Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 25 novembre 2019 par laquelle le ministre de l'intérieur a ajourné à deux ans sa demande de naturalisation.
Par un jugement n° 2001963 du 30 mai 2022, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 27 septembre 2022, M. A..., représenté par Me Erdem Devaux, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes ;
2°) d'annuler la décision du 25 novembre 2019 du ministre de l'intérieur ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de réexaminer sa demande de naturalisation dans un délai d'un mois, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'État le versement à son conseil de la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- la décision contestée est entachée d'erreur de droit, en ce qu'elle lui oppose une condition de naturalisation différente de celle ayant fondé une précédente décision d'ajournement du 2 janvier 2017 ;
- elle est entachée d'une autre erreur de droit en ce que le ministre de l'intérieur n'a pas apprécié son parcours professionnel dans sa globalité depuis son entrée sur le territoire français mais n'a considéré que ses revenus sur les trois derniers mois ;
- elle est entachée d'erreur de droit en ce que le ministre s'est fondée sur les conséquences d'une maladie ou d'un handicap.
Par un mémoire en défense, enregistré le 15 novembre 2022, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens invoqués ne sont pas fondés.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 31 août 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993 relatif aux déclarations de nationalité, aux décisions de naturalisation, de réintégration, de perte, de déchéance et de retrait de la nationalité française ;
- le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Mas a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant turc né le 1er mai 1962, a sollicité sa naturalisation auprès du préfet du Doubs, lequel a ajourné cette demande à deux ans par décision du 2 novembre 2016. Saisi du recours prévu par les dispositions de l'article 45 du décret du 30 décembre 1993 susvisé, le ministre de l'intérieur a confirmé cette décision d'ajournement par une décision du 2 janvier 2017. Par un jugement du 28 juin 2019, le tribunal administratif de Nantes a annulé cette dernière décision et a enjoint au ministre de l'intérieur de réexaminer la demande de M. A.... Pour l'exécution de ce jugement, le ministre de l'intérieur a procédé au réexamen du recours formé à l'encontre de la décision du préfet du Doubs du 2 novembre 2016 et a décidé à nouveau d'ajourner à deux ans la demande de naturalisation de M. A..., par décision du 25 novembre 2019. M. A... relève appel du jugement du 30 mai 2022 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette dernière décision.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. L'article 21-15 du code civil dispose : " (...) l'acquisition de la nationalité française par décision de l'autorité publique résulte d'une naturalisation accordée par décret à la demande de l'étranger. ". Aux termes de l'article 44 du décret du 30 décembre 1993 susvisé : " Si le préfet désigné par arrêté du ministre chargé des naturalisations en application de l'article 35 ou, à Paris, le préfet de police estime, même si la demande est recevable, qu'il n'y a pas lieu d'accorder la naturalisation ou la réintégration sollicitée, il prononce le rejet de la demande. / Il peut également en prononcer l'ajournement en imposant un délai ou des conditions. (...) ". Aux termes de l'article 45 du même décret : " Dans les deux mois suivant leur notification, les décisions prises en application des articles 43 et 44 peuvent faire l'objet d'un recours auprès du ministre chargé des naturalisations, à l'exclusion de tout autre recours administratif. (...) ". Aux termes de l'article 48 de ce décret : " Si le ministre chargé des naturalisations estime qu'il n'y a pas lieu d'accorder la naturalisation ou la réintégration sollicitée, il prononce le rejet de la demande. Il peut également en prononcer l'ajournement en imposant un délai ou des conditions. Ce délai une fois expiré ou ces conditions réalisées, il appartient à l'intéressé, s'il le juge opportun, de déposer une nouvelle demande. ". Enfin, aux termes de l'article 49 de ce décret : " Toute décision déclarant irrecevable, ajournant ou rejetant une demande de naturalisation ou de réintégration dans la nationalité française prise en application du présent décret est motivée conformément à l'article 27 de la loi n° 98-170 du 16 mars 1998 relative à la nationalité. ".
3. Pour ajourner à deux ans la demande de naturalisation de M. A..., le ministre de l'intérieur s'est fondé sur le motif tiré de ce que l'intéressé n'avait pas pleinement réalisé son insertion professionnelle, dès lors qu'il était dépourvu de ressources personnelles suffisantes et stables.
