Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme F... E... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 9 mars 2022 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté son recours formé contre la décision du 23 novembre 2021 de l'autorité consulaire française à Bamako (Mali) refusant de délivrer à elle-même et à l'enfant Zeïnabou D... des visas de long séjour en qualité de membres de famille d'un ressortissant étranger bénéficiaire de la protection subsidiaire.
Par un jugement n° 2206057, 2206058 du 6 mars 2023, le tribunal administratif de Nantes a annulé, en son article 1er, la décision du 9 mars 2022 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France en tant qu'elle a refusé de délivrer à l'enfant Zeïnabou D... le visa sollicité, a enjoint en son article 2 la délivrance du visa à l'enfant et a rejeté en son article 3 les conclusions tendant à l'annulation de la même décision en tant qu'elle a refusé la délivrance du visa demandé par Mme E....
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 8 juin 2023 et 5 août 2024 (ce dernier n'ayant pas été communiqué), M. C... D... et Mme F... E..., représentés par Me Arnal, demandent à la cour :
1°) d'annuler l'article 3 de ce jugement du tribunal administratif de Nantes ;
2°) d'annuler la décision du 23 novembre 2021 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France en tant qu'elle a refusé de délivrer à Mme E... un visa de long séjour au titre de la réunification familiale ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer le visa demandé ou de réexaminer la demande, dans un délai de quinze jours à compter du prononcé de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Arnal, leur avocate, de la somme de 1 500 euros hors taxe au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Ils soutiennent que :
- la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France contestée a été prise en méconnaissance des articles L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors que les requérants entretiennent une relation de concubinage stable et continue ;
- elle porte une atteinte disproportionnée au droit au respect de leur vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est contraire à l'intérêt supérieur de l'enfant protégé par le paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant et méconnaît les stipulations des articles 9 et 10 de la même convention.
Par un mémoire en défense, enregistré le 19 juin 2024, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun des moyens invoqués par les requérants n'est fondé.
Mme F... E... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 14 avril 2023 du bureau d'aide juridictionnelle.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale des droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code civil ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Ody,
- et les observations de Me Arnal, pour M. D... et Mme E....
Considérant ce qui suit :
1. M. D..., ressortissant malien né en 1988, est entré en France le 16 septembre 2018 et a obtenu la protection subsidiaire par une décision de la Cour nationale du droit d'asile du 6 novembre 2020. Des visas de long séjour au titre de la réunification familiale ont été demandés pour Mme F... E..., l'enfant du couple Zeïnabou D... et deux autres enfants, A... et B... E..., issus d'une autre relation entretenue par Mme E.... Par une décision du 23 novembre 2021, l'autorité consulaire française à Bamako (Mali) a refusé de délivrer les visas demandés. Saisie d'un recours dirigé contre cette décision consulaire en tant qu'elle refuse de délivrer les visas sollicités pour Mme E... et l'enfant Zeïnabou D..., la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France l'a rejeté par une décision du 10 mars 2022. Par un jugement n° 2206057, 2206058 du 6 mars 2023, le tribunal administratif de Nantes a annulé, en son article 1er, la décision du 9 mars 2022 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France en tant qu'elle a refusé de délivrer à l'enfant Zeïnabou D... le visa sollicité, a enjoint en son article 2 la délivrance du visa à l'enfant et a rejeté en son article 3 les conclusions tendant à l'annulation de la même décision en tant qu'elle a refusé la délivrance du visa demandé par Mme E.... M. D... et Mme E... relèvent appel de l'article 3 de ce jugement.
2. La décision de la commission de recours concernant Mme E... est fondée sur plusieurs motifs tirés de ce que les deux autres enfants que Mme E... a eu d'une autre union ne sont pas éligibles à la procédure de réunification familiale, de ce qu'aucun jugement de déchéance de l'autorité parentale n'a été produit par le père de ces enfants et de ce que les actes de naissance de l'intéressée et d'un de ces enfants nés d'une autre union ne sont pas conformes à la législation locale et n'établissent pas l'identité de la demanderesse de visa. Ces motifs ont été censurés par les premiers juges, qui ont néanmoins rejeté la demande de M. D... et Mme E... après avoir fait droit à la demande de substitution de motif, présentée par le ministre de l'intérieur et des outre-mer, tirée de ce que le lien familial unissant Mme E... au réunifiant n'est pas établi.
