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03/12/2024 | FRANCE | N°23NT01206

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 6ème chambre, 03 décembre 2024, 23NT01206


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Rennes, premièrement, d'annuler la décision du 19 novembre 2020 par laquelle le directeur de la plateforme de ... a rejeté son recours du 5 octobre 2020, d'une part, dirigé contre la décision de procéder à une retenue de sept trentièmes sur son traitement du mois de juillet 2020 et, d'autre part, tendant au versement de diverses primes dont il aurait été indument privé au titre du mois d'août 2020, deuxièmement, de cond

amner la société La Poste à lui verser les sommes correspondant à cette retenue sur trai...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Rennes, premièrement, d'annuler la décision du 19 novembre 2020 par laquelle le directeur de la plateforme de ... a rejeté son recours du 5 octobre 2020, d'une part, dirigé contre la décision de procéder à une retenue de sept trentièmes sur son traitement du mois de juillet 2020 et, d'autre part, tendant au versement de diverses primes dont il aurait été indument privé au titre du mois d'août 2020, deuxièmement, de condamner la société La Poste à lui verser les sommes correspondant à cette retenue sur traitement et à ces primes et, troisièmement, de condamner cette même société à lui verser une somme de 1 500 euros en réparation de son préjudice tenant aux troubles dans ses conditions d'existence.

Par un jugement n° 2100134 du 16 mars 2023, le tribunal administratif de Rennes a condamné la société La Poste à verser à M. A... la somme de 452,67 euros correspondant à la retenue sur son traitement, la somme de 500 euros au titre des troubles dans les conditions d'existence ainsi que la somme de 140 euros correspondant au complément de la " prime bonus qualité " et a rejeté le surplus des conclusions de la demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 25 avril 2023 et le 3 juin 2024, la société La Poste, représentée par Me Ardisson, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Rennes du 16 mars 2023 en tant qu'il a partiellement fait droit aux demandes de M. A... ;

2°) de rejeter ces demandes ;

3°) de mettre à la charge de M. A... une somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement est entaché de contradiction interne ;

- sa motivation est insuffisante et stéréotypée et révèle un défaut d'examen particulier par les premiers juges ;

- le tribunal s'est mépris sur la nature des conclusions dont il était saisi ;

- la retenue opérée sur le traitement de M. A... est parfaitement fondée dès lors que M. A... n'a pas régulièrement exercé son droit de retrait au titre des journées des 8, 9 et 10 avril 2020 et qu'il n'a repris le service que le 15 avril 2020 ;

- M. A... n'a pas le droit, eu égard au nombre de semaines travaillées, au complément de prime dite " Covid " qu'il réclame ;

- l'intéressé ne justifie pas avoir été privé de la prime dite " bonus qualité " à raison de l'exercice de son droit de retrait au cours des journées litigieuses ;

- M. A... n'apporte aucune précision permettant d'apprécier le bien-fondé de sa demande portant sur la prime dite " cantine " ;

- sa demande tendant à la réparation des troubles dans les conditions d'existence, dont le quantum est excessif, aurait dû être rejetée en l'absence de toute justification apportée par le demandeur.

Par un mémoire en défense, enregistré le 2 mai 2024, M. A..., représenté par Me Mlekuz, demande à la cour :

1°) de rejeter la requête de la société La Poste ;

2°) par la voie de l'appel incident, de réformer le jugement attaqué en condamnant la Poste à lui verser les sommes de 100 et 30 euros correspondant, respectivement, aux primes " Covid " et " Cantine ", en portant l'indemnisation allouée au titre des troubles dans les conditions d'existence à la somme de 1 500 euros et en mettant à la charge de la société La Poste la somme de 1 000 euros au titre des frais exposés en première instance et non compris dans les dépens ;

3°) de mettre à la charge de la société La Poste la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :

- les moyens soulevés par la société La Poste ne sont pas fondés ;

- le tribunal a fait une insuffisante évaluation des troubles dans ses conditions d'existence ;

- la société La Poste devait, pour le calcul de la prime " Covid ", regarder la semaine du 8 au 14 avril 2020 comme une semaine de présence ;

- en rejetant sa demande relative à la prime " cantine ", le tribunal a commis une erreur manifeste d'appréciation ;

- il a été contraint de consacrer beaucoup de temps au recours qu'il a engagé devant le tribunal et d'exposer certaines dépenses de sorte qu'il est fondé à réclamer une somme au titre des frais dus au procès de première instance.

