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04/10/2024 | FRANCE | N°23NT00724

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 3ème chambre, 04 octobre 2024, 23NT00724


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Les sociétés SNCF Voyageurs et SNCF Réseau ont demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner Brest Métropole à leur verser respectivement les sommes de 398 791,29 euros et 124 367,70 euros en réparation des préjudices qu'elles estiment avoir subis en raison de la collision survenue le 31 décembre 2015 entre un TER et la semi-remorque d'un véhicule de transport de marchandises sur le passage à niveau n° 306 situé sur le territoire de la commune du Relecq-Kerhuon et de

mettre à la charge de Brest Métropole, la somme de 1 500 euros à leur verser chacune, a...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Les sociétés SNCF Voyageurs et SNCF Réseau ont demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner Brest Métropole à leur verser respectivement les sommes de 398 791,29 euros et 124 367,70 euros en réparation des préjudices qu'elles estiment avoir subis en raison de la collision survenue le 31 décembre 2015 entre un TER et la semi-remorque d'un véhicule de transport de marchandises sur le passage à niveau n° 306 situé sur le territoire de la commune du Relecq-Kerhuon et de mettre à la charge de Brest Métropole, la somme de 1 500 euros à leur verser chacune, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 2003041 du 16 janvier 2023, le tribunal administratif de Rennes a condamné Brest Métropole à verser 398 791,29 euros à la société SNCF Voyageurs et 124 367,70 euros à la société SNCF Réseau et rejeté l'appel en garantie contre l'Etat présenté par Brest Métropole et mis une somme globale de 1 500 euros à la charge des sociétés SNCF Voyageurs et SNCF Réseau au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 16 mars 2023 et les 25 juillet 2023, 10 novembre 2023 et 18 décembre 2023, Brest Métropole, représenté par Me Collet, demande à la cour dans le dernier état de ses écritures :

1°) à titre principal, d'annuler ce jugement n° 2003041 du tribunal administratif de Rennes du 16 janvier 2023 et de rejeter la demande des sociétés SNCF réseau et SNCF voyageurs ;

2°) à titre subsidiaire, de réformer ce jugement pour condamner l'Etat à garantir Brest Métropole de l'ensemble des condamnations prononcées contre elle ;

3°) à titre infiniment subsidiaire, de réformer ce jugement pour réduire le montant des condamnations indemnitaires prononcées au profit des sociétés SNCF réseau et SNCF voyageurs à de plus justes proportions ;

4°) de mettre à la charge des sociétés SNCF réseau et SNCF voyageurs une somme globale de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement est irrégulier car le tribunal a omis de répondre au moyen tiré du défaut de motivation de la requête de première instance et a soulevé d'office à tort un moyen d'ordre public ;

- la requête présentée devant le tribunal administratif était irrecevable car la signataire de la demande indemnitaire préalable, Mme B..., ne justifie pas d'une délégation l'y habilitant de sorte qu'aucune décision implicite de rejet de cette demande indemnitaire n'a pu naître ;

- la requête de première instance était irrecevable car insuffisamment motivée en application de l'article R. 411-1 du code de justice administrative ;

- le régime de responsabilité sans faute n'est pas applicable au litige ;

- le lien de causalité entre l'ouvrage public et l'accident n'est pas établi eu égard à la configuration des lieux ;

- le montant des condamnations calculées sur la base du protocole d'évaluation des dommages consécutifs à des accidents causés par des tiers aux biens ferroviaires du 1er juillet 2015 n'est pas opposable à Brest Métropole et le montant des indemnisations accordées à SNCF Réseau, et SNCF Voyageurs est excessif ;

- en cas de confirmation de sa condamnation, la responsabilité de l'Etat est engagée car le préfet a approuvé les aménagements du passage à niveau en cause et ne l'a pas supprimé en dépit de la préconisation tendant à la création d'un giratoire sur la RN 265 en remplacement du passage à niveau dangereux, l'Etat doit garantir Brest Métropole.

Par un mémoire en défense, enregistré le 14 avril 2003, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête.

Il soutient que la requérante se borne à reprendre ses arguments soulevés en défense devant le tribunal administratif de Rennes et s'en remet aux écritures produites par le préfet du Finistère devant le tribunal le 5 septembre 2022.

