Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite née le 30 juillet 2022 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours dirigé contre la décision des autorités consulaires françaises à Abidjan (Côte d'Ivoire) refusant de lui délivrer un visa d'entrée et de court séjour en France en qualité de visiteur.
Par un jugement n° 2212351 du 10 juillet 2023, le tribunal administratif de Nantes annulé la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France et a enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer à M. A... un visa de court séjour.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 28 juillet 2023, le ministre de l'intérieur et des outre-mer, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 10 juillet 2023 du tribunal administratif de Nantes ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Nantes.
Le ministre de l'intérieur et des outre-mer soutient que :
- les documents produits par M. A... à l'appui de sa demande de visa sont frauduleux ; apocryphes ;
- M. A... ne dispose pas de ressources suffisantes pour pourvoir à ses besoins le temps de son séjour en France ;
- il existe un risque de détournement de l'objet du visa à des fins migratoires ; les actes de naissances qu'il a produits sont inauthentiques.
Par un mémoire en défense, enregistré le 29 juillet 2024, M. B... A..., représenté par Me Odin, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge du ministre de l'intérieur au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens soulevés par le ministre de l'intérieur ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention d'application de l'accord de Schengen du 19 juin 1990 ;
- le règlement (CE) n° 810/2009 du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Dias a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Par un jugement du 10 juillet 2023, le tribunal administratif de Nantes a annulé, à la demande de M. A..., la décision implicite née le 30 juillet 2022 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé par ce dernier contre la décision des autorités consulaires françaises à Abidjan refusant de lui délivrer un visa de court séjour pour motif touristique. Le ministre de l'intérieur relève appel de ce jugement.
Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal administratif :
2. Aux termes de l'article 10 de la convention d'application de l'accord de Schengen : " 1. Il est institué un visa uniforme valable pour le territoire de l'ensemble des Parties contractantes. Ce visa (...) peut être délivré pour un séjour de trois mois au maximum. (...) ". Aux termes de l'article 10 du règlement (CE) n° 810/2009 du 13 juillet 2009 : " (...) 3. Lorsqu'il introduit une demande, le demandeur : (...) f) produit es documents justificatifs conformément à l'article 14 et à l'annexe II ; (...) ". Aux termes de l'article 14 de ce règlement : " 1. Lorsqu'il introduit une demande de visa uniforme, le demandeur présente les documents suivants : (...) b) des documents relatifs à l'hébergement, ou apportant la preuve de moyens suffisants pour couvrir les frais d'hébergement ; c) des documents indiquant que le demandeur dispose de moyens de subsistance suffisant, tant pour la durée du séjour envisagé que pour le retour dans son pays d'origine ou de résidence ou pour le transit vers un pays tiers dans lequel son admission est garantie, ou encore qu'il est en mesure d'acquérir légalement ces moyens, conformément à l'article 5, paragraphe 1, point c), et à l'article 5, paragraphe 3, du code frontières Schengen ; d) des informations permettant d'apprécier sa volonté de quitter le territoire des Etats membres avant l'expiration du visa demandé. (...) ". Aux termes de l'article 32 du même règlement : " 1. (...) le visa est refusé : / a) si le demandeur : / i) présente un document de voyage faux ou falsifié, / ii) ne fournit pas de justification quant à l'objet et aux conditions du séjour envisagé, / iii) ne fournit pas la preuve qu'il dispose de moyens de subsistance suffisants, tant pour la durée du séjour envisagé que pour le retour dans son pays d'origine ou de résidence, ou pour le transit vers un pays tiers dans lequel son admission est garantie, ou n'est pas en mesure d'acquérir légalement ces moyens (...) / (...) b) s'il existe des doutes raisonnables sur l'authenticité des documents justificatifs présentés par le demandeur ou sur la véracité de leur contenu, sur la fiabilité des déclarations effectuées par le demandeur ou sur sa volonté de quitter le territoire des États membres avant l'expiration du visa demandé. (...) ".
