Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... et Mme C... E..., agissant en leur nom propre et en tant que représentant légal du jeune D... A..., ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre les décisions du 22 février 2022 de l'autorité consulaire française en Guinée et en Sierra Leone refusant de délivrer à Mme E... et au jeune D... A... un visa d'entrée et de long séjour au titre de la réunification familiale.
Par un jugement n° 2209074 du 5 juin 2023, le tribunal administratif de Nantes a annulé cette décision et a enjoint au ministre de l'intérieur de faire délivrer les visas de long séjour sollicités dans un délai de deux mois à compter de la notification de son jugement.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 4 août 2023, le ministre de l'intérieur demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 5 juin 2023 ;
2°) de rejeter la demande de M. A... et de Mme E... présentée devant le tribunal administratif de Nantes.
Il soutient que :
- le réunifiant représente une menace à l'ordre public ;
- la situation de concubinage entre M. A... et Mme E... n'est ni stable ni continue.
Par un mémoire en défense, enregistré le 4 décembre 2023, M. B... A... et Mme C... E..., représentés par Me Mahieu, concluent au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat le versement à leur conseil de la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ou, à défaut, le versement de la même somme à leur profit au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que les moyens soulevés par le ministre de l'intérieur ne sont pas fondés.
M. A... a été maintenu au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 9 octobre 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Dubost a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant guinéen né le 5 mars 1993, s'est vu reconnaître la qualité de réfugié par décision de la Cour nationale du droit d'asile du 4 janvier 2019. Mme E..., née le 9 juillet 1996, et le jeune D... A..., né le 5 août 2015, qu'il présente respectivement comme sa concubine et son fils, ont sollicité des visas de long séjour en qualité de membres de famille de réfugié auprès de l'autorité consulaire française en Guinée et en Sierra Leone, laquelle a rejeté cette demande par deux décisions du 22 février 2022. Le recours formé contre ce refus consulaire devant la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a été rejeté par une décision implicite née du silence gardé par ladite commission pendant plus deux mois. M. A... et Mme E... ont alors demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler cette décision. Le ministre de l'intérieur relève appel du jugement du 5 juin 2023 de ce tribunal annulant les décisions de la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France et lui enjoignant de délivrer les visas de long séjour sollicités.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Il ressort des pièces du dossier que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée, pour rejeter le recours formé à l'encontre de la décision des autorités consulaires françaises en Guinée et en Sierra Leone, sur les circonstances s'agissant de Mme E... que, d'une part, M. A... placé sous la protection de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, présente un risque de menace à l'ordre public d'une gravité telle qu'un refus de visa ne porte pas une atteinte disproportionnée à sa vie familiale ou privée et d'autre part, que les déclarations de Mme E... conduisent à conclure à une tentative frauduleuse pour obtenir un visa au titre de la réunification familiale. Dans ses écritures, le ministre a précisé, s'agissant de ce dernier motif, que la situation de concubinage entre M. A... et Mme E... ne présente un caractère ni stable ni continu. S'agissant de l'enfant D... A..., le refus opposé est fondé sur la circonstance que l'identité et partant le lien familial avec le réunifiant n'est pas établi.
3. Aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : (...) 2° Par son concubin, âgé d'au moins dix-huit ans, avec lequel il avait, avant la date d'introduction de sa demande d'asile, une vie commune suffisamment stable et continue ; (...) ". Aux termes de l'article L. 561-4 du même code : " Les articles L. 434-1, L. 434-3 à L. 434-5 et le premier alinéa de l'article L. 434-9 sont applicables. La réunification familiale n'est pas soumise à des conditions de durée préalable de séjour régulier, de ressources ou de logement. " Aux termes de l'article L. 561-5 dudit code : " Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. Ils produisent pour cela les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 121-9 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux. ". La circonstance qu'une demande de visa de long séjour ait pour objet le rapprochement familial d'un conjoint ou des enfants d'une personne bénéficiaire de la protection subsidiaire ne fait pas obstacle à ce que l'autorité administrative refuse la délivrance du visa sollicité en se fondant, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, sur un motif d'ordre public.
4. En premier lieu, M. A... a déclaré Mme E... comme étant sa concubine lors du dépôt de sa demande d'asile le 2 janvier 2018 ainsi que dans la fiche familiale de référence envoyée à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 4 février 2019. Par ailleurs, M. A... et Mme E... sont les parents du jeune D... A... né le 5 août 2015. En outre, il ressort des pièces du dossier notamment des preuves de virements adressés à Mme E... et d'échanges électroniques entre M. A... et Mme E... que leur union s'est poursuivie après le départ de Guinée de M. A.... Dans ces conditions, M. A... et Mme E... doivent être regardés comme ayant entretenu, avant la date d'introduction de la demande d'asile du réunifiant, une vie commune suffisamment stable et continue.
5. En second lieu, il ressort des pièces du dossier, et plus particulièrement des inscriptions dans le traitement des antécédents judiciaires produit par le ministre, que M. A... a été mis en cause pour des faits de " violence sans incapacité par une personne étant ou ayant été conjoint, concubin ou partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité " en 2018, " conduite d'un véhicule sans permis et sans assurance " en 2021 et 2022, " vol dans un local d'habitation ou un lieu d'entrepôt " en 2021 et " conduite d'un véhicule sous l'empire d'un état alcoolique " en 2022. Le requérant conteste les faits de violences et de vols qui lui sont reprochés et les pièces du dossier ne permettent pas d'établir que le requérant aurait été poursuivi ou condamné pour de tels faits ni qu'il aurait fait l'objet d'une mesure alternative à des poursuites. Enfin, si les faits de conduite d'un véhicule sans permis et sans assurance et sous l'empire d'un état alcoolique, non contestés par le requérant et pour lesquels il a été condamné, présentent un caractère répétitif et récent, ils ne sont pas à eux seuls d'une gravité suffisante pour considérer que le requérant représente une menace à l'ordre public pouvant faire obstacle à l'application des dispositions de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Dans ces conditions, en estimant que M. A... présentait une menace à l'ordre public, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a fait une inexacte application des dispositions citées au point 3.
6. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur et des outre-mer n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision implicite de rejet née du silence gardé par la commission de recours contre les refus de visas d'entrée en France sur le recours dirigé contre la décision des autorités consulaires de France en Guinée et en Sierra Leone du 22 février 2022 et lui a enjoint de délivrer les visas de long séjour sollicités.
Sur les frais liés au litige :
7. M. A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 200 euros hors taxe à Me Mahieu dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du ministre de l'intérieur est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à Me Mahieu une somme de 1 200 euros hors taxe dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à M. B... A... et à Mme C... E....
Délibéré après l'audience du 10 octobre 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Degommier, président de chambre,
- M. Rivas, président-assesseur,
- Mme Dubost, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 octobre 2024.
La rapporteure,
A.-M. DUBOST
Le président,
S. DEGOMMIERLa présidente,
C. BUFFET
La greffière,
S. PIERODÉ
La greffière,
K. BOURON
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23NT02385