Par quatre mémoires en défense, enregistrés les 15 mai 2023, 26 octobre 2023, 4 décembre 2023 et 22 décembre 2023, les sociétés SNCF Voyageurs et SNCF Réseau, représentées par Me Berthault, concluent au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de Brest Métropole au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que les moyens soulevés par Brest Métropole sont dépourvus de fondement.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code des transports ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Marion,

- les conclusions de M. Catroux, rapporteur public,

- et les observations de Me Marie, substituant Me Collet, représentant Brest Métropole et de Me Montant, substituant Me Berthault, représentant SNCF Réseau et SNCF Voyageurs.

Une note en délibéré présentée par Brest Métropole a été enregistrée le 20 septembre 2024.

Considérant ce qui suit :

1. Le 31 décembre 2015, un train express régional circulant sur la ligne Brest-Paris Montparnasse a percuté l'arrière de la semi-remorque d'un camion appartenant à la SARL Transports routiers de la Loire, qui se trouvait pour partie immobilisée sur la voie ferrée au droit du passage à niveau n° 306, situé sur la commune du Relecq-Kerhuon (Finistère). Par un jugement du 23 avril 2019, devenu définitif, le tribunal administratif de Rennes a condamné l'établissement public de coopération intercommunale Brest métropole à indemniser la SARL Transports routiers de la Loire à raison du défaut d'aménagement de la voie publique routière tenant à la trop grande proximité du passage piétons par rapport à la demi-barrière automatique du passage à niveau. Par un courrier du 22 décembre 2019, les EPIC SNCF Réseau et SNCF Mobilités ont demandé à Brest Métropole de les indemniser à hauteur de respectivement 124 367,70 euros et 398 791,29 euros de leurs préjudices respectifs occasionnés par la collision au réseau ferroviaire et à la rame de TER. Par un jugement du 16 janvier 2023, le tribunal administratif de Rennes a condamné Brest Métropole à verser les sommes réclamées par les EPIC SNCF Réseau et SNCF Mobilités, devenues à partir du 1er janvier 2000, les SA SNCF Réseau et SNCF Voyageurs. Brest Métropole relève appel de ce jugement.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article R. 411-1 du code de justice administrative : " (...) La requête...contient l'exposé des faits et moyens ainsi que l'énoncé des conclusions soumises au juge. / L'auteur d'une requête ne contenant l'exposé d'aucun moyen ne peut la régulariser par le dépôt d'un mémoire exposant un ou plusieurs moyens que jusqu'à l'expiration du délai de recours ". La requérante soutient que le tribunal administratif a omis de répondre au moyen, qui n'était pas inopérant, tiré de ce que la requête introductive de première instance n'a pas mentionné, dans le délai de recours, le fondement juridique de l'action indemnitaire exercée par les sociétés SNCF Réseau et SNCF Voyageurs contre Brest Métropole. Il résulte de l'instruction que les premiers juges ont omis de se prononcer sur cette fin de non-recevoir.

3. Par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen d'irrégularité tenant au relèvement d'office à tort d'un moyen d'ordre public, cette omission de répondre à cette fin de non-recevoir est de nature à entacher d'irrégularité le jugement attaqué qui ne peut qu'être annulé.

4. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande des sociétés SNCF Réseau et SNCF Voyageurs devant le tribunal administratif de Rennes.

Sur les conclusions indemnitaires :

En ce qui concerne la recevabilité de la demande de première instance :

