Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. B... E... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler la décision du 25 janvier 2022 par laquelle la directrice interrégionale des services pénitentiaires de Rennes a rejeté son recours administratif préalable formé à l'encontre de la sanction qui lui a été infligée par la décision n° 2021000230 du 8 décembre 2021 du président de la commission de discipline du centre pénitentiaire d'Alençon-Condé-sur-Sarthe.
Par un jugement n° 2201993 du 24 mai 2024, le tribunal administratif de Caen a annulé cette décision en tant qu'elle confirme la sanction prononcée par le président de la commission de discipline du centre pénitentiaire d'Alençon-Condé-sur-Sarthe dans sa décision
n° 2021000230 du 8 décembre 2021.
Procédure devant la cour :
Par un recours, enregistré le 30 juillet 2024, le garde des sceaux, ministre de la justice, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 24 mai 2024 ;
2°) de rejeter la demande de M. E....
Il soutient que :
- c'est à tort que le tribunal, pour annuler la décision litigieuse, a retenu le moyen tiré de l'irrégularité de la composition de commission de discipline qui s'est réunie le 8 décembre 2021 dès lors qu'il est justifié que l'assesseur pénitentiaire qui y a siégé détenait le grade requis par la réglementation ;
- les moyens invoqués par M. E... en première instance devant le tribunal administratif ne sont pas fondés.
Le recours a été communiqué à M. E..., qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le premier protocole additionnel à cette convention ;
- le code pénitentiaire ;
- le code de procédure pénale ;
- la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 modifiée ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Vergne,
- et les conclusions de M. Catroux, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. B... E..., incarcéré depuis le 27 janvier 2004, a séjourné du 8 juillet 2021 au 14 janvier 2022 au centre pénitentiaire d'Alençon-Condé-sur-Sarthe. Au cours du mois de novembre 2021, il a fait l'objet de douze comptes rendus d'incidents pour des faits d'insultes et de menaces à l'encontre du personnel pénitentiaire, de tapage et de refus d'obtempérer. Par une décision du 8 décembre 2021 n° 2021000230, le président de la commission de discipline l'a sanctionné de quatorze jours de cellule disciplinaire pour ces faits. Par un jugement n° 2201993 du 24 mai 2024, le tribunal administratif de Caen a fait droit à la demande par laquelle
M. E... lui demandait l'annulation de la décision du 25 janvier 2022 de la directrice interrégionale des services pénitentiaires de Rennes confirmant cette sanction prononcée. Le garde des sceaux, ministre de la justice, relève appel de ce jugement.
Sur les conclusions aux fins d'annulation :
2. Aux termes de l'article R. 57-7-5, alors en vigueur, du code de procédure pénale : " Pour l'exercice de ses compétences en matière disciplinaire, le chef d'établissement peut déléguer sa signature à son adjoint, à un directeur des services pénitentiaires ou à un membre du corps de commandement du personnel de surveillance placé sous son autorité. (...) ". Aux termes de son article R. 57-7-6 alors en vigueur : " La commission de discipline comprend, outre le chef d'établissement ou son délégataire, président, deux membres assesseurs. ". Son article
R. 57-7-8, alors en vigueur, précisait que les assesseurs sont désignés par le président de la commission de discipline, le premier étant choisi parmi les membres du premier ou du deuxième grade du corps d'encadrement et d'application du personnel de surveillance de l'établissement et le second parmi des personnes extérieures à l'administration pénitentiaire qui manifestent un intérêt pour les questions relatives au fonctionnement des établissements pénitentiaires, habilitées à cette fin par le président du tribunal de grande instance territorialement compétent et son article R. 57-7-12 qu'" il est dressé par le chef d'établissement un tableau de roulement désignant pour une période déterminée les assesseurs extérieurs appelés à siéger à la commission de discipline ". Enfin, aux termes de l'article R. 57-7-13 du même code alors en vigueur : " En cas de manquement à la discipline de nature à justifier une sanction disciplinaire, un compte rendu est établi dans les plus brefs délais par l'agent présent lors de l'incident ou informé de ce dernier. L'auteur de ce compte rendu ne peut siéger en commission de discipline. " et aux termes de son article R. 57-7-14 : " A la suite de ce compte rendu d'incident, un rapport est établi par un membre du personnel de commandement du personnel de surveillance, un major pénitentiaire ou un premier surveillant et adressé au chef d'établissement. Ce rapport comporte tout élément d'information utile sur les circonstances des faits reprochés à la personne détenue et sur la personnalité de celle-ci. L'auteur de ce rapport ne peut siéger en commission de discipline. (...). ".
Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal administratif :
3. Il résulte des dispositions précitées que la présence dans la commission de discipline d'un assesseur choisi parmi les membres du premier ou du deuxième grade du corps d'encadrement et d'application du personnel de surveillance de l'établissement, qui ne peut être ni l'auteur du compte rendu établi à la suite d'un incident, ni l'auteur du rapport établi à la suite de ce compte rendu, constitue une garantie reconnue au détenu, dont la privation est de nature à vicier la procédure, alors même que la décision du directeur interrégional des services pénitentiaires, prise sur le recours administratif préalable obligatoire exercé par le détenu, se substitue à celle du président de la commission de discipline.
4. Les premiers juges, qui ont retenu le moyen tiré de l'irrégularité de la composition de la commission de discipline, ont relevé que le rôle de la commission de discipline du 8 décembre 2021 produit en défense comportait la mention des deux premières lettres du nom de l'assesseur pénitentiaire sans préciser le grade de celui-ci et ne permettait donc pas de s'assurer de la présence, constituant une garantie pour le détenu concerné, d'un premier assesseur choisi parmi les membres du premier ou du deuxième grade du corps d'encadrement et d'application du personnel de surveillance de l'établissement comme le prévoit l'article R. 57-7-8 du code de procédure pénale. Il est toutefois justifié, par de nouvelles pièces produites en appel, de ce que M. A..., membre de la commission de discipline, était titulaire du grade requis.
5. Par suite, le garde des sceaux, ministre de la justice, est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a annulé pour le motif qu'il a retenu la décision litigieuse. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. E....
Sur les autres moyens invoqués par M. E... :
6. En premier lieu, aucune disposition n'impose la mention, dans le compte rendu d'incident prévu à l'article R. 57-7-13 du code de procédure pénale précité, du nom de son auteur. Il ressort des pièces du dossier que les comptes rendus d'incident comportent les initiales des noms et prénoms de leurs 6 auteurs. Ces initiales sont différentes tant de celles de l'auteur du rapport d'enquête, M. G... D..., que de celles de M. A..., H..., premier assesseur de la commission de discipline, qui a siégé en cette qualité le 8 décembre 2021 dans cette commission pour connaître des faits en litige. Le moyen tiré par le requérant de ce que l'absence d'indication des identités ou des matricules des auteurs des comptes rendus d'incident ne lui permettrait pas de vérifier qu'il s'agissait bien des agents présents lors des incidents en cause ou informés de ceux-ci, que ces agents étaient compétents, et que, conformément aux dispositions de l'article R. 57-7-13 du code de procédure pénale, ils n'ont pas siégé au sein de la commission de discipline, doit être écarté.
7. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier qu'un rapport a été établi le
1er décembre 2021 par M. G... D..., premier surveillant, conformément aux dispositions de l'article R. 57-7-14 du code de procédure pénale citées au point 2. Le moyen tiré de ce que la procédure serait irrégulière en l'absence de rapport d'enquête doit donc être écarté comme manquant en fait.
8. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que la décision du 2 décembre 2021, prise sur rapport d'enquête, de poursuivre la faute disciplinaire en litige a été signée par M. F... C..., ..., adjoint au chef de détention par intérim. Cet agent s'était vu consentir par une décision du 17 mai 2021 du chef d'établissement du centre pénitentiaire de Caen une délégation à l'effet de signer notamment les actes relatifs à l'engagement des poursuites disciplinaires. Il ressort des pièces du dossier que cette décision avait fait l'objet le 18 mai 2021 d'une publication au recueil des actes administratifs de la préfecture du Calvados. Eu égard à l'objet d'une délégation de signature, une telle publication au recueil des actes administratifs, qui permet de donner date certaine à la décision de délégation prise par le chef d'établissement, constitue une mesure de publicité adéquate. Le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de la décision de poursuite doit, dès lors, être écarté.
