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20/09/2024 | FRANCE | N°23NT00051

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 2ème chambre, 20 septembre 2024, 23NT00051


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. C... B... et Mme D... A... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite née le 29 janvier 2022 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 4 octobre 2021 de l'autorité consulaire française à Lagos (Nigéria) refusant de délivrer à Mme D... A... un visa d'entrée et de long séjour au titre de la réunification familiale.



Par un jugement n° 2203324 du 7 novembre 2022, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur dema...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... B... et Mme D... A... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite née le 29 janvier 2022 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 4 octobre 2021 de l'autorité consulaire française à Lagos (Nigéria) refusant de délivrer à Mme D... A... un visa d'entrée et de long séjour au titre de la réunification familiale.

Par un jugement n° 2203324 du 7 novembre 2022, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 9 janvier 2023, M. B... et Mme A..., représentés par la SCP Couderc-Zouine, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes ;

2°) d'annuler la décision implicite de la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France née le 29 janvier 2022 ;

3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer le visa sollicité dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'État le versement de la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- le jugement attaqué est irrégulier en ce qu'il s'est fondé sur un motif qui n'était pas celui de la décision contestée et n'avait pas été opposé par l'administration en défense ;

- le lien de concubinage entre M. B... et Mme A... est établi ;

- Mme A... ne peut être regardée ni comme instigatrice, ni comme complice des persécutions subies par M. B... ;

- la décision contestée méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle méconnaît les stipulations du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.

Par un mémoire en défense, enregistré le 4 mai 2023, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête.

Il soutient qu'aucun des moyens invoqués n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Mas a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., ressortissant nigérian né le 1er avril 1990, s'est vu reconnaître la qualité de réfugié par décision de la Cour nationale du droit d'asile du 14 février 2017. Mme A..., qui se présente comme sa concubine. Il a sollicité de l'autorité consulaire à Lagos (Nigéria) la délivrance d'un visa d'entrée et de long séjour au titre de l'autorité familiale. M. B... et Mme A... ont contesté devant la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France la décision du 4 octobre 2021 par lequel cette demande a été rejetée. La commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France ayant rejeté leur recours par une décision implicite née le 29 janvier 2022, ils ont demandé au tribunal administratif de Nantes l'annulation de cette dernière décision. Ils relèvent appel du jugement du 7 novembre 2022 par lequel cette demande a été rejetée.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Si le recours administratif préalable obligatoire formé contre une décision de refus d'une demande de visa fait l'objet d'une décision implicite de rejet, cette décision implicite, qui se substitue à la décision initiale, doit être regardée comme s'étant appropriée les motifs de la décision initiale lorsque le demandeur a été averti au préalable par la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'une telle appropriation en cas de rejet implicite de sa demande.

3. L'accusé de réception du recours formé devant la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France par M. B... et Mme A..., transmis aux intéressés par cette commission le 3 décembre 2021, les informait qu'en l'absence de décision expresse dans un délai de deux mois à compter de la date de réception de ce recours le 29 novembre 2021, leur recours serait réputé rejeté pour les mêmes motifs que ceux de la décision, contestée devant cette commission, de l'autorité consulaire à Lagos du 4 octobre 2021. La décision implicite contestée de la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France, née le 29 janvier 2021, s'est dès lors approprié le motif de cette décision de l'autorité consulaire, tiré de la menace pour l'ordre public que représenterait Mme A....

4. Par suite, les premiers juges qui se sont prononcés dans leur jugement sur la légalité de ce motif opposé par l'administration, n'ont pas, contrairement à ce qui est soutenu, procédé à une substitution de motif que l'administration n'aurait pas sollicitée. Le moyen tiré de ce que le jugement attaqué serait, pour cette raison, entaché d'irrégularité doit dès lors être écarté.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

5. L'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / (...) 2° Par son concubin, âgé d'au moins dix-huit ans, avec lequel il avait, avant la date d'introduction de sa demande d'asile, une vie commune suffisamment stable et continue (...) ". Aux termes de l'article L. 561-3 du même code : " La réunification familiale est refusée : / 1° Au membre de la famille dont la présence en France constituerait une menace pour l'ordre public ou lorsqu'il est établi qu'il est instigateur, auteur ou complice des persécutions et atteintes graves qui ont justifié l'octroi d'une protection au titre de l'asile ".

