Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme E... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du 23 octobre 2023 par lequel le préfet d'Ille-et-Vilaine lui a fait obligation de quitter dans un délai de trente jours le territoire français, a fixé le pays de destination et lui a fait obligation de se présenter deux fois par semaine à la direction zonale de la police aux frontières.
Par un jugement n° 2305896 du 13 décembre 2023, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 5 mars 2024, Mme E... représentée par Me Berthaut, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 13 décembre 2023 du tribunal administratif de Rennes ;
2°) d'annuler l'arrêté du 23 octobre 2023 par lequel le préfet d'Ille-et-Vilaine lui a fait obligation de quitter dans un délai de trente jours le territoire français, a fixé le pays de destination et lui a fait obligation de se présenter deux fois par semaine à la direction zonale de la police aux frontières ;
3°) d'enjoindre au préfet d'Ille-et-Vilaine de lui délivrer un titre de séjour dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêté à intervenir ou, à défaut, de réexaminer sa situation et de lui délivrer dans cette attente une autorisation provisoire de séjour ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'obligation de quitter le territoire français est insuffisamment motivée et est entachée d'un défaut d'examen de sa situation ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ;
- la décision fixant le pays de renvoi sera annulé par voie de conséquence de l'annulation de l'obligation de quitter le territoire français ;
- elle est insuffisamment motivée et est entachée d'un défaut d'examen de sa situation ;
- elle méconnaît l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour et l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Mme E... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 4 mars 2024.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant, signée à New York le 26 janvier 1990 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendues au cours de l'audience publique :
-le rapport de Mme Marion,
- et les observations de Me Berthaut, représentant Mme E....
Considérant ce qui suit :
1. Mme E..., née le 23 décembre 1986 à Kinshasa, de nationalité congolaise (RDC), est entrée, selon ses déclarations, en France le 25 février 2020. Elle a demandé l'asile le 23 juillet 2020. Par une décision du 10 septembre 2021, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides a rejeté sa demande. Par une décision du 3 janvier 2022, la Cour nationale du droit d'asile a confirmé cette décision. A la suite d'un contrôle d'identité, elle a été auditionnée par la police aux frontières. Constatant que sa demande d'asile avait été définitivement rejetée et qu'elle n'était pas titulaire d'un titre de séjour, le préfet d'Ille-et-Vilaine a pris à son encontre un arrêté daté du 23 octobre 2023 par lequel, sur le fondement du 4° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, il l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours, fixé le pays de destination de destination et l'a astreinte à se présenter deux fois par semaine à la direction zonale de la police aux frontières. Par un jugement du 13 décembre 2023, dont Mme E... relève appel, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande d'annulation de cet arrêté du 23 octobre 2023.
Sur le moyen commun tiré du défaut de motivation des décisions attaquées :
2. La requérante fait grief à l'arrêté attaqué de ne pas viser la convention internationale relative aux droits de l'enfant et de ne pas rappeler dans le détail le récit de sa vie à la police aux frontières, à savoir que son troisième enfant est né en France d'une relation extra-conjugale avec un ressortissant congolais titulaire d'une carte de réfugié, que son époux est emprisonné en République démocratique du Congo et que leurs deux enfants sont restés vivre dans ce pays chez une tante. Ainsi que le tribunal l'a jugé, la convention internationale relative aux droits de l'enfant ne constitue pas le fondement juridique de la décision qui vise les textes appliqués par le préfet et notamment le 4° de l'article L. 611-1 et les articles L. 612-1 et L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par ailleurs, l'arrêté mentionne suffisamment la situation administrative et personnelle de l'intéressée en faisant état de ce qu'elle " déclare être célibataire et avoir un enfant d'un an à sa charge présent avec elle en France ainsi que deux enfants de 9 ans et 5 ans vivant au Congo " et que " le père de son plus jeune enfant vit en France de manière régulière " mais qu'il " ne s'en occupe pas, vivant avec une autre femme ". Par suite, le moyen tiré d'une insuffisance de motivation et d'un défaut d'examen de la situation de Mme E... ne peut qu'être écarté.