5. En premier lieu, il résulte de l'instruction que, par une délégation en date du 19 décembre 2019, M. A..., qui était titulaire d'une délégation de pouvoirs en sa qualité de délégué juridique territorial ouest au sein du centre de compétences juridiques de la direction juridique de l'EPIC SNCF, a délégué sa signature à Mme B..., juriste au sein de la délégation juridique territoriale ouest pour traiter, au nom et pour le compte des EPIC SNCF Mobilités et SNCF Réseau, le litige les opposant à Brest Métropole dans le cadre de l'accident survenu le 31 décembre 2015 au passage à niveau n° 306 sur la commune du Relecq-Kerhuon (Finistère). Brest Métropole soutient que Mme B... ne pouvait adresser la demande indemnitaire du 22 décembre 2019 à Brest Métropole au nom des EPIC SNCF Réseau et SNCF Mobilités dans la mesure où elle était salariée d'une personne morale distincte, en l'occurrence l'EPIC SNCF. En vertu, toutefois, des articles L. 2101-1 et L. 2102-1 et suivants du code des transports, dans leur version antérieure au 1er janvier 2020, les trois EPIC dénommés SNCF, SNCF Réseau et SNCF Mobilités constituaient un groupe public ferroviaire au sein duquel l'EPIC SNCF se voyait dévolues des fonctions mutualisées comparables à celles exercées par une société mère. Par ailleurs, des contrats de prestations juridiques ont été passés, sur le modèle d'un contrat cadre de prestations de service juridiques, le 15 novembre 2015, entre l'EPIC SNCF et les EPIC SNCF Réseau et SNCF Mobilités pour confier au centre de compétences juridiques de la direction juridique de l'EPIC SNCF la gestion des litiges amiables et contentieux des EPIC SNCF Réseau et SNCF Mobilités. Ces contrats étaient signés par les directeurs juridiques des trois EPIC en vertu de délégations et subdélégations de pouvoir émanant des dirigeants desdits EPIC, publiées aux bulletins officiels des trois établissements. Ces contrats ont été reconduits tacitement d'année en année conformément à l'article 4.2 du contrat cadre de prestations de service juridiques établi pour le groupe SNCF. Par suite, Brest Métropole n'est pas fondée à soutenir que Mme B... n'aurait pas eu la capacité juridique pour signer la demande indemnitaire du 22 décembre 2019 au nom des EPIC SNCF Réseau et SNCF Mobilités. En conséquence, la fin de non-recevoir tirée de ce que la requête de première instance introduite par les sociétés SNCF Réseau et SNCF Mobilités serait irrecevable du fait de l'absence de demande préalable indemnitaire ne peut qu'être écartée.

6. En second lieu, il résulte des termes de la requête introductive d'instance présentée par les sociétés anonymes SNCF Réseau et SNCF Voyageurs que ces dernières ont mis en cause la responsabilité de Brest Métropole en sa qualité d'établissement public intercommunal responsable de l'entretien et de l'aménagement de l'ouvrage public qu'est la voie publique routière à raison de l'emplacement du passage piéton. Ce dernier ne permettrait pas l'arrêt d'un ensemble routier d'une taille standard sur la voie publique située entre ce passage et l'axe de la demi-barrière positionnée en aval du passage à niveau. Ce faisant, les sociétés SNCF Réseau et SNCF Voyageurs ont entendu rechercher la responsabilité de Brest Métropole pour faute à raison d'un défaut d'aménagement de la voie publique routière. Par suite, la fin de non-recevoir tirée de ce que la requête serait irrecevable comme étant insuffisamment motivée en application de l'article R. 411-1 du code de justice administrative ne peut qu'être écartée.

En ce qui concerne la responsabilité de Brest Métropole :

8. Aux termes de l'article L. 5217-2 du code général des collectivités territoriales, dans sa version en vigueur, à la date de l'accident : " I. La métropole exerce de plein droit, en lieu et place des communes membres, les compétences suivantes : (...) 2° En matière d'aménagement de l'espace métropolitain : (...) b) (...) création, aménagement et entretien de voie ; signalisation ;(...) ".

9. Le maître de l'ouvrage est responsable, même en l'absence de faute, des dommages que les ouvrages publics dont il a la garde peuvent causer aux tiers tant en raison de leur existence que de leur fonctionnement. Il appartient au tiers, victime d'un dommage survenu du fait d'un ouvrage public, de rapporter la preuve du lien de cause à effet entre l'ouvrage et le dommage dont il se plaint. La collectivité en charge de cet ouvrage ne peut dégager sa responsabilité que si elle établit que ces dommages résultent de la faute de la victime ou d'un cas de force majeure. Ce tiers n'est pas tenu de démontrer le caractère grave et spécial du préjudice qu'il subit lorsque le dommage n'est pas inhérent à l'existence même de l'ouvrage public ou à son fonctionnement et présente, par suite, un caractère accidentel.

