Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A..., a demandé au tribunal administratif de Nantes, tout d'abord, de condamner l'Etat à lui verser, en réparation des préjudices qu'il a subis du fait de l'illégalité de l'arrêté du 10 septembre 2015 par lequel le préfet de la Loire-Atlantique a refusé de lui délivrer un titre de séjour, la somme de 40 566 euros majorée des intérêts au taux légal, ensuite, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Par un jugement n° 1908008 du 27 décembre 2022, le tribunal administratif de Nantes a condamné l'Etat à verser à M. A... la somme de 1 500 euros, tous intérêts compris au jour du jugement, au titre du préjudice moral subi et a rejeté le surplus des conclusions de sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 23 mars 2023, et des mémoires enregistrés les 10 et 11 juin 2024, M. B... A..., représenté par Me Pronost, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes en tant qu'il n'a que très partiellement fait droit à ses prétentions indemnitaires ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme totale de 40 566 euros majorée des intérêts au taux légal et de la capitalisation des intérêts ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1200 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- le préfet de la Loire-Atlantique lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " par un arrêté du 10 septembre 2015 qui a été annulé par un jugement du 14 juin 2017 du tribunal administratif de Nantes ;
- la faute commise par l'administration lui a causé, ainsi qu'aux membres de sa famille, divers préjudices matériels et moral, dont il est fondé à demander réparation ; il justifie qu'il disposait d'une chance sérieuse d'être embauché et de travailler pendant la période précédant l'intervention de la décision valant autorisation de travail ;
- il justifie de la réalité du préjudice moral invoqué ; il a été maintenu en situation irrégulière 32 mois, laquelle a généré du stress, de l'incertitude pour lui et sa famille, leurs ressources étant limitées ;
- ses préjudices peuvent être évalués à la somme globale de 40 566 euros.
Par un mémoire en défense, enregistré le 10 juin 2024, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête et, par la voie de l'appel incident, à ce que la cour annule le jugement contesté en tant qu'il le condamne à verser à l'intéressé la somme de 1500 euros en réparation du préjudice moral.
Il fait valoir qu'aucun des moyens soulevés par M. A... n'est fondé et que le préjudice moral n'est pas justifié.
Un mémoire complémentaire a été enregistré le 13 juin 2024 pour M. A... et n'a pas été communiqué.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 23 janvier 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Coiffet,
- les conclusions de Mme Bougrine, rapporteure publique,
- et les observations de Me Pronost représentant M. A....
Considérant ce qui suit :
1 . M. B... A..., ressortissant comorien, est entré en France le 5 février 2012, sous couvert d'un visa de court séjour pour raisons professionnelles. Il a débuté une relation avec une compatriote, Mme C..., titulaire d'une carte de résident et mère de deux enfants. De leur union sont nés deux enfants, les 17 septembre 2014 et 20 octobre 2016. M. A... a, alors, sollicité la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement des articles L. 313-10, L. 313-11 7° et L. 313-14 alors applicables du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 10 septembre 2015, le préfet de la Loire-Atlantique a rejeté cette demande. Cet arrêté a été annulé par un jugement du 14 juin 2017 du tribunal administratif de Nantes devenu définitif. M. A... a été mis en possession d'un premier récépissé de titre de séjour le 30 juin 2017 puis d'un second en date du 1er septembre 2017 l'autorisant à travailler. Le 28 février 2018, M. A... a saisi l'administration d'une demande indemnitaire en réparation des préjudices matériels et moraux qu'il estime avoir subis du fait du refus illégal de l'Etat de délivrer le titre de séjour sollicité. Sa demande a été rejetée implicitement.
2 . M. A... a, le 19 juillet 2019, saisi le tribunal administratif de Nantes d'une demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser une somme globale de 40 566 euros. Par un jugement du 10 octobre 2023, cette juridiction a condamné l'Etat à lui verser la somme de 1 500 euros au titre du préjudice moral subi, tous intérêts compris, et a rejeté le surplus de sa demande. M. A... relève appel de ce jugement en tant qu'il n'a fait que partiellement droit à ses prétentions indemnitaires en écartant sa demande au titre du préjudice financier subi qu'il maintient.
Sur les conclusions indemnitaires :
En ce qui concerne le bien-fondé du jugement attaqué :
3. Par un jugement du 14 juin 2017, devenu définitif, le tribunal administratif de Nantes a annulé le refus de titre de séjour opposé le 10 septembre 2015 à M. A..., au motif que cette décision avait méconnu les stipulations du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention relative aux droits de l'enfant signée à New-York le 26 janvier 1990. L'illégalité de cette décision constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat.
4. M. A... soutient, comme en première instance, que l'illégalité fautive de l'arrêté du 10 septembre 2015 lui a causé divers préjudices matériels et un préjudice moral sur la période courant, selon ses prétentions indemnitaires, du 10 septembre 2015 au 1er septembre 2017, date à laquelle il a été placé en possession d'un récépissé de demande de titre de séjour avec autorisation de travail. Il fait valoir que, placé dans l'impossibilité de travailler, il a au cours de cette période perdu une chance sérieuse d'occuper un emploi en France et a été privé des revenus en découlant.
