La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

18/10/2024 | FRANCE | N°22NT02488

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 2ème chambre, 18 octobre 2024, 22NT02488


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme C... A... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler l'arrêté du 23 août 2021 par lequel le maire de Ranville lui a refusé la délivrance d'un permis de construire un bâtiment de stockage de fourrage, une maison d'habitation et un point de vente sur une parcelle cadastrée à la section AK sous le n° 204.



Par un jugement n° 2102314 du 13 juillet 2022, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.



Procédure deva

nt la cour :



Par une requête et des mémoires enregistrés les 29 juillet 2022, 7 novembre 2022, 13 déce...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... A... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler l'arrêté du 23 août 2021 par lequel le maire de Ranville lui a refusé la délivrance d'un permis de construire un bâtiment de stockage de fourrage, une maison d'habitation et un point de vente sur une parcelle cadastrée à la section AK sous le n° 204.

Par un jugement n° 2102314 du 13 juillet 2022, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 29 juillet 2022, 7 novembre 2022, 13 décembre 2022, 10 janvier 2023 et 1er mars 2023, Mme A..., représentée par Me Launay et Me Gaudré Cœur-Uni, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Caen ;

2°) d'annuler l'arrêté du maire de Ranville du 23 août 2021 ;

3°) d'enjoindre au maire de Ranville de lui délivrer le permis de construire sollicité dans un délai de 15 jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 75 euros par jour de retard, subsidiairement, de réexaminer sa demande de permis de construire dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;

4°) de mettre à la charge de la commune de Ranville le versement de la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la maison d'habitation, le point de vente et le bâtiment de stockage sont nécessaires à son exploitation agricole et proportionnés aux besoins de cette exploitation ; aucune disposition ne régit la surface de sa maison d'habitation ;

- le maire de Ranville pouvait délivrer le permis de construire sollicité en assortissant ce permis d'une prescription spéciale ;

- l'article N 4 du règlement du plan local d'urbanisme ne pouvait légalement fonder le refus de permis de construire qui lui a été opposé.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 27 septembre 2022, 7 février 2023 et 10 mai 2023, la commune de Ranville, représentée par Me Gorand, conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de Mme A... une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les moyens invoqués ne sont pas fondés ;

- le refus de permis de construire pouvait être légalement fondé sur le motif tiré de l'interdiction de toute construction à usage d'habitation en zone N par les articles N 1 et N 2 du règlement du plan local d'urbanisme ;

- il pouvait également être légalement fondé sur le motif tiré de l'absence d'assainissement individuel, en méconnaissance de l'article N 4 du règlement du plan local d'urbanisme.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code rural et de la pêche maritime ;

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Mas,

- les conclusions de M. Le Brun, rapporteur public,

- et les observations de Me Gaudré Cœur Uni, représentant Mme A..., et de Me Gutton, représentant la commune de Ranville.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A..., qui exerce une activité d'élevage de bovins à Ranville, a sollicité du maire de la commune la délivrance d'un permis de construire un bâtiment de stockage de fourrage à côté de la stabulation existante, une maison d'habitation et un bâtiment abritant des garages, un point de vente et une cave-atelier, sur une parcelle cadastrée à la section AK sous le n° 204. Par un arrêté du 23 août 2021, le maire de Ranville a refusé de lui délivrer ce permis de construire. Elle relève appel du jugement du 13 juillet 2022 par lequel le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Pour rejeter la demande de permis de construire de Mme A..., le maire de Ranville s'est fondé sur trois motifs tirés, premièrement, de ce que le logement de fonction ne peut, du fait de sa taille disproportionnée au regard des besoins de l'exploitation agricole, être regardée comme une construction liée et nécessaire à l'activité agricole et constitue dès lors un type d'occupation ou d'utilisation du sol interdit par l'article N 1 du règlement du plan local d'urbanisme, deuxièmement, de ce que le bâtiment à usage de garage, cave-atelier et point de vente comporte une toiture à un seul versant, prohibée par l'article N 11 du règlement du plan local d'urbanisme et, troisièmement, de l'incomplétude du dossier de demande de permis de construire, faute qu'ait été fourni le document attestant de la conformité du projet d'installation d'assainissement non collectif au regard des prescriptions réglementaires, prévu par le d) de l'article R. 431-16 du code de l'urbanisme.