10. Il résulte de l'instruction et en particulier de l'attestation du chauffeur de la SARL Transports routiers de la Loire que ce dernier a effectué une livraison auprès de l'entreprise Scarmor-Leclerc située en amont du passage à niveau n° 306 puis l'a traversé, aux environs de 6h45, afin de poursuivre sa route sur la rue Kerscao, en direction du boulevard Charles de Gaulle, sur le territoire de la commune du Relecq-Kerhuon. Alors que le double feu tricolore, placé au bord de la chaussée et à 50 mètres du passage à niveau était vert et que le signal annonçant l'arrivée imminente d'un train n'était pas déclenché, le chauffeur du camion semi-remorque a aperçu un piéton s'apprêtant à traverser au passage aménagé à cet effet situé en aval du passage à niveau. Le chauffeur a alors ralenti afin de pouvoir s'arrêter avant le passage piéton afin de laisser le piéton, déjà engagé, terminer sa traversée en sécurité. Alors que son véhicule était immobilisé, l'arrière de la semi-remorque, qui empiétait sur la voie ferrée, a été percutée par un train. Il résulte du jugement du 23 avril 2019, qui n'est pas revêtu de l'autorité de chose jugée mais dont les énonciations ne sont pas contestées par les parties sur ce point, que la longueur du camion tracteur et de sa remorque atteignait 16,50 mètres, ce qui correspond à la longueur maximum d'un véhicule articulé. Le constat d'huissier du 15 mars 2019 établi à la demande de Brest Métropole fait état d'une distance de 19,50 mètres entre le rail et le passage piétons et d'une distance de 16,60 mètres entre l'axe de la demi-barrière automatique positionnée après le passage à niveau et le passage piétons. Le constat d'huissier réalisé le 16 février 2016, soit peu après l'accident, à la demande de la SARL Transport routier de la Loire indique que le chauffeur du camion s'est arrêté à une distance de 3,83 mètres du passage piétons. Si Brest Métropole soutient que la collision ne se serait pas produite si le chauffeur s'était arrêté à hauteur du passage piétons, le code de la route ne prévoit pas une distance minimale d'arrêt entre un passage piétons et le véhicule qui s'arrête et il apparaît que la distance de 16,60 mètres entre l'axe de la demi-barrière automatique et le passage piétons est, en tout état de cause, insuffisante pour permettre un arrêt en sécurité d'un véhicule articulé d'une longueur de 16,50 mètres. Cet accident est donc bien la conséquence de l'implantation d'un passage piétons à une distance ne permettant pas l'arrêt en sécurité d'un ensemble routier composé d'un véhicule tracteur et d'une semi-remorque d'une longueur de 16,50 m, et donc d'un défaut d'aménagement de la voie publique routière. Or cette voie constitue un ouvrage public distinct du passage à niveau que les sociétés SNCF Réseau et SNCF Mobilités n'avaient pas l'obligation d'entretenir.

11. Par ailleurs, il résulte également de l'instruction que les EPIC SNCF Mobilités et SNCF Réseau ne sont pas intervenues dans l'aménagement du passage piétons situé dans la rue Kerscao et que cette voie publique n'est pas comprise dans l'emprise du passage à niveau. Par suite, SNCF Réseau et SNCF Mobilités avaient bien la qualité de tiers par rapport à la voie publique routière dont le défaut d'aménagement est à l'origine du dommage dont ces entreprises demandent réparation. La circonstance, à la supposer même établie, qu'aucune autre solution n'aurait été possible pour déplacer le passage piétons est sans influence sur la qualité de tiers des sociétés requérantes. Enfin, la circonstance que les EPIC intimés aient été associés à l'aménagement du passage à niveau ainsi qu'aux discussions relatives à sa dangerosité ne révèle pas une faute de ces établissements publics en l'absence de toute intervention de ces derniers dans l'aménagement du passage piétons situé sur la voie publique routière. Par suite, Brest Métropole n'est pas fondée à soutenir qu'une faute commise par les EPIC SNCF Mobilités et SNCF Réseau serait de nature à l'exonérer de sa responsabilité.

