Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... J... C... K... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 30 mars 2022 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a, au terme d'un réexamen, refusé de délivrer à son épouse D... H... et à ses enfants A... C..., B... C..., F... C... et I... C... un visa d'entrée et de long séjour au titre de la réunification familiale.
Par un jugement n° 2207205 du 28 février 2023, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 29 avril 2023, M. A... J... C... K..., représenté par Me Boula, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 28 février 2023 ;
2°) d'annuler la décision du 30 mars 2022 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de réexaminer la demande dans un délai de 15 jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'État le versement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
M. C... K... soutient que :
- le jugement est irrégulier dès lors qu'il n'a pas bénéficié d'un temps suffisant pour répondre aux écritures en défense du ministre de l'intérieur dans lesquelles celui-ci a sollicité une substitution de motifs ;
- le motif substitué tiré de ce qu'il ne dispose pas d'une délégation de l'autorité parentale sur ses enfants A... et B... ne permet pas de fonder légalement la décision contestée ;
- le motif substitué tiré du caractère partiel de la réunification familiale ne permet pas de fonder légalement la décision contestée ; le jugement rendu sous le n° 2107499 le 21 février 2022 a autorisé une réunification partielle ;
- la décision contestée méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
La requête enregistrée dans la présente instance a été communiquée au ministre de l'intérieur et des outre-mer qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Dubost a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. C... K..., ressortissant congolais né le 26 août 1965, s'est vu reconnaître en France la qualité de réfugié par une décision de la cour nationale du droit d'asile du 12 juin 2018. Mme H... qu'il présente comme sa femme et M. Prince C..., M. A... C..., M. B... C..., M. F... C... et Mme I... C..., qu'il présente comme ses enfants, ont déposé une demande de visa de long séjour au titre de la réunification familiale auprès de l'autorité consulaire française à Kinshasa (République Démocratique du Congo), laquelle a rejeté cette demande par une décision du 5 mars 2021. Le recours formé contre ce refus consulaire devant la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a été rejeté par une décision implicite née du silence gardé par ladite commission pendant plus deux mois. Par un jugement rendu le 21 février 2022 sous le n° 2107499, le tribunal administratif de Nantes, saisi par M. C... K..., a annulé cette décision et a enjoint au ministre de l'intérieur de procéder d'une part, à la délivrance du visa demandé s'agissant de M. Prince C..., d'autre part, au réexamen de la demande de visa s'agissant de Mme H... et des enfants A..., B..., F... et I... C.... En exécution de ce jugement, la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France, par une décision du 30 mars 2022, a procédé au réexamen de la demande et a refusé de délivrer les visas sollicités. M. C... K... a alors demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler cette décision. Il relève appel du jugement de ce tribunal du 28 février 2023 rejetant sa demande.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article R. 613-2 du code de justice administrative : " Si le président de la formation de jugement n'a pas pris une ordonnance de clôture, l'instruction est close trois jours francs avant la date de l'audience indiquée dans l'avis d'audience prévu à l'article R. 711-2. (...) ".
3. Il ressort des pièces de la procédure que le mémoire en défense du ministre de l'intérieur a été communiqué à M. C... K... le 12 janvier 2023, et que ce dernier a présenté, en réponse à cette communication, des observations qui ont été enregistrées au greffe du tribunal le 26 janvier, soit avant la clôture de l'instruction en application des dispositions citées au point 2. Dans ces conditions, le requérant n'est pas fondé à soutenir que le mémoire du ministre ne lui aurait pas été communiqué en temps utile pour y répondre, et le moyen tiré de l'irrégularité du jugement attaqué pour ce motif doit être écarté.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
4. Il ressort des pièces du dossier que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée pour rejeter la demande de visa de long séjour sur la circonstance que l'identité des demandeurs de visas, et donc le lien familial avec M. C... K..., n'étaient pas établis.
5. Le jugement attaqué a estimé que l'identité des demandeurs de visa et leur lien familial avec le réunifiant étaient établis. Toutefois, il a fait droit à la demande de substitution de motifs formée par le ministre de l'intérieur qui a fait valoir que les motifs tirés de l'absence de jugement de délégation de l'autorité parentale et de ce que la réunification familiale présente un caractère partiel sont de nature à fonder légalement la décision contestée.
6. D'une part, l'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.
7. D'autre part, statuant sur l'appel du demandeur de première instance dirigé contre un jugement qui a rejeté ses conclusions à fin d'annulation d'une décision administrative reposant sur plusieurs motifs en jugeant, après avoir censuré tel ou tel de ces motifs, que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée sur le ou les motifs que le jugement ne censure pas, il appartient au juge d'appel, s'il remet en cause le ou les motifs n'ayant pas été censurés en première instance, de se prononcer, en vertu de l'effet dévolutif de l'appel, sur les moyens critiquant la légalité du ou des motifs censurés en première instance, avant de déterminer, au vu de son appréciation de la légalité des différents motifs de la décision administrative, s'il y a lieu de prononcer l'annulation de cette décision ou de confirmer le rejet des conclusions à fin d'annulation.
8. Aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / (...) 3° Par les enfants non mariés du couple, n'ayant pas dépassé leur dix-neuvième anniversaire. / (...) ". Aux termes de l'article L. 561-4 du même code : " Les articles L. 434-1, L. 434-3 à L. 434-5 et le premier alinéa de l'article L. 434-9 sont applicables. (...) ". Aux termes de l'article L. 434-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le regroupement familial est sollicité pour l'ensemble des personnes désignées aux articles L. 434-2 à L. 434-4. Un regroupement partiel peut toutefois être autorisé pour des motifs tenant à l'intérêt des enfants. ". Aux termes de l'article L. 434-3 du même code : " Le regroupement familial peut également être demandé pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et pour ceux de son conjoint si, au jour de la demande : / 1° La filiation n'est établie qu'à l'égard du demandeur ou de son conjoint ; / 2° Ou lorsque l'autre parent est décédé ou déchu de ses droits parentaux. ". En outre, aux termes de l'article L. 434-4 de ce code : " Le regroupement familial peut être demandé pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et ceux de son conjoint, qui sont confiés, selon le cas, à l'un ou l'autre, au titre de l'exercice de l'autorité parentale, en vertu d'une décision d'une juridiction étrangère. Une copie de cette décision devra être produite ainsi que l'autorisation de l'autre parent de laisser le mineur venir en France. ".
9. Il résulte de ces dispositions que l'enfant, mineur de dix-huit ans, souhaitant rejoindre son parent réfugié sans son autre parent, bénéficie de plein droit de la délivrance d'un visa de long séjour soit lorsque son autre parent est décédé ou déchu de l'autorité parentale, soit s'il a été confié à son parent réfugié ou au conjoint de ce dernier en exécution d'une décision d'une juridiction étrangère et est muni de l'autorisation de son autre parent. Il résulte en outre de ces dispositions que la réunification doit concerner, en principe, l'ensemble de la famille du ressortissant étranger qui demande à en bénéficier et qu'une réunification partielle ne peut être autorisée à titre dérogatoire que si l'intérêt des enfants le justifie.
10. En premier lieu, les enfants de M. C... K..., A... et B... C... sont nés de son union précédente avec Mme E... G.... Il ne ressort pas des pièces du dossier que la mère de ces enfants serait décédée ou déchue de l'autorité parentale. Dans ces conditions, bien qu'il dispose de l'autorité parentale conjointe sur ses enfants, en l'absence de jugement délégant à M. C... K... l'autorité parentale sur ses enfants A... et B... C..., il y a lieu de procéder à la substitution de motif demandée par le ministre de l'intérieur, qui ne prive le requérant d'aucune garantie.
11. En deuxième lieu, alors que M. C... K... a adopté l'enfant Theresia C... qui serait née le 26 septembre 2010, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'une demande de visa aurait été effectuée en son nom. Par ailleurs, le requérant ne démontre pas que l'intérêt supérieur des enfants justifierait que soit autorisée une réunification familiale partielle. En outre, la circonstance que le jugement rendu par le tribunal administratif de Nantes le 21 février 2022 sous le n° 2107499, et devenu définitif, ait enjoint la délivrance d'un visa pour l'enfant Prince C... est sans incidence sur la légalité de la décision contestée. Dans ces conditions, il y a lieu de procéder à la substitution de motif demandée par le ministre de l'intérieur, qui ne prive M. C... K... d'aucune garantie.
12. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".
13. Comme il a été dit aux points 10 et 11 du présent arrêt, la demande de réunification familiale présente un caractère partiel et aucun jugement de délégation de l'autorité parentale à la date de la décision contestée n'est produit s'agissant des enfants A... et B... nés d'une précédente union. Ainsi, et alors qu'il n'est pas établi qu'il est dans l'intérêt supérieur des enfants A..., B..., F... et I... C... de rejoindre leur père en France, il ne ressort pas des pièces du dossier, que la décision de la commission de recours refusant un visa de long séjour à Mme H... et aux enfants A..., B..., F... et I... C..., a méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
14. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... K... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :
15. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions à fin d'annulation présentées par M. C... K..., n'appelle aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de le ministre de l'intérieur, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme demandée par M. C... K... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. C... K... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... J... C... K... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré après l'audience du 29 août 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Rivas, président de la formation de jugement,
- Mme Ody, première conseillère,
- Mme Dubost, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 septembre 2024.
La rapporteure,
A.-M. DUBOST
Le président de
la formation de jugement,
C. RIVASLa présidente,
C. BUFFET
Le greffier,
C. GOY
La greffière,
K. BOURON
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
N° 23NT01272