Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme C... F... et M. P... F..., ses parents, M. J... F... et M. O... F..., ses frères, Mme K... F..., sa sœur, pour elle-même et venant aux droits de ses enfants, A... et H... N... et B... F... et Mme D... F..., sa sœur, pour elle-même et venant aux droits de ses enfants, G... et I... E... ont demandé au tribunal administratif de Nantes de condamner l'Office national des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à leur verser la somme de 7 846,68 euros en réparation des préjudices subis par M... F... à la suite de son décès ainsi que des frais divers et d'obsèques et la somme globale de 93 500 euros au titre du préjudice d'affection de l'ensemble des membres de sa famille.
Par un jugement n° 1901563 du 15 février 2023, le tribunal administratif de Nantes a condamné l'ONIAM à verser la somme de 750 euros à la succession de M... F..., la somme de 10 070,73 euros à ses père et mère, M. P... F... et Mme C... F... et la somme de 2 000 euros à chacune de ses sœurs, Mme K... F... et Mme D... F..., la somme de 2 158,91 euros à son frère, M. J... F... et celle de 2 194,40 euros à son frère, M. O... F... et rejeté les demandes de condamnation présentées pour le compte des trois nièces et deux neveux de M... F....
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 14 avril 2023 et le 15 janvier 2024, l'ONIAM, représenté par Me Birot, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 15 février 2023 ;
2°) de rejeter la demande de première instance et les conclusions d'appel incident présentées par les consorts F... ;
3°) à titre subsidiaire, pour le cas où une infection nosocomiale serait retenue par la cour, de diminuer les condamnations pour tenir compte d'une perte de chance de survie de M... F... de seulement 20 % au lieu de 50 % et de rejeter les demandes indemnitaires incidentes en réparation du préjudice d'affection des neveux et nièces de M. F....
L'ONIAM soutient que :
- le caractère nosocomial de l'infection contractée par M... F... et le lien entre son infection et son décès ne sont pas établis ;
- pour le cas où l'infection nosocomiale serait retenue par la cour, la perte de chance d'éviter le décès doit être fixée à 20 % comme l'a mentionné l'expert désigné par le tribunal.
Par un mémoire en défense, enregistré le 6 novembre 2023, le centre hospitalier universitaire de Nantes conclut à sa mise hors de cause.
Le centre hospitalier universitaire de Nantes fait valoir que ni l'ONIAM ni les intimés ne mettent en cause sa responsabilité dans le décès de M... F....
Par un mémoire en défense, enregistré le 10 novembre 2023, les consorts F... concluent :
- au rejet de la requête ;
- par la voie de l'appel incident, à la réformation du jugement en ce qu'il a rejeté les conclusions indemnitaires présentées pour les 2 neveux et 3 nièces de M... F... et à la condamnation de l'ONIAM à leur verser une somme de 1 750 euros chacun au titre de leur préjudice d'affection ;
- à ce qu'une somme de 3 000 euros soit versée à chacun des consorts F... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que le décès de M... F... est dû à une infection virale pulmonaire contractée pendant son séjour à l'hôpital et survenu antérieurement à sa fugue du 17 janvier 2016 et que les deux neveux et trois nièces de l'intéressé doivent, en raison des liens les unissant à leur défunt oncle, être indemnisés de leur préjudice d'affection en tenant compte de la perte de chance de survie de leur oncle de 50 %, ce qui représente un préjudice de 1750 euros chacun.
En application des articles R. 611-2 et R. 751-3 du code de justice administrative, l'avocat des consorts F... a été informé de ce que, en l'absence d'une autre désignation, la décision sera uniquement notifiée au premier dénommé soit Mme C... F....
Vu :
- les autres pièces du dossier ;
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Marion,
- les conclusions de M. Catroux, rapporteur public,
- et les observations de Me Goldnadel, substituant Me Le Prado, représentant le CHU de Nantes.