Par une ordonnance du 3 mai 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 4 juin 2024.

Un mémoire présenté par M. A... a été enregistré le 31 octobre 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

- la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 ;

- le décret n° 2011-619 du 31 mai 2011 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Bougrine,

- les conclusions de Mme Bailleul, rapporteure publique,

- les observations de Me Cosnard, substituant Me Ardisson, représentant la société La Poste et les observations de Me Mlekuz, représentant M. A....

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., fonctionnaire de La Poste, exerce ses fonctions d'agent de traitement mono-colis au sein de la plateforme colis de ... (...). Par un courrier du 15 juillet 2020, le directeur de la plateforme l'a informé de sa décision de procéder à une retenue sur sa rémunération, pour absence de service fait, à la suite de l'exercice de son droit de retrait, les 8, 9 et 10 avril 2020. Par un courrier du 5 octobre 2020, il a, d'abord, formé un recours gracieux contre cette décision, ensuite, demandé que lui soient versés des compléments de primes dites " bonus qualité ", " covid " et " cantine " et, enfin, réclamé le versement d'une somme de 1 500 euros en réparation du préjudice qu'il estimait avoir subi. Par une décision du 19 novembre 2020, le directeur de la plateforme colis de ... a rejeté ses demandes. La société La Poste relève appel du jugement du tribunal administratif de Rennes du 16 mars 2023 en tant qu'il l'a condamnée à verser à M. A... la somme de 452,67 euros correspondant à la retenue sur son traitement, la somme de 500 euros au titre des troubles dans les conditions d'existence ainsi que la somme de 140 euros correspondant au complément de la prime " bonus qualité ". M. A... présente des conclusions d'appel incident tendant à ce que La Poste soit condamnée à lui verser les sommes de 100 et 30 euros correspondant, respectivement, aux primes " Covid " et " cantine ", à ce que la somme de 500 euros allouée par les premiers juges en réparation du préjudice résultant de troubles dans ses conditions d'existence soit portée à 1 500 euros et à ce qu'il soit mis à la charge de La Poste la somme de 1 000 euros au titre des frais, non compris dans les dépens, qu'il a exposés en première instance.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a jugé que " Compte tenu tant des conclusions de la demande soumise au tribunal que la nature des moyens présentés à l'appui de ses conclusions, cette demande doit être regardée comme constituant un recours de plein contentieux ". Statuant uniquement sur des " conclusions indemnitaires ", il a, après avoir examiné la régularité de l'exercice du droit de retrait par M. A..., apprécié les différents " préjudices " subis par le demandeur.

3. Il ressort, toutefois, des pièces de la procédure de première instance que M. A... a introduit sa demande en indiquant que " L'objet de ce recours pour excès de pouvoir est la décision de refus de régulariser la situation et de me verser la somme de 722,67 euros ". Il a notamment soutenu que la décision de procéder, d'une part, à une retenue sur traitement pour absence de service fait et, d'autre part, à " l'amputation de plusieurs primes " était entachée d' " erreur manifeste d'appréciation " et " constit[uait] un excès de pouvoir ". Dans son mémoire complémentaire, M. A... a très explicitement demandé au tribunal d' " annuler la décision du 19 novembre 2020 pour erreur manifeste d'appréciation et excès de pouvoir ". Il a également présenté des conclusions tendant à ce que La Poste soit " condamn[ée] " à lui verser les éléments de rémunération en litige. Enfin, M. A... a formulé une " demande indemnitaire " tendant à la réparation du préjudice résultant de troubles dans les conditions d'existence qu'il imputait au comportement de son employeur et à l'illégalité de la retenue sur sa rémunération. Ainsi, la demande de première instance devait être analysée comme comportant, d'une part, des conclusions à fin d'annulation pour excès de pouvoir, assorties de conclusions à fin d'injonction et, d'autre part, des conclusions indemnitaires tendant à la réparation d'un préjudice distinct de celui résultant des conséquences strictement pécuniaires des décisions du directeur de la plateforme de colis ... du 15 juillet 2020 et du 19 novembre 2020.