6. Il ne ressort pas des pièces du dossier et notamment pas des seules déclarations de M. B... au soutien de sa demande d'asile, selon lesquelles Mme A... aurait découvert son homosexualité et en aurait informé son père, que celle-ci devrait être regardée comme instigateur, auteur ou complice des persécutions et atteintes graves qui ont justifié l'octroi à M. B... d'une protection au titre de l'asile, ni comme représentant une menace pour l'ordre public. M. B... et Mme A... sont dès lors fondés à soutenir qu'en refusant pour le motif tiré de l'existence d'une telle menace, la délivrance d'un visa à Mme A..., la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France a fait une inexacte application des dispositions précitées de l'article L. 561-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

7. Toutefois, pour établir que la décision implicite de la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France née le 29 janvier 2021 contestée était légale, le ministre de l'intérieur fait valoir un autre motif, tiré de ce que Mme A... ne pouvait être regardée comme la concubine de M. B... à la date à laquelle il a présenté sa demande d'asile.

8. L'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.

9. Il ressort des mentions de l'arrêt de la Cour nationale du droit d'asile du 14 février 2017 que M. B... a déclaré, devant cette juridiction, que sa relation avec Mme A... avait cessé en 2009, au moment de la naissance de l'enfant qu'il a eue avec elle. Il ressort en outre d'une note du directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 13 mars 2020 que M. B... s'est déclaré célibataire auprès de cette administration. Si M. B... et Mme A... produisent une fiche familiale de référence, mentionnant leur relation, que M. B... aurait remplie le 15 mars 2017, ils n'établissent aucunement la remise de ce document à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides qui a, ainsi qu'il a été dit, enregistré une déclaration de M. B... selon laquelle celui-ci était alors célibataire. Par ailleurs, il est constant que M. B... a eu une relation amoureuse avec une autre femme sur le territoire français et qu'un enfant est né de cette relation le 8 juillet 2019 et il n'est pas contesté que la mère de cet enfant a déclaré M. B... comme son concubin lors d'une demande d'asile formée le 7 août 2019. Si M. B... et Mme A... produisent quelques photographies non datées, celles-ci ne justifient pas de leur relation de concubinage à la date à laquelle M. B... a présenté sa demande d'asile. Par ailleurs, s'ils justifient de transferts d'argent à destination de Mme A... entre 2018 et 2021, ceux-ci ont, pour plus grande part, été effectués alors que l'enfant de M. B..., qui n'a bénéficié d'un visa lui permettant d'entrer en France que le 13 août 2021, résidait encore avec Mme A... et, pour le surplus, sont contemporains de la demande de visa formée par Mme A... et très postérieurs au dépôt de la demande d'asile de M. B..., sur laquelle le directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides a statué le 30 décembre 2015. Ces transferts d'argent n'établissent dès lors pas davantage leur relation de concubinage à cette date. Au regard de l'ensemble de ces circonstances, le ministre de l'intérieur doit être regardé comme établissant que Mme A... n'avait pas avec M. B..., à la date de la demande d'asile de ce dernier, une vie commune stable et continue.

10. Il résulte de l'instruction que la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France aurait pris la même décision si elle s'était initialement fondée sur ce motif tiré de ce que Mme A... ne figurait pas parmi les bénéficiaires de la réunification familiale, de nature à fonder légalement la décision de refus de visa contestée. Il y a dès lors lieu de procéder à la substitution de motif demandée, qui ne prive M. B... et Mme A... d'aucune garantie liée au motif substitué.

11. Aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. ". La décision de refus de visa contestée n'a pas pour effet de séparer de sa mère l'enfant de M. B... et Mme A..., cette séparation résultant du choix effectué par les intéressés de faire venir l'enfant en France auprès de son père. Le moyen tiré de la méconnaissance de ces stipulations doit dès lors être écarté.

12. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

13. Compte tenu de ce qui précède, le moyen tiré de ce que la décision de refus de visa contestée aurait porté au droit des intéressés au respect de leur vie privée et familiale, garanti par les stipulations de l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, une atteinte disproportionnée au regard des objectifs en vue desquels elle a été prise doit être écarté, de même que, pour les mêmes motifs, le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation qui entacherait cette décision.

14. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... et Mme A... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

15. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions à fin d'annulation présentées par M. B... et Mme A..., n'appelle aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions présentées à fin d'injonction et d'astreinte également présentées par les intéressés doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme demandée par M. B... et Mme A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. B... et Mme A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B..., à Mme D... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Délibéré après l'audience du 2 septembre 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Buffet, présidente de chambre,

- Mme Montes-Derouet, présidente-assesseure,

- M. Mas, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 septembre 2024.

Le rapporteur,

B. MASLa présidente,

C. BUFFET

La greffière,

M. E...

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23NT00051


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NT00051
Date de la décision : 20/09/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BUFFET
Rapporteur ?: M. Benoît MAS
Rapporteur public ?: M. LE BRUN
Avocat(s) : SCP COUDERC-ZOUINE

Origine de la décision
Date de l'import : 29/09/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-09-20;23nt00051 ?
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