Considérant ce qui suit :
1. Victime d'un malaise dans le tramway nantais le 4 novembre 2015, M... F... a été admis au service de réanimation du centre hospitalier universitaire de Nantes jusqu'au 19 novembre 2015. Une infection d'origine bactérienne a été diagnostiquée sur l'endocarde de la valve aortique compliquée de foyers infectieux secondaires neurologiques, rénaux et à la rate. Ce choc septique a été pris charge par antibiothérapie. A compter du 20 novembre 2015, M... F... a été extubé et transféré dans le service des maladies infectieuses afin de poursuivre sa prise en charge par antibiothérapie, laquelle a été arrêtée le 17 décembre 2015 pour un suivi sur le plan cardiaque, vasculaire, neurologique, nutritionnel et psychiatrique. Il est décédé au centre hospitalier universitaire de Nantes le 19 janvier 2016. Par une requête du 23 décembre 2016, les parents de la victime ont sollicité du tribunal administratif de Nantes une expertise médicale dont le rapport a été déposé le 16 novembre 2017. Par un courrier reçu le 18 décembre 2018 l'ONIAM a été saisi par les intéressés d'une demande indemnitaire amiable qu'il a rejetée par courrier du 7 janvier 2019. Les parents, frères et sœurs et neveux et nièces de M... F... ont demandé au tribunal administratif de Nantes de condamner l'ONIAM à réparer les préjudices qu'ils soutiennent avoir subis en raison de la perte de chance de survie de M... F.... Par un jugement du 15 février 2023, le tribunal administratif de Nantes a condamné l'ONIAM à indemniser les consorts F... du préjudice subi par l'intéressé ainsi que de leurs préjudices propres. L'ONIAM relève appel de ce jugement. Les consorts F... sollicitent, par la voie d'un appel incident, la réformation du jugement en ce qu'il a rejeté les conclusions indemnitaires présentées pour les deux neveux et trois nièces mineurs de M... F... tendant à la condamnation de l'ONIAM à leur verser une somme de 1 750 euros chacun au titre de leur préjudice d'affection.
Sur la responsabilité de l'ONIAM :
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 1142-1-1 du code de la santé publique : " Sans préjudice des dispositions du septième alinéa de l'article L. 1142-17, ouvrent droit à réparation au titre de la solidarité nationale : 1° Les dommages résultant d'infections nosocomiales dans les établissements, services ou organismes mentionnés au premier alinéa du I de l'article L. 1142-1 correspondant à un taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique supérieur à 25 % déterminé par référence au barème mentionné au II du même article, ainsi que les décès provoqués par ces infections nosocomiales ; (...) ". Constituent des infections nosocomiales au sens de cet article les infections survenant au cours ou au décours de la prise en charge d'un patient et qui n'étaient ni présentes ni en incubation au début de celle-ci, sauf s'il est établi qu'elle a une autre origine que la prise en charge, laquelle inclut les actes de soins et les conditions de séjour à l'hôpital.
3. Le 19 janvier 2016, jour de son décès, M... F... séjournait dans le service des infections et des maladies tropicales du centre hospitalier universitaire de Nantes depuis le 20 novembre 2015. Il ressort toutefois de l'instruction que, dans l'après-midi du dimanche 17 janvier 2016, l'intéressé a été surpris dans un état de grande agitation en train de déambuler dans les chambres et couloirs de l'hôpital et que les infirmières et aides-soignantes ont tenté de le canaliser en le faisant goûter et en le gardant près d'elles pendant la distribution des médicaments. Appelées auprès d'un autre patient, elles ont constaté sa disparition à 18h20. Un signalement quant à sa " fuite " de l'hôpital a aussitôt été effectué à la police avec l'indication que M... F... avait quitté le centre hospitalier aux environs de 18h00. Vers 21h30, la police a prévenu l'hôpital du fait que ce dernier, qui était vêtu d'un simple pyjama et porteur d'un bracelet d'identification, avait été percuté par un tramway à 21h17 et pris en charge par le médecin des sapeurs-pompiers qui a constaté des plaies superficielles au niveau de la tête et des membres inférieurs. L'officier de police judiciaire a tenté en vain de le soumettre à un dépistage d'imprégnation alcoolique. Sur le conseil du médecin sapeur-pompier, M... F... a été conduit aux urgences du centre hospitalier universitaire de Nantes pour des examens complémentaires à 23h59 puis a été réhospitalisé dans le service des maladies infectieuses. Le lendemain 18 janvier, vers 20h, M... F... présentait une toux grasse associée à une hyperthermie faisant suspecter une virose. Une importante lymphopénie était également constatée. Le placement sous oxygène était prescrit à partir de 21h55 le jour même. Le surlendemain, 19 janvier, l'état de santé de la victime s'est dégradé très rapidement. Un scanner des poumons révélait l'existence d'une infection. S'en est suivie une décompensation cardiaque majeure évoluant vers le décès à 18h25. Aucune investigation post-mortem n'a cependant été réalisée pour déterminer la nature exacte du germe à l'origine de l'infection contractée par M... F.... Par ailleurs si les notes cliniques de l'interne du service des maladies infectieuses et tropicales du 18 janvier font état d'une disparition de M... F... entre 14 h et 22h, les déclarations précises des infirmières et aides-soignantes présentes dans le service font état d'une fugue du service vers 18h00. La durée du séjour à l'extérieur de l'hôpital de la victime le dimanche du 17 janvier 2016 peut donc être établie de façon certaine entre 18h00 et 23h59, soit pendant une durée d'environ 6 heures. Par suite, il ne peut être exclu que la sortie de M... F..., peu vêtu, dans la rue en plein hiver par une température de 4° C alors que le virus grippal était à l'état pré-épidémique à Nantes ainsi que la fréquentation par l'intéressé de lieux publics tels que les transports en commun soient à l'origine de la contamination virale ayant entraîné la décompensation cardiaque fatale à l'intéressé. Il ressort toutefois du rapport d'expertise, et il n'est pas contesté par le requérant, que la durée moyenne d'incubation d'un virus grippal est comprise entre 24 et 48 heures. Or M... F... ayant présenté les premiers symptômes d'une affection le 18 janvier à 20h, il ne peut être davantage exclu qu'il ait contracté une infection virale de type grippal au cours de son séjour dans le service des maladies infectieuses et tropicales de l'hôpital. Dès lors, l'ONIAM ne peut être regardé comme apportant la preuve que l'infection contractée par M. F... ayant entraîné son décès a une autre origine que sa prise en charge, laquelle inclut les actes de soins et les conditions de séjour à l'hôpital. Par suite, l'obligation de l'ONIAM au titre de la solidarité nationale n'est pas sérieusement contestable.