4. En premier lieu, il y a lieu de rejeter, par adoption des motifs retenus à bon droit par les premiers juges au point 6 du jugement attaqué, le moyen tiré de ce que le ministre de l'intérieur aurait méconnu l'autorité de la chose jugée par le jugement du tribunal administratif de Nantes du 28 juin 2019 en décidant à nouveau d'ajourner à deux ans la demande de naturalisation de M. A....
5. En second lieu, l'autorité administrative dispose, en matière de naturalisation ou de réintégration dans la nationalité française, d'un large pouvoir d'appréciation. Elle peut, dans l'exercice de ce pouvoir, prendre en considération notamment, pour apprécier l'intérêt que présenterait l'octroi de la nationalité française, l'intégration de l'intéressé dans la société française, son insertion sociale et professionnelle et le fait qu'il dispose de ressources lui permettant de subvenir durablement à ses besoins en France. Pour rejeter une demande de naturalisation ou de réintégration dans la nationalité française, l'autorité administrative ne peut se fonder ni sur l'existence d'une maladie ou d'un handicap ni, par suite, sur l'insuffisance des ressources de l'intéressé lorsqu'elle résulte directement d'une maladie ou d'un handicap.
6. D'une part, il ressort des pièces du dossier que M. A... a déclaré des revenus de 18 980 euros pour l'année 2013, 20 380 euros pour l'année 2014, 17 445 euros pour l'année 2016, 16 182 euros pour l'année 2017 et 12 808 euros pour l'année 2018. Il est constant qu'il n'occupe plus d'emploi depuis juillet 2019. Il ressort des pièces du dossier que, à la date de la décision contestée, la majorité de ses revenus provenait de prestations sociales non contributives telles que l'allocation de retour à l'emploi, le revenu social d'activité et la prime d'activité.
7. D'autre part, il ressort des pièces du dossier que M. A... s'est vu reconnaître la qualité de travailleur handicapé, pour la période courant du 29 juin 2018 au 28 juin 2020, par décision de la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées du Doubs du 29 juin 2018 à la suite d'un accident du travail dont il a été victime le 6 juin 2017. Son taux d'incapacité permanente partielle a été fixé rétroactivement à 17 % au 3 juillet 2019 par un jugement du tribunal judiciaire de Besançon du 11 mai 2021. S'il ressort des pièces du dossier que les conséquences de l'accident dont il a été victime font obstacle à ce qu'il reprenne son ancien emploi de maçon, il n'en résulte pas qu'elles feraient obstacle à l'exercice de toute activité professionnelle, alors que M. A... fait l'objet d'un accompagnement vers l'emploi, notamment par la structure Cap'Emploi qui l'accompagne vers l'emploi depuis le 10 janvier 2020, soit un mois et demie après la décision contestée, et dont un conseiller a indiqué le 14 février 2020 avoir " plusieurs pistes d'emploi que nous explorons afin de lui permettre de trouver un emploi répondant à ses souhaits et compétences mais également compatible avec sa situation de santé ". Si M. A... se prévaut d'un certificat médical du 2 avril 2021 indiquant qu'il n'est pas en capacité de reprendre le travail, il ressort des mentions de ce certificat que cette situation ne résulte pas de son seul état de santé, mais également du faible niveau de scolarité et de l'illettrisme de l'intéressé. Ainsi, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'insuffisance des ressources de M. A... résulterait directement de son handicap.
8. Au regard des éléments mentionnés aux points 6 et 7 ci-dessus, c'est sans erreur de droit ni erreur manifeste d'appréciation que le ministre de l'intérieur, qui n'avait à prendre en compte que les circonstances de droit et de fait à la date de sa décision, a, dans le cadre du large pouvoir d'appréciation de l'opportunité d'accorder ou non la nationalité française à l'étranger qui la sollicite dont il dispose, a ajourné à deux ans la demande de naturalisation de M. A....
9. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
10. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions à fin d'annulation présentées par M. A..., n'appelle aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte présentées par M. A... doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme demandée par le conseil de M. A... en application des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré après l'audience du 2 septembre 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Buffet, présidente de chambre,
- Mme Montes-Derouet, présidente-assesseure,
- M. Mas, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 septembre 2024.
Le rapporteur,
B. MASLa présidente,
C. BUFFET
La greffière,
M. B...
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22NT03122