Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 13 juillet 2022 de l'autorité consulaire française à Conakry refusant de lui délivrer un visa d'entrée et de court séjour pour raisons médicales.
Par un jugement n° 2215324 du 15 juin 2023, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 6 août 2023, Mme B... A..., représentée par Me Diallo, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 15 juin 2023 ;
2°) d'annuler la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer le visa sollicité sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'État le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Mme A... soutient que :
- la décision contestée est insuffisamment motivée en droit comme en fait ;
- elle a fourni l'ensemble des pièces nécessaires à l'instruction de sa demande ;
- elle n'a pas pu bénéficier d'un entretien avant que le refus de visa ne lui soit opposé ;
- la décision contestée est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ; il n'existe aucun doute quant à sa volonté de quitter le territoire à l'issu de la date de validité de son visa ; elle satisfait aux conditions de délivrance du visa dès lors que son état de santé nécessitait des soins ;
- le motif substitué par le tribunal tiré de l'absence de ressource et de fiabilité des conditions de séjour n'est pas de nature à fonder légalement la décision contestée.
Par un mémoire en défense, enregistré le 22 septembre 2023, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- la demande de visa a perdu son objet, à la date de la décision de la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France et du jugement attaqué ;
- les moyens soulevés par Mme A... ne sont pas fondés et se réfère à son mémoire de première instance dont il produit une copie.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention d'application de l'accord de Schengen, signée le 19 juin 1990 ;
- le règlement (CE) n° 810/2009 du 13 juillet 2009 du Parlement européen et du Conseil établissant un code communautaire des visas ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Dubost a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., ressortissante guinéenne née le 22 juillet 1997, a déposé une demande de visa de court séjour pour raisons médicales auprès de l'autorité consulaire française à Conakry (Guinée), laquelle a rejeté cette demande par une décision du 13 juillet 2022. Le recours formé contre ce refus consulaire devant la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a été rejeté par une décision implicite née du silence gardé par ladite commission pendant plus deux mois. Mme A... a alors demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler cette décision. Elle relève appel du jugement du 15 juin 2023 de ce tribunal rejetant sa demande.
Sur l'exception de non-lieu à statuer :
2. Il ressort des pièces du dossier que Mme A... a sollicité la délivrance d'un visa de court séjour afin d'obtenir des soins nécessités par son état de grossesse ainsi que par une souffrance fœtale. La circonstance que Mme A... ait désormais accouché ne prive pas d'objet la demande, et l'exception de non-lieu à statuer opposée par le ministre de l'intérieur doit être écartée.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
3. L'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration dispose que : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : / (...) 7° Refusent une autorisation, sauf lorsque la communication des motifs pourrait être de nature à porter atteinte à l'un des secrets ou intérêts protégés par les dispositions du a au f du 2° de l'article L. 311-5 ; / 8° Rejettent un recours administratif dont la présentation est obligatoire préalablement à tout recours contentieux en application d'une disposition législative ou réglementaire. ". L'article L. 211-5 du même code dispose que : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision. ". Enfin, aux termes de l'article L. 232-4 du même code : " Une décision implicite intervenue dans les cas où la décision explicite aurait dû être motivée n'est pas illégale du seul fait qu'elle n'est pas assortie de cette motivation. Toutefois, à la demande de l'intéressé, formulée dans les délais du recours contentieux, les motifs de toute décision implicite de rejet devront lui être communiqués dans le mois suivant cette demande. Dans ce cas, le délai du recours contentieux contre ladite décision est prorogé jusqu'à l'expiration de deux mois suivant le jour où les motifs lui auront été communiqués. ".
4. Aux termes de l'article D. 312-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction issue du décret du 29 juin 2022 relatif aux modalités de contestation des refus d'autorisations de voyage et des refus de visas d'entrée et de séjour en France : " Une commission placée auprès du ministre des affaires étrangères et du ministre de l'intérieur est chargée d'examiner les recours administratifs contre les décisions de refus de visa de long séjour prises par les autorités diplomatiques ou consulaires. Le sous-directeur des visas, au sein de la direction générale des étrangers en France du ministère de l'intérieur, est chargé d'examiner les recours administratifs contre les décisions de refus de visa de court séjour prises par les autorités diplomatiques ou consulaires. La saisine de l'une ou l'autre de ces autorités, selon la nature du visa sollicité, est un préalable obligatoire à l'exercice d'un recours contentieux, à peine d'irrecevabilité de ce dernier ". L'article D. 312-8-1 du même code, applicable, en vertu de l'article 3 du même décret, aux demandes ayant donné lieu à une décision diplomatique ou consulaire prise à compter du 1er janvier 2023, dispose : " En l'absence de décision explicite prise dans le délai de deux mois, le recours administratif exercé devant les autorités mentionnées aux articles D. 312-3 et D. 312-7 est réputé rejeté pour les mêmes motifs que ceux de la décision contestée. L'administration en informe le demandeur dans l'accusé de réception de son recours. ".
