Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
Mme A... D... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 12 décembre 2018 par laquelle le centre hospitalier de F... a refusé de reconnaître sa pathologie imputable au service ainsi que la décision du 23 janvier 2019 rejetant son recours gracieux.
Par un jugement n° 1903155 du 8 mars 2023, le tribunal administratif de Nantes a annulé ces décisions.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 4 mai 2023, le centre hospitalier de F..., représenté par Me Bernot, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 8 mars 2023 ;
2°) de rejeter la demande de Mme D... ;
3°) de mettre à la charge à la charge de Mme D... la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- en l'absence de tout contexte professionnel pathogène, les conditions de travail de Mme D... n'ont pas été de nature à susciter le développement du syndrome anxieux généralisé dont elle est atteinte ;
- en outre, des circonstances propres à Mme D... et extérieures au service, faits personnels et antécédents médicaux, sont à l'origine de son état ;
- c'est donc à tort que le tribunal, pour annuler la décision litigieuse, a retenu le moyen tiré de ce qu'il avait commis une erreur d'appréciation en estimant, pour l'application des applications des dispositions du 2° de l'article 41 de la loi du 9 janvier 1986, que la pathologie de Mme D... présentait un lien direct déterminant avec l'exercice de ses fonctions ou avec des conditions de travail de nature à susciter le développement de cette maladie ;
- les autres moyens invoqués par Mme D... en première instance devant le tribunal administratif ne sont pas fondés.
Par un mémoire, enregistré les 16 octobre 2023, Mme A... D..., représentée par Me Zard, demande à la cour :
1°) de rejeter la requête du centre hospitalier de F... ;
2°) de mettre à la charge à la charge de celui-ci la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que les moyens soulevés par l'appelant ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 ;
- la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 ;
- le décret n° 95-926 du 18 août 1995 ;
- le décret n° 2012-1466 du 26 décembre 2012 ;
- le décret n° 2014-1585 du 23 décembre 2014 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Vergne,
- les conclusions de M. Catroux, rapporteur public,
- et les observations de Me William, représentant le centre hospitalier de F....
Considérant ce qui suit :
1. Mme D..., titulaire du diplôme de sage-femme depuis 1996, affectée successivement en région parisienne à l'hôpital de Saint-Denis puis au centre hospitalier Bretagne Atlantique à Vannes (Morbihan), où elle a évolué de fonctions initialement opérationnelles de sage-femme vers des fonctions d'encadrement et d'organisation, a été recrutée à compter du 18 juillet 2014 par le centre hospitalier de F... par voie de mise à disposition puis de mutation à compter du 26 septembre 2016 pour occuper des fonctions de chargée de mission au sein de la direction générale. Dans un contexte de réorganisation de la direction de l'hôpital et de suppression de son emploi à la suite de l'arrivée d'un nouveau directeur au début de l'année 2018, elle a été placée en congé de maladie ordinaire du 6 mars au 1er juin 2018, puis, après une reprise du travail le 4 juin 2018, a, de nouveau été placée en arrêt de maladie, à partir du 19 juin 2018. Par une demande du 26 juin 2018, complétée le 8 août suivant, elle a sollicité du centre hospitalier de F... la reconnaissance de l'imputabilité au service de sa maladie déclarée à compter du 19 juin 2018. Après avis favorable de la commission de réforme, le centre hospitalier de F... a refusé, par une décision du 12 décembre 2018, notifiée le 14 décembre 2018, de répondre favorablement à cette demande. Cet hôpital relève appel du jugement du 8 mars 2023 par lequel le tribunal administratif de Nantes a annulé cette décision du 12 décembre 2018, ainsi que sa décision du 23 janvier 2019 par laquelle il a rejeté son recours gracieux.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Aux termes de l'article 41 de la loi du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière, dans sa version applicable au litige : " Le fonctionnaire en activité a droit : (...) / 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants. (...) / Toutefois, si la maladie provient de l'une des causes exceptionnelles prévues à l'article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite ou d'un accident survenu dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à sa mise à la retraite. Il a droit, en outre, au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie ou l'accident (...) ".
