Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... C... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler l'arrêté du 8 mars 2024 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé de son transfert aux autorités portugaises.
Par un jugement n° 2404846 du 16 avril 2024, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nantes a annulé cet arrêté du 8 mars 2024 du préfet de Maine-et-Loire (article 1er), a enjoint à celui-ci de réexaminer la situation de M. B... C... dans un délai d'un mois à compter de la notification de ce jugement (article 2) et a mis à la charge de l'Etat une somme de 800 euros au titre des frais de procès (article 3).
Procédures devant la cour :
I. Par une requête n° 24NT01420, enregistrée le 15 mai 2024, le préfet de Maine-et-Loire demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 16 avril 2024 de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nantes ;
2°) de rejeter la demande de M. B... C....
Il soutient que :
- le résumé de l'entretien individuel de M. B... C... comporte le tampon de la préfecture, avec les initiales de l'agent ayant mené l'entretien ;
- le fait que l'identité et la qualité de l'agent ayant conduit l'entretien ne figurent pas dans le résumé de l'entretien individuel, alors qu'aucune disposition du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, ni aucune disposition nationale ne l'impose, n'a pas privé M. B... C... de la garantie que constitue le bénéfice de cet entretien ;
- les entretiens sont saisis dans une application dont l'accès est réservé, par mot de passe personnel, à des agents qualifiés en vertu du droit national ;
- il s'en rapporte à ses écritures de première instance pour justifier du rejet de la demande de M. B... C....
Par des mémoires en défense, enregistrés les 14 juin 2024 et 19 juin 2024 (non communiqué), M. B... C..., représenté par Me Prélaud, conclut, à titre principal, au rejet de la requête et, à titre subsidiaire, à l'annulation de l'arrêté contesté et à ce qu'il soit enjoint au préfet de Maine-et-Loire d'enregistrer sa demande d'asile " en procédure normale ", de lui délivrer une attestation au titre de l'article L. 521-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans un délai de sept jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de cent euros par jour de retard et demande à la cour de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que les moyens soulevés par le préfet de Maine-et-Loire ne sont pas fondés et réitère ses moyens de première instance.
M. B... C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 3 juillet 2024.
II. Par une requête n° 24NT01421, enregistrée le 15 mai 2024, le préfet de Maine-et-Loire demande à la cour de surseoir à l'exécution du jugement du 16 avril 2024 de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nantes.
Il soutient que :
- le résumé de l'entretien individuel de M. B... C... comporte le tampon de la préfecture, avec les initiales de l'agent ayant mené l'entretien ;
- le fait que l'identité et la qualité de l'agent ayant conduit l'entretien ne figurent pas dans le résumé de l'entretien individuel, alors qu'aucune disposition du règlement (UE)
n° 604/2013 du 26 juin 2013, ni aucune disposition nationale ne l'impose, n'a pas privé
M. B... C... de la garantie que constitue le bénéfice de cet entretien ;
- les entretiens sont saisis dans une application dont l'accès est réservé, par mot de passe personnel, à des agents qualifiés en vertu du droit national.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Derlange,
- et les observations de Me Prélaud, représentant M. B... C....
Considérant ce qui suit :
1. M. B... C..., ressortissant congolais, né le 13 avril 1981, a sollicité l'asile le 28 décembre 2023. Par un arrêté du 8 mars 2024, le préfet de Maine-et-Loire a ordonné son transfert aux autorités portugaises. Celui-ci relève appel du jugement du 16 avril 2024 par lequel la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nantes, sur demande de M. B... C..., a annulé cet arrêté au motif que l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 avait été méconnu et lui a enjoint de réexaminer sa situation. Par une requête distincte, le préfet de Maine-et-Loire demande à la cour de surseoir à l'exécution du même jugement.
2. Les requêtes enregistrées sous les numéros 24NT01420 et 24NT01421, présentées par le préfet de Maine-et-Loire, sont dirigées contre le même jugement. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
3. Aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. (...) / 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les Etats membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. / 6. L'Etat membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. L'Etat membre veille à ce que le demandeur et/ou le conseil juridique ou un autre conseiller qui représente le demandeur ait accès en temps utile au résumé ". S'il ne résulte ni de ces dispositions, ni d'aucun principe que devrait figurer sur le compte-rendu de l'entretien individuel la mention de l'identité de l'agent qui a mené l'entretien, il appartient à l'autorité administrative, en cas de contestation sur ce point, d'établir par tous moyens que l'entretien a bien, en application desdites dispositions été " mené par une personne qualifiée en vertu du droit national ".
