Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... C... et Mme A... D... épouse C..., agissant en leur nom propre et en qualité de représentants légaux de l'enfant Axel C..., ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 25 mai 2022 de l'autorité consulaire française à Kinshasa (République démocratique du Congo) refusant de délivrer à Mme D... et à l'enfant Axel C... un visa d'entrée et de long séjour au titre de la réunification familiale.
Par un jugement n° 2212915 du 26 juin 2023, le tribunal administratif de Nantes a annulé cette décision et a enjoint au ministre de l'intérieur de faire délivrer les visas de long séjour sollicités dans un délai de deux mois à compter de la notification de son jugement.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 14 août 2023, le ministre de l'intérieur demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 26 juin 2023 ;
2°) de rejeter la demande de M. C... et de Mme D... présentée devant le tribunal administratif de Nantes.
Il soutient que :
- en ce qui concerne Mme D..., le lien marital n'est pas établi ; elle ne justifie pas d'une vie commune suffisamment stable et continue antérieure à la demande d'asile ;
- en ce qui concerne l'enfant Axel C..., il ne peut être regardé comme l'enfant du couple dès lors que Mme D... n'est ni l'épouse ni la concubine de M. C... ;
- en ce qui concerne l'enfant Axel C..., le motif tiré de ce qu'il est de l'intérêt supérieur de l'enfant de rester en République démocratique du Congo, en l'absence de délégation de l'autorité parentale, est de nature à légalement fonder la décision contestée ;
- la décision contestée ne méconnait pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense, enregistré le 3 juin 2024, M. B... C... et Mme A... D... épouse C..., agissant en leur nom propre et en qualité de représentants légaux de l'enfant Axel C..., représentés par Me Mukendi Ndonki, concluent au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de l'État le versement à leur conseil, ou à défaut à leur bénéfice, de la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Ils soutiennent que les moyens soulevés par le ministre de l'intérieur ne sont pas fondés.
M. C... a été maintenu au bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle (25 %) par une décision du 9 octobre 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Dubost a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. C..., ressortissant congolais né le 27 octobre 1990, s'est vu reconnaître la qualité de réfugié le 14 août 2014. Mme D..., née le 25 octobre 1989, et l'enfant Axel C..., né le 4 décembre 2010, qu'il présente comme sa femme et son fils, ont déposé une demande de visa de long séjour au titre de la réunification familiale auprès de l'autorité consulaire française à Kinshasa (République démocratique du Congo), laquelle a rejeté cette demande par une décision du 25 mai 2022. Le recours formé contre ce refus consulaire devant la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a été rejeté par une décision implicite née du silence gardé par ladite commission pendant plus deux mois. M. C... et Mme D... ont alors demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler cette décision. Le ministre de l'intérieur relève appel du jugement du 26 juin 2023 de ce tribunal annulant la décision de la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France et lui enjoignant de délivrer les visas de longs séjours sollicités.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Il ressort des pièces du dossier que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée, pour rejeter le recours formé à l'encontre de la décision des autorités consulaires françaises à Kinshasa, sur la circonstance que les déclarations des intéressés conduisent à conclure à une tentative frauduleuse pour obtenir un visa au titre de la réunification familiale.
3. Aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : 1° Par son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage ou l'union civile est antérieur à la date d'introduction de sa demande d'asile ; (...) 3° Par les enfants non mariés du couple, n'ayant pas dépassé leur dix-neuvième anniversaire. (...) L'âge des enfants est apprécié à la date à laquelle la demande de réunification familiale a été introduite. " Aux termes de l'article L. 561-4 du même code : " Les articles L. 434-1, L. 434-3 à L. 434-5 et le premier alinéa de l'article L. 434-9 sont applicables. La réunification familiale n'est pas soumise à des conditions de durée préalable de séjour régulier, de ressources ou de logement. " Aux termes de l'article L. 561-5 dudit code : " Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. Ils produisent pour cela les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 121-9 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux. ". La circonstance qu'une demande de visa de long séjour ait pour objet le rapprochement familial d'un conjoint ou des enfants d'une personne bénéficiaire de la protection subsidiaire ne fait pas obstacle à ce que l'autorité administrative refuse la délivrance du visa sollicité en se fondant, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, sur un motif d'ordre public. Figure au nombre de ces motifs le défaut de valeur probante des documents destinés à établir la réalité du lien matrimonial entre les époux ou du lien de filiation produits à l'appui des demandes de visa.
4. L'article L. 811-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit que la vérification des actes d'état civil étrangers doit être effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. L'article 47 du code civil dispose quant à lui que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.
5. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que par un acte dressé le 20 octobre 2017, l'officier d'état civil de la commune de Ngiri-Ngiri a transcrit le jugement de mariage tardif rendu le 10 octobre 2017 par le tribunal de paix de Kinshasa/Assossa confirmant le mariage coutumier de M. C... et Mme D... célébré en famille le 24 février 2010. Ainsi, il n'est pas établi que le mariage de M. C... et de Mme E... aurait été célébré en République démocratique du Congo à une date où M. C... s'était déjà vu reconnaitre la qualité de réfugié en France, de sorte que l'administration n'établit pas le caractère frauduleux de l'acte de mariage produit. Dans ces conditions, le lien matrimonial de M. C... et de Mme D... étant établi, la commission de recours a fait une inexacte application des dispositions précitées du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
6. En deuxième lieu, il résulte de ce qui a été dit au point précédent que l'enfant Axel C..., dont le lien de filiation n'est pas contesté par le ministre de l'intérieur, doit être regardé comme l'enfant du couple formé par M. C... et son épouse Mme D.... Dans ces conditions, le lien de filiation de l'enfant avec le réunifiant et son épouse étant établi, la commission de recours a fait une inexacte application des dispositions précitées du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
7. En troisième lieu, pour établir que la décision contestée était légale, le ministre fait valoir un nouveau motif fondé sur l'intérêt supérieur de l'enfant à rester en République démocratique du Congo, en l'absence de jugement de délégation de l'autorité parentale.
8. L'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.
9. Aux termes de l'article L. 434-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le regroupement familial est sollicité pour l'ensemble des personnes désignées aux articles L. 434-2 à L. 434-4. Un regroupement partiel peut toutefois être autorisé pour des motifs tenant à l'intérêt des enfants. ". Aux termes de l'article L. 434-3 de ce code : " Le regroupement familial peut également être demandé pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et pour ceux de son conjoint si, au jour de la demande :1° La filiation n'est établie qu'à l'égard du demandeur ou de son conjoint ; 2° Ou lorsque l'autre parent est décédé ou déchu de ses droits parentaux. ". Enfin, aux termes de l'article L. 434-4 dudit code : " Le regroupement familial peut être demandé pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et ceux de son conjoint, qui sont confiés, selon le cas, à l'un ou l'autre, au titre de l'exercice de l'autorité parentale, en vertu d'une décision d'une juridiction étrangère. Une copie de cette décision devra être produite ainsi que l'autorisation de l'autre parent de laisser le mineur venir en France. ".
10. Il résulte de ces dispositions que l'enfant, mineur de dix-huit ans, souhaitant rejoindre son parent réfugié sans son autre parent, bénéficie de plein droit de la délivrance d'un visa de long séjour soit lorsque son autre parent est décédé ou déchu de l'autorité parentale, soit s'il a été confié à son parent réfugié ou au conjoint de ce dernier en exécution d'une décision d'une juridiction étrangère et est muni de l'autorisation de son autre parent. Il résulte en outre de ces dispositions que la réunification doit concerner, en principe, l'ensemble de la famille du ressortissant étranger qui demande à en bénéficier et qu'une réunification partielle ne peut être autorisée à titre dérogatoire que si l'intérêt des enfants le justifie.
11. Il ressort des pièces du dossier que des demandes de visas de long séjour ont été formées tant pour l'enfant Axel C... que pour sa mère, Mme D..., épouse de M. C... et qu'elles concernent ainsi l'ensemble des membres de la famille du réunifiant. Il s'ensuit, que le motif tiré de l'intérêt supérieur de l'enfant à rester en République démocratique du Congo, en l'absence de jugement de délégation de l'autorité parentale au bénéfice de M. C..., n'est pas de nature à justifier légalement la décision contestée et la substitution de motifs demandée par le ministre ne peut être accueillie.
12. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision implicite de rejet née du silence gardé par la commission de recours contre les refus de visas d'entrée en France sur le recours dirigé contre la décision des autorités consulaires de France à Kinshasa du 25 mai 2022 et lui a enjoint de délivrer les visas de long séjour sollicités.
Sur les frais liés au litige :
13. M. B... C... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle, au taux de 25 %. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 500 euros hors taxe à Me Mukendi Ndonki dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du ministre de l'intérieur est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à Me Mukendi Ndonki une somme de 500 euros hors taxe dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à M. B... C... et à Mme A... D... épouse C....
Délibéré après l'audience du 14 novembre 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Degommier, président de chambre,
- M. Rivas, président-assesseur,
- Mme Dubost, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 décembre 2024.
La rapporteure,
A.-M. DUBOST
Le président,
S. DEGOMMIERLa présidente,
C. BUFFET
La greffière,
S. PIERODÉ
La greffière,
K. BOURON
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23NT02473