Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... E... D... et Mme J... F... C..., agissant en leur nom et en tant que représentants légaux des enfants H... F... E... et B... D... E..., ainsi que M. N... G... E... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 17 novembre 2021 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre les décisions du 27 juillet 2021 des autorités consulaires françaises à Nairobi (Kenya) refusant de délivrer à Mme J... F... C..., aux enfants H... F... E... et B... D... E... ainsi qu'à M. N... G... E... des visas d'entrée et de long séjour en qualité de membres de famille de réfugié.
Par un jugement n° 2200763 du 25 juillet 2022, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision du 17 novembre 2021 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France et a enjoint de délivrer des visas de long séjour à Mme J... F... C..., aux enfants H... F... E... et B... D... E... ainsi qu'à M. N... G... E..., dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 16 septembre 2022, le ministre de l'intérieur et des outre-mer demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 25 juillet 2022 du tribunal administratif de Nantes ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. D..., Mme F... C... et M. E... devant le tribunal administratif de Nantes.
Le ministre de l'intérieur et des outre-mer soutient que :
- le lien de filiation unissant le jeune B... et M. D... n'est pas établi ;
- le lien de filiation unissant M. E... et M. D... n'est pas établi ;
- M. E..., âgé de plus de 18 ans et n'étant pas l'enfant du couple, n'était pas éligible à la procédure de réunification familiale ;
- l'identité de Mme C... n'est pas établie ;
- les liens familiaux allégués ne sont pas établis par possession d'état ;
- la décision de la commission ne méconnaît ni l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ni l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 6 janvier et 18 juillet 2023, M. A... E... D... et Mme J... F... C..., agissant en leur nom et en tant que représentants légaux des enfants H... F... E... et B... D... E..., ainsi que M. N... G... E..., représentés par Me Gueguen, concluent au rejet de la requête, à ce qu'il soit enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer les visas sollicités dans un délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, subsidiairement, de réexaminer les demandes de visas dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte, et à ce qu'une somme de 1 500 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Ils soutiennent que :
- les visas ont été délivrés ; il n'y a plus lieu de statuer sur la requête du ministre ;
- les moyens soulevés par le ministre de l'intérieur et des outre-mer ne sont pas fondés.
M. A... E... D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 26 septembre 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Dias a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Par un jugement du 25 juillet 2022, le tribunal administratif de Nantes a, d'une part, annulé, à la demande de M. D..., de Mme C... et de M. E..., la décision du 17 novembre 2021 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre les décisions des autorités consulaires françaises à Nairobi (Kenya) refusant de délivrer à Mme C..., aux jeunes H... F... E... et B... D... E..., ainsi qu'à M. N... G... E... des visas de long séjour en qualité de membres de famille d'un réfugié, d'autre part, enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer les visas de long séjour sollicités, dans un délai de deux mois à compter de la notification de ce jugement. Le ministre de l'intérieur et des outre-mer relève appel de ce jugement.
Sur l'exception de non-lieu à statuer :
2. Il ressort des pièces du dossier qu'en exécution de l'injonction sous astreinte prononcée par le jugement attaqué du 25 juillet 2022, le ministre de l'intérieur et des outre-mer a délivré des visas d'entrée et de long séjour en qualité de membre de famille d'un réfugié à Mme C..., M. E... ainsi qu'aux enfants H... et B.... Cette circonstance ne rend pas, toutefois, sans objet l'appel formé par le ministre de l'intérieur et des outre-mer contre ce jugement. L'exception de non-lieu à statuer opposée par M. D..., Mme C... et M. E... doit être écartée.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
3. Aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : 1° Par son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage ou l'union civile est antérieur à la date d'introduction de sa demande d'asile ; 2° Par son concubin, âgé d'au moins dix-huit ans, avec lequel il avait, avant la date d'introduction de sa demande d'asile, une vie commune suffisamment stable et continue ; 3° Par les enfants non mariés du couple, n'ayant pas dépassé leur dix-neuvième anniversaire. Si le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire est un mineur non marié, il peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint par ses ascendants directs au premier degré, accompagnés le cas échéant par leurs enfants mineurs non mariés dont ils ont la charge effective. L'âge des enfants est apprécié à la date à laquelle la demande de réunification familiale a été introduite. ".
