ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Bougrine a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant algérien, a sollicité la délivrance d'un visa de court séjour en vue de célébrer, le 20 juin 2022, à l'Hôtel de ville de ... (...), son mariage avec Mme B..., ressortissante française. Par une décision du 16 juin 2022, les autorités consulaires françaises en poste à Alger ont rejeté sa demande. Le recours administratif préalable formé contre cette décision le 8 août 2022 a été implicitement rejeté par la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France. Mme B... et M. A... relèvent appel du jugement du 24 octobre 2023 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande tendant à l'annulation de cette décision implicite de rejet.
Sur l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle :
2. Aux termes de l'article 20 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique : " Dans les cas d'urgence (...), l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle peut être prononcée soit par le président du bureau ou de la section compétente du bureau d'aide juridictionnelle, soit par la juridiction compétente ou son président ".
3. Mme B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 23 janvier 2024. Par suite, les conclusions tendant à ce que Mme B... soit provisoirement admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle, en application de l'article 20 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, sont devenues sans objet. Il n'y a plus lieu d'y statuer.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
4. Il ressort des pièces du dossier que la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France en litige est fondée sur le motif tiré de ce que les informations communiquées pour justifier l'objet et les conditions du séjour envisagé n'étaient pas fiables. Le ministre de l'intérieur réitère en appel sa demande tendant à ce que soient substitués à ce motif de refus, dont il ne défend pas la légalité, les motifs tirés, d'une part, du caractère insuffisant des ressources de M. A... pour faire face aux frais liés à son séjour et, d'autre part, du risque de détournement de l'objet du visa.
5. En premier lieu, aux termes de l'article 21 du règlement (CE) du 13 juillet 2009 établissant un code communautaire des visas : " 1. Lors de l'examen d'une demande de visa uniforme, (...) une attention particulière est accordée à l'évaluation du risque d'immigration illégale (...) que présenterait le demandeur ainsi qu'à sa volonté de quitter le territoire des États membres avant la date d'expiration du visa demandé. ". Aux termes de l'article 32 du même règlement : " 1. (...) le visa est refusé : (...) b) s'il existe des doutes raisonnables sur (...) sur la fiabilité des déclarations effectuées par le demandeur ou sur sa volonté de quitter le territoire des États membres avant l'expiration du visa demandé. (...) ".
6. L'administration peut, indépendamment d'autres motifs de rejet tels que la menace pour l'ordre public, refuser la délivrance d'un visa, qu'il soit de court ou de long séjour, en cas de risque avéré de détournement de son objet, lorsqu'elle établit que le motif indiqué dans la demande ne correspond manifestement pas à la finalité réelle du séjour de l'étranger en France. Elle peut à ce titre opposer un refus à une demande de visa de court séjour en se fondant sur l'existence d'un risque avéré de détournement du visa à des fins migratoires.
7. Le ministre de l'intérieur conteste la réalité du projet de mariage, motivant la demande de visa, en faisant valoir que Mme B... et M. A..., qui n'expliquent pas les raisons pour lesquelles ils n'ont pas célébré leur mariage en Algérie en 2021 alors qu'ils ont fait procéder à la publication des bans au consulat d'Alger du 8 au 18 décembre 2020 et qu'un certificat de capacité de mariage a été délivré à Mme B... le 29 décembre 2020, n'établissent pas avoir été dans l'impossibilité de mener à terme leur projet de mariage. Les requérants indiquent, toutefois, sans être sérieusement contredits, qu'après avoir été interrompus jusqu'à l'été 2021, en raison de la fermeture des frontières aériennes, les vols entre la France et l'Algérie ont fait l'objet de multiples restrictions. Ils produisent un article de presse, daté du 28 décembre 2021, faisant état des nombreuses difficultés rencontrées au cours de l'année 2021 pour voyager entre la France et l'Algérie, se traduisant notamment par la raréfaction de l'offre de vols, des prix prohibitifs et divers incidents. Ce même document révèle que le transport maritime de voyageurs n'a repris qu'en octobre 2021. Par ailleurs, les requérants versent aux débats le certificat de publication et de non opposition à mariage délivré le 6 mai 2022 par le maire de ... ainsi que l'attestation de publication du même jour dont il ressort que le mariage devait être célébré le 20 juin 2022. Ils justifient également de diverses dépenses exposées en vue de l'événement. Dans ces conditions, et alors même que M. A... aurait sollicité en 2017 un visa de long séjour en qualité d'étudiant, ce qui n'est au demeurant pas établi, il ne résulte pas de l'instruction que M. A... aurait sollicité le visa dans un objectif autre que celui d'épouser en France Mme B... ni qu'il n'aurait pas l'intention de respecter la durée de validité de son visa et de regagner l'Algérie pour, le cas échéant, se conformer à l'obligation, une fois marié, d'obtenir un visa de long séjour en qualité de conjoint d'un ressortissant français. Dans ces conditions, le motif tiré du risque de détournement de l'objet du visa ne saurait, sans erreur manifeste d'appréciation, fonder le refus de visa en litige.
8. Toutefois, en second lieu, l'article 9 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 stipule que : " Sans préjudice des stipulations du titre Ier du protocole annexé au présent Accord et de l'échange de lettres modifié du 31 août 1983, les ressortissants algériens venant en France pour un séjour inférieur à trois mois doivent présenter un passeport en cours de validité muni d'un visa délivré par les autorités françaises. (...) ". L'article 32 du règlement (CE) du 13 juillet 2009 établissant un code communautaire des visas dispose : " 1. (...), le visa est refusé : / a) si le demandeur : (...) / ne fournit pas la preuve qu'il dispose de moyens de subsistance suffisants, tant pour la durée du séjour envisagé que pour le retour dans son pays d'origine ou de résidence (...) ou n'est pas en mesure d'acquérir légalement ces moyens, / (...) ".