4. Il s'ensuit qu'en estimant ne pas être saisi de conclusions à fin d'annulation pour excès de pouvoir, le tribunal a inexactement interprété une partie des conclusions de la demande présentée par M. A... et a entaché son jugement d'irrégularité partielle. Ce dernier doit, dans cette mesure, être annulé.

5. Il y a lieu pour la cour de se prononcer immédiatement, par la voie de l'évocation, sur les conclusions aux fins d'annulation pour excès de pouvoir assorties de conclusions à fin d'injonction et de statuer, par l'effet dévolutif de l'appel, sur les conclusions indemnitaires présentées par M. A... devant le tribunal administratif de Rennes.

Sur les conclusions à fin l'annulation :

En ce qui concerne la fin de non-recevoir opposée par la société La Poste :

6. Si la société La Poste a fait valoir, dans le mémoire en défense enregistré au greffe du tribunal le 29 novembre 2022, que la demande de M. A... était irrecevable, faute de comporter des conclusions à fin d'annulation, il résulte des considérations énoncées au point 3 du présent arrêt, que la demande devait être interprétée comme tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du directeur de la plateforme colis de ... du 19 novembre 2020. Dès lors, et en tout état de cause, la fin de non-recevoir doit être écartée.

En ce qui concerne la retenue sur traitement :

7. Il est toujours loisible à la personne intéressée, sauf à ce que des dispositions spéciales en disposent autrement, de former à l'encontre d'une décision administrative un recours gracieux devant l'auteur de cet acte et de ne former un recours contentieux que lorsque le recours gracieux a été rejeté. L'exercice du recours gracieux n'ayant d'autre objet que d'inviter l'auteur de la décision à reconsidérer sa position, un recours contentieux consécutif au rejet d'un recours gracieux doit nécessairement être regardé comme étant dirigé, non pas tant contre le rejet du recours gracieux dont les vices propres ne peuvent être utilement contestés, que contre la décision initialement prise par l'autorité administrative. Il appartient, en conséquence, au juge administratif, s'il est saisi dans le délai de recours contentieux qui a recommencé de courir à compter de la notification du rejet du recours gracieux, de conclusions dirigées formellement contre le seul rejet du recours gracieux, d'interpréter les conclusions qui lui sont soumises comme étant aussi dirigées contre la décision administrative initiale. Il suit de là que les conclusions de M. A... tendant à l'annulation de la décision du directeur de la plateforme colis de ... du 19 novembre 2020 en tant que cette décision rejette le recours gracieux formé par l'intéressé contre la décision du 15 juillet 2020 procédant à une retenue sur traitement doivent être regardées comme également dirigées contre cette décision du 15 juillet 2020.

8. Aux termes du I de l'article 6 du décret du 31 mai 2011 relatif à la santé et à la sécurité au travail à La Poste : " (...) Aucune sanction ne peut être prise ni aucune retenue de salaire faite à l'encontre d'un agent ou d'un groupe d'agents qui se sont retirés d'une situation de travail dont ils avaient un motif raisonnable de penser qu'elle présentait un danger grave et imminent pour la vie ou la santé de chacun d'eux ".