9. En quatrième lieu, il ressort des pièces du dossier que la commission de discipline était composée, outre de son président, chef de détention, qui bénéficiait d'une délégation de signature consentie à cet effet par le chef d'établissement, d'un assesseur extérieur à l'administration, dont le patronyme figure sur les documents produits par le garde des sceaux, et d'un assesseur surveillant de l'administration pénitentiaire, dont le patronyme a été occulté ainsi que le permettent les dispositions de l'article R. 57-6-9 du code de procédure pénale. Ainsi qu'il a été dit, les documents produits permettent de s'assurer que ni l'auteur du compte rendu d'incident ni l'auteur du rapport d'enquête n'ont siégé au sein de la commission de discipline du 8 décembre 2021. Par ailleurs, aucune disposition législative ou réglementaire n'imposait que la désignation de l'assesseur pénitentiaire fasse l'objet d'une mesure de publicité et que le tableau de roulement désignant les assesseurs extérieurs prévu par les dispositions de l'article
R. 57-7-12 du code de procédure pénale soit tenu à la disposition des détenus. Les moyens tirés de l'absence d'identification nominative de l'auteur du compte rendu d'incident et de l'irrégularité de la composition de la commission de discipline doivent, par suite, être écartés.
10. En cinquième lieu, d'une part, eu égard à la nature et au degré de gravité des sanctions disciplinaires encourues par les personnes détenues, qui n'ont, par elles-mêmes, pas d'incidence sur la durée des peines initialement prononcées, les poursuites disciplinaires engagées à leur encontre ne sauraient être regardées comme une accusation en matière pénale au sens de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. D'autre part, si les sanctions disciplinaires encourues par les personnes détenues peuvent entraîner des limitations de leurs droits et doivent être regardées de ce fait comme portant sur des contestations sur des droits à caractère civil au sens des stipulations du paragraphe 1 de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la nature administrative de l'autorité prononçant les sanctions disciplinaires fait obstacle à ce que les stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales soient applicables à la procédure disciplinaire dans les établissements pénitentiaires. Par suite, la méconnaissance de ces stipulations ne saurait être utilement invoquée à l'encontre d'une sanction disciplinaire prononcée par le président de la commission de discipline d'un établissement pénitentiaire ou de la décision du directeur interrégional des services pénitentiaires qui s'y substitue en application de l'article L. 412-7 du code des relations entre le public et l'administration.
11. En sixième lieu, aux termes de l'article 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la présente Convention ont été violés, a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles ". Par ailleurs, aux termes de l'article
R. 57-7-32 du code de procédure pénale : " La personne détenue qui entend contester la sanction prononcée à son encontre par la commission de discipline doit, dans le délai de quinze jours à compter du jour de la notification de la décision, la déférer au directeur interrégional des services pénitentiaires préalablement à tout recours contentieux. Le directeur interrégional dispose d'un délai d'un mois à compter de la réception du recours pour répondre par décision motivée. L'absence de réponse dans ce délai vaut décision de rejet ".
