Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler la décision du 17 décembre 2021 par laquelle l'inspecteur du travail a autorisé la société coopérative agricole ... à le licencier pour motif disciplinaire, ainsi que la décision du 16 août 2022 par laquelle la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion a rejeté son recours hiérarchique, et de mettre à la charge de l'État une somme de 3000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 2204208 du 29 septembre 2023, le tribunal administratif de Rennes a annulé la décision de l'inspecteur du travail du 17 décembre 2021 et celle du ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion du 16 août 2022.
Procédure devant la cour :
I°) Par une requête, enregistrée sous le n° 23NT03395 le 23 novembre 2023, la société ... représentée par Me Gouret, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 29 septembre 2023 du tribunal administratif de Rennes ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. C... ;
3°) de mettre à la charge de M. C... la somme de 2000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'enquête diligentée a permis de constater l'existence d'agissements sexistes aboutissant à un harcèlement sexuel, dont la matérialité des faits est établie ;
- les agissements reprochés revêtent une gravité suffisante pour justifier du licenciement.
Par un mémoire en défense enregistré le 6 août 2024, M. C... représenté par Me Douard, conclut au rejet de la requête de la société ... et de la ministre du travail et à ce qu'une somme de 3000 euros soit mise à leur charge solidairement ou à défaut conjointement, sur le fondement de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
II°) Par une requête, enregistrée le 24 novembre 2023, sous le n°23NT03450, la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 29 septembre 2023 du tribunal administratif de Rennes ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. C... ;
Elle soutient que :
- le jugement attaqué est entaché d'une insuffisance de motivation ;
- le jugement attaqué est entaché d'erreur dans la qualification juridique des faits en ce qu'il estime que les faits fautifs et matériellement établis, commis par M. C..., n'apparaissent pas d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement.
- les autres moyens soulevés par M. C... ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense enregistré le 6 août 2024, M. C... représenté par Me Douard, conclut au rejet de la requête de la ministre du travail et à ce qu'une somme de 3000 euros soit mise à leur charge solidairement ou à défaut conjointement, sur le fondement de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir qu'aucun des moyens des requêtes n'est fondé.
Un mémoire, enregistré le 27 août 2024, présenté pour la société ... représentée par Me Gouret, n'a pas été communiqué.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Coiffet,
- les conclusions de Mme Bougrine, rapporteure publique,
- et les observations de Me Gouret, représentant la société ... et de Me Douard, représentant M. C....
Considérant ce qui suit :
1. M. C... a été embauché le 9 octobre 1989 par la société coopérative agricole ... (...), spécialisée dans la production et la transformation de ..., et occupait, en dernier lieu, le poste d'ouvrier d'abattoir. Depuis l'année 2014, il a été élu délégué du personnel et siège en qualité d'élu titulaire au comité social et économique (CSE) de l'établissement de Lamballe. À la suite de la dénonciation, le 10 septembre 2021, par l'une des salariées du CSE, de faits qu'elle a qualifiés de " harcèlement sexuel " et dont elle fait valoir qu'ils ont conduit à son placement en arrêt de travail le même jour, une enquête interne a été diligentée du 20 septembre au 15 octobre 2021. Le 21 octobre 2021, la ... a notifié une mise à pied conservatoire à M. C... et engagé une procédure de licenciement à son encontre. Après un entretien préalable qui s'est déroulé le 5 novembre 2021 et une réunion du CSE qui a émis un avis défavorable au licenciement le 8 novembre suivant, la ... a, le lendemain saisi l'inspecteur du travail d'une demande, reçue le 15 novembre, afin qu'il autorise le licenciement pour motif disciplinaire de M. C....
2. M. C... a, le 16 août 2022, saisi le tribunal administratif de Rennes d'une demande tendant à l'annulation de la décision du 17 décembre 2021 par laquelle l'inspecteur du travail a autorisé la ... à le licencier, ainsi que la décision du 16 août 2022 par laquelle le ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion a rejeté son recours hiérarchique. Par un jugement du 29 septembre 2023 cette juridiction a fait droit à la demande de M. C... et prononcé l'annulation de ces décisions. La ... et le ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion relèvent appel de ce jugement.