3. En premier lieu, l'article N 1 du règlement du plan local d'urbanisme de Ranville dispose : " Sont interdits tous les types d'occupation ou d'utilisation du sol, à l'exception des cas prévus à l'article 2 (...) ". L'article N 2 de ce règlement autorise : " les constructions et installations liées et nécessaires à l'exploitation agricole ".

4. Contrairement à ce que soutient la commune, il ne résulte d'aucun article du règlement du plan local d'urbanisme, ni en tout état de cause du rapport de présentation de la modification simplifiée du plan local d'urbanisme de Ranville adoptée par délibération du 27 avril 2017, que ce règlement ferait obstacle à ce que la création d'un logement sur place puisse, lorsqu'une exploitation agricole nécessite une surveillance constante à certaines périodes de l'année et la réalisation de tâches qui ne peuvent être ni programmées, ni différées, être regardée comme liée à l'exploitation agricole au sens de ces dispositions.

5. Toutefois, il ressort des pièces du dossier, notamment de la demande de permis de construire renseignée par Mme A..., que le logement de fonction projeté aura une surface de 440 mètres carrés, dont 363,90 mètres carrés de surface de plancher à destination d'habitation. Il comporte quatre chambres, une salle de bains et trois salles d'eau, ainsi qu'un garage dimensionné pour le stationnement de trois véhicules et de vélos. Compte tenu de son ampleur et alors que Mme A... n'a pas apporté d'explications quant aux dimensions de son projet, celui-ci ne peut être regardé comme une construction nécessaire à son exploitation agricole. Le moyen tiré de ce que le maire de Ranville aurait fait une inexacte application des dispositions précitées des articles N 1 et N 2 du règlement du plan local d'urbanisme doit, dès lors, être écarté.

6. En second lieu, l'article N 11 du règlement du plan local d'urbanisme prohibe, pour les constructions à usage d'habitation, " les toitures à un seul versant, à l'exception des annexes implantées en limite séparative de propriété " et, pour les constructions à usage d'activité, " les toitures à une seule pente faible (inférieure à 40°), sauf pour les annexes implantées en limite séparative de propriété ". Il ressort des pièces du dossier que la toiture du bâtiment abritant le garage, le point de vente et la cave-atelier est à une seule pente inférieure à 40°, en méconnaissance de ces dispositions, ce que Mme A... ne conteste pas. Elle soutient néanmoins que le maire aurait pu délivrer le permis de construire qu'elle sollicitait en l'assortissant d'une prescription.

7. L'administration ne peut assortir une autorisation d'urbanisme de prescriptions qu'à la condition que celles-ci, entraînant des modifications sur des points précis et limités et ne nécessitant pas la présentation d'un nouveau projet, aient pour effet d'assurer la conformité des travaux projetés aux dispositions législatives et réglementaires dont l'administration est chargée d'assurer le respect.

8. La modification de la toiture du bâtiment abritant le garage, le point de vente et la cave-atelier nécessite la présentation d'un nouveau projet. Mme A... n'est dès lors pas fondée à soutenir que le maire de Ranville aurait pu délivrer le permis de construire qu'elle sollicitait en l'assortissant d'une prescription tenant à la modification de la toiture de ce bâtiment avant l'exécution des travaux.

9. Les vices mentionnés aux points 5 et 6 ci-dessus n'affectent le projet de construction de Mme A... qu'en ce qui concerne le logement de fonction et le bâtiment abritant le garage, le point de vente et la cave-atelier. Il résulte de l'instruction que le maire de Ranville aurait pris la même décision de refus de délivrer le permis de construire ces deux bâtiments s'il n'avait entendu se fonder initialement que sur ces deux motifs. Par suite, les moyens qui tendent à contester l'autre motif de refus de permis de construire tiré de l'incomplétude du dossier de demande de permis au regard du d) de l'article R. 431-16 du code de l'urbanisme, relatif à la conformité du projet d'installation d'assainissement non collectif, sont inopérants et ne peuvent qu'être écartés.

10. Il ressort des pièces du dossier que le projet de construction d'un bâtiment à usage de stockage de fourrage, à côté de la stabulation existante, représente une partie divisible du projet de Mme A..., qui aurait pu faire l'objet d'une autorisation d'urbanisme distincte. Aucun des motifs de l'arrêté contesté du 23 août 2021 n'est de nature à fonder le refus de permis de construire ce bâtiment opposé à Mme A....

