Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler l'arrêté du 30 janvier 2024 par lequel le préfet de l'Orne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination.
Par un jugement N° 2400548 du 31 mai 2024, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa requête.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 1er juillet et 30 octobre 2024,
M. B..., représenté par Me Madrid, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement précité du 31 mai 2024 du tribunal administratif de Caen ;
2°) d'annuler l'arrêté précité du 30 janvier 2024 par lequel le préfet de l'Orne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination ;
3°) d'enjoindre au préfet de l'Orne de lui délivrer un titre de séjour portant la mention
" vie privée et familiale " ou un titre de séjour portant la mention " salarié " dans le délai de trente jours à compter de la date de notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard, ou à défaut, de réexaminer sa situation dans un délai de deux mois sous astreinte de 50 euros par jour de retard, et, dans cette attente, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour ;
4°) de mettre à la charge de l'État une somme de 1500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
sur la régularité du jugement attaqué :
- le jugement attaqué est irrégulier, dès lors que le tribunal n'a pas répondu au moyen tiré de ce que le préfet n'a pas fait usage de son pouvoir de régularisation et n'a pas procédé à un examen particulier de sa situation personnelle ;
- le jugement attaqué est irrégulier, dès lors que le tribunal n'a pas répondu au moyen tiré de ce que le préfet a exigé, à tort, une entrée régulière sur le territoire national au visa des dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA).
sur la décision portant refus de titre de séjour :
- la décision contestée est insuffisamment motivée ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 423-1 du CESEDA ;
- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation, dès lors que le préfet aurait dû mettre en œuvre son pouvoir de régularisation ;
- le préfet n'a pas procédé à un examen particulier de sa situation personnelle ; il s'est estimé en situation de compétence liée et a dès lors commis une erreur de droit ;
- la décision contestée est entachée d'erreur de droit, dès lors que l'absence d'entrée régulière sur le territoire national ne saurait à elle seule suffire pour refuser un titre de séjour en qualité de conjoint de français ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 435-1 du CESEDA et apparaît entachée d'erreur manifeste d'appréciation et d'erreur de fait ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 423-23 du CESEDA, dès lors que le préfet a exigé, à tort, une entrée régulière sur le territoire national ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 435-1 du CESEDA, dès lors que le préfet a exigé, à tort, une entrée régulière sur le territoire national ;
- elle est entachée d'illégalité car contrairement à ce qu'ont estimé le préfet et le tribunal, il a bien demandé la délivrance d'une carte de séjour mention " salarié " au visa de l'accord franco-tunisien ; par ailleurs, il remplit les conditions de délivrance de cette carte de séjour ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'erreur d'appréciation.
sur les décisions portant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de destination :
- les décisions contestées sont illégales par voie de conséquence de l'illégalité de la décision portant refus de titre de séjour ;
- elles méconnaissent les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elles sont entachées d'une erreur manifeste d'appréciation quant aux conséquences sur sa situation personnelle.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 1er octobre 2024 et le 6 novembre 2024, ce dernier non communiqué, le préfet de l'Orne conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun des moyens soulevés n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 modifié ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Chabernaud a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant tunisien né le 29 avril 1989, est entré en France le
28 juillet 2019. Il a fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français prise par le préfet de l'Orne le 28 octobre 2021. Il s'est marié avec une ressortissante française le 20 août 2022 puis a demandé la délivrance d'un titre de séjour au préfet de l'Orne, qui a rejeté sa demande, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination aux termes d'un arrêté du 30 janvier 2024. M. B... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler cet arrêté. Sa requête a été rejetée par le tribunal par un jugement du 31 mai 2024. M. B... fait appel de ce jugement.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. D'une part, il ressort des pièces du dossier que, dans sa requête introductive d'instance et son mémoire en réplique, M. B... a soutenu devant le tribunal administratif que le préfet, dans son arrêté du 30 janvier 2024, n'avait pas fait usage de son pouvoir de régularisation et qu'il avait exigé à tort une entrée régulière sur le territoire national pour ce faire, ce qui démontrait qu'il n'avait pas procédé à un examen particulier de sa situation personnelle. Il ressort des termes mêmes du jugement attaqué du 31 mai 2024 que le tribunal a écarté ce moyen en estimant que le préfet avait bien effectué cet examen. M. B... n'est donc pas fondé à soutenir que le tribunal aurait omis de se prononcer sur ce point.