4. Il résulte de ces dispositions que l'âge de l'enfant pour lequel il est demandé qu'il puisse rejoindre son parent réfugié sur le fondement de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être apprécié à la date de la demande de réunification familiale, c'est-à-dire à la date à laquelle est présentée la demande de visa à cette fin, sans qu'aucune condition de délai ne puisse être opposée. La circonstance que cette demande de visa ne peut être regardée comme effective qu'après son enregistrement par l'autorité consulaire, qui peut intervenir à une date postérieure, est sans incidence à cet égard. Par ailleurs, lorsqu'une nouvelle demande de visa est déposée après un premier refus définitif, il convient, pour apprécier l'âge de l'enfant, de tenir compte de cette demande, et non de la première demande.
5. Aux termes de l'article L. 811-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. ". Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité.".
6. Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.
En ce qui concerne Mme C... :
7. Mme C... a produit un certificat de mariage établi le 13 avril 2018 par le directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) faisant état de son union avec M. D..., le 27 janvier 2007, à Kiambu (Kenya). Pour établir son identité, l'intéressée a produit une carte d'identité et un passeport délivrés, respectivement, les 5 janvier 2018 et 25 février 2020, par les autorités kenyanes. Il est vrai que ces documents mentionnent, chacun, des dates de naissance différentes, à savoir le 1er janvier 1985 et le 24 novembre 1985, alors que le certificat de mariage indique que l'épouse de M. D... est née le 4 juin 1985, conformément aux déclarations faites, dès le dépôt de sa demande d'asile, par l'intéressé qui a également précisé que Mme C... était la mère de leurs deux enfants N... G... E... et H... F... E... nés, respectivement, le 11 juin 2003 et le 28 août 2008. Il ressort des pièces du dossier qu'hormis le jour et le mois de naissance de l'intéressée, les mentions essentielles concernant l'épouse de M. D... figurant sur le formulaire de demande d'asile renseigné par ce dernier concordent avec celles figurant dans les documents d'identité de la demandeuse de visa. Les légères discordances constatées, tenant au jour et au mois de naissance de l'intéressée, ne suffisent pas à retirer tout caractère probant à ces documents qui sont par suite de nature à établir l'identité de la demandeuse de visa. En estimant que l'identité de Mme C... n'était pas établie et en refusant, pour ce motif, de délivrer le visa sollicité, la commission de recours a fait une inexacte application des dispositions précitées.
En ce qui concerne M. N... G... E... :
8. En premier lieu, pour justifier de son identité et du lien familial l'unissant à M. D..., M. E... a produit un document intitulé " certificate of birth " délivré par le " district assistant registrar " de Githunguri, le 29 mars 2018. Le ministre de l'intérieur et des outre-mer fait valoir que le numéro de cet acte comporte sept chiffres alors que celui de sa sœur, H..., dressé sept ans plus tôt, n'en comporte que six et que les deux actes ont été rédigés avec des caractères typographiques différents. Ces circonstances ne suffisent pas, toutefois, à établir que l'acte de M. E... serait inauthentique. Si l'article 8 du " Births and Deaths Registration Act " dispose qu'au Kenya, aucune naissance ne peut être enregistrée après l'expiration d'un délai de six mois à partir de la survenue de cet évènement, sauf justification de l'accord écrit régulièrement délivré par le " principal registrar ", les dispositions de cet article ne prévoient pas que la mention de l'accord de cette autorité soit portée sur l'acte de naissance lui-même. Par suite, la circonstance que l'acte de naissance de M. E... ne comporte pas la mention de l'accord du " principal registrar ", alors que la naissance de M. E..., le 11 janvier 2003, a été enregistrée huit ans après l'évènement ainsi relaté ne permet pas d'établir le caractère inauthentique de l'acte. Cet acte est ainsi de nature à établir l'identité de M. E... ainsi que le lien de filiation l'unissant à M. D... qui a d'ailleurs déclaré son fils aîné aux autorités compétentes, dès le dépôt de sa demande d'asile. En estimant que l'identité et le lien de filiation par le demandeur de visa n'étaient pas établis et en refusant, pour ce motif, de délivrer le visa sollicité, la commission de recours a fait une inexacte application des dispositions précitées.
9. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que M. E..., né 11 janvier 2003, a déposé le 23 février 2021 une demande de visa de long séjour auprès des autorités consulaires françaises à Nairobi. Il suit de là qu'à la date du dépôt de sa demande de visa en qualité d'enfant de réfugié, M. E... n'avait pas dépassé son dix-neuvième anniversaire de sorte qu'il était éligible à la procédure de réunification familiale. Par suite, en estimant qu'il ne l'était pas et en refusant, pour cet autre motif, de délivrer le visa sollicité, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a entaché sa décision d'une erreur de droit.
En ce qui concerne le jeune B... D... E... :
10. Pour établir l'identité de l'enfant B... D... E..., il a été produit un acte de naissance (" certificate of birth ") établi le 12 octobre 2017 par l'officier de l'état civil (" director of civil registration "), mentionnant que la naissance de l'enfant a été déclarée par un seul parent. D'une part, la circonstance que le certificat de mariage établi par l' OFPRA, relatant que l'union en 2007, de M. D... et de Mme C... est postérieure à la déclaration de naissance de l'enfant, le 30 décembre 2012, ne permet pas de faire regarder l'acte de naissance comme dressé en méconnaissance de l'article 12 du " Birth and Death Registration Acts ", qui interdit de mentionner la filiation paternelle sur un acte de naissance à moins que les parents n'aient déclaré ensemble la naissance ou encore sur présentation de l'acte de mariage des parents. Si le ministre produit une note du 7 avril 2021 établie par l'OFPRA selon laquelle M. D... aurait indiqué, lors de l'entretien du 16 février 2017 ne plus être en contact avec son épouse depuis le mois de décembre 2015, avant la date estimée de conception du jeune B..., M. D... conteste ces déclarations et se prévaut des motifs de la décision de la Cour nationale du droit d'asile lui octroyant le statut de réfugié, versée au débat, qui indique qu'il n'a plus eu de nouvelles de ses parents et de ses frères et non de son épouse et de leurs enfants. M. D... ajoute, sans être contredit, n'avoir quitté le Kenya qu'au mois de septembre 2016, plusieurs mois après la date estimée de conception de l'enfant B.... Par suite, le ministre de l'intérieur et des outre-mer n'établit pas que M. D... ne pourrait pas être le père de l'enfant déclaré par son épouse, le 12 octobre 2017. Enfin, si le ministre de l'intérieur fait valoir que M. D... n'a mentionné cet enfant aux instances de l'asile qu'au mois de février 2017, il ressort des pièces du dossier que le jeune B... n'était pas encore né à la date du 19 octobre 2016 à laquelle M. D... a déposé sa demande d'asile. Par suite, le caractère inauthentique de l'acte de naissance de l'enfant B... n'est pas établi et les mentions qu'il comporte sont de nature à établir l'identité du demandeur de visa et le lien de filiation qui l'unit à M. D.... En estimant que ce lien n'était pas établi et en refusant, pour ce motif, de délivrer le visa sollicité, la commission de recours a fait une inexacte application des dispositions précitées.
11. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur et des outre-mer n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France.
Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte présentées par M. D..., Mme C... et M. E... :
12. En premier lieu, si M. D... et autres demandent qu'un visa de long séjour soit délivré à Mme C..., M. E... et aux jeunes H... et B..., une injonction en ce sens a déjà été prononcée par le jugement du 25 juillet 2022 du tribunal administratif de Nantes. Ces conclusions sont donc dépourvues d'objet. Par ailleurs, et alors que les visas sollicités ont été délivrés le 22 décembre 2022, il n'y a pas lieu d'assortir d'une astreinte l'injonction prononcée par le tribunal.
Sur les frais liés au litige :
13. M. D... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 200 euros hors taxe à Me Gueguen dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
D E C I D E:
Article 1er : La requête du ministre de l'intérieur et des outre-mer est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à Me Gueguen une somme de 1 200 euros hors taxe, en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Gueguen renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 3 : Les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte présentées en appel par M. D... et autres sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer, à M. A... L..., à Mme J... K... et à M. M....
Délibéré après l'audience du 18 juin 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Buffet, présidente de chambre,
- Mme Montes-Derouet, présidente-assesseure,
- M. Dias, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 juillet 2023.
Le rapporteur,
R. DIAS
La présidente,
C. BUFFETLa greffière,
M. I...
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22NT03013