3. Il ressort de l'accusé de réception du recours administratif préalable obligatoire formé par M. A... devant la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France que l'intéressé a été informé de ce qu'en l'absence de réponse expresse sur son recours, celui-ci sera réputé rejeté pour les mêmes motifs que ceux de la décision des autorités consulaires. La décision de la commission de recours doit donc être regardée comme s'étant appropriée les motifs de la décision du 29 mars 2022 des autorités consulaires françaises à Abidjan (Côte d'Ivoire) qui comporte des cases cochées indiquant les mentions suivantes : " Les informations communiquées pour justifier l'objet et les conditions du séjour ne sont pas fiables " et " Il existe des doutes raisonnables quant à votre volonté de quitter le territoire des États membres avant l'expiration du visa ".
4. Il ressort des pièces du dossier qu'à l'appui de sa demande de visa, M. A... a produit, outre la preuve de la réservation d'un vol aller-retour à destination de Paris, depuis la Côte d'Ivoire, un justificatif de la réservation de 9 nuits d'hôtel à Paris, du 8 au 17 avril 2022, pour un montant de 1 491 euros, ainsi qu'un bordereau de change, d'un montant de 2 000 euros, en date du 23 mars 2022. Toutefois, d'une part, il ne ressort pas du justificatif de la réservation de l'hébergement que la somme de 1 491 euros aurait été réglée. D'autre part, ainsi que le fait valoir le ministre de l'intérieur pour la première fois en appel, il ressort des pièces du dossier que le bordereau de change du 23 mars 2022, également produit à l'appui de la demande de visa, qui comporte un " QR code " se rapportant à un site internet sans lien avec l'établissement dont le logo figure sur ce document, présente un caractère frauduleux. Il existe ainsi des doutes raisonnables sur l'authenticité des documents justificatifs présentés par M. A..., à l'appui de sa demande de visa, pour établir le caractère suffisant de ses moyens de subsistance pour la durée de son séjour en France ainsi que sa capacité à couvrir les frais d'hébergement. Par suite, c'est par une exacte application des dispositions du b) de l'article 32 du règlement (CE) n° 810/2009 du 13 juillet 2009 que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a refusé de délivrer le visa de court séjour sollicité par M. A.... Ainsi c'est à tort que le tribunal administratif de Nantes s'est fondé sur le motif tiré de ce que la commission a commis une erreur d'appréciation en estimant que les informations communiquées pour justifier l'objet et les conditions du séjour ne sont pas fiables. Il résulte de l'instruction que la commission aurait pris la même décision en se fondant sur ce seul motif.
5. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A... tant devant le tribunal administratif que devant la cour.
6. D'une part, aux termes aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : (...) 8° Rejettent un recours administratif dont la présentation est obligatoire préalablement à tout recours contentieux en application d'une disposition législative ou réglementaire. ". L'article L. 211-5 du même code dispose : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ". L'article L. 232-4 du code des relations entre le public et l'administration précise cependant que : " Une décision implicite intervenue dans les cas où la décision explicite aurait dû être motivée n'est pas illégale du seul fait qu'elle n'est pas assortie de cette motivation. / Toutefois, à la demande de l'intéressé, formulée dans les délais du recours contentieux, les motifs de toute décision implicite de rejet devront lui être communiqués dans le mois suivant cette demande. Dans ce cas, le délai du recours contentieux contre ladite décision est prorogé jusqu'à l'expiration de deux mois suivant le jour où les motifs lui auront été communiqués. (...)".
7. D'autre part, aux termes de l'article 32 du règlement (CE) n° 810/2009 du 13 juillet 2009 : " (...) 2. La décision de refus et ses motivations sont communiquées au demandeur au moyen du formulaire type figurant à l'annexe VI. (...) "
8. Les décisions de rejet des recours administratifs préalables obligatoires formés contre les décisions des autorités consulaires portant refus d'une demande de visa doivent être motivées en vertu des dispositions de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration.