12. Il résulte de ce qui précède que les SA SNCF Réseau et SNCF Voyageurs sont fondées à demander la condamnation de Brest Métropole à les indemniser des conséquences préjudiciables de l'accident survenu le 31 décembre 2015.

En ce qui concerne les préjudices :

S'agissant des modalités de calcul de l'indemnisation des sociétés SNCF Réseau et SNCF Voyageurs :

13. Le décompte détaillé des charges résultant de l'accident produit par les sociétés SNCF Voyageurs et SNCF Réseau, établi sur la base du protocole conclu le 1er juillet 2015 par les sociétés du groupe SNCF avec la fédération des sociétés d'assurances et le groupement des entreprises mutuelles d'assurance, n'est pas directement opposable à Brest Métropole qui n'en est pas signataire. Néanmoins, ce protocole, qui est régulièrement utilisé par les sociétés du groupe SNCF pour l'évaluation des dommages en cas d'accident ferroviaire constitue un usage professionnel et présente un ensemble d'éléments d'évaluation du montant des préjudices matériels et commerciaux subis par les sociétés SNCF Réseau et SNCF Voyageurs qui peuvent être critiqués par les tiers.

S'agissant de l'évaluation des préjudices :

Quant au préjudice de la société SNCF Voyageurs :

14. Il résulte de l'instruction que les agents de cette société sont intervenus, dans le cadre d'astreintes spécifiques, pour régler les conséquences de l'accident et n'ont pu, dans le même temps, assurer leurs autres obligations professionnelles qu'ils ont dû remettre à plus tard. Par ailleurs, contrairement à ce que soutient Brest Métropole, le coût de la main-d'œuvre des agents du Technicentre de Nevers, où a été réparé la rame du TER, doit être pris en compte au titre du préjudice car l'accident a bien entraîné un surcroît de travail par rapport à un entretien normal du matériel ferroviaire. Il en est de même du coût d'acheminement de la rame vers ce Technicentre qui, en l'absence de tout élément susceptible d'établir que le calcul ne serait pas correct, est valablement établi par les éléments chiffrés applicables au litige en fonction du protocole d'évaluation des dommages établi entre la SNCF et la fédération des sociétés d'assurance. Par ailleurs, la période d'immobilisation de la rame débute à la date de l'accident et inclut la période pendant laquelle la rame a été immobilisée pour expertise au technicentre Bretagne de Rennes afin de savoir si elle était réparable ainsi que la période d'attente des pièces de rechange avant le commencement proprement dit des travaux de réparation au technicentre de Nevers. Enfin, la société SNCF Voyageurs a supporté des coûts liés à la mise en place ou à l'offre de moyens de transport de substitution, notamment par taxi, à sa clientèle dont il n'y a pas lieu de déduire les recettes des billets des voyageurs qui correspondent à un service rendu distinct des conséquences de l'accident.

15. Il en résulte que la société SNCF Voyageurs peut prétendre à la réparation de ses préjudices correspondants au coût d'acheminement de l'engin endommagé du lieu du sinistre à l'atelier de réparation, évalué à 23 490,37 euros, au coût de l'immobilisation du matériel roulant pendant 191 jours, courant du 12 janvier 2016, jour du début de l'expertise, à la fin des réparations intervenue le 20 juillet 2016, soit 53 858,18 euros, au coût de la main-d'œuvre, évalué à 105 058,03 euros, au coût des fournitures nécessaires pour la réparation du matériel roulant, évalué à 147 547,70 euros, au coût de la traction évalué à 1 319,91 euros, au coût lié aux perturbations, évalué à 52 530,49 euros ainsi qu'au coût des substitutions routières et services à la clientèle, évalué à 11 882,81 euros, soit un montant global de 395'687,49 euros.

Quant au préjudice de la société SNCF Réseau :

16. Il résulte de l'instruction que les agents d'entretien de l'infrastructure et du centre opérationnel de gestion des circulations perturbées sont intervenus pour régler les conséquences de cet accident et n'ont pu dans le même temps assurer leurs autres obligations professionnelles qu'ils ont dû remettre à plus tard. Toutefois, SNCF Réseau n'établit pas que les interventions de ses agents pour gérer les conséquences de l'accident aient donné lieu au paiement d'heures supplémentaires ou d'astreintes rémunérées. Par voie de conséquence, dès lors qu'en outre, il n'est pas établi que les agents ne pouvaient accomplir plus tard les tâches qu'ils n'ont pu réaliser du fait de l'accident dans le cadre de leur charge de travail normale, leurs interventions pour régler les conséquences de l'accident ne peuvent être regardées, ainsi que le soutient Brest Métropole, comme un préjudice indemnisable.