Sur la jonction :
3. Les requêtes n° 23NT03395 de la société ... et n° 23NT03450 de la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion sont dirigées contre le même jugement. Il y a lieu de les joindre pour qu'il y soit statué par un même arrêt.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
4. En vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives, qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque leur licenciement est envisagé, celui-ci ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou avec leur appartenance syndicale. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail saisi et, le cas échéant, au ministre compétent, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi. Un agissement du salarié intervenu en-dehors de l'exécution de son contrat de travail ne peut motiver un licenciement pour faute, sauf s'il traduit la méconnaissance par l'intéressé d'une obligation découlant de ce contrat. L'obligation de ne pas porter atteinte, dans l'enceinte de l'entreprise, à la santé et à la sécurité des autres membres du personnel découle du contrat de travail. De tels faits sont ainsi, en principe, de nature à constituer le fondement d'une demande de licenciement pour motif disciplinaire.
5. A l'appui de la demande d'autorisation de licenciement pour motif disciplinaire de M. C..., son employeur a, en invoquant les articles L. 1153-1, L. 1142-2-1 et L. 4122-1 du code du travail, reproché à ce salarié, d'abord, d'avoir manifesté un comportement inadapté (perturbation du travail, familiarités, vulgarité, difficultés à se contrôler), ensuite, " des agissements sexistes et des agissements constituant un harcèlement sexuel (contacts physiques, commentaires sur les tenues vestimentaires, comportement très affectueux, jupe ou robe soulevée, blagues sexistes) ", et, enfin, " par ces comportements, d'avoir détérioré la santé de Mme Z... ". L'inspecteur du travail a, le 17 décembre 2021, accordé l'autorisation de le licencier en estimant matériellement établis les trois griefs reprochés à M. C.... Saisi sur recours hiérarchique, le ministre du travail, qui a retenu l'existence de " propos dégradants et à connotation sexuelle, de divers gestes déplacés de façon récurrente méconnaissant les articles 13.1 et 15.2 du règlement intérieur de l'entreprise " a, le 16 août 2022, confirmé la décision de l'inspecteur du travail.
6. Aux termes de l'article L. 1153-1 du code du travail : " Aucun salarié ne doit subir des faits : / 1° Soit de harcèlement sexuel, constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle ou sexiste répétés qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ; (...) ". Aux termes de l'article L.1142-2-1 du même code : " Nul ne doit subir d'agissement sexiste, défini comme tout agissement lié au sexe d'une personne, ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant ". Enfin, l'article L.4122-1 du même code dispose : " Conformément aux instructions qui lui sont données par l'employeur, dans les conditions prévues au règlement intérieur pour les entreprises tenues d'en élaborer un, il incombe à chaque travailleur de prendre soin, en fonction de sa formation et selon ses possibilités, de sa santé et de sa sécurité ainsi que de celles des autres personnes concernées par ses actes ou ses omissions au travail. ". Par ailleurs, l'article 13.1 du règlement intérieur de la société, cité dans la décision de l'inspecteur du travail et dont le contenu ni l'applicabilité ne sont contestés, énonce que : " Le comportement des salariés doit être respectueux des personnes. Chaque salarié doit respecter les règles élémentaires de savoir-vivre et savoir-être en collectivité. L'ensemble du personnel doit s'efforcer de faire preuve en toutes circonstances de courtoisie, de respect de l'autre, de discrétion et de politesse. Toute rixe, injure, comportement agressif, incivilité est interdit dans l'entreprise. Il en est de même de tout comportement raciste, xénophobe, sexiste et/ou discriminant au sens des dispositions du code du travail et code pénal. Tout acte contraire à la discipline est passible d'une sanction ".
7. En premier lieu, s'agissant du cadre juridique applicable, il ressort des pièces du dossier que si les différents agissements, propos et comportements reprochés à M. C..., ont exclusivement été commis, à l'égard de collègues salariées du comité social et économique de l'établissement de Lamballe, dans le cadre des relations de travail au sein de cet organisme, et non dans l'exécution même de son contrat de travail, ils doivent être regardés comme des éléments constitutifs fondant une demande de licenciement pour motif disciplinaire, dès lors que M. C... a pu, à cette occasion, méconnaitre l'obligation, découlant de son contrat de travail, de ne pas porter atteinte, dans l'enceinte de l'entreprise, à la santé et à la sécurité d'autres salariés.