Sur l'obligation de quitter le territoire français :
3. En premier lieu, aux termes des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...) ".
4. Il ressort des pièces du dossier que Mme E... est entrée en France en 2020 et n'a pu s'y maintenir qu'en raison des délais d'instruction de sa demande d'asile. Elle est célibataire et vit dans un foyer d'hébergement d'urgence. Si elle a eu un garçon né le 2 septembre 2023 à Rennes qui a été reconnu le 23 novembre suivant par M. B... A..., un compatriote en situation régulière ayant le statut de réfugié, elle ne vit pas avec lui et ne produit aucune pièce établissant qu'elle entretiendrait des relations étroites avec le père allégué de son enfant ni que ce dernier participerait à l'entretien et à l'éducation de son fils. Par ailleurs, elle ne fait état d'aucun lien particulier avec la France alors qu'elle ne maîtrise pas la langue française et ne fait état de la présence d'aucun autre membre de sa famille en France. Par suite, le préfet d'Ille-et-Vilaine n'a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des buts en vue desquels il a pris l'arrêté attaqué.
5. En second lieu, aux termes des stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".
6. Par une décision de l'Office français de la protection des réfugiés et apatrides du 5 mars 2024, postérieure à l'obligation de quitter le territoire français attaquée par Mme E... la qualité de réfugié a été reconnue à son fils eu égard à la reconnaissance de paternité de M. B... A.... Toutefois, cette circonstance n'a pas, par elle-même, pour effet alors qu'une décision d'obligation de quitter le territoire français constitue une mesure distincte de celle fixant le pays de destination, de séparer Mme E... de son fils. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant doit être écarté.
Sur la décision fixant le pays de renvoi :
7. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants " et de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950. ".
8. Mme E... soutient encourir des risques dans son pays d'origine du fait de la situation de son époux, un fonctionnaire des services de renseignement de la République démocratique du Congo qui aurait été arbitrairement emprisonné dans ce pays. Toutefois, ainsi que l'a jugé le tribunal, en se bornant à citer différents rapports d'associations sur la situation de son pays et des photocopies de documents dont l'authenticité est invérifiable, elle n'établit pas qu'elle serait personnellement menacée en cas de retour en République démocratique du Congo, alors au demeurant que les instances de l'asile ont relevé les invraisemblances de ses déclarations, notamment son voyage avec son époux au Rwanda et le caractère convenu et peu circonstancié de son récit. Toutefois, ainsi qu'il a été dit plus haut, Mme E... est la mère d'un enfant, de nationalité congolaise bénéficiant du statut de réfugié. Dès lors, son fils mineur n'est pas susceptible d'accompagner sa mère en République démocratique du Congo. Par suite, la requérante ne peut être renvoyée sous peine d'être séparée de son fils dans ce pays. Par voie de conséquence, la décision fixant le pays de renvoi est contraire aux stipulations susvisées ainsi qu'à celles de l'article 3.1 de la convention internationale des droits de l'enfant en tant qu'elle fixe la République démocratique du Congo comme possible pays de renvoi.
Sur la décision obligeant Mme E... à se présenter deux fois par semaine à la direction zonale de la police aux frontières :
9. . L'annulation de la décision fixant la République démocratique du Congo comme pays de renvoi ne fait pas obstacle à ce que Mme E... soit renvoyée dans un autre pays où elle serait légalement admissible. Par suite, l'annulation de la décision fixant la République démocratique du Congo comme pays de renvoi n'a pas pour effet d'entraîner l'annulation de la décision obligeant Mme E... à se présenter deux fois par semaine à la direction zonale de la police aux frontières.
10. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que Mme E... est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande d'annulation de la décision fixant la République démocratique du Congo comme pays de renvoi.
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
11. L'annulation de la décision fixant la République démocratique du Congo comme pays de renvoi n'implique pas nécessairement que le préfet d'Ille-et-Vilaine réexamine la situation de Mme E.... Par suite, ces conclusions doivent être rejetées.
Sur les frais de justice :
12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros au titre des frais exposés par Mme E... et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : La décision fixant le pays de renvoi est annulée en tant qu'elle désigne la République démocratique du Congo comme pays de destination.
Article 2 : Le jugement attaqué du 13 décembre 2023 du tribunal administratif de Rennes est réformé en tant qu'il est contraire à l'article 1er.
Article 3 : L'Etat versera la somme de 1200 euros à Mme E... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... E... et au ministre de l'intérieur.
Une copie en sera transmise, pour information, au préfet d'Ille-et-Vilaine.
Délibéré après l'audience du 17 octobre 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Brisson, présidente,
- M. Vergne, présidente-assesseur,
- Mme Marion, première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 8 novembre 2024.
La rapporteure,
I. MARION
La présidente,
C. BRISSON
Le greffier,
Y. MARQUIS
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N°24NT00679