17. La société SNCF Réseau peut donc seulement prétendre à la réparation du coût des fournitures nécessaires à la réparation des infrastructures, évalué à 42 268,47 euros ainsi que du coût des achats directs et des prestations externes, évalué à 32 914,85 euros, et du coût de la logistique, évalué à 3 263,73 euros soit à un montant global de 78'447,05 euros.

18. Il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu de condamner Brest Métropole à verser respectivement à la société SNCF Voyageurs et à la société SNCF Réseau les sommes totales respectives de 395'687,49 euros et 78'447,05 euros au titre de la réparation de leurs préjudices.

Sur l'appel en garantie formé par Brest Métropole à l'encontre de l'Etat :

19. Il résulte de l'instruction que le dommage trouve son origine exclusive dans l'aménagement de la voie publique routière dont Brest Métropole a la charge de l'entretien et de l'aménagement. Par ailleurs, à la suite des travaux de réaménagement réalisé par Brest Métropole en 1999, le passage à niveau n° 306 ne figure plus depuis 2001 dans la liste des passages à niveaux préoccupants. Enfin, si le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (CEREMA), établissement public administratif sous tutelle ministérielle, a établi en mars 2020 un rapport préconisant notamment un déplacement du passage piétons et la suppression à terme du passage à niveau, cette seule circonstance, au demeurant postérieure à l'accident du 31 décembre 2015, n'est pas de nature à engager la responsabilité de l'Etat. Dès lors, la circonstance que l'Etat n'aurait pris aucune mesure susceptible de faire cesser le risque induit par la présence du passage à niveau n° 306 est sans incidence en l'espèce. La responsabilité de l'Etat n'étant pas susceptible d'être recherchée au titre de l'accident survenu le 31 décembre 2015, il y a lieu, conformément à sa demande, de le mettre hors de cause. Dans ces conditions, Brest Métropole n'est pas fondée à demander à être garantie par l'Etat de toute condamnation pouvant être prononcée à son encontre.

Sur les frais liés au litige :

20. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que les sociétés SNCF Voyageurs et SNCF Réseau, qui n'ont pas la qualité de partie perdante, versent à Brest Métropole la somme que celle-ci réclame au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

21. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la communauté urbaine Brest Métropole une somme de 1 500 euros à verser aux sociétés SNCF Voyageurs et SNCF Réseau ensemble au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Rennes n° 2003041 du 16 janvier 2023 est annulé.

Article 2 : Brest Métropole est condamnée à verser à la société SNCF Voyageurs une somme de 395'687,49 euros.

Article 3 : Brest Métropole est condamnée à verser à la société SNCF Réseau une somme de 78 447,05 euros.

Article 4 : Les conclusions d'appel en garantie présentées à l'encontre de l'Etat par Brest Métropole sont rejetées.

Article 5 : Brest Métropole versera aux sociétés SNCF Voyageurs et SNCF Réseau la somme globale de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : Les conclusions présentées par Brest Métropole au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à Brest Métropole, à la société SNCF Voyageurs, à la société SNCF Réseau et à la ministre du partenariat avec les territoires et de la décentralisation.

Délibéré après l'audience du 19 septembre 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Brisson, présidente de chambre,

- M. Vergne, président-assesseur,

- Mme Marion, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 octobre 2024.

La rapporteure,

I. MARION

La présidente,

C. BRISSON

Le greffier,

Y. MARQUIS

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N°23NT00724


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NT00724
Date de la décision : 04/10/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme la Pdte. BRISSON
Rapporteur ?: Mme Isabelle MARION
Rapporteur public ?: M. CATROUX
Avocat(s) : ABC ASSOCIATION BERTHAULT COSNARD

Origine de la décision
Date de l'import : 06/10/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-10-04;23nt00724 ?
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