3. Statuant sur l'appel du demandeur de première instance dirigé contre un jugement qui a rejeté ses conclusions à fin d'annulation d'une décision administrative reposant sur plusieurs motifs en jugeant, après avoir censuré tel ou tel de ces motifs, que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée sur le ou les motifs que le jugement ne censure pas, il appartient au juge d'appel, s'il remet en cause le ou les motifs n'ayant pas été censurés en première instance, de se prononcer, en vertu de l'effet dévolutif de l'appel, sur les moyens critiquant la légalité du ou des motifs censurés en première instance, avant de déterminer, au vu de son appréciation de la légalité des différents motifs de la décision administrative, s'il y a lieu de prononcer l'annulation de cette décision ou de confirmer le rejet des conclusions à fin d'annulation.
4. En premier lieu, aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : (...) 2° Par son concubin, âgé d'au moins dix-huit ans, avec lequel il avait, avant la date d'introduction de sa demande d'asile, une vie commune suffisamment stable et continue ; (...) ".
5. Il ressort des pièces du dossier que Mme E... et M. D... ont une fille née le 27 juillet 2014 et que M. D... a fui le Mali et est resté au Gabon entre 2014 et 2018. Il est constant que pendant cette période, Mme E... a donné naissance à deux enfants, A... et B... E... nés respectivement en 2016 et en 2018, issus d'une autre relation intervenue alors que M. D... se trouvait en exil au Gabon puis en France. Si M. D... et Mme E... se prévalent de leur relation de concubinage pour demander un visa pour Mme E... sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, il ne ressort pas des pièces du dossier que M. D... et Mme E... aient entretenu une relation stable et continue après le départ de M. G.... De plus, par un jugement du 6 décembre 2021, le tribunal civil de Kati (Mali) a délégué l'exercice de l'autorité parentale sur l'enfant Zeïnabou à M. D... et il ressort des termes de ce jugement que Mme E... et M. D... se présentent comme les parents biologiques de l'enfant sans aucune mention du maintien d'une relation de concubinage entre eux. En outre, les photographies produites sont soit très antérieures à la date d'introduction de la demande d'asile présentée par M. D..., soit postérieures de plusieurs années. Par suite, le ministre de l'intérieur est fondé à soutenir que la décision contestée de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France pouvait être légalement fondée sur les dispositions du 2° de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, au motif qu'il n'est pas établi que Mme E... avait la qualité de concubine avec laquelle M. D... avait, avant la date d'introduction de sa demande d'asile, une vie commune suffisamment stable et continue.
6. En second lieu, aux termes de l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".
7. Il ressort des pièces du dossier que Mme E... a eu deux enfants nés en 2016 et 2018 qui n'ont pas été reconnus par leur père biologique et pour lesquels des visas de long séjour n'ont finalement pas été demandés. Dès lors, en raison du départ en France de Mme E..., laquelle a seule l'autorité parentale sur ces deux enfants, ces derniers risquent de se trouver sans parents, isolés au Mali. En outre, si l'enfant Zeïnabou a obtenu la délivrance de son visa et se trouve éloignée de sa mère, elle vit toutefois avec son père en France. Mme E... n'est dès lors fondée à soutenir ni que la décision contestée de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France porte une atteinte disproportionnée au droit au respect de sa vie privée et familiale ni que cette décision est contraire à l'intérêt supérieur des enfants concernés. Par suite, les moyens tirés de la violation des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, du paragraphe 1 de l'article 3 et en tout état de cause des articles 9 et 10 de la convention internationale des droits de l'enfant doivent être écartés.
8. Il résulte de tout ce qui précède que M. D... et Mme E... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande tendant à l'annulation de la décision du 9 mars 2022 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France en tant qu'elle refuse de délivrer à Mme E... un visa de long séjour au titre de la réunification familiale. Il suit de là que leurs conclusions à fin d'annulation doivent être rejetées ainsi que, par voie de conséquence, leurs conclusions à fin d'injonction sous astreinte et celles présentées sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. D... et Mme E... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... D..., à Mme F... E... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 14 novembre 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Degommier, président de chambre,
- M. Rivas, président assesseur,
- Mme Ody, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 décembre 2024.
La rapporteure,
C. ODY
Le président,
S. DEGOMMIER
La greffière,
S. PIERODÉ
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
N° 23NT01670