4. En second lieu, il ressort du rapport d'expertise qu'au moment de son admission à l'hôpital l'état de santé de M. F... était déjà fortement dégradé en raison de son hygiène de vie et de ses addictions qui ont conduit les médecins à abandonner une intervention chirurgicale en vue de la pose de prothèses en raison des problèmes d'inobservance thérapeutique présentant un risque de nouvelle endocardite sur prothèse, plus difficile à traiter. Ainsi, si l'infection nosocomiale de M... F... est à l'origine de l'infection pulmonaire ayant entraîné son décès par décompensation cardiaque, cette infection qui a réduit les chances de survie de M. F... à l'issue de sa réhospitalisation au service des urgences du CHU le 18 janvier 2016 à 20 % n'est pas la seule cause du décès du patient, qui a aussi pour origine son endocardite aortique sur valve native et les problèmes septiques qui y étaient associés en raison d'un état de santé dégradé. Par suite, il peut être raisonnablement estimé que si M... F... n'avait pas contracté d'infection nosocomiale, son espérance de vie à l'issue de son hospitalisation au centre des maladies infectieuses et tropicales du CHU de Nantes aurait été réduite d'environ 50%. Par suite, l'infection nosocomiale contractée par M... F... doit être regardée comme lui ayant fait perdre seulement 50% de chance d'éviter le décès survenu le 19 janvier 2016, et il y a lieu de condamner l'ONIAM à l'indemniser ainsi que les membres de sa famille à hauteur de 50% des préjudices subis.
Sur l'indemnisation des préjudices :
5. En premier lieu, il résulte de l'instruction que les montants d'indemnisation accordés par les premiers juges au titre des préjudices propres de M... F... et des préjudices des victimes indirectes que sont les père et mère, frères et sœurs du défunt ne sont pas contestés par les parties. Il n'y a dès lors pas lieu d'en réformer les montants.
6. En second lieu, par le motif retenu par le tribunal au point 10 de son jugement, les conclusions indemnitaires de première instance, réitérées par la voie d'un appel incident, présentées pour les neveux et nièces du défunt au titre de leur préjudice d'affection ne peuvent être accueillies dès lors que ces derniers n'apportent aucun élément de nature à démontrer qu'ils entretenaient des relations ou avaient conservé des liens avec leur oncle alors que le rapport d'expertise juridictionnelle fait état de ce que ce dernier vivait seul dans un appartement thérapeutique insalubre.
7. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que l'ONIAM n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal l'a condamné à réparer les préjudices subis par M... F... et ses ayants droit en raison d'une perte de chance de survie de l'intéressé estimée à 50 %. Les conclusions présentées par la voie d'un appel incident par les consorts F... doivent être rejetées.
Sur les frais d'instance :
8. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce de faire droit aux conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative par les consorts F....
DECIDE :
Article 1er : La requête présentée par l'ONIAM est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par les consorts F... devant la cour sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à l'ONIAM, au CHU de Nantes et à Mme C... F..., première dénommée.
Délibéré après l'audience du 19 septembre 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Brisson, présidente de chambre,
- M. Vergne, président-assesseur,
- Mme Marion, première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 octobre 2024.
La rapporteure,
I. MARION
La présidente,
C. BRISSON
Le greffier,
Y. MARQUIS
La République mande et ordonne à la ministre de la santé et de l'accès aux soins en ce qui la concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23NT01095