8. En deuxième lieu, s'agissant de la matérialité des faits et de leur qualification, il ressort, d'une part, des pièces versées au dossier, notamment des éléments recueillis lors de l'enquête contradictoire, que, durant l'année 2021, M. C... a tenu, notamment à l'égard de Mme Z..., secrétaire salariée du CSE, des propos familiers, voire crus, et a eu à son égard des gestes déplacés dans une situation professionnelle en versant de l'eau sur sa tête et dans son cou, perturbant le travail de celle-ci. Il n'a jamais modifié ce comportement, malgré les observations du secrétaire du CSE et de certains membres élus, Ensuite, les témoignages recueillis lors de l'enquête interne du CSE et au cours de l'enquête contradictoire permettent de façon concordante de retenir que M. C... est coutumier de plaisanteries ou remarques à connotation sexuelle et que, ainsi qu'il ne l'a pas nié lors de la séance du CSE du 7 septembre 2021 tout en minimisant les faits en évoquant alors " un petit malentendu ", il a touché la jupe de Mme Z... qui était assise à ses côtés et lui a fait à deux reprises des remarques sur ses sous-vêtements. En revanche, aucune pièce au dossier ne permet de caractériser un harcèlement sexuel ou des agressions sexuelles à l'encontre de Mme Z.... Cette circonstance est corroborée par les déclarations de l'ensemble des salariés auditionnés, et notamment par le compte rendu d'audition de Mme B..., référente harcèlement sexuel, qui précise n'avoir relevé aucun geste déplacé, ni reçu aucune plainte, à l'exception de l'épisode de la jupe rapporté ci-dessus. Au regard des éléments recueillis, la dégradation de l'état de santé de Mme Z... est avérée et consécutive au comportement reproché à M. C..., élu titulaire au CSE, dont elle était, en sa qualité de secrétaire, la subordonnée. D'autre part, si M. C... a versé aux débats les attestations d'une vingtaine de salariées de l'entreprise Cooperl qui indiquent qu'elles n'ont jamais eu avec lui de problème de même nature que ceux dénoncés par Mme Z..., elles ne permettent pas toutefois de remettre en cause la matérialité des faits qui viennent d'être rappelés et qui lui sont reprochés à l'égard de cette dernière dans le cadre de l'activité du CSE. Dans ces conditions, au regard de l'ensemble des pièces du dossier, les griefs disciplinaires de propos et gestes déplacés, notamment à connotation sexuelle et sexiste, et d'attitude inappropriée sont matériellement établis. Ces agissements, qui seuls peuvent être retenus à l'encontre de M. C..., sont constitutif d'une faute susceptible de sanction disciplinaire.
9. En troisième lieu, s'agissant de l'appréciation du caractère suffisant des fautes retenues pour justifier le licenciement, il ressort des pièces du dossier que si les caractères déplacé et inapproprié des propos, attitudes et comportements de M. C... sont établis, principalement à l'encontre de Mme Z..., l'ensemble des comptes rendus d'audition permet également de retenir que les relations entre Mme Z... et le salarié licencié étaient dépourvues de toute tension avant le mois d'août 2021. Dans ces circonstances, en l'absence d'antécédent disciplinaire de M. C... depuis son recrutement par la ... en 1989, les seules fautes qui lui sont reprochées et qui sont matériellement établies n'apparaissent pas d'une gravité suffisante de nature à autoriser son licenciement.
10. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que la ... et le ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion ne sont pas fondés à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué qui est suffisamment motivé, le tribunal administratif de Rennes a annulé la décision du 17 décembre 2021 de l'inspecteur du travail accordant à la ... l'autorisation de licencier pour faute M. C..., ainsi que celle du 16 août 2022 de la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion confirmant cette autorisation.
Sur les frais liés au litige :
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de M. C..., qui n'est pas, dans la présente instance la partie perdante, le versement à la ... de la somme qu'elle demande au titre des frais d'instance. Il n'y a pas lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la ... le versement à M. C... d'une somme au titre des mêmes dispositions.
DECIDE :
Article 1er : Les requêtes de la ... et de la ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion sont rejetées.
Article 2 : Les conclusions présentées par M. C... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la ..., à M. A... C... et à la ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion.
Délibéré après l'audience du 13 septembre 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Gaspon, président de chambre,
- M. Coiffet, président assesseur,
- M. Pons, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 1er octobre 2024.
Le rapporteur,
O. COIFFETLe président,
O. GASPON
La greffière,
I. PETTON
La République mande et ordonne à la ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N°23NT03395 - 23NT03450 2
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