12. La personne détenue qui entend contester la sanction prononcée à son encontre par la commission de discipline a l'obligation de former un recours administratif préalable auprès du directeur interrégional des services pénitentiaires en application des dispositions précitées de l'article R. 57-7-32 du code de procédure pénale. Toutefois, ces dispositions ne font pas obstacle à ce que, sans attendre l'issue de ce recours administratif préalable, cette personne ait recours aux procédures de référé prévues par le livre V du code de justice administrative, en particulier à celle de référé-suspension régie par l'article L. 521-1 de ce code et à celle de référé-liberté, régie par l'article L. 521-2, dont l'existence est par ailleurs rappelée par le dernier alinéa de l'article 726 du code de procédure pénale, dans sa rédaction issue de l'article 91 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009. Lorsqu'il est saisi sur le fondement de l'article L. 521-2, le juge des référés, d'une part, " se prononce dans un délai de quarante-huit heures ", d'autre part, a le pouvoir de prendre " toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale ", au nombre desquelles figurent la suspension de l'exécution de la décision litigieuse ainsi qu'un pouvoir d'injonction à l'égard de l'administration. L'ensemble des voies de recours ainsi offertes à la personne détenue lui garantit le droit d'exercer un recours effectif, susceptible de permettre l'intervention du juge en temps utile, alors même que son exercice est par lui-même dépourvu de caractère suspensif. Il suit de là que le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 13 de la convention européenne doit être écarté.
13. En dernier lieu, aux termes de l'article R. 57-7-1 du code de procédure pénale alors en vigueur : " Constitue une faute disciplinaire du premier degré le fait, pour une personne détenue : / (...) 12° De proférer des insultes, des menaces ou des propos outrageants à l'encontre d'un membre du personnel de l'établissement, d'une personne en mission ou en visite au sein de l'établissement pénitentiaire ou des autorités administratives ou judiciaires ; / (...) ". L'article R. 57-7-2 du même code disposait que : " Constitue une faute disciplinaire du deuxième degré le fait, pour une personne détenue : / 1° De refuser de se soumettre à une mesure de sécurité définie par une disposition législative ou réglementaire, par le règlement intérieur de l'établissement pénitentiaire ou par toute autre instruction de service ou refuser d'obtempérer immédiatement aux injonctions du personnel de l'établissement ; / (...) 15° De provoquer un tapage de nature à troubler l'ordre de l'établissement ; / (...) ". Enfin, aux termes de l'article
R. 57-7-41 de ce code : " Pour les personnes majeures, la durée du confinement en cellule ne peut excéder vingt jours pour une faute du premier degré, quatorze jours pour une faute du deuxième degré et sept jours pour une faute du troisième degré. / Cette durée peut être portée à trente jours lorsque : 1° Les faits commis constituent une des fautes prévues aux 1°, 2° et 3° de l'article R. 57-7-1 ; 2° Les fautes prévues aux 4° et 7° de l'article R. 57-7-1 ont été commises avec violence physique contre les personnes ".
14. Il ressort des comptes rendus d'incident produits qu'entre le 16 et le 29 novembre 2021, M. E... a, à de multiples reprises, insulté et menacé le personnel pénitentiaire de l'établissement, refusé de se conformer aux instructions qui lui étaient données par celui-ci et provoqué des tapages. Ces faits sont constitutifs de fautes sanctionnables par application des dispositions citées au point 13. Eu égard à la nature des faits commis, dont l'existence n'est pas contestée, et à la multiplication de ces faits sur une courte période, le moyen tiré de ce que la sanction de quatorze jours de cellule disciplinaire, intégralement assortie du sursis, devrait être considérée comme disproportionnée ou entachée d'erreur d'appréciation doit être écarté.
15. Il résulte de ce qui précède que le garde des sceaux, ministre de la justice, est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a annulé la décision par laquelle la directrice interrégionale des services pénitentiaires de Rennes, le
25 janvier 2022, a rejeté le recours administratif préalable formé par M. E... à l'encontre de la sanction qui lui a été infligée par la décision n° 2021000231 du 8 décembre 2021 du président de la commission de discipline du centre pénitentiaire d'Alençon-Condé-sur-Sarthe.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Caen du 24 mai 2023 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. E... devant le tribunal administratif de Caen est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... E... et au garde des sceaux, ministre de la justice.
Délibéré après l'audience 3 octobre 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Brisson, présidente,
- M. Vergne, président-assesseur,
- Mme Marion, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 octobre 2024.
Le rapporteur,
G.-V. VERGNE
La présidente,
C. BRISSON
Le greffier,
R. MAGEAU
La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice, en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 24NT02396