3. Une maladie contractée par un fonctionnaire, ou son aggravation, doit être regardée comme imputable au service si elle présente un lien direct, mais non nécessairement exclusif, avec l'exercice des fonctions ou avec des conditions de travail de nature à susciter le développement de la maladie en cause, sauf à ce qu'un fait personnel de l'agent ou toute autre circonstance particulière conduisent à détacher la survenance ou l'aggravation de la maladie du service. Il appartient dans tous les cas au juge administratif, saisi d'une décision de l'autorité administrative compétente refusant de reconnaître l'imputabilité au service d'un tel événement ou d'une telle maladie, de se prononcer au vu des circonstances de l'espèce.
4. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que Mme D... a directement subi un changement d'organisation et de direction survenu à la suite du départ, au 1er juillet 2017, du précédent directeur, qui l'avait recrutée en 2016, puis de l'adjointe de ce directeur, avec qui elle travaillait directement, et de l'arrivée d'un nouveau directeur début janvier 2018. Ce changement s'est traduit par la refonte de l'organigramme et la suppression du poste polyvalent, transversal et valorisant qu'elle occupait. Mme D... a aussi été confrontée à une incertitude sur les fonctions qui pourraient lui être confiées après la suppression de son poste, et à une situation de relative inactivité du fait que les dossiers dont elle s'occupait auparavant étaient progressivement transférés dans les autres directions, conformément au changement d'organisation décidé, sans que d'autres tâches lui soient confiées ou qu'elle soit rattachée à un autre service. Il lui a également été demandé de quitter le bureau qu'elle occupait jusqu'alors. A la suite d'un premier congé de maladie dont il ressort des arrêts de travail produits qu'il était lié à un " stress lié au travail ", elle a repris son activité le 4 juin 2018. Il lui a été proposé, au cours de deux entretiens, les 5 juin et 14 juin avec le directeur adjoint de l'hôpital, de rejoindre des fonctions de chargée de mission auprès de la direction de la stratégie, des coopérations et de la recherche clinique ou d'attachée d'administration hospitalière en charge des affaires médicales et générales, qu'elle a considérées comme inadaptées à ses compétences ou dévalorisantes, et pour lesquelles elle a formulé des objections et fait une proposition alternative. Alors qu'elle devait revoir son directeur en entretien le 26 juin et qu'elle avait adressé à celui-ci, dans un courriel du 15 juin, une demande de précisions sur le poste qui lui avait été proposé, elle a reçu un courriel de réponse du 19 juin 2018 lui confirmant " le principe (...) de l'intégrer au roulement des sages femmes de la maternité qui (...) tournent sur différents postes (BO, hospit., consult., ...) ", et donc le retour à des fonctions opérationnelles de sage-femme qu'elle n'exerçait plus depuis plus de quinze ans. Le contexte professionnel décrit ci-dessus, par lequel Mme D... a été confrontée à un changement d'organisation, à une incertitude persistante sur l'évolution de sa situation, et à l'obligation de rejoindre un poste très différent du précédent et qu'elle ne souhaitait pas, constituait un contexte professionnel de nature à déstabiliser cet agent, alors même qu'en l'état du dossier aucune initiative anormale dans le cadre du travail, ou même simplement maladroite, ni aucun manquement de l'employeur envers sa salariée ne peuvent être identifiés et reprochés au centre hospitalier de F..., y compris s'agissant des postes et perspectives qui ont été proposés à Mme D... et de l'affectation finalement décidée pour elle.