4. Il ressort du résumé de l'entretien individuel mené avec M. B... C... le 28 décembre 2023 que cet entretien a été conduit par un agent de la préfecture du Val-d'Oise qui y a apposé ses initiales, ainsi que le cachet de la préfecture. Dans ces conditions, faute de contestation sérieuse plus précise de M. B... C..., cet agent doit être regardé comme qualifié en vertu du droit national au sens de l'article 5 du règlement communautaire mentionné ci-dessus. Il s'ensuit que le préfet est fondé à soutenir que c'est à tort que la magistrate désignée du tribunal administratif de Nantes a annulé son arrêté du 8 mars 2024 pris sur le fondement des dispositions précitées de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013.
5. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens développés en première instance, par M. B... C... à l'encontre de cet arrêté.
6. En premier lieu, l'arrêté du 8 mars 2024 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a ordonné le transfert au Portugal de M. B... C... comporte les éléments de droit et de fait qui le fondent. Il ne ressort ni de sa motivation, ni des pièces du dossier que le préfet de la Manche n'aurait pas examiné sérieusement la situation du requérant à ce titre. Par suite, les moyens tirés de l'insuffisance de motivation de cette décision et du défaut d'examen de la situation du requérant doivent être écartés.
7. En deuxième lieu, et en tout état de cause, il ne ressort pas des pièces du dossier que le fichier Visabio aurait été consulté, aux fins de comparaison des empreintes de M. B... C..., par une personne non autorisée et non par l'autorité nationale désignée à cet effet. Le moyen tiré de la méconnaissance de l'article R. 142-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit dès lors être écarté.
8. En troisième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que le compte-rendu de l'entretien du 28 décembre 2023 ne comporterait pas les principales informations fournies par M. B... C... à cette occasion. Il n'est donc pas fondé à soutenir que le préfet de Maine-et-Loire a méconnu, à ce titre, l'article 5 précité du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013. Dès lors, le moyen doit être écarté.
9. En quatrième et dernier lieu, aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'Etat membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'Etat membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) ".
10. Alors que la décision de transfert litigieuse n'emporte pas éloignement vers la République démocratique du Congo (RDC), M. B... C... ne peut utilement soutenir que la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nantes aurait dû prendre en compte les risques auxquels il serait exposé dans ce pays. Par ailleurs, il se borne, sans l'établir, à soutenir qu'il serait en situation de vulnérabilité du simple fait de son parcours migratoire et qu'il disposerait d'attaches en France et non pas au Portugal. Les éléments présentés n'établissent pas qu'il se trouvait à la date de l'arrêté contesté dans une situation de vulnérabilité exceptionnelle imposant d'instruire sa demande d'asile en France. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision litigieuse serait entachée d'erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article 17 du règlement doit être écartés.
11. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de Maine-et-Loire est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nantes a annulé l'arrêté contesté, a enjoint à celui-ci de réexaminer la situation de M. B... C... et a mis à la charge de l'Etat une somme de 800 euros au titre des frais de procès. Dès lors, ce jugement doit être annulé et les conclusions de première instance de M. B... C..., y compris celles à fin d'injonction et présentées au titre des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative, doivent être rejetées.
Sur les conclusions aux fins de sursis à exécution :
12. Par le présent arrêt, la cour se prononce sur l'appel du préfet de Maine-et-Loire contre le jugement du 16 avril 2024. Par suite, les conclusions de la requête n° 24NT01421 aux fins de sursis à exécution de ce jugement sont devenues sans objet et il n'y a pas lieu d'y statuer.
Sur les frais liés au litige :
13. L'Etat n'étant pas la partie perdante, les conclusions de M. B... C... sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique doivent être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 24NT01421 à fin de sursis à exécution du jugement du 16 avril 2024 de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nantes.
Article 2 : Le jugement du 16 avril 2024 de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nantes est annulé.
Article 3 : La demande présentée par M. B... C... devant le tribunal administratif de Nantes est rejetée.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié M. A... B... C..., à Me Prélaud et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Une copie en sera transmise, pour information, au préfet de Maine-et-Loire.
Délibéré après l'audience du 25 juin 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Derlange, président de chambre,
- M. Penhoat, premier conseiller,
- Mme Picquet, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 juillet 2024.
Le président, rapporteur,
S. DERLANGE
L'assesseur le plus ancien dans le grade le plus élevé,
A. PENHOAT
Le greffier,
C. WOLF
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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Nos 24NT01420,24NT01421