3. D'autre part, M. B... soutient que le tribunal n'a pas répondu au moyen tiré de l'erreur de droit du préfet à avoir exigé une entrée régulière sur le territoire national alors qu'une telle condition n'est pas exigée par les dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile relatives aux titres de séjour délivrés aux étrangers dont les liens personnels et familiaux en France sont tels que le refus d'autoriser leur séjour porterait à leur droit au respect de leur vie privée et familiale une atteinte disproportionnée. Dans le cadre de sa demande de titre de séjour, M. B... n'avait pas sollicité un titre sur ce fondement, mais seulement sur celui de l'article L. 423-1 dudit code relatif à la carte de séjour en qualité de conjoint de français, et sur celui de l'article L. 435-1 de ce code et de l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 aux fins d'obtenir la régularisation de sa situation administrative dans le cadre de l'admission exceptionnelle au séjour. En outre, le préfet n'a pas fait application des dispositions de l'article L. 423-23 précité du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans l'arrêté contesté du 30 janvier 2024. Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions était inopérant. Toutefois, si le tribunal administratif n'était pas tenu d'y répondre explicitement, il devait cependant le viser dans son jugement, ce qu'il n'a pas fait. Par suite, son jugement doit être annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions à fin d'annulation du requérant dirigées contre la décision de refus de titre de séjour du 30 janvier 2024. En conséquence, il y a lieu de statuer immédiatement par la voie de l'évocation sur les conclusions de M. B... dirigées contre cette décision portant refus de titre de séjour et par la voie de l'effet dévolutif de l'appel sur ses conclusions à fin d'annulation présentées contre les décisions portant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de destination.
Sur les conclusions dirigées contre la décision portant refus de titre de séjour :
4. En premier lieu, la décision contestée du 30 janvier 2024 comporte l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de cette décision manque en fait et doit être écarté.
5. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier, notamment de la motivation de la décision contestée du 30 janvier 2024, que le préfet de l'Orne a procédé à un examen particulier de la situation personnelle de M. B..., qu'il n'a pas omis de faire usage de son pouvoir discrétionnaire de régularisation, ne s'est pas estimé en situation de compétence liée et n'a donc commis à ce titre aucune erreur de droit. Ainsi, de tels moyens doivent être écartés.
6. En troisième lieu, M. B... ne peut utilement invoquer la méconnaissance des dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors qu'il n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour sur ce fondement et que le préfet n'a pas fait application de ces dispositions, ainsi qu'il a été dit plus haut. Par ailleurs, ainsi que l'a jugé à bon droit le tribunal administratif, il ne ressort pas des pièces du dossier que
M. B... ait saisi le préfet de l'Orne d'une demande de titre de séjour au titre d'une activité salariée sur le fondement de l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988. En outre, le préfet n'a pas fait application de ces stipulations. L'intéressé ne peut donc pas utilement soutenir qu'il remplirait les conditions pour se voir délivrer un titre de séjour sur ce fondement.
7. En quatrième lieu, aux termes de l'article 7 quater de l'accord du 17 mars 1988 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Tunisie en matière de séjour et de travail : " Sans préjudice des dispositions du b) et du d) de l'article 7 ter, les ressortissants tunisiens bénéficient dans les conditions prévues par la législation française, de la carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" ". Aux termes de l'article L. 423-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger marié avec un ressortissant français, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an lorsque les conditions suivantes sont réunies : / 1° La communauté de vie n'a pas cessé depuis le mariage ; / 2° Le conjoint a conservé la nationalité française (...) ". Aux termes de l'article L. 412-1 du même code : " (...) la première délivrance d'une carte de séjour temporaire ou d'une carte de séjour pluriannuelle est subordonnée à la production par l'étranger du visa de long séjour mentionné aux 1° ou 2° de l'article L. 411-1 ". Aux termes de l'article L. 423-2 de ce code : " L'étranger, entré régulièrement et marié en France avec un ressortissant français avec lequel il justifie d'une vie commune et effective de six mois en France, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable ".
8. Il résulte de ces dispositions que l'étranger qui sollicite une première demande de titre de séjour en tant que conjoint de français doit être entré en France sous couvert d'un visa de long séjour, sauf s'il justifie d'une entrée régulière en France et d'une vie commune et effective d'au moins six mois en France avec son conjoint.
9. Il ressort des pièces du dossier que M. B... est dépourvu de visa de long séjour et qu'il est entré irrégulièrement sur le territoire français le 28 juillet 2019. Par suite, contrairement à ce qu'il soutient, il ne pouvait légalement prétendre à la délivrance d'une carte de séjour temporaire en qualité de conjoint de ressortissant français. Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées de l'article L. 423-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté.