9. De première part, le coronavirus SARS-COV-2, dont la découverte a été officiellement annoncée par l'organisation mondiale de la santé (OMS) en janvier 2020, est un agent responsable d'une nouvelle maladie infectieuse respiratoire, dite covid-19, les deux voies de contamination par cette maladie identifiées au moment du retrait de la situation de travail étant respiratoires et manu-portées. Il ressort des analyses scientifiques alors disponibles que si cette maladie peut provoquer divers symptômes physiques bénins tels que des maux de tête, des douleurs musculaires, de la fièvre et des difficultés respiratoires, elle peut également dans des cas plus graves entraîner la mort. Ainsi, le point épidémiologique de Santé publique France du 9 avril 2020 faisait état de plus de 30 000 personnes hospitalisées pour covid-19, dont 7 131 en réanimation au 7 avril, et plus de 10 000 décès liés à cette maladie depuis le début du mois de mars, ainsi que d'une tendance à la stabilisation, à un niveau élevé, de la circulation du virus SARS-CoV-2, de même que des hospitalisations et des admissions en réanimation.

10. De seconde part, il est constant que le Président de la République a annoncé le 16 mars 2020 des mesures de confinement de la population française pour une durée minimale de quinze jours afin d'endiguer l'épidémie de covid-19. Un état d'urgence sanitaire a été déclaré par la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19. Il a conduit à la fermeture de nombreux services publics et établissements recevant du public dont les établissements scolaires, ainsi que de tous les commerces considérés comme non essentiels. Ces décisions inédites ont été prises dans un contexte de saturation de l'information concernant ce virus, marqué par la diffusion par les médias et par Santé publique France d'informations épidémiologiques devenues quotidiennes retraçant le nombre de personnes testées positives à la covid-19, d'hospitalisations, ainsi que des décès imputables à cette nouvelle maladie, de nature à créer un climat particulièrement anxiogène.

11. Il ressort des pièces du dossier que le comité d'hygiène et de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) de la plateforme colis de ... a, le 16 mars 2020, déclenché une procédure de " Danger grave et imminent " (DGI) et ce, pour tous les postes de l'établissement, compte-tenu notamment du nombre d'agents présents et de l'insuffisance des mesures de protection prises afin de limiter les contacts entre eux. A la suite d'une enquête diligentée par l'inspecteur du travail, laquelle a relevé, d'une part, des situations de non-respect des " gestes barrière ", en particulier s'agissant des intérimaires et à l'occasion des interactions, nombreuses et répétées, avec les chauffeurs routiers, d'autre part, l'incapacité des chefs d'équipe, mobilisés par leurs tâches, à les faire respecter et, enfin, l'absence de procédure adéquate pour la prise des repas, l'employeur a été mis en demeure, le 26 mars 2020, de remédier aux carences constatées.

12. Il est vrai que, comme le fait valoir la société La Poste, diverses mesures ont ensuite été mises en place afin de limiter la propagation du virus et de se conformer tant à la mise en demeure qu'aux consignes décidées au niveau national par la société. L'administration, informée de ces mesures par un courrier du 3 avril 2020, n'a pas adressé de nouvelles injonctions. Néanmoins, cette seule circonstance n'était pas, dans les circonstances de l'espèce, compte-tenu, en particulier, de l'absence de distribution généralisée de masques avant le 15 avril 2020, de nature à faire cesser toute perception légitime de danger par M. A... entre le 8 et le 10 avril 2020. A cet égard, si la société La Poste fait valoir que la première distribution de masques a débuté le 10 avril 2020 durant les pauses repas, ce que corrobore le " brief quotidien " versé aux débats, elle ne contredit pas les affirmations de M. A... selon lesquelles sa pause était fixée à vingt-trois heures tandis que son service débutait à vingt heures trente. De même, la société La Poste ne peut sérieusement faire valoir, pour démontrer que l'utilité du masque n'était pas connue de la population, que son utilisation, préconisée par l'Académie de médecine, dans son communiqué du 5 avril 2020, n'était présentée comme pertinente que dans le contexte d'un déconfinement.