9. Les dispositions de l'article D. 312-8-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, applicable, en vertu de l'article 3 du décret du 29 juin 2022 relatif aux modalités de contestation des refus d'autorisations de voyage et des refus de visas d'entrée et de séjour en France, aux demandes ayant donné lieu à une décision diplomatique ou consulaire prise à compter du 1er janvier 2023 impliquent que si le recours administratif préalable obligatoire formé contre une décision de refus d'une demande de visa fait l'objet d'une décision implicite de rejet, cette décision implicite, qui se substitue à la décision initiale, doit être regardée comme s'étant appropriée les motifs de la décision initiale. Dans le cadre de la procédure de recours administratif préalable obligatoire applicable aux refus de visa, il en va de même, avant l'entrée en vigueur de ces dispositions, si le demandeur a été averti au préalable par la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'une telle appropriation en cas de rejet implicite de sa demande.
10. Si la décision consulaire n'est pas motivée, le demandeur qui n'a pas sollicité, sur le fondement de l'article L. 232-4 du code des relations entre le public et l'administration, la communication des motifs de la décision implicite de rejet prise sur son recours préalable obligatoire, ne peut utilement soutenir devant le juge qu'aurait été méconnue l'obligation de motivation imposée par l'article L. 211-2 du même code. Si la décision consulaire est motivée, l'insuffisance de cette motivation peut être utilement soulevée devant le juge, sans qu'une demande de communication de motifs ait été faite préalablement. Si, dans l'hypothèse où la décision consulaire était motivée, une telle demande a néanmoins été présentée et l'autorité administrative y a explicitement répondu, cette réponse doit être regardée comme une décision explicite se substituant à la décision implicite de rejet initiale du recours administratif préalable obligatoire.
11. Ainsi qu'il a été dit précédemment, l'accusé de réception du recours formé par M. A... devant la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France indique qu'en l'absence d'une réponse expresse de la commission dans un délai de deux mois à compter de la date de réception du recours, celui-ci est réputé rejeté pour les mêmes motifs que ceux de la décision des autorités consulaires. Il ressort des pièces du dossier que la décision par laquelle les autorités consulaires ont refusé de délivrer à M. A... le visa de court séjour sollicité prend la forme du formulaire type prévu à l'annexe VI du règlement (CE) n° 810/2009 du 13 juillet 2009, sur lequel ont été cochées les rubriques suivantes : " les informations communiquées pour justifier l'objet et les conditions du séjour envisagé ne sont pas fiables " et " il existe des doutes raisonnables quant à votre volonté de quitter le territoire des Etats membres avant l'expiration du visa ". Si ces mentions sont constitutives d'une motivation permettant à l'intéressé, compte-tenu notamment des pièces qu'il a nécessairement produites à l'appui de sa demande de visa, d'identifier les motifs de fait de ce refus et de les discuter utilement, elles ne sont toutefois assorties d'aucune considération de droit lui permettant d'identifier le cadre juridique dans lequel la décision est intervenue. La décision implicite contestée de la commission, qui s'est appropriée les motifs de la décision des autorités consulaires, est dès lors insuffisamment motivée en droit et méconnaît les dispositions des articles L. 211-2 et L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration.
12. Il résulte de ce qui précède que le motif fondant l'annulation de la décision de refus de visa opposée à M. A... tient à son insuffisante motivation en droit et non pas à un motif de fond. En conséquence, l'annulation de la décision de refus de visa, compte tenu de son motif, implique seulement que la demande de visa de court séjour soit réexaminée. Par suite, il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur d'y procéder dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
13. Il résulte de tout ce qui précède, d'une part, que le ministre de l'intérieur est seulement fondé à demander l'annulation de l'injonction de délivrance prononcée à l'article 2 du jugement attaqué et, d'autre part, qu'il n'est pas fondé à se plaindre, pour le surplus, de ce que, par ce même jugement, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France refusant le visa de court séjour sollicité par M. A....
Sur les frais liés au litige :
14. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros au titre des frais exposés par M. A... et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de réexaminer la demande de visa de court séjour présentée par M. A... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 2 : L'article 2 du jugement n° 2212351 du 10 juillet 2023 du tribunal administratif de Nantes est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 1er du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à M. A... une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. B... A....
Délibéré après l'audience du 5 novembre 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Montes-Derouet, présidente,
- M. Dias, premier conseiller,
- M. Mas, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 novembre 2024 .
Le rapporteur,
R. DIAS
La présidente,
I. MONTES-DEROUETLa greffière,
M. C...
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23NT02309