10. En cinquième lieu, aux termes de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir peut se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié ", " travailleur temporaire " ou " vie privée et familiale ", sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. (...) ".
11. L'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile fixe notamment les conditions dans lesquelles les étrangers peuvent être admis à séjourner en France au titre d'une activité salariée. Dès lors que l'article 3 de l'accord franco-tunisien du
17 mars 1988 prévoit la délivrance de titres de séjour en vue d'une activité salariée, un ressortissant tunisien souhaitant obtenir un titre de séjour pour une telle activité ne peut utilement invoquer les dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, s'agissant d'un point déjà traité par l'accord franco-tunisien. Toutefois, bien que cet accord ne prévoie pas de semblables modalités d'admission exceptionnelle au séjour, ses stipulations n'interdisent pas au préfet de délivrer un titre de séjour à un ressortissant tunisien qui ne remplit pas l'ensemble des conditions auxquelles est subordonnée sa délivrance de plein droit et il dispose à cette fin d'un pouvoir discrétionnaire pour apprécier, compte tenu de l'ensemble des éléments de la situation personnelle de l'intéressé, l'opportunité d'une mesure de régularisation.
12. Il ressort des pièces du dossier que M. B... est entré irrégulièrement en France le 28 juillet 2019 et a fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français édictée par le préfet de l'Orne le 28 octobre 2021 à laquelle il n'a pas déféré. S'il s'est marié le 20 août 2022 avec une ressortissante française avec qui il avait emménagé en novembre 2021, ce mariage était toutefois récent à la date de la décision contestée. L'intéressé justifie par les bulletins de salaire qu'il produit avoir travaillé en qualité de coiffeur barbier entre le mois de septembre 2020 et le mois d'octobre 2021 puis entre janvier 2023 et janvier 2024 en vertu d'un contrat à durée indéterminée au sein du salon de coiffure de son épouse. Cependant, au titre de cette dernière période, il n'était employé qu'à temps partiel. Ainsi, il ne justifie pas d'une insertion professionnelle significative. Enfin, M. B... est sans enfant et a vécu la majeure partie de son existence en Tunisie, où il n'est pas dépourvu d'attaches familiales. Dans ces conditions, il n'est pas établi que le préfet de l'Orne aurait commis une erreur de fait ou une erreur manifeste d'appréciation en refusant de régulariser sa situation administrative. En outre, le préfet n'a pas commis d'erreur de droit en retenant l'entrée irrégulière sur le territoire national de l'intéressé comme un élément de fait dans l'analyse globale qu'il a opérée au stade de la mise en œuvre de son pouvoir de régularisation.
13. En dernier lieu, au regard des circonstances de l'espèce telles qu'elles ont été rappelées au point précédent, il n'est pas établi que la décision contestée porterait atteinte de façon disproportionnée à la vie privée et familiale du requérant et serait en conséquence entachée d'erreur d'appréciation ou méconnaîtrait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Sur les conclusions dirigées contre les décisions portant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de destination :
14. En premier lieu, la décision portant refus de titre de séjour n'étant pas annulée,
M. B... n'est pas fondé à demander l'annulation, par voie de conséquence, des décisions portant obligation de quitter le territoire français et fixation du pays de destination.
15. En second lieu, pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 12 ci-dessus, les moyens tirés de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de ce que les décisions contestées seraient entachées d'une erreur manifeste d'appréciation de leurs conséquences sur la situation personnelle de M. B... doivent être écartés.
16. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé, d'une part, à demander l'annulation de l'arrêté du 30 janvier 2024 du préfet de l'Orne en tant qu'il lui refuse la délivrance d'un titre de séjour et, d'autre part, à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande tendant à l'annulation des décisions portant obligation de quitter le territoire français dans le délai de 30 jours et fixation du pays de destination.
17. Doivent être rejetées, par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 31 mai 2024 du tribunal administratif de Caen est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions dirigées contre l'arrêté du 30 janvier 2024 du préfet de l'Orne en tant que celui-ci refuse la délivrance d'un titre de séjour.
Article 2 : La demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Caen contre l'arrêté du 30 janvier 2024 du préfet de l'Orne en tant qu'il refuse la délivrance d'un titre de séjour ainsi que le surplus des conclusions de la requête d'appel sont rejetés.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur.
Une copie en sera transmise au préfet de l'Orne.
Délibéré après l'audience du 12 novembre 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président de chambre,
- M. Derlange, président-assesseur,
- M. Chabernaud, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 novembre 2024.
Le rapporteur,
B. CHABERNAUDLe président,
L. LAINÉ
La greffière,
A. MARTIN
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 24NT02017