11. L'administration peut toutefois, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.

12. La commune de Ranville soutient que le refus de permis de construire opposé à Mme A..., en ce qui concerne le bâtiment de stockage de fourrage projeté, pouvait être légalement fondé sur le motif tiré de ce que ce bâtiment ne peut, eu égard à sa superficie, être regardé comme lié et nécessaire à l'exploitation agricole au sens de l'article N 2 du règlement du plan local d'urbanisme. Toutefois, d'une part, il ressort des pièces du dossier que Mme A... est affiliée à la mutualité sociale agricole en qualité de chef d'exploitation depuis le 1er janvier 2018, qu'elle exerce une activité d'élevage de bovins et qu'elle exploitait, à la date de l'arrêté contesté, un élevage de 44 bovins. D'autre part, Mme A... justifie, par la production d'un procès-verbal d'huissier, de photographies et d'une attestation de sa mère, que la stabulation existante, d'une superficie de 1 000 mètres carrés, est d'une taille insuffisante pour y abriter les bêtes, y entreposer le matériel agricole et y stocker le fourrage et la nourriture pour les bêtes et qu'elle doit, pour partie, entreposer en extérieur le matériel et le fourrage, après l'avoir enrubanné, ce qui occasionne des frais dont elle justifie et, pour partie, stocker de la nourriture pour animaux sur un terrain prêté par sa mère et situé à 900 mètres environ de son exploitation. Dans ces conditions, et alors que Mme A... était fondée à anticiper la croissance de son exploitation, le bâtiment de stockage projeté, d'une superficie de 408 mètres carrés, doit être regardé comme lié et nécessaire à l'exploitation agricole de l'intéressée au sens de l'article N 2 du règlement du plan local d'urbanisme. La demande de substitution de motifs présentée par la commune ne peut donc être accueillie.

13. Il résulte de tout ce qui précède et sans qu'il soit besoin d'examiner les demandes de substitution de motifs présentées par la commune relativement au refus de construire opposé à l'intéressée en ce qui concerne le logement de fonction et le bâtiment abritant le point de vente, que Mme A... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du maire de Ranville du 23 août 2021 en tant que cet arrêté lui refuse un permis de construire le bâtiment de stockage de fourrage, partie divisible de son projet, susceptible de faire l'objet d'une autorisation d'urbanisme distincte.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

14. Lorsque le juge annule un refus d'autorisation ou une opposition à une déclaration après avoir censuré l'ensemble des motifs que l'autorité compétente a énoncés dans sa décision conformément aux prescriptions de l'article L. 424-3 du code de l'urbanisme ainsi que, le cas échéant, les motifs qu'elle a pu invoquer en cours d'instance, il doit, s'il est saisi de conclusions à fin d'injonction, ordonner à l'autorité compétente de délivrer l'autorisation ou de prendre une décision de non-opposition.

15. Le présent arrêt implique nécessairement que le maire de Ranville délivre à Mme A... le permis de construire qu'elle sollicitait pour le bâtiment de stockage de fourrage. Il y a lieu de lui enjoindre d'y procéder dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

16. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de rejeter l'ensemble des conclusions présentées par les parties au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du 13 juillet 2022 du tribunal administratif de Caen est annulé en tant qu'il a rejeté la demande de Mme A... tendant à l'annulation de l'arrêté du maire de Ranville du 23 août 2021 en ce que cet arrêté refuse à Mme A... un permis de construire un bâtiment de stockage de fourrage.

Article 2 : L'arrêté du 23 août 2021 du maire de Ranville est annulé en ce qu'il refuse à Mme A... un permis de construire un bâtiment de stockage de fourrage.

Article 3 : Il est enjoint au maire de Ranville de délivrer à Mme A... le permis de construire un bâtiment de stockage de fourrage qu'elle sollicitait, dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme A... est rejeté.

Article 5 : Les conclusions de la commune de Ranville tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... A... et à la commune de Ranville.

Délibéré après l'audience du 1er octobre 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Buffet, présidente de chambre,

- Mme Montes-Derouet, présidente-assesseure,

- M. Mas, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 octobre 2024.

Le rapporteur,

B. MASLa présidente,

C. BUFFET

La greffière,

M. B...

La République mande et ordonne au préfet du Calvados en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22NT02488


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NT02488
Date de la décision : 18/10/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BUFFET
Rapporteur ?: M. Benoît MAS
Rapporteur public ?: M. LE BRUN
Avocat(s) : SELARL JURIADIS

Origine de la décision
Date de l'import : 27/10/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-10-18;22nt02488 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award