5. En deuxième lieu, il ressort des documents médicaux produits que Mme D... a été très affectée personnellement par les entretiens portant sur son avenir professionnel qui se sont déroulés les 5 et 14 juin et surtout par le courriel qui lui a été adressé par ce directeur le 19 juin, lui confirmant l'affectation décidée pour elle et qu'elle ne souhaitait pas. Même si ce courriel reçu le 19 juin 2018 à 11h21, répondant à une demande de sa part, n'est, dans sa teneur et dans les termes employés, ni blessant ni brutal, ni contraire à l'exercice normal du pouvoir hiérarchique, l'agente en a été fortement choquée. Elle a immédiatement consulté le médecin du travail qui l'a reçue en urgence, l'a estimée inapte temporairement à ses fonctions et l'a orientée vers son médecin traitant en lui remettant un courrier " pour bilan et avis " destiné à ce confrère, par lequel il exposait à celui-ci l'historique de la situation et surtout le retentissement de celle-ci sur Mme D..., décrivant une personne " en pleurs, doute de ses compétences +++ " et concluant son courrier par l'avis que " ceci peut être déclaré en maladie imputable au service en FPH [fonction publique hospitalière]) ". Quelques jours après l'arrêt de travail qui lui a été délivré le même jour par son médecin traitant, Mme D... a été hospitalisée du 23 au 26 juin 2018 au service de psychiatrie d'urgence de l'hôpital de F.... Le compte rendu de cette hospitalisation évoque que la patiente, admise à l'hôpital pour une anxiété aiguë, " présente un effondrement thymique avec ralentissement psycho-moteur, des troubles du sommeil, des ruminations anxieuses centrées sur son sentiment d'être déclassée dans son travail, d'être mise à l'écart de façon violente par sa hiérarchie. Doute sur la présence d'idées suicidaires dans le service " et enregistre le diagnostic posé d'" épisode dépressif caractérisé réactionnel à un deuil d'une carrière professionnelle à la Cité Sanitaire ". S'il a été mis fin à cette hospitalisation au bout de quatre jours, la patiente étant orientée rapidement vers une prise en charge en ambulatoire, c'est au motif que l'hospitalisation sur [son] lieu de travail n'[était] pas un facteur favorisant pour la mise à distance des ruminations sur ses conditions de travail ". Le docteur B..., médecin du travail, qui a établi son rapport à la commission de réforme le 5 septembre 2018, y expose qu'il a rencontré Mme D... à deux reprises, les 4 et 19 juin, notant pour cette dernière date que l'intéressée était " en pleurs, doutant de ses compétences, état anxieux généralisé, sentiment de dégradation et de déclassement ". Il constate les symptômes suivants " troubles du sommeil alternant entre insomnie et hypersomnie, fatigue généralisée avec fatigabilité, sentiment de non-reconnaissance du travail accompli ; sentiment de non-appartenance : perte d'identité difficile à vivre ; Récurrence de poussées herpétiques et de céphalées ". Le docteur C..., médecin psychiatre agréé, considère en conclusion de son rapport du 6 septembre 2018, précis et circonstancié, destiné aux membres de la commission de réforme, que " la pathologie mentale de Mme D... est en lien direct et certain avec le travail ", après avoir relevé le fait que l'on ne retrouve pas chez la patiente, dont il note la " présentation tout à fait adaptée ", de " traits spécifiques pathologiques, sensitifs, obsessionnels, phobiques ou histrioniques ". S'il relève également, parmi les éléments biographiques concernant Mme D..., une séparation d'avec son mari depuis un an, , il note que les époux restent en bons termes et aidants l'un avec l'autre, et il écarte tout " facteur extérieur affectif, contextuel ou autre, justifiant ou expliquant la décompensation ". Il exclut aussi que cette nouvelle décompensation puisse être la rechute d'un épisode de burn-out pour lequel la requérante avait été arrêtée en 2013 quand elle travaillait à Vannes pour un autre employeur. Enfin, il ressort des pièces du dossier que Mme D..., avant sa reprise du travail le 4 juin 2018, était suivie par un psychologue qui atteste l'avoir reçue reçu à 11 reprises entre le 16 mars et le 11 juin 2018, mentionnant qu'elle " est venue suite à une réunion de travail qui a remis en cause son poste et alors qu'elle était en arrêt de travail ", éléments dont il y a lieu de tenir compte bien qu'aucune imputabilité au service n'ait été demandée pour cette première période de congé de maladie du 6 mars au 1er juin 2018. Ainsi, tous les professionnels de santé qui ont eu à connaître de la situation de Mme D... ont relevé l'existence d'un contexte professionnel déterminant constitutif des symptômes qu'ils constataient chez cette patiente.