13. Enfin, le respect par l'employeur des recommandations émises, au regard des informations scientifiques disponibles, par le Gouvernement à l'occasion d'une épidémie n'exclut pas l'exercice légitime du droit de retrait par un agent qui justifie, conformément aux dispositions mentionnées au point 8, d'un motif raisonnable de penser que sa situation de travail présente un danger grave et imminent pour sa vie ou pour sa santé.

14. Dans ces conditions, M. A... pouvait avoir un motif raisonnable de penser qu'il se trouvait, les 8, 9 et 10 avril 2020, dans une situation de travail présentant un danger grave et imminent pour sa vie ou pour sa santé en raison du risque d'exposition au virus. Il suit de là que la décision du 15 juillet 2020 de procéder à une retenue sur son traitement, pour absence de service fait, au titre des journées considérées, méconnaît les dispositions précitées du I de l'article 6 du décret du 31 mai 2011 relatif à la santé et à la sécurité au travail à La Poste.

En ce qui concerne les primes :

15. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier, notamment de la note du directeur des ressources humaines et des relations sociales de la société La Poste du 9 mai 2019, que les agents de traitement mono-colis (ATM) ont le droit à un " Bonus annuel ", versé trimestriellement à hauteur de 175 euros. Si ce bonus est pondéré par un critère tenant compte de la présence de l'agent, la prime considérée, qui " vise à récompenser la performance collective et individuelle des agents " affectés en agence et en plateforme et varie selon la fonction occupée, constitue un élément de rémunération dont M. A... ne pouvait légalement être privé à raison des journées d'absence au cours desquelles il a régulièrement exercé son droit de retrait. La société La Poste fait valoir que l'intéressé ne démontre pas que les trois journées d'absence ayant justifié le non-versement du bonus en cause sont celles correspondant à l'exercice de son droit de retrait. Elle n'apporte, cependant, aucun élément de nature à éclairer la cour sur les raisons l'ayant conduite à ne pas verser ce bonus alors pourtant qu'elle est la mieux à même d'expliquer les motifs de ses décisions et les éléments dont elle tient compte pour le calcul de la rémunération de ses agents. Dans ces conditions, M. A... est fondé à soutenir que la société La Poste ne pouvait, sans méconnaître les dispositions précitées du I de l'article 6 du décret du 31 mai 2011, refuser de lui verser le montant trimestriel de la prime considérée.

16. En deuxième lieu, la société La Poste a décidé de compléter la prime exceptionnelle de pouvoir d'achat mentionnée à l'article 7 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 d'une prime destinée à manifester la reconnaissance de l'entreprise envers les postiers des entités opérationnelles au travail dans le contexte de la crise du covid-19. Le montant de cette prime est calculé en fonction du nombre de semaines de présence au sein d'une entité opérationnelle durant la période du 16 mars au 31 mai 2020. Eu égard à sa nature, à son objet et aux conditions dans lesquelles elle est versée, tels qu'ils ressortent du courriel du 17 juin 2020 produit par la société La Poste, elle doit être regardée comme destinée à seulement compenser les contraintes liées à l'exercice effectif des fonctions, dans des conditions de travail intenses et particulières, par les agents mobilisés, au cours de cette période, pour répondre aux besoins essentiels de la Nation. Partant, la société La Poste a pu, sans méconnaître l'article 6 du décret du 31 mai 2011, tenir compte, pour déterminer le montant de cette prime, des journées au cours desquelles M. A... a exercé son droit de retrait et n'a, par suite, pas été exposé à de telles contraintes.

17. En troisième et dernier lieu, si M. A... conteste le refus de son employeur de lui verser une " prime cantine ", à hauteur de 30 euros, il n'apporte aucune précision mettant la cour à même d'apprécier le bien-fondé de sa demande.

18. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... est seulement fondé à demander, d'une part, l'annulation de la décision du directeur de la plateforme colis de ... du 15 juillet 2020 et, d'autre part, l'annulation de la décision du 19 novembre 2020 en tant qu'elle rejette le recours gracieux formé contre cette décision du 15 juillet 2020 et en tant qu'elle rejette la demande de paiement de la prime " Bonus " mentionnée au point 15.

Sur les conclusions aux fins d'injonction :

19. Eu égard aux motifs qui la fondent, la présente annulation implique nécessairement le remboursement à M. A... de la somme indûment prélevée sur son traitement du mois de juillet 2020 ainsi que le versement de la prime " Bonus ". Il y a lieu, sur le fondement de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, d'enjoindre à la société La Poste de procéder au versement de ces sommes dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Sur les conclusions indemnitaires :

20. Il résulte de l'instruction que la retenue illégalement opérée sur le traitement de M. A... du mois de juillet 2020 s'est élevée à 452,67 euros alors que la rémunération mensuelle de l'intéressée ne dépasse pas 2 000 euros. Elle a ainsi été de nature à générer des troubles dans ses conditions d'existence dont le tribunal a fait une juste appréciation en condamnant la société La Poste à lui verser la somme de 500 euros.

21. Les conclusions d'appel de la société La Poste et les conclusions d'appel incident de M. A... dirigées contre l'article 2 du jugement attaqué doivent, par suite, être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

22. Aux termes des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Les parties peuvent produire les justificatifs des sommes qu'elles demandent et le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. ".

23. D'une part, si M. A..., qui n'a pas recouru au ministère d'avocat pour introduire son recours devant le tribunal administratif de Rennes, fait valoir qu'il a été contraint, pour les besoins de cette instance, de supporter des frais de numérisation et d'impression, il n'en justifie pas. Il n'apporte pas davantage d'éléments sur les incidences financières du temps qu'il a consacré à la défense de ses intérêts devant le tribunal. Dans ces conditions, il n'y pas lieu de mettre à la charge de la société La Poste le versement à M. A... d'une somme au titre des frais exposés en première instance et non compris dans les dépens.

24. D'autre part, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société La Poste, partie principalement perdante dans la présente instance, le versement à M. A... de la somme de 1 500 euros au titre des frais qu'il a exposés en appel et non compris dans les dépens. Les conclusions présentées par la société La Poste au titre des frais de même nature qu'elle a supportés doivent, en revanche, être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : Les articles 1, 3 et 5 du jugement n° 2100134 du 16 mars 2023 du tribunal administratif de Rennes sont annulés.

Article 2 : La décision du directeur de la plateforme colis de ... du 15 juillet 2020 est annulée.

Article 3 : La décision du directeur de la plateforme colis de ... du 19 juillet 2020 est annulée en tant qu'elle rejette le recours gracieux formé par M. A... contre la décision du 15 juillet 2020 et en tant qu'elle rejette sa demande de paiement de la prime " Bonus ".

Article 4 : Il est enjoint à la société La Poste de procéder au remboursement de la somme indûment prélevée sur le traitement de M. A... du mois de juillet 2020 et au versement de la prime " Bonus " correspondant à la semaine du 8 au 14 avril 2020, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 5 : La société La Poste versera à M. A..., au titre de l'instance d'appel, la somme de 1 500 euros, sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à la société La Poste et à M. B... A....

Délibéré après l'audience du 15 novembre 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Gaspon, président de chambre,

- M. Pons, premier conseiller,

- Mme Bougrine, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 décembre 2024.

La rapporteure,

K. BOUGRINELe président,

O. GASPON

La greffière,

I. PETTON

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23NT01206


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NT01206
Date de la décision : 03/12/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. GASPON
Rapporteur ?: Mme Karima BOUGRINE
Rapporteur public ?: Mme BAILLEUL
Avocat(s) : CABINET ARES

Origine de la décision
Date de l'import : 08/12/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-12-03;23nt01206 ?
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