5. Les décisions des autorités consulaires portant refus d'une demande de visa doivent être motivées en vertu des dispositions de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration. Il en va de même pour les décisions de rejet des recours administratifs préalables obligatoires formés contre ces décisions.
6. Les dispositions de l'article D. 312-8-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile impliquent que si le recours administratif préalable obligatoire formé contre une décision de refus d'une demande de visa fait l'objet d'une décision implicite de rejet, cette décision implicite, qui se substitue à la décision initiale, doit être regardée comme s'étant appropriée les motifs de la décision initiale. Dans le cadre de la procédure de recours administratif préalable obligatoire applicable aux refus de visa, il en va de même, avant l'entrée en vigueur de ces dispositions, comme c'est le cas en l'espèce, si le demandeur a été averti au préalable par la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'une telle appropriation en cas de rejet implicite de sa demande.
7. Si la décision consulaire n'est pas motivée, le demandeur qui n'a pas sollicité, sur le fondement de l'article L. 232-4 du code des relations entre le public et l'administration, la communication des motifs de la décision implicite de rejet prise sur son recours préalable obligatoire, ne peut utilement soutenir devant le juge qu'aurait été méconnue l'obligation de motivation imposée par l'article L. 211-2 du même code. Si la décision consulaire est motivée, l'insuffisance de cette motivation peut être utilement soulevée devant le juge, sans qu'une demande de communication de motifs ait été faite préalablement.
8. En l'espèce, l'accusé de réception du recours formé par Mme A... devant la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France mentionne qu'en l'absence de réponse expresse de la commission, le recours est réputé rejeté pour les mêmes motifs que ceux de la décision des autorités consulaires critiquée. Cette dernière est intervenue sur le formulaire annexé au règlement (CE) du Parlement et du Conseil du 13 juillet 2009 établissant un code communautaire des visas et prévoyant les différentes hypothèses dans lesquelles le visa de court séjour peut être refusé. Cette décision consulaire mentionne qu'" il existe des doutes raisonnables quant à votre volonté de quitter le territoire des états membres avant l'expiration du visa. ".
9. Il résulte de ce qui précède que la décision contestée de la commission doit être regardée comme s'étant appropriée les motifs de la décision initiale des autorités consulaires à Conakry et que Mme A... peut utilement faire valoir que la décision en litige est insuffisamment motivée sans avoir à solliciter préalablement la communication des motifs de celle-ci.
10. Dans le cas présent, la mention selon laquelle le refus de visa est fondé sur l'existence de doutes raisonnables quant à l'absence de volonté de Mme A... de quitter le territoire français avant l'expiration de son visa est constitutive d'une motivation permettant à l'intéressée, d'une part, d'identifier le motif de ce refus compte-tenu également des pièces qu'elle a nécessairement produites à l'appui de sa demande de visa, dont certaines sont précisées à l'annexe II du règlement du 13 juillet 2009, et, d'autre part, et en conséquence, de le discuter utilement. Toutefois, la décision en litige, si elle est ainsi suffisamment motivée en fait, ne comporte aucune considération de droit permettant à Mme A... d'identifier le cadre juridique dans lequel elle est intervenue et, par suite, elle est insuffisamment motivée en droit.
11. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que Mme A... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :
12. Alors que les autres moyens ne sont pas de nature à entrainer l'annulation de la décision contestée, l'exécution du présent arrêt implique seulement que le ministre de l'intérieur procède à un nouvel examen de la demande de Mme A.... Il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur de procéder à ce réexamen dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros au titre des frais exposés par Mme A... et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2215324 du 15 juin 2023 du tribunal administratif de Nantes est annulé.
Article 2 : La décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté la demande de visa d'entrée et de court séjour en France présentée pour Mme A... est annulée.
Article 3 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de procéder au réexamen de la demande de Mme A... dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à Mme A... une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 24 octobre 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Degommier, président de chambre,
- M. Rivas, président-assesseur,
- Mme Dubost, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 novembre 2024.
La rapporteure,
A.-M. DUBOST
Le président,
S. DEGOMMIERLa présidente,
C. BUFFET
Le greffier,
C. GOY
La greffière,
K. BOURON
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23NT02443