6. Il résulte du contexte professionnel et des éléments médicaux analysés ci-dessus aux points 4 et 5 que, dans les circonstance particulières de l'espèce, et même en l'absence de conditions de travail ou d'emploi de Mme D... pouvant être considérées objectivement comme manifestement très difficiles ou éprouvantes, la maladie de la requérante présente un lien direct avec sa situation professionnelle, ainsi que l'ont d'ailleurs estimé le médecin du travail, le psychiatre expert, et la commission de réforme.
7. En troisième lieu, si le centre hospitalier invoque l'existence d'une fragilité psychologique préexistante de Mme D..., qui s'était déjà manifestée lorsque celle-ci travaillait au centre hospitalier Bretagne Atlantique à Vannes où elle avait été placée en congé de longue maladie pour burn-out entre juillet 2012 et septembre 2013, cette causalité n'a pas été retenue par l'expert comme explicative de l'arrêt de travail en litige, postérieur à ces événements de plus de quatre ans, et il n'est pas démontré qu'elle aurait été déterminante. Il en est de même de l'éventuelle répercussion négative sur l'état de santé de la requérante de la séparation entre celle-ci et son mari, facteur explicatif également écarté par l'expert. Enfin, il ne ressort pas des pièces du dossier que la survenance de la maladie en cause aurait pour cause déterminante l'opposition de Mme D..., constituant un fait personnel de cet agent, aux changements d'organisation et d'affectation qui lui étaient imposés par son employeur dans l'exercice normal de son pouvoir hiérarchique. Il suit de là qu'aucun fait personnel de l'agent, ni aucune autre circonstance particulière, ne conduit à détacher du service la survenance de la maladie de la requérante.
8. Il résulte de tout ce qui précède que le centre hospitalier de F... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes, pour annuler les décisions des 12 décembre 2018 et 23 janvier 2019 du directeur de l'hôpital a retenu le moyen tiré de ce que cette autorité avait commis une erreur d'appréciation en estimant, pour l'application des dispositions du 2° de l'article 41 de la loi du 9 janvier 1986, que la pathologie de Mme D... ne présentait pas un lien direct déterminant avec l'exercice de ses fonctions ou avec des conditions de travail de nature à susciter le développement de cette maladie.
Sur les frais liés à l'instance :
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de Mme D... qui n'est pas, dans la présente instance, partie perdante, la somme réclamée à ce titre par le centre hospitalier de F.... Il y a lieu, en revanche, par application des mêmes dispositions, de mettre à la charge de cet hôpital une somme de 1 500 euros hors taxe au titre des frais exposés par Mme D... et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : La requête du centre hospitalier de F... est rejetée.
Article 2 : Le centre hospitalier de F... versera la somme de 1 500 euros hors taxe à Mme D... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent jugement sera notifié à Mme A... D... et au centre hospitalier de F....
Délibéré après l'audience du 17 octobre 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Brisson, présidente,
- M. Vergne, président-assesseur,
- Mme Gélard, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 8 novembre 2024.
Le rapporteur,
G.-V. VERGNE
La présidente,
C. BRISSON
Le greffier,
Y. MARQUIS
La République mande et ordonne à la ministre de la santé et de l'accès aux soins, en ce qui la concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23NT01276