5. Au soutien de ses prétentions, M. A... se prévaut, tout d'abord, du fait qu'il avait signé le 6 novembre 2014 un contrat à durée déterminée avec l'entreprise EARL de La Giraudière pour la période du 17 novembre au 30 janvier 2015 en qualité de saisonnier (ouvrier non qualifié - agent de production - récolte et entretien des pieds de tomates), engagement justifié par la production du contrat de travail en cause, par la démarche initiée alors par l'entreprise auprès de l'administration du travail ainsi que par une attestation circonstanciée de son gérant et ce, afin de faire face à un surcroit d'activité. Dans ces conditions, M. A... peut être regardé comme justifiant pour la période en cause d'une promesse d'embauche sérieuse qui n'a pu être satisfaite faute pour lui d'être autorisé à exercer une activité professionnelle sur le territoire français. Il est, par suite, fondé à obtenir réparation du préjudice financier subi en découlant par le versement d'une indemnité qui doit être fixée pour le temps du contrat de travail en cause, sur la base des justificatifs versés au débat, à la somme de 3400 euros.
6. Ensuite, M. A... se prévaut également au soutien de sa demande d'indemnisation du fait que trois jours après avoir obtenu un récépissé d'autorisation de travail, soit le 4 septembre 2017, il a été embauché pour presqu'un mois comme cueilleur pour l'entreprise Durand puis, a de nouveau travaillé pour l'entreprise précitée, l'EARL de La Giraudière, en qualité de saisonnier ouvrier agricole, pendant dix-huit mois sur une période de vingt-six mois, courant du 2 octobre 2017 au 29 novembre 2019. Il verse à cet égard en appel les différents contrats à durée déterminée pour les périodes courant du mois d'octobre 2017 au 27 avril 2018 et du mois de mars 2019 au mois de juillet 2019 pendant lesquelles il a, une fois qu'il était muni d'un titre de séjour, travaillé avec une rémunération au SMIC en qualité de saisonnier agricole pour l'EARL de La Giraudière, société qui, ainsi qu'il a été dit plus haut, avait souhaité l'embaucher dès le 17 novembre 2015. Ces différents éléments permettent ainsi d'établir que M. A... a également, après le 30 janvier 2015 et jusqu'au 1er septembre 2017, date à laquelle il a été placé en possession d'un récépissé de demande de titre de séjour avec autorisation de travail, perdu une chance sérieuse d'occuper un emploi sur le territoire national. Compte tenu du caractère saisonnier et de la nature de l'emploi qu'il était susceptible d'occuper au sein de l'EARL de la Giraudière sur les périodes de cueillette de tomates - soit 17 mois -, la perte de gains professionnels alors subie par M. A... peut être évaluée à la somme de 26 000 euros. M. A... est, dès lors, également fondé à obtenir le versement d'une indemnité complémentaire à ce titre.
7. Enfin, contrairement à ce que soutient le ministre de l'intérieur, les premiers juges ont, sur la base des pièces versées au dossier qui établissent que le requérant a été maintenu en situation irrégulière pendant 643 jours, fait une juste appréciation du préjudice moral subi par M. A... et sa famille en lui allouant la somme de 1500 euros.
Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts :
8. L'indemnité totale de 30 900 euros que l'Etat est condamné aux points 5, 6 et 7 à verser à M. A... au titre des préjudices financier - perte de gains professionnels - et moral subis portera intérêts à compter du 28 février 2018, date de réception de sa réclamation préalable par l'administration. L'intéressé a demandé la capitalisation de ces intérêts devant la cour dans son mémoire présenté le 11 juin 2024. A cette date, une année d'intérêts était due. La capitalisation des intérêts interviendra dès lors à compter de cette dernière date et à chaque échéance annuelle à compter de cette date.
9. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que M. A... est fondé à soutenir, d'une part, que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a limité le préjudice subi à la somme de 1500 euros tous intérêts compris, d'autre part, que l'Etat est condamné à lui verser la somme de 29 400 euros et enfin que la somme totale de 30 900 euros portera intérêts à compter du 28 février 2018 et capitalisation des intérêts à compter du 11 juin 2024, puis à chaque échéance annuelle de cette date. Le jugement attaqué sera réformé dans cette mesure.
Sur les frais liés au litige :
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Pronost, conseil de M. A..., d'une somme de 1500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : La somme de 1500 euros que l'Etat a été condamné à verser à M. A... est portée à la somme totale de 30 900 euros. Cette somme portera intérêts à compter du 28 février 2018 et les intérêts seront capitalisés à compter du 11 juin 2024 et à chaque échéance annuelle de cette date.
Article 2 : Le jugement n° 1908008 du 27 décembre 2022 du tribunal administratif de Nantes est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 1er.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : L'Etat versera la somme de 1500 euros à Me Pronost, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré après l'audience du 30 août 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Gaspon, président de chambre,
- M. Coiffet, président-assesseur,
- M. Pons, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 septembre 2024.
Le rapporteur,
O. COIFFETLe président,
O. GASPON
Le greffier,
C. VILLEROT
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N°23NT00838 2