9. Par ailleurs, aux termes de l'article L. 313-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Tout étranger qui déclare vouloir séjourner en France pour une durée n'excédant pas trois mois dans le cadre d'une visite familiale ou privée doit présenter un justificatif d'hébergement qui prend la forme d'une attestation d'accueil, signée par la personne qui se propose d'assurer le logement de l'étranger, ou son représentant légal. Cette attestation est validée par l'autorité administrative, et constitue le document prévu par la convention signée à Schengen le 19 juin 1990 pour justifier les conditions de séjour dans le cas d'une visite familiale ou privée. ". L'article R. 313-9 du même code dispose : " Le signataire de l'attestation d'accueil doit, pour en obtenir la validation par le maire, se présenter personnellement en mairie, muni d'un des documents mentionnés aux articles R. 313-7 et R. 313-8, d'un document attestant de sa qualité de propriétaire, de locataire ou d'occupant du logement dans lequel il se propose d'héberger le visiteur ainsi que de tout document permettant d'apprécier ses ressources et sa capacité d'héberger l'étranger accueilli dans un logement décent au sens des dispositions réglementaires en vigueur et dans des conditions normales d'occupation. ".
10. Il résulte de ces dispositions que, d'une part, l'obtention d'un visa d'entrée et de court séjour est subordonnée à la condition que le demandeur justifie à la fois de sa capacité à retourner dans son pays d'origine et de moyens de subsistance suffisants pendant son séjour. A cet égard, lorsqu'un demandeur de visa de court séjour établit qu'il dispose de ressources suffisantes pour son déplacement sur le territoire français, en faisant la preuve du retrait d'une somme significative d'un compte bancaire personnel, il appartient à l'administration, lorsqu'elle soutient que cette somme ne saurait suffire à justifier de revenus stables, de démontrer en quoi, selon elle, cette somme n'est pas véritablement à la disposition de l'étranger. D'autre part, il appartient au demandeur de visa dont les ressources personnelles ne lui assurent pas ces moyens d'apporter la preuve de ce que les ressources de la personne qui l'héberge et qui s'est engagée à prendre en charge ses frais de séjour au cas où il n'y pourvoirait pas sont suffisantes pour ce faire. Cette preuve peut résulter de la production d'une attestation d'accueil validée par l'autorité compétente et comportant l'engagement de l'hébergeant de prendre en charge les frais de séjour du demandeur, sauf pour l'administration à produire des éléments de nature à démontrer que l'hébergeant se trouverait dans l'incapacité d'assumer effectivement l'engagement qu'il a ainsi souscrit.
11. Il ressort des pièces du dossier que M. A... est employé, depuis le 9 décembre 2018, par l'entreprise algérienne Imadache Construction Métallique, en qualité d'ingénieur. Ses revenus mensuels s'élevaient, en 2022, à environ 63 500 dinars algériens, soit un peu moins de 450 euros. L'intéressé produit également une attestation du crédit populaire d'Algérie dont il ressort qu'il est titulaire d'un compte, ouvert en euros, présentant à la date du 18 mai 2022 un solde créditeur de 2 520 euros. Ces ressources sont insuffisantes pour lui procurer les moyens de subsistance nécessaires au regard de la durée de son séjour en France, dont il n'est pas soutenu qu'elle serait inférieure à trois mois, ainsi que pour assurer son retour vers l'Algérie. Par ailleurs, alors que M. A... ne dispose pas d'une attestation d'accueil établie dans les conditions prévues à l'article R. 313-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et comportant l'engagement de Mme B... à prendre en charge ses frais de séjour, il ressort des pièces du dossier que cette dernière a, au cours du premier semestre 2022, tiré de son activité professionnelle environ 1 200 euros par mois puis a signé, au mois d'août 2022, un contrat de travail à durée indéterminée, correspondant à un temps de travail partiel annualisé, pour une rémunération brute mensuelle d'environ 1 100 euros. Elle perçoit, par ailleurs, un peu plus de 1 000 euros de prestations sociales par mois. Ainsi, le niveau de ressources de Mme B..., qui supporte la charge de trois enfants, apparait insuffisant pour lui permettre de prendre en charge les frais de séjour de M. A... au cas où ce dernier n'y pourvoirait pas. Il suit de là que le motif tenant à l'absence de moyens de subsistance suffisants justifie légalement le refus de visa en litige. Il résulte de l'instruction que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France aurait pris la même décision en se fondant initialement sur ce seul motif. Il y a lieu de procéder à la substitution de motifs demandée par le ministre, laquelle ne prive pas M. A... d'une garantie.
12. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'intérêt de Mme B... à agir contre le refus opposé à la demande de visa de court séjour présentée par M. A..., que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :
13. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions à fin d'annulation, n'implique aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte présentées par les appelants doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
14. Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Dans les circonstances de l'espèce, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'intérêt de Mme B... à agir contre le refus de visa opposé à M. A..., les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique doivent être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la demande d'admission à l'aide juridictionnelle à titre provisoire.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... B..., à M. D... A... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 15 novembre 2024, à laquelle siégeaient :
M. Gaspon, président de chambre,
M. Pons, premier conseiller,
Mme Bougrine, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 3 décembre 2024.
La rapporteure,
K. BOUGRINE
Le président,
O. GASPONLa greffière,
I. PETTON
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23NT03796